UNEF (Union nationale des associations générales d’étudiants en France) : Née en 1907, l’UNEF, ou plus précisément l’Union nationale des étudiants en France, est longtemps un simple regroupement d’associations locales antérieures et jalouses de leur autonomie, structures de sociabilité et d’entraide fondées sur la ville de résidence, parmi lesquelles l’Association générale des étudiants (AGE) de Paris est de loin la plus importante. Malgré sa neutralité politique et religieuse affichée, malgré son nombre limité d’adhérents, l’UNEF est précocement un enjeu politique : le président de l’AGE de Paris est, en 1912, un des nationalistes des Jeunes Gens d’aujourd’hui présentés par l’enquête d’Agathon ; dix ans plus tard, au contraire, c’est dans les locaux de l’AGE que, malgré les protestations nationalistes, est prononcée une conférence sur la relativité en présence d’Albert Einstein. Puis l’AGE parisienne tombe durablement entre les mains d’étudiants de l’Action française qui en font un instrument d’agitation politique, tandis que les AGE de province gardent dans leur majorité un républicanisme bon teint qui vaut à l’UNEF les faveurs officielles et en particulier son statut d’association reconnue d’utilité publique, à l’opposé de sa rivale, la Fédération française des étudiants catholiques ; l’UNEF admet dans ses rangs, en 1930, l’Association des étudiants musulmans, que préside Ferhat Abbas. Elle a obtenu, en 1922, la représentation étudiante aux conseils de discipline, et entreprend ou revendique (pour ses seuls adhérents) des réalisations d’entraide : sanatorium, restaurants, service de placement. Bientôt, pourtant, la crise des années 1930 et la montée du « chômage intellectuel » provoquent dans l’Union une crispation xénophobe, voire à composante antisémite, à l’entre des « métèques », avec pour limite le souci de ne pas se couper des autorités. Aussi l’UNEF coopère-t-elle lors du Front populaire avec Jean Zay, qui crée les Œuvres universitaires et conforte le statut officiel de l’organisation étudiante, sans que soit altéré son caractère corporatif.
UNION DES INTÉRÊTS ÉCONOMIQUES : C’est en 1910 qu’est constituée l’Union des intérêts économiques sous la présidence du sénateur radical Ernest Billiet afin d’assurer « la défense, au point de vue économique et social, des intérêts généraux du commerce et de l’industrie ». Il s’agit en fait d’une organisation patronale, financée et appuyée par les principales officines du patronat : Comité des Forges, Comité des Houillères, etc., afin de défendre sur le terrain politique à travers l’action des journaux, de la prpagande, des homme politiques, les intérêts patronaux. C’est ainsi qu’à la veille de la Première Guerre mondiale, l’Union des intérêts économiques anime une très vive campagne contre l’adoption de l’impôt sur le revenu, campagne qui qui échoue du fait de l’élection, en 1914, d’une Chambre de gauche. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le patronat qui s’est organisé pendant la guerre et s’esy constitué le 31 juillet 1919 en Confédération générale de la Procduction française va plus loin en intervenant franchement dans la vie politique. L’Union des intérêts économiques participe directement à l’élaboration de la plate-forme du Bloc national et fiannce la campagne des candidats qui acceptent de la signer. La plupart des élus de la nouvelle majorité, mais aussi nombre de radicaux, sont ainsi liés au patronat. De la même manière, l’Union des intérêts économiques intervient dans les élections de 1924 pour soutenir les candidats de droite. Le Cartel des gauches, victorieux, décide une enquête parlementaire sur l’action de l’organisation patronale, mais la commission chargée de la conduire la laisera s’enliser dans les sables de la procédure. Toutefois l’épisode conduira l’Union des intérêts économiques à mener désormais une action plus discrète.
UNION NATIONALE : On donne le nom d’ « union nationale » à une formule parlementaire rassemblanblant en principe la totalité des partis politiues dans la majorité. Les formules d’union nationale se développent en cas de danger grave pesant sur le pays, danger suffisant pour que les partis suspendent leur rivalité et que le débat politique s’efface devant l’intérêt nationale. Sous la IIIe République, on peut considérer que l’union nationale a joué à quatre reprises, mais avec des acceptations diverses.
Le premier cas d’union nationale prend naissance avec la déclaration de guerre de 1914. Au lendemain de celle-ci, Raymond Poincaré, président de la République, adresse le 4 août 1914 un message aux Chambres, appelant tous les Français à réaliser l’ « union sacrée » contre l’agresseur. L’appel sera entendu puisque les socialistes, dont on pouvait redouter l’opposition à la guerre, se rallient à la Défense nationale et acceptent que deux d’entre eux, Jules Guesde et Marcel Sembat, entrent au ministère aux côtés de représentants des partis de gouvernement. Cette acception étroite de l’Union sacrée (le ralliemnt des socialistes) se trouve d’ailleurs élargie dans les semaines qui suivent par le ralliement des nationalistes aux buts de guerre de la France, puis par celui des catholiques, dont le représentant Denys-Cochin devait devenir en 1915 ministre après avoir été dès 1914 Commissaire au Blocus. Toutefois cette union nationale qu’est l’Union sacrée ne va pas sans ambiguïté, chacun des partis cherchant à en tirer avantage tout en participant à l’effort de guerre. La pratique de l’Union sacrée va globalement favoriser la droite qui accepte le statu quo et se trouve à l’aise dans la volonté de conduire le conflit jusqu’à la victoire finale, alors que la gauche éprouve très vite un malaise devant ce qu’elle tient pour une perte d’identité. C’est dans ses rangs que se recrutent pour l’essentiel les courants pacifistes, boentôt considérés comme trahissant les objectifs de l’Union sacrée. Dès septembre 1917, le parti socialiste sous la pression croissante de ses militants pacifistes doit abandonner l’Union sacrée, cependant que le parti radical y demeure, mais au prix d’une disparition de sa spécificité au bénéfice des forces du centre-droit. La tentative d prolonger après la guerre l’Union sacrée amputée des socialistes dans le Bloc national fait long feu, la direction du parti radical refusant de se joindre à une coalition de droite qui signiefierait sa disparition à court terme et, de ce fait, le Bloc national ne sera qu’un bloc des droites.
La seconde expérience d’union nationale intervient en 1926, après l’échec du Cartel des gauches et la chut d’Herriot devant la panique financière de juillet.Raymond Poincaré, appelé au pouvoir, considère que la menace qui pèse sur la monnaie a le caractère d’un danger grave justifiant l’union nationale. Le « ministère du franc » qu’il constitue alors rassemble de fait tous les partis de l’échiquier parlementaire, des radicaux (Edouard Herriot) à l’Union républicaine démocratique (Louis Marin), en passant par toutes les nuances du centre et de la droite. Toutefois en sont exclus, outre les communistes (mais dont nul ne pense qu’ils font partie du personnel politique), les socialistes SFIO, memebres cependant de l’ancienne majorité du Cartel. En dépit de son nom, il s’agit donc d’une union nationale incomplète qui rejettent les formations marxistes. Cette formule que le centre et la droite souhaiteraient prolonger est en revanche jugée provisoire par les radicaux qui considèrent comme un parti de gauche, et expulsent de leurs rangs Kranklin Bouillon et ses partisans qui souhaitent faire de l’ »unionisme » une formule permanente. C’est d’ailleurs le parti radical qui, à son congrès à Angers en 1928, met fin à l’Union nationale.
La troisième expérience ressemble fort à la seconde et elle s’en veut d’ailleurs la répétition. Il s’agit du gouvernement dit de « trève » constitué par Gaston Doumergue après les évènements du 6 février 1934. Comme en 1926, le gouvernement d’union nationale va des radicaux (Edouard Herriot) à la droite (Tardieu et Louis Marin) et exclut socialistes et communistes. Mais l’autorité de Doumergue en novemebre 1934 sous les gouvernements Flandin (de novemebre à mai 1935), Buisson (juin 1935) et Laval (de juin 1935 à janvier 1936). Ce sont encore les radicaux qui y mettent fin en janvier 1936, alors uqe leur parti rejoint le Front populaire pour mettre en place, sous la direction d’Albert Sarraut, une formule de concentration destinée à préparer les élections de 1936.
Peut-on parler d’union nationale à propos de la tentative d’élargissement de la majorité à la veille de la chute de la IIIe République ?
Après la déclaration de guerre, Daladier a certes procédé à un remaniement de son gouvernement. Encore Reynaud n’ose-t-il pas donner un portefeuille à Léon Blum auquel la droite voue, depuis l’expérience du Front populaire, une haine farouche. Dans ces conditions, Reynaud s’abstient d’offrir un ministère à Louis Marin et la Fédération républicaine préfère alors rester dans l’opposition, tout au moins jusqu’à l’attaque allemande du 10 mai 1940 (où Marin et Ybarnegary deviennent ministres d’Etat). Les différents remerciements qui ont lieu ensuite sont davantage liés à la conduite de la guerre, à la défaite ou à des problèmes de personnalités qu’à une véritable volonté d’union nationale.
BERNSTEIN (Serge), MILZA (Pierre) : Histoire de la France au XXe siècle, Bruxelles, Ed. Complexe, 1995.
UNIVERSITÉ : Une nouvelle figure de la jeune fille sous la IIIe République : l'étudiante
À la fin du XIXe siècle, l'étudiante, telle que nous la concevons aujourd'hui, c'est-à-dire celle qui étudie, n'existe pas. L'étudiante est celle qui accompagne l'étudiant, et non celle qui étudie à ses côtés. Comment pouvait-elle exister, puisque le « sexe fort » qui étudie, l'étudiant ne naît véritablement que dans les années 1870 ? Ce n'est d'ailleurs qu'à la rentrée de 1882 que pour la première fois, l'affiche des cours de la Sorbonne emploie le terme « étudiants ». Parler des étudiantes sous la Troisième République peut donc paraître anachronique, cependant, avec Hubertine Auclerc, on peut lui donner tout son sens dès le Second Empire. Celle-ci réclame en effet la féminisation du langage : « N'est-ce pas à force de prononcer certains mots, qu'on finit par en accepter le sens qui tout d'abord heurtait ? » déclare-elle dans Le Radical en 1898.
En 1861, Julie-Victoire Daubié, la première, obtient le diplôme du baccalauréat, qui lui ouvre les portes de l'Université, et peut donc être considérée comme une « étudiante », dans la mesure où elle étudie. Ccependant, elle n'est pas étudiante à part entière puisqu'elle n'a pas le droit d'assister aux cours.
L'Université est le premier établissement supérieur qui accueille d'abord quelques pionnières, puis de nombreuses étudiantes : dès le Second Empire les facultés de médecine, de lettres et de sciences leurs sont en effet ouvertes. Cependant, contrairement à ce que l'on pourrait penser, l'université de Paris n'est pas la première université de France à adopter une politique aussi audacieuse à l'égard de l'enseignement féminin. En 1866, la Sorbonne est encore fermée aux femmes, la première bachelière écrit à ce sujet :
Déjà nos facultés de province accueillent les femmes à l'audition de leurs cours qu'elles suivent avec assiduité. Des invitations gracieuses leur sont faites relativement aux inscriptions nécessaires pour la licence et le doctorat. Devant cette situation, elles ne doivent pas laisser périmer plus longtemps leur droit d'entrée à la Sorbonne, car il serait d'une anomalie inexplicable que la première faculté de France repoussât seule les femmes.
C'est l'université de Lyon qui est la première à accueillir des femmes en 1863. En 1867, Emma Chenu, deuxième bachelière, est la première femme à s'inscrire à la faculté des sciences de Paris ; l'année suivante, quatre étudiantes s'inscrivent à la faculté de médecine. La première inscription féminine date de 1871 à la faculté des Lettres et de 1884 à la faculté de Droit. Ce n'est qu'en 1893 que l'École de Pharmacie de Paris vit sa première étudiante. Cependant, avec la réorganisation de l'université de Paris sous la IIIe République la situation évolue et plus de la moitié des étudiants, puis des étudiantes, sont inscrits dans les différentes facultés qui la composent. On assiste alors à un mouvement parallèle : d'une part la « modernisation » de l'Université avec des hommes comme Octave Gréard, Louis Liard, Georges Monod ou Ernest Lavisse, et de l'autre, la mise en place véritable de l'instruction des jeunes filles, gérée par des hommes comme Camille Sée, Jules Ferry et Paul Bert. Ces deux mouvements se rejoignent car la création de l'enseignement secondaire féminin permet aux bachelières d'accéder à l'Université, cette université que l'Église et les conservateurs ont souhaité, pendant si longtemps, interdite au « sexe faible ».
L'absence de documents sur l'entrée des femmes dans les facultés nous empêche de préciser les dates des premières inscriptions féminines. Ce n'est qu'à partir de l'année universitaire 1889-1890 que les « étudiantes » (on parle alors « d'étudiants-filles » et non d'étudiantes) sont mentionnées séparément des étudiants dans les statistiques du ministère de l'Instruction publique. Cependant, il est certain qu'avant cette date quelques facultés comptent déjà des « étudiantes ». En 1900 elles sont 401 soit 3% du total des étudiants, dix ans plus tard, 2121 soit 12% et en 1935, 9200 soit 28%13. Cette croissance exponentielle témoigne de l'importance prise par les femmes dans les effectifs des étudiants inscrits à l'université de Paris. Ce qui semblait être le dernier obstacle à l'égalité des sexes en matière d'enseignement se trouve levé plus rapidement que pour les niveaux précédents. La réforme du baccalauréat en 1902 puis le décret Léon Bérard en 1924 provoquent la multiplication des bachelières et par là des étudiantes. Pendant la Première Guerre mondiale les femmes doivent remplacer les hommes dans des professions qui leur étaient jusqu'alors réservées ; certaines de ces professions nécessitent un diplôme. Les jeunes filles poursuivant alors leurs études supérieures sont de plus en plus nombreuses.
Deux mots sont couramment employés à l'époque pour décrire l'arrivée des femmes à l'université de Paris et la progression fulgurante des effectifs féminins : « invasion » et « révolution ». Les femmes ont « envahi » un territoire qui jusque-là était réservé aux hommes l'Université et rapidement elles ont « révolutionné » les mœurs et l'éducation traditionnelle. Le nombre toujours croissant des étudiantes ne fait pas de doute, il n'y aura pas de retour en arrière et les prévisions assez fantaisistes de Colette Yver font sourire. En effet, celle-ci augure que vers 1945 ou 1950, cette nouvelle figure de la jeune fille se fanera, et on verra alors une « effroyable réaction contre cette déviation désordonnée qui aura, près d'un siècle, écarté les femmes de leur rôle naturel et nécessaire... Et la réaction contre cette fièvre intellectuelle des femmes sera d'autant plus violente qu'elles seront allées plus loin et avec plus d'exagération dans l'envahissement des carrières masculines. On verra sans doute, au déclin du XXe siècle, l'éducation des femmes revenir à ce qu'elle fût aux environs gracieux et poétiques de 1830. Puisse-t-on ne pas faire d'elles, par choc en retour, des ânesses ! »
Les premières étudiantes à l'université de Paris sont de nationalité étrangère. Jusqu'en 1913 les étudiantes étrangères sont plus nombreuses que les étudiantes françaises. La majorité d'entre elles viennent de Russie, de Roumanie et de Pologne. Les causes de leur présence sont diverses. Tout d'abord, le gouvernement d'Alexandre III, après avoir laissé les femmes étudier, leur ferme les cours de médecine à Saint-Pétersbourg ; ensuite, les pogroms lancés contre les juifs en 1881 et le numerus clausus qui leur limite l'accès à l'Université, comptent parmi les facteurs importants qui stimulent l'émigration vers l'ouest. Les femmes, comme leurs frères, émigrent, pour s'instruire et le font en s'inscrivant en masse dans les universités occidentales, en particulier à Paris, considéré comme le centre de l'Europe intellectuelle. Les Russes et les Roumaines les deux tiers de la communauté étudiante étrangère représentent ainsi plus du tiers des étudiantes inscrites à l'université de Paris entre 1905 à 1913. Le journal La Fronde, au mois de juin 1898, avait d'ailleurs consacré une rubrique aux « étudiantes étrangères à Paris ». Des portraits d'étudiantes selon leur nationalité sont dressés et entretiennent le mythe de l'étudiante russe, ou polonaise « pauvre et studieuse » qui s'oppose à celui de l'étudiante anglaise ou américaine, « indolente et paresseuse ».
Françaises et étrangères sont issues de milieux très différents : Louise Weiss, par exemple, née dans une famille aisée de hauts fonctionnaires, désire étudier afin d'être indépendante. Madeleine Pelletier, au contraire, vient d'un milieu familial extrêmement modeste et c'est la soif de connaissances qui la pousse vers de longues études de médecine. Mais, quelque soit leur origine sociale, toutes ces jeunes filles doivent affronter d'importantes difficultés matérielles et morales. Elles prennent rapidement conscience de la précarité de leur situation, ce qui les entraîne à promouvoir des liens étroits de solidarité. Aidées par des hommes et des femmes généreux et éclairés, elles mettent en place une vie estudiantine et associative. Les premières sociétés sont destinées aux étudiantes étrangères venues étudier à Paris.
En 1898, des étudiantes anglo-saxonnes se regroupent dans le Club de la rue de Chevreuse. Le 4 mars 1901 est créée « l'Association des Étudiantes de Paris », patronnée par Marguerite Durand, directrice du journal La Fronde. Quelques mois plus tard est fondée l'Association générale des étudiantes de l'université de Paris. Le but de ces associations est « de rassembler les étudiantes françaises et étrangères en une grande famille intellectuelle, de développer entre elles des liens de camaraderie, de solidarité et d'amitié au nom des mêmes idées, des mêmes principes et du même idéal intellectuel et moral ». Trois principes régissent ces associations : un principe moral de solidarité, un principe intellectuel d'ouverture d'esprit et d'échange et un principe « d'aide matérielle ». Elles ont joué un rôle important dans la vie des étudiantes, en contribuant largement à « façonner » les étudiantes et à mieux les insérer au sein de la société. D'une part des réunions et des conférences sont organisées au cours desquelles des personnalités intellectuelles présentent leurs travaux ; les étudiantes participent ainsi à l'activité intellectuelle publique. D'autre part au sein de chaque association sont mis en place des bureaux de placement pour permettre aux étudiantes de trouver plus aisément un emploi.
Après la « femme savante », le Bas-bleu mis en scène par Molière, apparaît la femme au « cerveau d'homme », aussi appelée péjorativement la « Cerveline » ou « l’Intellectuelle ». Ces nouvelles figures de la jeune fille font irruption dans la vie des étudiants jusqu'alors privés de compagnes d'études. Dès lors ces derniers vont être confrontés à un nouveau type de rapport intellectuel avec le sexe féminin, un rapport plus égalitaire qui ne pouvait véritablement exister avec les femmes de leur entourage. Professeurs et étudiants ont donc dû s'adapter à cette nouvelle présence féminine.
Les professeurs ne semblent pas s'être ouvertement prononcés sur la présence des femmes. Cependant leurs premières réactions sont plus négatives que celles des étudiants. Paul Sonday, professeur en Sorbonne, s'écrit spontanément, en voyant les étudiantes arriver : « Pas de femmes !... La science se fait entre hommes ! ». Accueil « pas commode » qui marqua par exemple Melle Sarmiz-Bilcescu, première femme à suivre régulièrement les cours à la faculté de Droit :
« Les dames n'entrent pas », vous répondait l'huissier à la porte. Le conseil de la faculté fut appelé à statuer. « Comment, Monsieur, dit ma mère au secrétaire, dans un pays où il est écrit même sur les portes des prisons : Liberté, Égalité, Fraternité, vous empêcheriez une femme de s'instruire, rien que parce qu'elle est femme ». Ces paroles furent rapportées au Conseil et, quelques jours après, l'autorisation de suivre les cours me fut accordée, mais pas à l'unanimité : nombre de professeurs votèrent contre, et notamment Monsieur le doyen Beurdant. L'accueil des professeurs fut glacial, l'accueil des étudiants extrêmement respectueux. À la clôture des cours de la première année, Monsieur Colmet de Santerre, professeur de Droit civil, s'adressant aux étudiants, dit presque textuellement : « Nous avons hésité à accorder à Melle Bilcescu l'autorisation qu'elle demandait par crainte d'avoir à faire la police dans les amphithéâtres ; cette jeune fille dont l'assiduité est au-dessus de tout éloge, et la conduite exemplaire, s'est imposée à notre estime, vous l'avez respectée comme une sœur et nous vous en remercions ». Ces paroles ont été couvertes par un tonnerre d'applaudissements.
La notion de respect revient toujours dans les propos tenus par les professeurs. Craignant de voir les femmes perdre leur réputation en partageant les mêmes bancs que leurs étudiants, les professeurs ne manquaient pas de rappeler ces derniers à leur devoir de courtoisie. En effet, les femmes apportent avec elles un parfum d'érotisme jugé pernicieux auquel se grisent les étudiants...et auquel ils n'échappent pas eux-mêmes totalement : « Pour la toilette [des étudiantes], simplicité de bon aloi, mais, il me semble pas de bras nus, qui peuvent, qui doivent donner des distraction aux voisins, et, qui sait peut-être même au professeur ». Les femmes représentent donc un élément doublement perturbateur, comme « objet de désir » et de curiosité pour les étudiants, mais aussi par la nature propre au sexe féminin : « légère, frivole, inapte à la réflexion ou à l'effort, et bavarde ».
Jusqu'au tournant du siècle les jeunes filles ne peuvent sortir qu'accompagnées d'un chaperon qui les suivaient jusque dans les amphithéâtres. Ainsi Melle Bilcescu assiste aux cours à la faculté de Droit de Paris immanquablement flanquée de sa mère ou de son mari. À partir des années 1900 ces « nouvelles » jeunes filles commencent à s'affranchir de cette tutelle parfois pesante. En suivant les cours et éventuellement en réussissant les examens, elles bravent les normes sociales et sortent du rôle qui leur est assigné. Elles font ainsi passer « la femme » de l'assujettissement à l'indépendance, ce qui ne va pas sans changer les rapports entre les sexes.
Dans le même ordre d'idée il est amusant de constater que les journaux de l'époque insistent sur la correction de la tenue des étudiantes. Ces recommandations vestimentaires se résument à « surtout pas de féminité ! » Une des images attribuée aux étudiantes est de ne pas être coquette, c'est en fait ce qui lui est recommandé. D'emblée est posé l'antinomie entre le « cerveau » et la « féminité » et « l’étudiante » et la « femme ». Une étudiante ne peut pas, ne doit pas être coquette, ni même élégante ; ces attributs sont réservés à « la » femme. Être femme et étudiante semble incompatible, c'est ainsi que Colette Yver, dans Princesses de sciences fait dire à un des protagonistes : « Vous demeurez trop étudiante pour être femme ». L'axiome « une femme ne peut être belle et intelligente », ou sa variante « l'intelligence d'une femme c'est sa beauté », s'impose dès l'arrivée des premières étudiantes.
L'hostilité des professeurs s'explique aussi par le conservatisme de certains universitaires. Ces professeurs, âgés pour quelques-uns d'entre eux, souhaitent véhiculer les valeurs traditionnelles qu'ils ont toujours connues, ils ont du mal à accepter les étudiantes qui dérangent et bousculent leurs certitudes ; de plus, peut-être ont-ils des filles qu'ils n'aimeraient pas voir assister à leurs propres cours. C'est à une double remise en cause à laquelle on assiste : les femmes sont reconnues comme étant intellectuellement les égales des hommes, elles ont les mêmes aptitudes à suivre des cours et à passer des examens et les filles défient l'autorité paternelle et sociale. Au début du XXe siècle cette situation est loin d'être acceptée, elle dérange encore : en 1902, lors d'un examen un professeur a exclu une étudiante car elle était une femme. En 1911 le journal L'Éclair fait part de l'émotion suscitée, chez les professeurs hommes, par la présence des étudiantes. Leurs représentants au conseil supérieur souhaitent d'ailleurs proposer à leurs collègues un examen approfondi de la situation nouvelle que créée cette affluence d'étudiantes et donc de concurrence pour les hommes. La même année, Jules Wogue, professeur agrégé, écrit un article assez virulent dans Le Matin, intitulé « Du rôle des femmes dans l'université actuelle ». Il se plaint, comme d'autres professeurs, de « l'invasion » des femmes à l'Université et écrit à propos de leur nouveau rôle d'étudiante : « Qu'était-il jusqu'ici ? Rien ! Qu'aspire-t-il à être ? Trop ! » Cette attitude négative devant l'arrivée des femmes n'est cependant pas unanime. Certains professeurs estiment beaucoup leurs étudiantes. Mais un reproche leur est souvent fait : leur manque d'initiative et leur trop grande docilité. Après s'être entendues répéter pendant des siècles qu'elles étaient inférieures intellectuellement l'existence de leur âme étant même mise en doute , il est difficile pour ces femmes d'avoir confiance en elle et leur humilité est compréhensive. Se retrouver assises au milieu des hommes sur les bancs des amphithéâtres et devoir s'imposer parmi eux n'étaient pas chose facile ; il a fallu beaucoup de courage et de ténacité à ces pionnières. En 1934 dans La Française, un professeur de lettres les incite à l'initiative, à « oser » : « C'est une belle génération de femmes averties et vaillantes que nous préparent ces jeunes filles dont, aujourd'hui, l'esprit s'ouvre si largement à toutes les ambitions qu'elles peuvent, et doivent oser. »
Les étudiants semblent, dans l'ensemble, plus favorables à l'arrivée des femmes à l'université. Julie-Victoire Daubié première bachelière en 1861 est acceptée par les étudiants alors que le recteur et le ministre de l'Instruction publique se sont montrés très réticents devant son « audace ». En 1887, Blanche Edwards, première femme interne des hôpitaux en France, est en revanche très mal accueillie par les étudiants qui brûlent son effigie. Cette réaction violente est une exception, les procès-verbaux des facultés n'en mentionnent pas d'autres. La seule « protestation » devant l'accroissement du nombre des étudiantes aurait eu lieu en 1893. Élevés dans le mythe de la supériorité de l'homme, les étudiants se voient brusquement confrontés à des femmes qui partagent les mêmes cours et les mettent en situation de concurrence aux examens. À la faculté de médecine ils refusent « les internes en chignon » ; aussi réserve-t-on aux étudiantes des places isolées et regroupées dans l'hémicycle, ce qui leur vaut « l'honneur être bombardées de projectiles par les étudiants ». Ces quelques mauvais tours et les cabales jouées aux étudiantes, ou encore les brouhahas qui accompagnèrent certains examens, demeurent assez rares. Ces manifestations peuvent être interprétées comme un moyen, certes puéril, d'attirer l'attention des étudiantes sur ceux qui lançaient des projectiles ; c'est une façon de « faire la cour ». L'étudiante comme « objet de séduction » peut être une des raisons qui justifient l'acceptation des étudiantes par les étudiants, mais la raison essentielle est que ces étudiants sont des « hommes nouveaux », des hommes de la Troisième République à l'esprit suffisamment éclairé pour voir l'absurdité de l'inégalité des sexes. Ils désirent voir leurs compagnes, leurs sœurs, leurs amies s'élever à leur niveau. En 1900, lors du Congrès des Étudiants organisé à Paris, les étudiants expriment leurs vœux à l'égard des étudiantes : ils souhaitent que les gouvernements de tous les pays admettent les femmes à suivre à suivre les cours et à passer les examens de toutes les facultés et des écoles supérieures.
Beaucoup de sources font ressortir un fait nouveau : la présence des jeunes filles dans les facultés engendre un sentiment nouveau, inconnu de la jeunesse d'autrefois, la camaraderie des sexes. Cette camaraderie vient remplacer le sentimentalisme souvent exagéré des jeunes filles du XIXe siècle. Par cette « franche camaraderie », les étudiantes n'ont plus ces timidités sentimentales effarouchées et rougissantes de leurs aînées et qui caractérisent certains états de l'adolescence. Elles s'en sont libérées, comme elles ont relégué au grenier les falbalas, les dentelles et les volants. Cette camaraderie débouche souvent sur le mariage ; étudiantes et étudiants se choisissent mutuellement selon leurs affinités intellectuelles. Cette notion d'égalité des sexes est clairement ressentie par les étudiantes, elles ne se sentent nullement désavouées. Simone de Beauvoir dans ses Mémoires d'une jeune fille rangée exprime ce sentiment : « L'avenir m'était ouvert aussi largement qu'à eux, ils ne détenaient aucun avantage ». Les étudiants ne perçoivent pas les étudiantes comme des rivales puisqu'elles ne prennent pas leurs places à l'université, cette camaraderie tend cependant à s'effacer pour devenir rivalité lorsque les étudiantes munies des mêmes diplômes qu'eux entrent dans le monde du travail, des « carrières ». Colette Yver dans Les Dames du Palais et Princesses de Sciences évoque cette ambivalence dans les rapports étudiantes/étudiants. Guéménée accepte Thérèse comme jeune fille étudiante mais pas comme épouse ayant une profession. La question du mariage de l'intellectuelle préoccupe les esprits « bien pensants ». Il semblait à beaucoup, que le sexe féminin, venant concurrencer le sexe masculin dans les positions telles que la médecine, le barreau, verrait se dresser devant lui les hommes en ennemis acharnés, ceux-ci se défiant de ces « étranges femmes ». Il en résulterait le célibat, une renonciation au mariage pour celles qui auraient eu l'audace de s'aventurer dans ces domaines, ou de possibles heurts durant le mariage. Cette nouvelle figure de la jeune fille qu'est l'étudiante, donne aussi naissance au mythe de la « vieille fille » propre à l'intellectuelle. Tant que les femmes étudient et ne travaillent pas elles sont tolérées. Mais lorsqu'elles souhaitent valoriser leurs diplômes, elles sont considérées par les universitaires professeurs et étudiants et par la société en générale comme des intruses, le terme d'» invasion » employé pour décrire leur arrivée prenant alors tout son sens.
En 1930, Gustave Cohen, professeur à la faculté des Lettres de Paris « résume » dans un article des Nouvelles littéraires le phénomène nouveau qu'est l'entrée des femmes à l'Université et la crainte que suscitent ces nouvelles femmes que sont les étudiantes :
Si on me demandait, quelle est la plus grande révolution à laquelle nous avons assisté de nos jours, depuis la guerre, je ne dirais pas que c'est la mode des cheveux coupés, et des jupes courtes, mais l'invasion de l'Université par les femmes, où rarissime au temps de ma jeunesse, il y a trente ans, elles ont été d'abord tiers, puis moitié, puis les deux tiers, au point qu'on se demande avec inquiétude si, après avoir été jadis, nos maîtresses, elles ne vont pas devenir nos maîtres.
Antoine Prost, L'Enseignement en France, 1800-1967, Paris, Colin, 1968,
Françoise Mayeur, L'Éducation des filles en France au XIXe siècle, Paris, Hachette, 1979, p. 169.
Sous la direction de Georges Duby et Michelle Perrot, Histoire des femmes, t. IV, p. 221.
Antoine Michel, Le Féminisme, Paris, PUF, 1975, p. 75. |