ABBEVILLE (Conférence d’) : Conférence tenue le 6 mai 1918 entre les représentants des Alliés pendant la Première Guerre mondiale, à l’effet de compléter les « pouvoirs de coordination » déjà attribués au général Foch dans la conférence de Doullens. Les attributions du général en chef sont étendues à tout le front occidental, secteur belge et italien compris. Foch y invite tous les grands chefs militaires de l’Entente à s’efforcer à reprendre l’initiatives des opérations.
ABBEVILLE (Fusillés d’) : Le 20 mai 1940, dans Abbeville bombardé, 21 détenus belges et français que l’on transférait de la prison de Loos vers un établissement pénitentiaire du midi, et qui étaient provisoirement enfermés sous le kiosque à musique d’Abbeville, furent passés par les armes, sans jugement, par le peloton qui les gardait. Parmi eux se trouvait Jean Rijkoort, un nationaliste belge, et son ami Joris van Severen, considéré aujourd’hui comme « l’inventeur » (avant la lettre) du Bénélux, qui avaient été arrêtés en Belgique quelques jours plus tôt et que l’on avait transférés en France. Les cadavres des 21 « fusillés d’Abbeville » furent enterrés dans le coin des pauvres au cimetière de la ville.
ABEL (Jean-Baptiste-Eugène), 1863-1921 : Homme politique. Né à Toulon (Var), le 12 janvier 1863, Jean-Baptiste Abel, membre de la gauche radicale, ne doit son passage au gouvernement qu'à sa victoire aux législatives à Toulon contre son concurrent de toujours, le socialiste Prosper Ferrero. Nommé ministre du Travail et de la Prévoyance sociale, les cinq jours du quatrième cabinet Ribot (9-13 juin 1914) ne laissent à ce spécialiste des questions maritimes que le temps d'expédier les affaires courantes. Il décède à Toulon le 30 septembre 1921.
ABRAMI (Léon-Pierre), 1879-1939 : Homme politique. Né à Constantinople (Turquie), le 1er juillet 1879, Léon Abrami est élu député du Pas-de-Calais en 1914 et, qui, après avoir combattu en Lorraine et en Argonne, est nommé sous-lieutenant à l'état-major du général commandant l'armée d'Orient. C'est à ce moment qu'il contracte le paludisme. Rapatrié, il reprend sa place à la Chambre en s'intéressant plus particulièrement aux affaires militaires. Dans son ministère (17 novembre 1917-19 janvier 1920), Clemenceau le nomme sous-secrétaire d'Etat à la Guerre, chargé des Effectifs et des Pensions. A ce poste, il met sur pied la loi sur les allocations destinées aux blessés, aux malades et aux survivants des tués « dans la guerre actuelle ». Il est réélu aux législatives de 1919, s'inscrit au sein du groupe de la gauche républicaine et garde son poste au gouvernement. Chargé alors de l'Administration, il prépare la loi sur les crédits du ministère de la Guerre, tout en défendant à la Chambre la politique gouvernementale en matière de pensions. Il décède à Paris le 5 janvier 1939.
ABSTRACTION-CRÉATION :
ACADÉMIE D’AGRICULTURE : Académie fondée en 1761, sous le nom de Société royale d’agriculture, elle est réorganisée par les décrets de 1878, 1879 et 1880, sous le nom de Société nationale d’agriculture, puis transformée (décret du 23 février 1915) en Académie d’agriculture. Elle est composée du ministre de l’Agriculture (président), de soixante-douze membres titulaires, quinze membres étrangers, vingt membres non résidents, cent cinquante correspondants nationaux et cinquante correspondants étrangers. Divisée en deux sections, d’une part, les sciences et agricoles (grandes cultures, cultures spéciales, sylviculture, économie des animaux, économie statistique et législation agricole), et d’autre part, les sciences appliquées à l’agriculture (sciences physico-chimiques, histoire naturelle, génie rural, hors cadre), elle a pour mission de répondre aux demandes du gouvernement sur tout ce qui intéresse le progrès agricole, d’étudier toutes les questions se rattachant à la législation et à l’économie rurale et d’apprécier les nouveaux procédés concernant les diverses branches de l’agriculture.
L’Académie publie un Bulletin mensuel de ses séances, qui ont lieu le mercredi à 8 heures.
ACADÉMIE D’ARMES : Association de pro-fesseurs d’escrime, fondée en 1886, en souvenir de l’ancienne communauté des Maistres en fait d’armes de la Ville et des Fauxbourgs de Paris, créée en 1567, et à laquelle Louis XIV avait donné, en 1656, des armoiries particulières. L’Académie d’armes se compose de vingt-cinq membres titulaires et décerne, après examen, des brevets de maîtres-adjoints.
ACADÉMIE DE MARINE : Compagnie savante fondée en 1752 et supprimée par le décret du 8 août 1793, l’Académie de marine est reconstituée le 28 octobre 1921. Elle comprend cinquante membres titulaires, élus par l’assemblée générale des membres titulaires, des membres associés et des membres correspondants, également nommés par l’assemblée générale des membres titulaires. Le nombre des membres associés et des membres correspondants ne peut excéder vingt pour chacune de ces deux catégories.
L’Académie s’est fixé pour but de reprendre l’œuvre de l’ancienne compagnie dont elle a pris le nom, et de provoquer des hautes études concernant les questions maritimes. Elle comprend six sections : section historique, section législative et administrative, section du matériel naval, section des sciences nautiques, section militaire, section économique.
ACADÉMIE DES GONCOURT : Les frères Goncourt avaient voulu reconstituer l'ambiance des salons littéraires du XVIIIe siècle, et celle des nombreux déjeuners ou dîners d'écrivains du XIXe (les «dîners Magny»). La mort prématurée de Jules en 1870, fera d'Edmond l'animateur du «Grenier» et le créateur de la «société littéraire», devenue Académie par opposition à l'Académie française qui refuse «l'immortalité» à de grands esprits tels que Balzac, Flaubert, Zola, Maupassant, Baudelaire, entre autres. Quarante-huit heures après la mort d'Edmond de Goncourt, en 1896, à l'âge de soixante-quatorze ans, son notaire Me Duplan lisait à Alphonse Daudet et Léon Hennique, ses légataires universels, le testament qu'il avait laissé :
«Je nomme pour exécuteur testamentaire mon ami Alphonse Daudet, à la charge pour lui de constituer dans l'année de mon décès, à perpétuité, une société littéraire dont la fondation a été, tout le temps de notre vie d'hommes de lettres, la pensée de mon frère et la mienne, et qui a pour objet la création d'un prix de 5000 F destiné à un ouvrage d'imagination en prose paru dans l'année, d'une rente annuelle de 6000 francs au profit de chacun des membres de la société.» Il est précisé que les dix membres désignés se réuniront pendant les mois de novembre, de décembre, janvier, février, mars, avril, mai et que le prix sera décerné «dans le dîner de décembre.» Ce rythme et ces dates furent adaptés par la suite aux nécessités de la vie du livre.Société littéraire reconnue d’utilité publique en 1903, les premiers membres de l’Académie des Goncourt, en 1903, sont Léon Daudet (succédant à a son père, décédé), Huysmans, O. Mirbeau, les deux Rosny, L. Hennique, Paul Margueritte, G. Geffroy, E. Bourges, L. Descaves.
Prix Goncourt :
-1903 : John-Antoine Nau, Force ennemie, La Plume ;
-1904 : Léon Frapié, La maternelle, Albin Michel ;
-1905 : Claude Farrère, Les civilisés, Flammarion ;
-1906 : Jérôme et Jean Tharaud Dingley, l'illustre écrivain, Plon ;
-1907 : Emile Moselly, Terres lorraines, Plon ;
-1908 : Francis de Miomandre, Ecrit sur l'eau, Emile-Paul ;
-1909 : Marius-Ary Leblond, En France, Fasquelle ;
-1910 : Louis Pergaud, De Goupil à Margot, Mercure de France ;
-1911 : Alphonse de Chateaubriant, Monsieur de Lourdines, Grasset ;
-1912 : André Savignon, Filles de Pluie, Grasset ;
-1913 : Marc Elder, Le peuple de la mer, Calmann-Lévy ;
-1914 : prix non décerné à cause de la guerre ;
-1915 : René Benjamin Gaspard Fayard ;
-1916 : Adrien Bertrand, L'appel du sol (prix 1914), Calmann-Lévy ;
-1916 : Henri Barbusse, Le feu, Flammarion ;
-1917 : Henri Malherbe, La flamme au poing, Albin Michel ;
-1918 : Georges Duhamel, Civilisation, Mercure de France ;
-1919 : Marcel Proust, A l'ombre des jeunes filles en fleurs, Gallimard ;
-1920 : Ernest Pérochon, Nêne, Clouzot (puis Plon) ;
-1921 : René Maran, Batouala, Albin Michel ;
-1922 : Henri Béraud, Le vitriol de lune et Le Martyre de l'obèse, Albin Michel ;
-1923 : Lucien Fabre, Rabevel ou le mal des ardents, Gallimard ;
-1924 : Thierry Sandre, Le chèvrefeuille, Gallimard ;
-1925 : Maurice Genevoix, Raboliot, Grasset ;
-1926 : Henry Deberly, Le supplice de Phèdre, Gallimard ;
-1927 : Maurice Bedel, Jérôme, 60° latitude nord, Gallimard ;
-1928 : Maurice Constantin-Weyer, Un homme se penche sur son passé, Rieder ;
-1929 : Marcel Arland, L'ordre, Gallimard ;
-1930 : Henri Fauconnier, Malaisie, Stock ;
-1931 : Jean Fayard, Mal d'amour, Fayard ;
-1932 : Guy Mazeline, Les loups, Gallimard ;
-1933 : André Malraux, La condition humaine, Gallimard ;
-1934 : Roger Vercel, Capitaine Conan, Albin Michel ;
-1935 : Joseph Peyré, Sang et Lumière, Grasset ;
-1936 : Maxence Van der Meersch, L'empreinte de Dieu, Albin Michel ;
-1937 : Charles Plisnier, Faux-passeports, CorrÍa ;
-1938 : Henri Troyat, L'araigne, Plon ;
-1939 : Philippe Hériat, Les enfants gâtés, Gallimard ;
-1940 : Francis Ambrière, Les grandes vacances, Nouvelle France.
ACADÉMIE DES SCIENCES COLONI-ALES : Fondée en 1922 pour susciter, encourager, développer et coordonner les études intéressant les colonies et servir de centre de travail à la vie intellectuelle des colonies et pays de protectorat ou d’influence. Elle compte des membres actifs (au nombre de 100), associés et correspondants, et publie des Comptes-rendus de ses séances et des Annales.
ACADÉMIE DES SPORTS : Fondée à Paris en 1910, l’Académie des sports a pour but d’encourager et de développer le sport sous toutes ses formes ; de distribuer des récompenses (diplômes, médailles, prix en espèces), de patronner les grandes manifestations sportives ; d’organiser des conférences et expositions artistiques se rapportant au sport ; d’établir un dictionnaire des sports, d’aider à la diffusion des sports nouveaux ; de revevoirs les sportsmen étrangers ; etc. Elle est divisée en trois sections : sports athlétiques, sports mécaniques, sports hippiques et cynégétiques.
ACADÉMIE FRANÇAISE : Créée sous l’Ancien régime, vouée à la défense de la langue, l’Académie française est placée sous le protectorat du chef de l’Etat. Devenue un établissement public, elle s’affirme comme une institution singulière dont la vocation initiale de gardienne de la langue se double d’un rôle de diffusion de la culture française à l’étranger mais compte moins que la fonction de consécration qui fait tout le prix d’une élection sous la Coupole.
Dès l’origine, l’Académie ne fut pas une assemblée purement littéraire mais s’ouvrit à des personnalités mondaines ou politiques. Au XIXe siècle, on peut se la représenter comme un salon prestigieux, au sein duquel les grands débats du temps définissent des « partis » et des coteries dont les frontières restent mouvantes.
L’affaire Dreyfus donne aux élections une signification plus politique. Si les vingt-quatre échecs de Zola ont eu pour origine l’hostilité des académies envers le roman naturaliste, c’est à l’intellectuel dreyfusard que « j’accuse… ! » (1898) fermera définitivement les portes du quai Conti. En dépit de la présence d’Anatole France et de Marcellin Berthelot, tous deux membres de la Ligue des droits de l’homme, l’Académie fait, en effet, figure de bastion de l’antidreyfusisme : présidée par deux académiciens, François Coppée et Jules Lemaître, la Ligue de la patrie française ne rallie pas moins de vingt-six immortels dont Brunetière, Paul Bourget, Albert de Mun.
Barrès, l’un des premiers a s’être mobilisé contre Dreyfus, est élu en 1906, année même de la réhabilitation du capitaine.
La Première Guerre mondiale atténue les oppositions, instaurant un climat d’union sacrée. Depuis 1913, l’académie compte dans ses rangs le président de la République Raymond Poincaré, entré sous la coupole en 1909. Elle organise le secours des veuves de guerre, met à la disposition de la Croix rouge plusieurs de ses domaines, vote de nombreuses mentions de soutien au gouvernement. La triple élection de Foch, Joffre et Clemenceau en 1918 prolonge symboliquement le patriotisme affirmé par les académiciens tout au long du conflit.
Dans l’entre-deux-guerres, si les enjeux « littéraires » demeurent, comme en témoigne l’élection difficile de Paul Valéry en 1925 ou le scandale provoqué par l’échec de Claudel, contre Paul Farrère, en 1935, c’est autour des cercles politiques que se structure la sociabilité académique. Dirigée par René Doumic, successeur de Brunetière, la très conservatrice Revue des deux mondes est réputée faire les élections. Dans la mouvance de l’Action française, de nombreux académiciens se retrouvent au cercle Fustel de Coulanges, crée en 1927 et dominé par les maurrassiens.
Certes, l’échec de Maurras en 1923 semble marquer les réticences de l’Académie vis-à-vis d’une candidature jugée trop « politique ». En 1938, sa deuxième tentative lui assure cependant, dès le premier tour, une victoire très nette. Entre ces deux dates sont entrés sous la Coupole seize des vingt académiciens ayant voté pour lui. Les maréchaux Pétain et Franchet d’Espérey, le général Weygand sont du nombre, ainsi que Louis Bertrand, André Chaumeix, André Bellessort, Jacques Bainville, Claude Farrère, Pierre Benoît. Dominée par les « intellectuels de droite » dès les années 1920, l’Académie s’est nettement ouverte à la droite nationaliste dans les années 1930.
S’il est difficile de parler « d’engagement » pour les prises de position d’une assemblée ayant constamment affirmé l’indépendance de ses membres, il reste que l’Académie française a été clairement représentée lors de la signature des pétitions et manifestes jalonnant cette période.
En 1925, en réponse à la mobilisation des « travailleurs intellectuels aux cotés du prolétariat contre la guerre du Maroc » (texte rédigé par Henri Barbusse et publié dans L’Humanité le 2 juillet), la contre-pétition publiée cinq jours plus tard par Le Figaro sous le titre « les intellectuels aux cotés de la patrie » apporte à Lyautey (académicien depuis 1912) le soutien de nombreux immortels.
En octobre 1935, le « manifeste pour la défense de l’occident », rédigé par Henri Massis, est signé par seize académiciens, la plupart de ceux qui éliront Maurras en 1938. Hostile a des sanctions contre l’Italie au moment de la guerre d’Ethiopie, ce texte traduit un durcissement des prises de position d’une partie de la droite intellectuelle mais ne fait pas l’unanimité sous la Coupole où apparaissent des clivages.
Signataires de la pétition de 1925, Paul Valéry et François Mauriac ne cautionnent pas le texte de 1935. Vingt ans plus tard, Mauriac estimera même que « l’Académie française, qui fait sourire et qui relève, croient les gens légers, de la caricature, a été vraie entre 1918 et 1940, un des lieux où s’est préparé notre destin ».
Liste des quarante fauteuils sous la IIIe République :
-Siège 1 :
1890 : Charles de Freycinet
1924 : Émile Picard
-Siège 2 :
1874 : Alexandre Dumas fils
1896 : André Theuriet
1908 : Jean Richepin
1927 : Émile Mâle
-Siège 3 :
1881 : Victor Cherbuliez
1900 : Émile Faguet
1918 : Georges Clemenceau
1930 : André Chaumeix
-Siège 4 :
1882 : Charles de Mazade
1894 : José-Maria de Heredia
1906 : Maurice Barrès
1925 : Louis Bertrand
-Siège 5 :
1880 : Edmond Rousse
1907 : Pierre de Ségur
1920 : Robert de Flers
1927 : Louis Madelin
-Siège 6 :
1873 : Charles de Viel-Castel
1888 : Edmond Jurien de La Gravière
1892 : Ernest Lavisse
1923 : Georges de Porto-Riche
1931 : Pierre Benoit
-Siège 7 :
1870 : Émile Ollivier
1914 : Henri Bergson
-Siège 8 :
1875 : Jules Simon
1897 : Albert de Mun
1918 : Alfred Baudrillart
-Siège 9 :
1877 : Victorien Sardou
1909 : Marcel Prévost
-Siège 10 :
1884 : François Coppée
1909 : Jean Aicard
1924 : Camille Jullian
1934 : Léon Bérard
-Siège 11 :
1884 : Edmond About
1886 : Léon Say
1896 : Albert Vandal
1911 : Denys Cochin
1922 : Georges Goyau
1940 : Paul Hazard
-Siège 12 :
1876 : Charles Blanc
1882 : Édouard Pailleron
1900 : Paul Hervieu
1918 : François de Curel
1930 : Charles Le Goffic
1932 : Abel Bonnard (radié en 1945)
-Siège 13 :
1891 : Pierre Loti
1924 : Albert Besnard
1935 : Louis Gillet
-Siège 14 :
1886 : Charles Leconte de Lisle
1894 : Henry Houssaye
1912 : Louis Hubert Gonzalve Lyautey
1934 : Louis Franchet d'Esperey
-Siège 15 :
1880 : Eugène Labiche
1888 : Henri Meilhac
1898 : Henri Lavedan
-Siège 16 :
1878 : Edme-Armand-Gaston d'Audiffret-Pasquier
1906 : Alexandre Ribot
1923 : Henri Robert
1938 : Charles Maurras
(radié en 1945,
non remplacé de son vivant)
-Siège 17 :
1871 : Émile Littré
1881 : Louis Pasteur
1896 : Gaston Paris
1903 : Frédéric Masson
1924 : Georges Lecomte
-Siège 18 :
1901 : Melchior de Vogüé
1918 : Ferdinand Foch
1929 : Philippe Pétain (radié en 1945, non remplacé de son vivant)
-Siège 19 :
1886 : Édouard Hervé
1899 : Paul Deschanel
1923 : Auguste Jonnart
1928 : Maurice Paléologue
-Siège 20 :
1884 : Victor Duruy
1895 : Jules Lemaître
1919 : Henry Bordeaux
-Siège 21 :
1871 : Henri d'Orléans, duc d'Aumale
1898 : Eugène Guillaume
1905 : Étienne Lamy
1920 : André Chevrillon
-Siège 22 :
1884 : Ludovic Halévy
1909 : Eugène Brieux
1933 : François Mauriac
-Siège 23 :
1874 : Alfred Mézières
1918 : René Boylesve
1927 : Abel Hermant (radié en 1945)
-Siège 24 :
1870 : Prosper Duvergier de Hauranne
1881 : Armand Prudhomme, dit Sully-Prudhomme
1908 : Henri Poincaré
1914 : Alfred Capus
1923 : Édouard Estaunié
-Siège 25 :
1871 : Louis de Loménie
1878 : Hippolyte Taine
1894 : Albert Sorel
1907 : Maurice Donnay
-Siège 26 :
1876 : Gaston Boissier
1909 : René Doumic
1938 : André Maurois
-Siège 27 :
1874 : Elme-Marie Caro
1888 : Paul-Gabriel d'Haussonville
1925 : Auguste-Armand de la Force
-Siège 28 :
1870 : Jules Janin
1875 : John Lemoinne
1893 : Ferdinand Brunetière
1907 : Henri Barboux
1911 : Henry Roujon
1918 : Louis Barthou
1935 : Claude Farrère
-Siège 29 :
1878 : Ernest Renan
1893 : Paul-Armand Challemel-Lacour
1897 : Gabriel Hanotaux
-Siège 30 :
1903 : René Bazin
1932 : Théodore Gosselin, dit G. Lenotre
1935 : Georges Duhamel
-Siège 31 :
1870 : Xavier Marmier
1893 : Henri de Bornier
1901 : Edmond Rostand
1920 : Joseph Bédier
1938 : Jérôme Tharaud
-Siège 32 :
1896 : Charles Costa de Beauregard
1911 : Hippolyte Langlois
1912 : Émile Boutroux
1922 : Pierre de Nolhac
1936 : Georges Grente
-Siège 33 :
1873 : René Taillandier, dit Saint-René Taillandier
1880 : Maxime du Camp
1894 : Paul Bourget
1936 : Edmond Jaloux
-Siège 34 :
1886 : Octave Gréard
1904 : Émile Gebhart
1909 : Raymond Poincaré
1935 : Jacques Bainville
1936 : Joseph de Pesquidoux
-Siège 35 :
1888 : Jules Claretie
1918 : Joseph Joffre
1931 : Maxime Weygand
-Siège 36 :
1882 : Adolphe Perraud
1906 : François-Désiré Mathieu
1910 : Louis Duchesne
1923 : Henri Bremond
1935 : André Bellessort
-Siège 37 :
1871 : Camille Rousset
1893 : Paul Thureau-Dangin
1914 : Pierre de La Gorce
1934 : Maurice de Broglie
-Siège 38 :
1878 : Henri Martin
1884 : Ferdinand de Lesseps
1896 : Anatole France
1925 : Paul Valéry
-Siège 39 :
1888 : Eugène-Melchior de Vogüé
1911 : Henri de Régnier
1936 : Jacques de Lacretelle
-Siège 40 :
1875 : Jean-Baptiste Dumas
1884 : Joseph Bertrand
1900 : Marcellin Berthelot
1908 : Francis Charmes
1918 : Jules Cambon
1936 : Lucien Lacaze
ACHARD (Léon), 1831-1905 : Chanteur. Né à Lyon en 1831, Léon Achard chante avec grand succès les rôles de ténor à l’Opéra-Comique et à l’Opéra Garnier. Professeur de la classe d’Opéra-Comique au Conservatoire en 1876, il meurt à Paris en 1905.
ACHARD (Emile, Charles), 1860-1944 : Médecin. Né à Paris en 1860, Charles Achard est professeur de clinique médicale à la Faculté de médecine de Paris. Elu en 1911 membre de l’Académie de médecine dont il est (1919-1921) le secrétaire annuel et qui l’a choisi en 1921 comme secrétaire général. Il avait été élu membre de l’Académie des sciences en 1929.
ACHARD (Marcel-Augustin, Ferréol dit Marcel), 1899-1974 : Auteur dramatique. Né à Sainte-Foy-les-Lyon le 5 juillet 1889, après avoir été quelque temps souffleur dans un théâtre et journaliste, Marcel Achard est découvert par Lugnée-Poe et Charles Dullin. Au début de sa carrière, il crée des personnages plein de fantaisie clownesque, Voulez-vous jouer avec Môa (1923), ou qui semblent sortir d’une romance comme Malbrough s’en va t-en-guerre (1924). Tout au long de sa vie, il conserve un goût sûr pour ceux qui savent parer de poésie la vie de tous les jours ; les hommes en ont besoin : ce sont les rêves qui les consolent, qui les tirent du quotidien et qui les engourdissent délicieusement (Domino, 1931 ; Petrus, 1933).
Au fond, ses personnages se ressemblent tous : ce sont des êtres sentimentaux et tendres, un peu naïfs, sans épaisseur, à peine marqués par la passion, glissant dans un monde facile où tout finit par s’arranger. Mais le charme de Marcel Achard est indéniable : il a la pudeur de garder ses éclats pour soi et manifester en silence, par une certaine façon de regarder le monde qui est aussi une façon de l’accepter, d’y consentir. On le trouve plus particulièrement dans La Vie est belle (1928) et Jean de la Lune (1929), par ailleurs monté admirablement par Louis Jouvet et servi par un dialogue étincelant. La fantaisie, l’humour s’approchent et parfois de très près, d’une poésie où le cynisme se mélerait à une certaine mélancolie. A vrai dire, il ne recherche pas à se renouveler ; servi d’une technique très sûre, sont art consommé joue toujours habilement sur le public. On lui doit également un recueil poétique : La Muse Périgrine (1924). Il a, par ailleurs, collaboré à de nombreux films. Marcel Achard décèdera à Paris le 4 septembre 1974.
ACHILLE-CESBRON (Achille-Théodore Cesbron, dit), 1849-1913 : Peintre. Né à Oran en 1849, Achille Cesbron devient l’élève de Bonnat, Français et Cormon et débute au Salon en 1877 où il se fait une notoriété comme peintre des fleurs. Il décède à Paris en 1913.
ACJF (Association catholique de la jeunesse française) : Née en 1886, sous le parrainage d’Albert de Mun, au lendemain de l’échec d’un parti catholique, et dans le voisinage des Cercles catholiques d’ouvriers, l’Association est d’abord constituée de jeunes gens de la bonne société que rejoignent bientôt les ruraux, des employés et même des ouvriers. Après des débuts difficiles, elle rassemble, en 1913, 3.000 groupes et 140.000 membres. La première Guerre mondiale lui porte un coup très dur perdant ainsi 15.000 de ses adhérents. Elle se reconstitue et retrouve vers 1925 le nombre d’adhérents de 1913. Cette organisation, fortement décentralisée, est dirigée par un Comité général, composé exclusivement de laïcs et simplement assisté d’un conseiller ecclésiastique jésuite. Sa dimension nationale, qui la soustrait à l’autorité immédiate d’un évêque, ses pélerinages fréquents à Rome, ses constantes références au pape, lui confère un caractère ultra-montain. A la base, le groupe actualise la devise de l’Association, « Piété, Etude, Action », dans le cadre du Cercle d’étude.
L’objectif de l’association est de régénérer la France, tant sur la plan religieux que social. A partir de 1903, l’ACJF organise chaque année un congrès social, et ses membres contribuent à mettre en place des syndicats agricoles, coopératives, secrétariats sociaux, jardines ouvriers, caisses de crédit ou encore sociétés d’habitations à bon marché. Sur ce terrain, elle se contente de véhiculer et de réaliser un catholicisme social que diffusent et conçoivent l’Action populaire et les Semaines sociales. Tout en refusant un engagement partisan, l’Association intervient sur le terrain politique pour défendre les libertés de l’Eglise, au début du siècle, mais aussi au milieu des années 1920 où elle contribue au succès de la Fédération nationale catholique FNC) en mobilisant la jeunesse. Elle a également dès les origines, le souci de prolonger leur action sociale sur le terrain civique, comme l’attestent ses liens étraoits avec l’Alliance libérale populaire de Jacques Piou. Si les pressions romaines, parallèlement à la condamnation du Sillon, lui font prendre ses distances par rapport à la politique, les congrès des années 1920 expriment la volonté de l’ACJF de s’impliquer à nouveau sur ce terrain, comme le traduit alors la formule de Charles Flory : « civiques parce que sociaux » ; ce dernier participe d’ailleurs en 1924 à la naissance du Parti démocrate populaire, qui attire nombre d’anciens membres de l’Association comme Georges Bidault, François de Menthon, Jean Letourneau. Au même moment, elle prend ses distances avec la FNC et s’oppose fortement à l’Action française dont elle dénonce l’influence grandissante sur la jeunesses catholique, contribuant à sa condamnation par le pape Pie XI en 1926 ; elle s’inscrit dans la stratégie pontificale qui cherche à dissocier le catholicisme du conservatisme social et du nationalisme, apportant ainsi sou soutien à la SDN comme en témoigne son congrès de la paix en 1933.
A la fin des années 1920, l’Association amorce une profonde mutation Par l’intermédiaire en 1927 de la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), née hors d’elle, la création au sein de la Jeunesse agricole chrétienne en 1929, de la Jeunesse étudiante chrétienne en 1930, de la Jeunsesse maritime chrétienne en 1932 et de la Jeunesse indépendante chrétienne en 1936, elle devient une fédération de mouvements spécialisés par milieu. Elle reconnaît ainsi les réalités sociales et passe de la conception d’un patronage des classes dirigeantes à l’idée d’une collaboration d’élites suscitées dans chaque milieu. Elle adopte la méthode jociste de la formation par l’action, résumée par cette formule : « Voir, juger, agir ». Les rassemblements de masse se multiplient : 40.000 jeunes au parc des Princes en 1936, pour le cinquantenaire de l’Association, et 100.000 l’année suivante pour le dixième anniversaire de la JOC.
Plutôt favorable à l’œuvre sociale du Front populaire, elle évolue sur la plan international d’un pacifisme briandiste à une position antimunichoise, à la fin de l’automne 1938, à l’instar de ses amis de L’Aube. Assez tôt, l’Association a perçu le danger nazi, puisqu’en 1931, les Annales de l’ACJF dénoncent la dimension raciale de cette nouvelle idéologie, et, qu’en 1934, bien avant l’encyclique de Pie XI, elle en souligne le caractère néo-païen et antichrétien. Cet antinazisme est l’une des clés de l’attitude de l’Association à partir de 1940 en adhérant au régime de Vichy.
L’ACJF, une création originale, Colloque organisé par le Centre Sèvres, 20-21 novembre 1987, Paris, Média-Sèvres, 1988.
HILAIRE (Y.-M.) : « L’Association catholique de la jeunesse française. Les étapes d’une histoire (1886-1956) », in Revue du Nord, T. LXVI, n° 261/262, avril-septembre 1984.
MICHEL (A.-R.) : La JEC face au nazisme et à Vichy, 1938-1944, Lille, PUL, 1988.
MICHEL (A.-R.) : « L’ACJF et les régimes totalitaires dans les années 30 », in Revue d’histoire de l’Eglise de France, t. LXXIII, n° 191, juillet-décembre 1987.
MOLETTE (C.) : L’Association catholique de la jeunesse française (1886-1907), thèse, Paris, A. Colin, 1968.
ACKER (Paul), 1874-1915 : Romancier. Né à Saverne en 1874, Paul Acker a collaboré à divers journaux et revues, entre autre à l’Echo de Paris, où il a donné des chroniques, des interviews d’un tour agréable et littéraire. Il est connu également pour avoir publié Dispensé de l’article 23 en 1898 ; Humour et humoristes en 1899 ; Petites confessions en 1903 et 1904, ouvrage couronné par l’Académie française, et des romans d’une inspiration délicate comme La Petite Madame de Thianges en 1906 ; le Désir de vivre en 1907 ; Le Soldat Bernard en 1909 ; Les Deux Amours en 1911 et un volume consacré à l’Alsace : le Beau Jardin publié en 1912. Il meurt à Moosch en 1915.
ACKERMANN (Louise-Victorine Choquet, madame), 1813-1890 : Poétesse. Née à Paris en 1813, Louise Ackermann écrit d’abord quelques contes en vers puis des poésies comme Poésies philosophiques en 1872, et Pensées d’une solitaire en 1882. Sa philosophie est le pessimisme. Aussi ne voit-elle guère de la vie que des misères et des douleurs. Dans ses principales pièces de vers comme l’Amour et la Mort, la Nature de l’Homme, l’Homme à la Nature, la Guerre, l’Idéal, le Cri, le Déluge, etc., elle montre une originalité, une vigueur remarquables. Son ver a une ampleur ferme et sonore, une simplicité énergique. Elle meurt à Nice en 1890.
ACTION (L’) : Journal quotidien anti-clérical fondé en 1903 par Henry Bérenger, avec la collaboration de Marguerite Durand, de Rollin et de Zadoks, coulissier parisien. Ses rédacteurs se recrutaient parmi les révolutionnaires et les syndicalistes.
ACTION FRANCAISE : L’Action française est née de l’affaire Dreyfus dans une France divisée en deux camps irréconciliables, dans un pays profondément meurtri par l’annexion de l’Alsace-Lorraine et récemment humilié par les évènements de Fachoda, dans une atmosphère d’angoisse, de crise et de guerre civile et qui disparaît pendant la Seconde Guerre mondiale.
En aout 1899, un professeur de philosophie âgé de trente-quatre ans, Henri Vaugeois et un jeune critique littéraire de vingt-six ans, Maurice Pujo, fondent une revue à couverture grise, qui paraît tous les quinze jours, la Revue de l’Action française. Ils ne sont royalistes ni l’un ni l’autre, mais ils jugent que la Ligue de la patrie française s’enlise dans l’académisme et ils veulent créer un mouvement plus dynamique. Le but étant de rassembler dans ce comité le nationalisme des intellectuels opposés au régime parlementaire. Au départ, ce mouvement n’est nullement hostile à la République, Vaugeois se réclamant du jacobinisme et Pujo professant une doctrine floue et anarchiste. Charles Maurras, qui avait donné en 1898 au journal royaliste La Gazette de France un article retentissant dans lequel il se solidarise avec le colonel Henry, au lendemain de son suicide, les rejoint en janvier 1899 et va entraîner le mouvement vers le « nationalisme intégral », c'est-à-dire la monarchie traditionnelle et héréditaire instituant en France un régime autoritaire et décentralisé balayant le parlementarisme. Telles sont les idées que Maurras expose dans un article intitulé « enquête sur la monarchie », paru en 1900. Il devient rapidement le principal doctrinaire du mouvement et son animateur. Ses idées s’expriment à travers la Revue de l’Action française, fondée en juillet 1899 et qui paraît deux fois par mois. Journal délibérément violent et insolent, n’hésitant pas à lancer des campagnes calomnieuses contre l’Université et les Juifs, ne faisant aucun mystère de sa volonté d’abattre le régime républicain, il bénéficie d’un véritable prestige intellectuel, dû aux qualités littéraires de ses principes rédacteurs.
Pendant plusieurs années, la Revue de l’Action française ne connaît qu’une action limitée. C’est à partir de 1908 qu’elle prend son essor, sous l’influence de deux évènements :
-L’alerte de Tanger (1905), place la France face à la menace allemande et qui sera suivie par l’alerte d’Agadir en 1911.
-Le conflit entre le gouvernement et les catholiques à propos de la loi de séparation des églises et de l’Etat (1905) et la crise provoquée par les inventaires. Un certain nombre d’officiers catholiques refusent de suivre les ordres contraire à leur foi, donnent leur démission et rejoignent l’Action française. Dans diverses régions de France, notamment dans l’Ouest, se multiplient les adhésions à la Ligue d’action française qui s’est créée en janvier 1905 et qui apparaît comme le seul mouvement d’opposition catégorique au régime. Maurras, qui est personnellement agnostique, se trouve donc à la tête d’un mouvement qui groupe une forte proportion de catholiques.
A la Ligue d’action française s’ajoutent, en 1906, les « Camelots du roi », qui se préoccupent autant d’agir dans la rue, et l’Institut d’action française, qui est une entreprise pédagogique avec une chaire Maurice Barrès sur la doctrine nationaliste, une chaire du Syllabus où l’on dénonce le modernisme et le catholicisme libéral, etc. En mars 1908, la Revue de l’Action française se transforme en un journal quotidien.
Entre 1905 et 1914, l’Action française organise manifestations sur manifestations :
-En 1905, pour célébrer le 75ème anniversaire de la naissance de Fustel de Coulanges, mort en 1889, qui n’était ni royaliste ni catholique, mais dont l’Action française revendique le personnage, car c’est un historien patriote ;
-en 1906, après la décision de la cour de cassation annulant la condamnation de Dreyfus en vertu de l’article 445 contre lequel se déchaînent les camelots du roi ;
-en 1908, également contre Thamalas l’ « insulteur de Jeanne d’Arc », et contre le germaniste Charles Andler, accusé d’avoir conduit ses étudiants en Allemagne ;
-en 1910, lorsque le président du Conseil, Aristide Briand, est giflé par un camelot du roi ;
-en 1911, contre l’auteur du théâtre Henri Bernstein, accusé d’avoir déserté pendant son service militaire ;
-en 1912, contre Jean-Jacques Rousseau, à l’occasion du bicentenaire de sa naissance.
Epoque de violence, époque d’outrance jusqu’à sa disparition, l’Action française gardera le même style de polémique et d’agitation.
Favorisée par le renouveau du nationalisme qui se manifeste avant le Première Guerre mondiale, l’Action française regroupe atour d’elle une brillante pléiade d’intellectuels : Léon Daudet, orateur et polémiste ; Jacques Bainville, l’historien de l’Action française qui ne cesse de dénoncer l’éternel péril allemand, notamment dans son Histoire des deux peuples ; Georges Valois qui s’efforce d’établir une synthèse entre Maurras et Georges Sorel ; Jacques Maritain qui vient à l’Action française et qui rompra avec Maurras après la condamnation pontificale de 1926 ; Georges Bernanos, qui fait partie avant la Première Guerre mondiale d’une petite bande dont les membres s’appelent les « hommes de guerre » ; Henri Massis qui publie en 1912, avec Alfred de Tarde, l’enquête d’Agathon sur Les jeunes gens d’aujourd’hui, et qui deviendra l’un des plus fidèles disciples de Maurras ; Pierre Lasserre, l’ennemi personnel du romantisme ; le stendhalien Henri Martineau et le groupe de la Revue critique des idées et des frères qui naît en 1908 ; l’historien de l’art Louis Dimier ; les religieux Dom Besse et le père Clérissac…
Le marquis de La Tour du Pin fait acte d’allégeance envers l’Action française ainsi que Jules Lemaître et Jacques Rivière, dans sa correspondance avec Alain-Fournier, ne dissimule pas sa sympathie.
L’Action française exerce une incontestable attirance sur les intellectuels, mais il faut se garder de surestimer son audiance et surtout son influence politique. Avant 1914, c’est un mouvement essentiellement parisien, avec un certain nombre de bastions provinciaux, notamment en Bretagne, en Vendée, dans le Gard, dans l’Hérault et dans la région de Bordeaux. Elle recrute surtout dans les familles de la bourgoisie rurale - un cinquième de ses membres porte un titre de noblesse – dans l’armée, parmi les médecins et la petite bourgeoisie : commerants, agents d’assurance. Elle ne parvient pas en revanche à pénétrer dans le monde ouvrier, et les efforts entrepris à cet égard par le cercle Proudhon, qui naît en 1911 et qui s’efforce de sceller l’alliance du nationalisme intégral et du syndicalisme révolutionnaire se soldent par un échec.
Jusqu’en 1908-1910, l’Action française reste un très petit mouvement qui fait beaucoup de bruit. Si elle connaît un incontestable succès avant 1914, c’est parce que le courant traditionnalsite, dont Maurras s’est fait le théoricien, vient converger – sans d’ailleurs se confondre – avec un nationalisme chiffré qui se répand largement dans presque tous les secteurs de l’opinion et dans l’ensemble de la société française.
Pendant la Première Guerre mondiale, l’Action française pratique l’ « Union sacrée » et s’attache à dénoncer les traitres comme Malvy, Caillaux, Le Bonnet rouge. Elle bénéficie, après la guerre, de la vague nationaliste qui porte au Palais Bourbon, la Chambre « bleue horizon ». Léon Daudet est élu ainsi qu’une trentaine de sympathisants de l’Action française. Maurras, qui entretient une correspondance cordiale avec Raymond Poincaré, soutient fermement sa politique en 1923, au moment de l’occupation de la Ruhr. Lors des élections de 1924, l’Action française croit pouvoir s’écarter du Bloc national et ainsi proposer ses propres candidats. Elle subit un échec électoral et Daudet perd son siège de député. C’est cependant en 1925-1926, à la faveur de la peur suscitée par le Cartel des gauches, que se situe l’apogée de l’Action française. Le journal compte, à cette époque, 48.000 adhérents, auxquels s’ajoutent 53.000 exemplaires vendus au numéro. C’est alors, qu’intervient, à la fin de 1926, la condamnation de l’Action française par le Saint-Siège.
Les circonstances et les motifs de cette condamnation – particulièrement dure puisqu’il est interdit aux catholiques de lire la Revue de l’Action française sous peine d’être exclus des sacrements, et de ne pouvoir être ni mariés, ni enterrés religieusement – ont fait l’objet de débats passionnés. La personnalité du pape Pie XI a été mise en cause et l’Action française a voulu voir dans la condamnation une mesure inspirée par des motifs purement politiques.
En fait, on peut penser – sans que la vérité à cet égard soit clairement établie – que la condamnation de l’Action française a eu pour raison principale la volonté de Pie XI de contrebattre l’influence prépondérante détenue dans l’Eglise par l’épiscopat nommé au temps de Pie X, lors de la réaction antimoderniste, et son désir d’avoir les mains libres pour développer les mouvements d’action catholique du type de la JOC et de la JAC. A cette raison fondamentale, se sont sans doute ajoutées des considérations d’un autre ordre : le souci de lutter contre un nationalisme intransigeant et de favoriser la coopération internationale.
Quoi qu’il en soit, la condamnation est à l’origine d’une crise profonde et de nombreux catholiques se séparent de l’Action française au moment même ou celle-ci subit le contre-coup des succès de Poincaré. Le succès du « sauveur du franc », le triomphe du nationalisme conservateur enlève à l’Action française une partie de sa raison d’être et détourne d’elle une fraction de son public. Les effectifs fondent, les départs se multiplient et le journal perd la moitié de ses lecteurs. Mais la situation se modifie. L’Action française qui est en perte de vitesse lorsque la situation politique se stabilise, connaît un nouvel essor en période de crise. La crise d’antiparlementarisme qui suit les élections de 1932 et qui culmine au moment de l’affaire Stavisky, semble donner à l’Action française un nouveau départ. Les camelots du roi participent à toutes les manifestations de rue contre les « voleurs » et jouent un rôle important le 6 février 1934.
Voilà donc l’occasion du coup de force depuis longtemps annoncé par Maurras. Mais ce dernier tergiverse. L’occasion est manquée, et les membres les plus ardents de l’Action française se détournent d’un mouvement qui leur paraît voué à l’impuissance.
Désormais le déclin de l’Action française s’accentue, en même temps que les Croix-de-feu progressent à un rythme accéléré. Ce déclin est masqué par quelques faits spectaculaires (l’élection de Maurras à l’Académie française en 1938, la levée de la condamnation pontificale par Pie XII en 1939), mais il n’en n’est pas moins réel , et le Prétendant, pensant que l’Action française risque de s’engager dans une entreprise sans issue, rompt publiquement avec elle en 1937.
Jusqu’à la guerre, l’Action française, tout en dénonçant avec clairvoyance le péril hitlérien, accable d’outrages les gouvernements de la République, notamment Léon Blum qui est l’objet d’attaques marquées par l’antisémitisme le plus élémentaire. L’Action française appelle la France à s’armer pour résister à l’Allemagne, mais, en même temps, elle dénonce avec violence quasi-obsessionnelle la complicité de la République avec la « conspiration judéo-maçonnique » qui pousse à la guerre pour faire en définitive le jeu des Soviets.
L’influence de l’Action française a certainement été beaucoup plus profonde que le nombre de ses lecteurs ne le laisse supposer. Avant la Premère Guerre mondiale, au temps de l’enquête d’Agathon, les frontières ne sont pas nettes entre l’Action française et les autres formations de droite. Entre les deux guerres, à l’époque où l’Action française tend à se replier de plus en plus sur elle même, les idées maurrassiennes sont véhiculées non seulement par l’organe du « nationalisme intégral », mais par diverses publications qui exercent une sorte d’effet multiplicateur : collections d’ouvrages à gros tirage comme « Les Grandes Etudes historiques » de Fayard, où paraissent les livres de ? et de Bainville, revues pour le grand public comme La Revue universelle fondée en 1920, dont le secrétaire général est Henri Massis ; revues de jeunes comme Réactions fondée en 1930, Combat fondée en 1936 de Thierry Maulnier et Jean de Fabrègues, L’Insurgé (1937), de Thierry Maulnier et de Jean-Pierre Maxence ; hebdomadaires comme Candide, fondé par Fayard en 1924, qui a, comme Gringoire, plusieurs centaines de milliers de lecteurs ou comme Je suis partout, également fondé par Fayard.
L’influence de l’Action française peut s’expliquer en trois points :
-Tout d’abord la pensée de Maurras se présente comme un ensemble parfaitement cohérent. C’est sans doute avec le marxisme, la seule doctrine politique, qui, dans la France de l’entre-deux-guerres, s’offre aux esprits soucieux de rigueur et ennemis de l’opportunisme.
-C’est une doctrine d’opposition absolue, de protestation radicale, qui ne peut manquer d’exercer une certaine séduction sur ceux, qui, sans toujours être monarchistes, éprouvent un profond dégoût pour le monde où ils sont condamnés à vivre.
-Enfin, il faut souligner l’incontestable qualité littéraire de L’Action française, la liberté de ton et de goût dont témoigne la rubrique littéraire, la confiance faite à de très jeunes gens comme Robert Brasillach, Thierry Maulnier ou Pierre Boutang, l’intérêt porté au cinéma, la densité de la page militaire. L’Action française est un journal intéressant et Proust disait en 1920 qu’il lui était impossible d’en lire un autre.
ARIES (P.), BORNE (E.) : « L’Action française. Qu’était-elle ? Qu’en reste-t-il ? », in France-Forum, novembre 1964
BOUTANG (P.) : Maurras. La destinée et l’œuvre, Paris, Plon, 1984
CHIRON (Y.) : La Vie de Maurras, Paris, Perrin, 1991
GIRARDET (R.) : « L’Héritage de l’Action franaise », in Revue française de sciences politiques, oct-déc 1957
GÉRIN-RICARD (L. de), TRUC (L.) : Histoire de l’Action française, Paris, Fournier Valdès, 1949.
HAVARD DE LA MONTAGNE (R.) : Histoire de l’Action française, Paris, Amiot-Dumont, 1950.
HUGUENIN (F.) : A l’école de l’Action française, Paris, Editions Jean-Claude Lattès, 1998.
LAUDOUZE (A.) : Dominicains français et Action française : 1880-1940, Paris, Editions ouvrières, 1990
NGUYEN (V.) : Aux origines de l’Action française. Intelligence et politique à l’aube du XXème siècle, Paris, Fayard, 1991
PREVOTAT (J.) : Les catholiques et l’Action française, Paris, fayard, 2001.
SERANT (P.) : Les dissidents de l’Action française, Paris, Copernic, 1978.
WEBER (E.J.) : L’Action française, traduction française de M. Chrestien, Paris, Hachette, 1990.
ACTION FRANÇAISE (L’) : Journal quotidien, qui, fondé en 1908, a succédé à la revue politique bimensuelle créée en 1899 par Henri Vaugeois. Invoquant l’intérêt national et le salut public, il combat les idées libérales et démocratiques, développe les théories du « nationalisme intégral », démontre par des raisons toutes laïques la primauté nécessaire du catholicisme en France, préconise une restauration de la monarchie « héréditaire, traditionnelle, antiparlementaire et décentralisée ». Charles Maurras y expose la théorie de la monarchie, Jacques Bainville la politique extérieure de la France et Léon Daudet y mène sur toutes sortes de sujets une polémique ardente.
ACTION LIBÉRALE POPULAIRE : Ce parti politique né en 1902 est tout à la fois l’héritier de la tradition du catholicisme libéral et le produit de la politique dite du « ralliement ». Le catholicisme libéral constitue une tendance minoritaire, mais permanente, au sein du catholicisme français, formée d’hommes politiques qui s’efforcent de réconcilier l’Eglise catholique avec l’héritage de 1789. Tenus en suspicion par la papauté qui, au temps de Pie IX, se méfie des idées de la Révolution française, ils se rangent principalement dans le camps monarchiste, de nuance « orléaniste », et apparaissent au début de la Troisième République comme des adversaires du régime, renforcés dans leurs convictions antirépublicaines par la politique de lutte contre les congrégations menées par les dirigeants républicains. Mais, entre 1890 et 1892, la politique du pape Léon XIII, invitant les catholiques à se réinsérer dans la vie politique française en se rapprochant des Républicains modérés afin d’obtenir par ce « Ralliement » une nouvelle attitude du régime envers l’Eglise, va faire évoluer les choses.
Si la majorité des catholiques demeure fondamentalement hostile à la République, les « ralliés » songent à organiser un « parti catholique républicain ». C’est ainsi qu’autour du député Jacques Piou, ils forment après 1898, le groupe parlementaire de la « Droite constitutionnelle ». De son côté, Albert de Mun, chef de file des « catholiques sociaux », songe lui aussi à des tentatives de regroupement. Mais toutes les expériences tentées échouent jusqu’à la fin du siècle, témoin cette « Fédération électorale » fondée en 1897, mais dissoute en 1899.
A partir de 1901, la création des premiers partis politiques français, permise par la loi des associations, va pousser les catholiques libéraux à prendre l’initiative d’un rassemblement des catholiques républicains. C’est ainsi qu’après les élections de 1902, les parlementaires regroupés autour de Piou décident de créer une association qui prend le nom d’Action libérale populaire. Appuyée sur un réseau de 1.500 comités revendiquant plus de 200.000 adhérents rassemblés en fédérations régionales, dirigées par Piou et de Mun, elle apparaît comme un puissant parti catholique dépassant d’ailleurs la seule mouvance du catholicisme libéral. Son programme se développe autour de la devise : « Liberté pour tous, égalité devant la loi, droit commun, amélioration du sort des travailleurs ». Elle mêle certaines revendications des catholiques sociaux (organisation professionnelle sur la base de l’association, capacité des syndicats) aux vues habituelles du catholicisme libéral sur la décentralisation, la liberté d’enseignement et du culte, etc. Mais l’ambiguïté de l’Action libérale vient de ce que ce parti politique se veut non-confessionnel et refuse de limiter son programme à la défense religieuse. Aussi sera-t-elle attaquée de toutes parts, par les Républicains qui l’accuseront d’être un parti clérical déguisé, par les tenants du « nationalisme intégral » ou de l’intégrisme catholique qui, appuyés sur le pape Pie X, élu en 1903, lui reprochent ses concessions au régime. C’est pourquoi l’Action libérale demeure une force marginale sur l’échiquier politique français, n’entraînant derrière elle qu’une minorité de catholiques. Son apogée se situe en 1910 où elle parvient à recueillir une quarantaine de députés. Mais, dès 1914, elle n’a plus que 23 élus. La guerre accentue sa désorganisation et son déclin, bien qu’elle ait approuvé le ralliement des catholiques à l’Union sacrée. En 1919, c’est une organisation quasi moribonde qui adhère au Bloc national et ne survit plus que par quelques personnalités fondues dans les rangs de la coalition de droite.
DIMIER (L.) : L’Action libérale dans les élections, Paris, 1914.
LATREILLE (A.) : Histoire du catholicisme en France, Tome 3, Paris, Spes, 1962.
PIOU (J.) : Le Ralliement et son histoire, Paris, 1928.
RÉMOND (R.) : Les droites en France, Paris, Aubier, 1982.
ACTION LIBÉRALE (Groupe d’) : Ce groupe parlementaire est crée à la Chambre des députés en mai 1899. C'est le noyau de l'Action libérale populaire fondée trois ans plus tard.
ACTION MODERNE (L’) : Journal fondé en 1901 et qui est, avant la Première Guerre mondiale, l’organe hebdomadaire du Comité républicain du Commerce, de l’Industrie et de l’Agriculture alors puissant « lobby » passant pour intimement lié à la Franc-maçonnerie. Son fondateur, Alfred Mascuraud, sénateur de la Seine, était, en effet, un maçon actif et les dirigeants du « Comité Mascuraud » comme on disait alors, étaient pour la plupart membres de la Franc-maçonnerie. Le rôle du Comité était grand alors : il influait sur le choix des candidats aux élections et subventionnait la propagande électorale de ceux qui avaient reçu son patronage, d’ailleurs discret.
A la veille de la Première Guerre mondiale, Paul Jourdain, sénateur, ancien ministre, également maçon, préside le Comité. Le journal L’Action moderne, qui disparaît au moment de la guerre, avait pour rédacteur Maurice Laban qui collabore ensuite à L’Oeuvre de Marcel Déat.
ACTION NATIONALE RÉPUBLICAINE : Front groupant divers partis et ligues de droite, créé à la veille des élections de 1924. La Ligue civique, la Ligue des Patriotes, l’Action Libérale Populaire, la Fédération des républicains démocrates et la Fédération républicaine en faisaient partie. Les principales personnalités sont François Arago, le pasteur Ed. Soulié, Ed. de Warren, Xavier de la Rochefoucauld, Albert Orry, Yves Guyot, François de Wendel, Raphaël-Georges Lévy, Marcel Habert, Chassaigne-Guyon, Boivin-Champeaux, etc.
ACTION NOUVELLE (L’) : Journal publié en 1933 par Pierre Mouton.
ADAM (Antoine-Edmond), 1816-1877 : Homme politique. Né au Bec-Hellouin (Eure) en 1816, Edmond Adam, après avoir été rédacteur au National, se lance dans la politique. Préfet de police du 11 au 31 octobre 1870, il est élu député de la Seine puis sénateur en 1875. Après la condamnation de Rochefort en 1871, il sert de tuteur à ses enfants, et contribue à les faire évader de la Nouvelle-Calédonie. Il avait épousé Juliette Adam. Il meurt à Paris en 1877.
ADAM (Juliette Lamber, épouse Edmond), 1836-1936 : Femme de lettres. Née à Verberie (Oise), le 4 octobre 1836, Juliette Adam est issue d’une famille passionnée et divisée par la politique et elle affiche, dès son adolescence ses convictions républicaines. Elle est l’auteur de romans dont les principaux sont : Jean et Pascal, Laide (1876), Grecque (1877), Païenne (1883). Elle épouse l’avocat Le Messine, puis Edmond Adam (1817-1877), rédacteur au National, puis secrétaire général du Comptoir d’escompte, préfet de police, député, sénateur, qui favorise l’évasion d’Henri Rochefort de Nouvelle-Calédonie. Figure centrale du parti républicain, de sensibilité nationale, Juliette Adam fait de son salon littéraire et politique (1877) l’un des points de ralliement de la Revanche. Elle publie, de 1873 à 1909, de nombreux ouvrages de souvenirs consacrés au siège de Paris et les premières années de la République. Chez elle, fréquentent les hommes en vue du régime, de Gambetta à Joseph Reinach en passant par Grévy, le général de Galliffet, Jules ferry, Adolphe Brisson et beaucoup d’autres politiciens radicaux, opportunistes ou modérés.
En 1879, elle fonde la Nouvelle Revue, entretenant la flamme autour des provinces perdues d’Alsace et de Lorraine, et Léon Daudet rendra cet hommage à sa « chère patronne » : « elle a publié mes premiers essais. Elle m’a guidé maternellement à travers les pièges de la littérature et du journalisme qui guettaient les débutants. Enfin, elle m’a mis au cœur une haine lucide de la Bête allemande, qui ne s’éteindra qu’avec moi. […] Elle est celle qui n’a jamais renoncé, celle qui ne s’est jamais reposée dans le combat sourd, tenace, quotidien contre le Germain, qui fut la trame de son existence. » En 1919, Juliette Adam connaît la joie d’assister à la signature du traité de Versailles, où Clemenceau l’a conviée. Celle qui a publié Païenne et posé cette question : « L’âme de la France est-elle donc catholique et ne peut-on être en contact absolu avec elle que par le catholicisme et sa pure tradition ? » écrit alors Chrétienne (1913), professe désormais la foi catholique et, devenue monarchiste, devient la propagandiste enthousiaste et généreuse de l’Action française. Elle décéde à Callian (Var), le 23 août 1936.
ADAM (Charles), 1857-1940 : Philosophe. Né à Charleville (Ardennes) le 14 décembre 1857, Charles Adam, recteur de l’Académie de Nancy à partir de 1902, devient membre libre de l’Académie des sciences morales et politiques. Il a publié la Philosophie de François Bacon en 1890 ; la Philosophie en France au XIXe siècle en 1894, la grande édition complète des Œuvres de Descartes, en collaboration avec Paul Tannery.
ADAM (Paul), 1862-1920 : Littérateur. Né à Paris le 6 décembre 1862, Paul Adam est issu d'une famille d'industriels et de militaires originaires de l'Artois. Fils d'un directeur des Postes sous le Second Empire, il fait ses études secondaires au Lycée Henri IV à Paris avant de se lancer dans la carrière littéraire dès 1884.
Familier du salon de Robert Caze, il y rencontre Huysmans, Hennique, Moréas, Henri de Régnier. Il collabore à La Revue indépendante avant de publier en Belgique son premier roman naturaliste, Chair molle (1885), roman nettement naturaliste, qui est accusé d'immoralité, provoque le scandale et vaut au jeune auteur une condamnation à quinze jours de prison avec sursis et une lourde amende.
Délaissant le naturalisme, Paul Adam se tourne vers le symbolisme. Il contribue à diverses revues liées à ce mouvement, anime Le Symboliste et La Vogue et fonde avec Paul Ajalbert Le Carcan. En 1886, il collabore avec Jean Moréas dans Le Thé chez Miranda et Les Demoiselles Goubert et publie un roman intimiste, Soi. Sa notoriété est établie avec le roman Être (1888).
En 1889, il adhère au mouvement boulangiste et devient secrétaire de Maurice Barrès qui le nomme directeur du Courrier de l'Est. A partir de cette date, son activité littéraire se fait plus intense avec Robes Rouges (1891), roman sur les magistrats de province, Le Vice filial (1892) traitant des mœurs des « esthétisants » parisiens, La Force du mal (1896), sur les médecins, tandis que Le Mystère des foules (1895) est consacré aux problèmes sociaux et influencé par Barrès. Basile et Sophie (1899) ainsi qu’Irène et les Eunuques (1907), reflètent l’exotisme colbertien. Enfin, à partir de 1897, il se consacre à une vaste fresque, Le Temps et la vie, histoire économique et sociale de la famille d'Héricourt, qui est, au long de 130 ans, celle de la société française depuis la Révolution. Parallèlement, il publie de très nombreux ouvrages : essais, romans, nouvelles, récits de voyage, parmi lesquels on peut citer les romans de son cycle napoléonien : La force (1899), L'enfant d'Austerlitz (1901), Au soleil de juillet (1903), ainsi que La ruse (1903) et Stéphanie (1913), curieux plaidoyer en faveur des mariages arrangés par rapport aux mariages d'amour. Pendant la Première Guerre mondiale, il se rend auprès des troupes pour soutenir leur moral et fonde la Ligue intellectuelle de fraternité latine.
Ce qui caractérise le talent de Paul Adam, c’est l’abondance, la fécondité et la luxuriance. Grand remueur d’idées philosophiques et sociales, il a de remarquables qualités de lyrique et de descriptif, et c’est surtout un merveilleux peintre de foules. Mais il a les défauts de ses qualités : la prolixité, le manque d’ordre et de composition, et un mouvement trop tumultueux d’idées. Il meurt à Paris le 2 janvier 1920.
AIMOND (Pierre) : Paul Adam, 1919.
J. Ann Duncan ed., L'époque symboliste et le monde proustien à travers la correspondance de Paul Adam (1884-1920), Nizet, Paris, 1982.
DESTIEUX (F. J.) : Le dernier des encyclopédiques : Paul Adam, 1928.
ZÉVAES (A.) : Les procès littéraires au XIXe siècle, 1924.
ADAN (Louis-Emile), 1839-1937 : Peintre. Né à Paris le 2 mars 1839, Adan est l’élève de Picot et de Cabanel. Il debute au Salon en 1863. Il a brossé d’aimables tableaux du genre : Soir d’automne en 1882, la Fille du passeur en 1883, Retour des champs en 1892, l’Etang en 1900.
ADELINE (Louis-Jules), 1845-1909 : Graveur, architecte et écrivain. Né à Rouen en 1845, Adeline, très épris de sa ville natale, publie sur le vieux Rouen de nombreux albums, textes et planches. Il a illustré le Violon de faïence de Champfleury et publié Henry Bellanger et son œuvre en 1880 ; Les Sculptures grotesques et symboliques de Rouen ; Lexique des termes d’art en 1884 ; Rouen au XVIe siècle en 1893 ; etc. Il décède à Rouen en 1909.
ADER (Clément), 1841-1925 : Ingénieur. Clément Ader est né à Muret (Haute Garonne), le 2 avril 1841, les Ader sont tournés vers la menuiserie depuis plusieurs générations. Clément Ader optient son baccalauréat à 15 ans et était considéré par ses professeurs comme « un élève très sérieux, particulièrement doué en mathématiques et en dessin ».
En 1857, s'ouvre une nouvelle section dans l'établissement : une école industrielle amenant un diplôme d'ingénieur équivalent aux Arts et Métiers. Ader fait partie de la première promotion, d'où il en sort diplômé. On pense qu'il commence les concours d'entrée aux Grandes Écoles, mais soit ne les passe pas par goût, soit échoue, ce dont on peut douter. Ses études terminées, il se met en quête d'une situation stable. Il commence par travailler à la Compagnie de Chemin de fer du Midi, où il imagine une machine à poser les rails, qui est utilisée pendant des dizaines d'années. Puis il se lance dans la fabrication de vélocipèdes. Son idée de coller une bande de caoutchouc sur les roues et d'utiliser un cadre creux lui donne un grand succès tant sportif que commercial. Malheureusement, la guerre de 1870 le ruine. Il se dirige vers Paris pour essayer d'y faire fortune et offrir ses services à la France. Clément Ader, inventeur fécond (les chenilles de chars, la transmission stéréophonique ou « théatrophone », le câble sous-marin, l'aéroglisseur, le moteur V8) et père de l'aviation moderne, a consacré une grande partie de sa vie à la réalisation d'un rêve d'enfant : le vol d'un objet plus lourd que l'air. Ses études sur le vol des oiseaux l'ont conduit à construire tout d'abord un planeur en plumes d'oie. On ignore si Ader a vraiment volé avec ce planeur mais des études menées au musée de l'air du Bourget tendrait à penser que cette machine était déjà capable de s'élever dans les airs. Par la suite, ayant convaincu le ministre de la Guerre de financer ses travaux grâce à des fonds secrets, Ader met au point différents prototypes.
Il réalise 3 appareils : l'Éole (l'Avion), le Zéphyr (Avion II) et l'Aquilon (Avion III) entre 1890 et 1897.Son premier vol sur 50 mètres à 20 cm du sol aurait eu lieu le 9 octobre 1890 dans le parc du château de Gretz-Armainvilliers, aux commandes de l'Éole. Contacté par l'armée intéressée par le projet, Ader effectue un deuxième vol à bord de l'Éole au camp de Satory en septembre 1891, l'appareil impressionne positivement les militaires qui commandent à Ader un second appareil. Ader commence alors la construction d'un second appareil, évolution du premier mais présentant des similitudes avec l'Éole : l'appareil est monomoteur, son moteur est un bicylindre à vapeur ultra-léger de 20 ch et 35 kg. L'avion II (Zéphyr) n'est pas achevé, mais sert de base à l'avion III (Aquilon) qui est un bimoteur permettant d'éliminer les problèmes d'instabilité de l'Éole du aux effets de couple de la simple hélice. L'avion III effectue un vol de 300 mètres devant un comité militaire le 14 octobre 1897 à Satory, ce vol s'étant déroulé dans des conditions météorologiques très mauvaises, l'Avion III est endommagé lors de son atterrissage. Le ministère de la guerre ne désirant plus financer Ader, celui-ci est contraint d'arrêter la construction de ses prototypes (l'Éole avait coûté 200.000 francs). Il tente alors de donner son fabuleux moteur à vapeur au Capitaine Renard, qui travaille sur la navigation des dirigeables, puis se lance dans la fabrication des moteurs à explosion. L'équilibrage de ces V8 montre toujours le souci d'une utilisation aéronautique. Contraint au secret militaire, il ne parle de ses vols qu'en 1906 après celui de Santos-Dumont à Bagatelle, c'est à cause de ce silence qu'est née la controverse entretenue par les partisans des frères Wright. En France, à l'époque, personne n'a entendu parlé des frères Wright. Santos Dumont prétend donc être le père de l'aviation. Un débat national, jamais vraiment tranché, s'engage. Ader prend sa retraite. Il finit sa vie près de Toulouse, dans ses vignes. De temps à autres, Panhard et Levassor lui demandent de tester leurs derniers modèles. Son cerveau bouillonne toujours d'idées, mais il ne construit plus rien. Il meurt à 84 ans, le 3 mai 1925 à Toulouse. Outre la paternité du premier vol, on doit à Ader l'invention du mot « avion » (Appareil Volant Imitant l'Oiseau Naturel) et deux ouvrages sur l'aviation : La Première étape de l'aviation militaire française et L'aviation militaire, sans compter les nombreuses inventions hors du champ de l'aéronautique.
ADLER (Jules), 1865-1952 : Peintre. Né à Luxeuil (Haute-Saône) le 8 juillet 1865, Jules Adler se comporte en observateur du monde des travailleurs. Il peint successivement la Transfusion du sang de chèvre en 1890, la Rue en 1893, le Marché du faubourg Saint-Denis en 1895. La peinture de Jules Adler, d’une éxécution vigoureuse, lui a valu diverses récompenses au Salon des Artistes français, et notamment la médaille d’honneur. Il décèdera à Nogent-sur-Marne le 11 juin 1952.
AÉRONAUTIQUE : A son début en 1909, l’aéronautique, presque exclusivement militaire, est confiée à l’arme du génie de qui relève déjà l’aérostation (ballons captifs, libres et dirigeables). Le 23 octobre 1910, l’inspection permanente de l’aéronautique est créée. En 1915, pendant les hotilités, un sous-secrétariat d’Etat est adjoint au ministère de la Guerre pour diriger à l’arrière les études, les fabrications, organiser les écoles de pilotage et ravitailler en personnel et matériel les formations de l’avant. Supprimé à la fin de la Première Guerre mondiale, le sous-secrétariat est rétabli en janvier 1920, momentanément supprimé en juillet 1926 et remplacé par une Direction générale de l’aéronautique, rattachée au ministère du Commerce et de l’Industrie, et chargée de toutes les études techniques, recherches et expériences destinées à faire progresser la science aéronautique, de proposer au ministre la réalisation des prototypes qui lui semblent répondre aux vœux des utiliateurs : guerre, marine, compagnies de navigation aériennes, colonies, etc. La Direction générale de l’aéronautique procède aux essais de ces appareils nouveaux, commande la matériel adopté par les départements et les services publics et en surveille la fabrication. Un corps spécial d’ingénieurs d’aéroautique crée par une loi du 13 mars 1924 constitue ses cadres techniques. Elle a sous ses ordres la Direction des voies et ommunications qui organise les aéroports, les terrains d’atterrissage, les hangars, le balisage aérien, les postes de TSF, établit les conventions entre l’Etat et les comagnies de transports aériens, répartit entre ces dernières les subventions votées par le Parlement, contrôle leur gestion, et établit les programmes d’examens auxquels doivent satisfaire les pilotes.
Enfin, un troisième oganisme complète les services de la Direction générale : l’Office national météorologique, qui répartit sur toute la France un réseau de postes et d’observaton destinés à recueillir et à diffuser les informations relatives à l’état de l’atmosphère, ainsi qu’à établir les prévisions pour les voyages aériens, grâce à sa liaison constante avec les postes similaires de l’étranger.
De leur côté, les autres départements utilisateurs ont chacun leurs services personnels chargés de traiter les questions aéronautiques suivant leurs propres besoins :
Au ministère de la Guerre, l’aéronautique militaire est confiée à une Direction, qui en règle l’emploi tactique d’accord avec l’état major de l’armée, en fixe les effectifs, détermine les caractéristiques des appareils en vue de leur utilisation militaire, et étudie les armes spéciales qui leur sont destinées : bombes, mitrailleuses. Elle forme enfin dans les écoles de pilotage, de tir ou de bombardement, son personnel de pilotes, bombardiers, mitrailleurs, observateurs, destinés à constituer ses régiments d’aviation et d’aérostation.
Au ministère de la Marine, le service central de l’aéronautique maritime, dirigé par un amiral au rôle presque identiqe à celui de la Direction de l’aéronautique miliaire : fixer les caractéristiques spéciales aux appareils marins d’acord avec l’état-major général de la marine, constituer et entraîner ses escadrilles d’avions ou d’hydravions qu’il répartit sur le littoral ou et à la disposition de l’armée navale pour être embarquée au besoin sur les porte-avions ou les navires de combat.
Le ministre des Colonies a également un bureau où sont traitées les questions concernant l’aviation coloniale.
Ces divers départements ont d’étroits contacts, non seulement entre eux, mais encore avec leur fournisseur commun, la Direction générale de l’aéronautique. Néanmoins, afin d’assurer une collabortion plus étroite encore entre ces services, le gouvenement décide, le 14 septembre 1928, de créer un ministre de l’Air, qui aura sous sa direction, non seulement la Direction générale de l’aéronautique, mais les directions et les services aéronautiques de l’armée, de la marine et des colonies, le personnel aviateur et aéropostier militaire et marin, ainsi que tout le matériel, les terrains et les installations.
AÉRONAUTIQUE-CLUB DE FRANCE : Société de vulgarisation et de préparation à l’aéronautique militaire ou maritime et à l’aéronautique sportive. Fondé en 1897, l’Aéronautique-club de France a pris une part active aux concours aérostatiques, organisé des conférences sur la navigation aérienne, des concours de photographie aérienne, de voyages aériens, de cours de préparation à l’aérostation et à l’aviation.
AFFAIRES ÉTRANGÈRES (Ministère des) : Le ministère des Affaires étrangères existe come département distinct depuis 1588. Le ministre des affaires étrangères est l’organe des relations du gouvernement avec les autres puissances. Il recueille en dehors tous les renseignemnts de nature à servir notre influence politique et économique, et prête en nombre de circonstances ses bons offices aux intérêts de nos nationaux à l’étranger.
L’organistion de l’administration centrale du ministère remonte au décret, rendu en conseil d’Etat, du 12 mai 1891, modifié depuis, partiellement.
Les services extérieurs sont assurés par le corps diplomatique et consulaire (ambassadeurs, ministres plénipotentiaires, secrétaires d’ambassade, attachés d’ambassade, consuls généraux, consuls de 1ère et 2ème classe, consuls suppléants, élèves-consuls, vice-consuls, chanceliers, élèves-chanceliers, drogmans et interprêtes).
4 septembre 1870 - 2 août 1871 : Jules Favre
2 août 1871 - 25 mai 1873 : Charles de Rémusat
• 25 mai 1873 - 26 novembre 1873 : Albert, duc de Broglie
• 29 novembre 1873 - 23 novembre 1877 : Louis Decazes, duc de Glucksberg
• 23 novembre 1877 - 13 décembre 1877 : Gaston-Robert, marquis de Banneville
• 13 décembre 1877 - 28 décembre 1879 : William Henry Waddington
• 28 décembre 1879 - 23 septembre 1880 : Charles Louis de Saulces de Freycinet
• 23 septembre 1880 - 14 novembre 1881 : Jules Barthélemy-Saint-Hilaire
• 14 novembre 1881 - 30 janvier 1882 : Léon Gambetta
• 30 janvier 1882 - 7 août 1882 : Charles Louis de Saulces de Freycinet
• 7 août 1882 - 29 janvier 1883 : Charles Duclerc
• 29 janvier 1883 - 21 février 1883 : Armand Fallières
• 21 février 1883 - 20 novembre 1883 : Paul-Armand Challemel-Lacour
• 20 novembre 1883 - 6 avril 1885 : Jules Ferry
• 6 avril 1885 - 11 décembre 1886 : Charles Louis de Saulces de Freycinet
• 13 décembre 1886 - 3 avril 1888 : Émile Flourens
• 3 avril 1888 - 22 février 1889 : René Goblet
• 22 février 1889 - 17 mars 1890 : Eugène Spuller
• 17 mars 1890 - 11 janvier 1893 : Alexandre Ribot
• 11 janvier 1893 - 3 décembre 1893 : Jules Develle
• 3 décembre 1893 - 30 mai 1894 : Jean Casimir-Perier
• 30 mai 1894 - 1er novembre 1895 : Gabriel Hanotaux
• 1er novembre 1895 - 28 mars 1896 : Marcellin Berthelot
• 28 mars 1896 - 29 avril 1896 : Léon Bourgeois
• 29 avril 1896 - 28 juin 1898 : Gabriel Hanotaux
• 28 juin 1898 - 6 juin 1905 : Théophile Delcassé
• 6 juin 1905 - 13 mars 1906 : Maurice Rouvier
• 14 mars 1906 - 25 octobre 1906 : Léon Bourgeois
• 25 octobre 1906 - 2 mars 1911 : Stéphen Pichon
• 2 mars 1911 - 27 juin 1911 : Jean Cruppi
• 27 juin 1911 - 9 janvier 1912 : Justin de Selves
• 14 janvier 1912 - 21 janvier 1913 : Raymond Poincaré
• 22 janvier 1913 - 22 mars 1913 : Charles Jonnart
• 22 mars 1913 - 9 décembre 1913 : Stéphen Pichon
• 9 décembre 1913 - 9 juin 1914 : Gaston Doumergue
• 9 juin 1914 - 13 juin 1914 : Léon Bourgeois
• 13 juin 1914 - 3 août 1914 : René Viviani
• 3 août 1914 - 26 août 1914 : Gaston Doumergue
• 26 août 1914 - 13 octobre 1915 : Théophile Delcassé
• 13 octobre 1915 - 29 octobre 1915 : René Viviani
• 29 octobre 1915 - 20 mars 1917 : Aristide Briand
• 20 mars 1917 - 23 octobre 1917 : Alexandre Ribot
• 23 octobre 1917 - 16 novembre 1917 : Louis Barthou
• 16 novembre 1917 - 20 janvier 1920 : Stéphen Pichon
• 20 janvier 1920 - 24 septembre 1920 : Alexandre Millerand
• 24 septembre 1920 - 16 janvier 1921 : Georges Leygues
• 16 janvier 1921 - 15 janvier 1922 : Aristide Briand
• 15 janvier 1922 - 9 juin 1924 : Raymond Poincaré
• 9 juin 1924 - 14 juin 1924 : Edmond Lefebvre du Prey
• 14 juin 1924 - 17 avril 1925 : Édouard Herriot
• 17 avril 1925 - 19 juillet 1926 : Aristide Briand
• 19 juillet 1926 - 23 juillet 1926 : Édouard Herriot
• 23 juillet 1926 - 14 janvier 1932 : Aristide Briand
• 14 janvier 1932 - 20 février 1932 : Pierre Laval
• 20 février 1932 - 3 juin 1932 : André Tardieu
• 3 juin 1932 - 18 décembre 1932 : Édouard Herriot
• 18 décembre 1932 - 30 janvier 1934 : Joseph Paul-Boncour
• 30 janvier 1934 - 9 février 1934 : Édouard Daladier
• 9 février 1934 - 9 octobre 1934 : Louis Barthou
• 13 octobre 1934 - 24 janvier 1936 : Pierre Laval
• 24 janvier 1936 - 4 juin 1936 : Pierre Étienne Flandin
• 4 juin 1936 - 13 mars 1938 : Yvon Delbos
• 13 mars 1938 - 10 avril 1938 : Joseph Paul-Boncour
• 10 avril 1938 - 13 septembre 1939 : Georges Bonnet
• 13 septembre 1939 - 21 mars 1940 : Édouard Daladier
• 21 mars 1940 - 18 mai 1940 : Paul Reynaud
• 18 mai 1940 - 5 juin 1940 : Édouard Daladier
• 5 juin 1940 - 16 juin 1940 : Paul Reynaud
Dictionnaire des ministres des Affaires étrangères, 1589-2004, Ouvrage collectif, sous la direction de Lucien BELY Georges Henri SOUTOU, Laurent THEIS, Maurice VAISSE. Préface de Michel BARNIER. Fayard, 2005
AFFICHED
AFRIQUE FRANÇAISE (Comité de l’) : Comité fondé por l’extension de l’influence française dans le centre de l’Afrique. Ce comité a donné d’abord son appui moral et son concours matériel aux principales missions qui explorent l’Afrique équatoriale, qui achèvent de conquérir la boucle du Niger et qui opèrent leur jonction sur les bords du Tchad, puis il a tourné surtout son effort sur le Maroc. Le comité a contribué pour une grande part à rendre l’Afrique populaire en France. Il publie depuis 1891 le Bulletin (mensuel) du Comité de l’Afrique française, qui est devenu l’Afrique française.
AFRIQUE NOIRE : L’installation française en Afrique Noire résulte le plus souvent d’initiatives individuelles, celles d’explorateurs qui partent à la découverte de régions éloignées des côtes en suivant les fleuves, tels Savorgan de Brazza qui reconnaît une partie du Congo en remontant l’Ogooué. L’inititive peut provenir aussi de certains administrateurs locaux comme Faidherbe dont le projet est de relier le Haut-Sénégal au Niger par une ligne de postes fortifiés. Mais les Français ne sont pas les seuls à se livrer à des reconnaissances de territoires : Anglais, Belges, Allemands les imitent. Des motifs divers poussent à la colonisation de l’Afrique noire. Les uns sont purement économiques : il s’agit de se procurer les produits tropicaux et les minerais dont l’industrie a besoin et de trouver des débouchés pour les produits manufacturés européens. Industriels, commerçants et banquiers sont au premier chef concernés, mais les gouvernants saisissent l’intérêt économiques de la colonisation. Les autres sont d’origine politique : les personnalités dominantes des débuts de la Troisième République comme Gambetta ou Jules Ferry sont partisans d’une colonisation active, et parmi les motifs qu’ils invoquent, l’un des principaux est le devoir pour les blancs, « race supérieure », de porter la civilisation aux Noirs, « race inférieure ». Mentalité d’ailleurs partagée par les autres nations européennes qui se concurrencent en Afrique Noire. La colonisation se plaçant dans un contexte de rivalités internationales s’explique aussi par la volonté des gouvernements d’intervenir en Afrique noire afin de maintenir le système de l’équilibre européen. Au demeurant, la France a dû passer des accords avec les autres puissances colonisatrices afin de délimiter les sphères d’influence réciproque des diverses parties concernées. Ainsi la Conférence coloniale de Berlin en 1884-1885 trace-t-elle les frontières en Afrique occiedentale. Après la crise d’Agadir, des remaniements territoriaux africains, le Togo et le Cameroun sont confiés à la France sous forme de mandats.
Cette colonisation de l’Afrique noire s’opère dans un contexte de grande indifférence de la part de l’opinion publique. Nationalistes et radicaux redoutent en effet de voir la France détournée par la conquête coloniale de son problème majeur, la reconquète de l’Alsace-Lorraine. Plus tard, l’opposition de droite s’efface, mais elle est relayée par celle des socialistes. A la fin du XIXème siècle, la formation d’une armée coloniale de métier contribue à rassurer l’opinion publique qui craignait de voir les appelés du contingent participer à des opérations coloniales. Désormais, la majeure partie de la population se montre plus favorable à la colonisation.
Sous la Troisième République, l’expansion coloniale en Afrique noire et à Madagascar se fait dans des directions bien précises :
- Au sud, dans les régions du Congo, l’officier de marine Savorgnan de Brazza devance le journaliste américain Stanley qui œuvre pour le roi des Belges. Il signe un traité avec le roi Makoko qui accepte de se placer sous protectorat français. Le Congo forme ainsi le noyau de la future Afrique équatoriale française (AEF) formée en 1910.
- A l’ouest, la pénétration au Soudan occidental dont le but est d’éteindre le Niger recommence à partir de 1880. Dès 1890, les missions parviennent jusqu’au cours supérieur du Niger. Mais il a fallu vaincre militairement la résistance de certains chefs locaux comme Ahmadou et détruire l’empire musulman de Samory qui a résisté plusieurs années. La progression à partir de la Guinée et de la Côte d’Ivoire est plus aisée, mis au Dahomey, deux expéditions sont nécessaires pour vaincre le roi Behanzin. Quant à la pénétration de la région du Tchad dont l’objet est d’assurer la liaison entre les possessions françaises d’Afrique noire, elle est difficile et ne sachève qu’en 1900 lorsque trois missions venues de l’Algérie, du Soudan, et du Moyen Congo parviennent à opérer leur jonction.
- A Madagascar, un vague protectorat est établi en 885, mais à la suite d’une révolte, une intervention militaire aboutit à l’installation d’un protectorat effectif de la France sur l’île. Après une insurrection dont vient à bout le général Gallieni, l’île est annexée. Gallieni reste jusqu’en 1905 gouverneur général de Madagascar. Il pacifie la pays et y mène une politique favorable aux intérêts économiques de la France, mais qui tient également compte des besoins des besoins et du progrès social de la population.
Pendant que les militaires accroissent le domaine colonial de la France en Afriue noire, les missionnaires, surtout catholiques mais aussi protestants, propagent la foi chrétienne. L’oeure évangélisatrice se double d’une œuvre civilisatrice, lutte contre l’esclavage, construction de dispensaires, d’hôpitaux, écoles, d’ateliers d’apprentissage...
Les Européens pourtant ne tardent pas être déçus par leurs colonies d’Afrique Noire : les gains sont médiocres, l’ivoire et le caoutchouc d’AEL ne rapportent pas autant qu’on aurait pu l’espérer et les sols d’Afrique occidentale française sont pauvres. Il faut dépenser beaucoup pour construire des voies de communication, des routes, des ponts et aménager des ports.
Au domaine colonial acquis en 1914 en Afrique, la Première Guerre mondiale ajoute les colonies allemandes du Togo et du Cameroun confiées à la France par la SDN sous forme de mandats. L’Empire africain de la France atteint alors son apogée, connaissant une réelle expansion démographique et un début de mise en valeur économique durant les années 1920, en particulier grâce au « Plan Serraut » voté en 1921, à l’initiative du ministre des Colonies. Mais la crise des années 1930 devait bloquet cet essor, en raison de l’effondrement du cours des matières premières et des denrées agricoles. Toutefois, la crise a pour effet de provoquer le renforcement des liens entre l’Afrique et la métropole tant en ce qui concerne les investissements que les relations commerciales.
La guerre de 1940 et l’effondrement militaire de la France accroissent l’importance du domaine colonial français.
COQUERY-VIDROVITCH (C.) : Le Congo au temps des grandes compagnies concessionnaires 1898-1930, Paris, Mouton, 1972.
GANIAGE (J.) et HÉMERY (D.) : L’Expansion coloniale de la France sous la IIIème République (1871-1914), Paris, Payot, 1968.
GIRARDET (R.) : L’idée coloniale en France de 1871 à 1962, Paris, La Table Ronde, 1972.
MEYER (J.), TARRADE (J.), REY-GOLDZIGUER (A.), THOBIE (J.) : Histoire de la France coloniale, des origines à 1914, Paris, Armand Colin, 1991.
MONIOT (H.), COQUERY-VIDROVITCH (C.) : L’Afrique noire, de 1800 à nos jours, Paris, Nouvelle Clio, 2005.
THOBIE (J.), MEYNIER (G.), COQUERY-VIDROVITCH (C.), AGERON (Ch.R.) : Histoire de la France coloniale, de 1914 à 1990, Paris, Armand Colin, 1990.
PERVILLÉ (G.) : De l’Empire français à la décolonisation, Paris, Hachette, 1991.
AGADIR (Incident d’) : La conférence d’Algésiras, tenue de janvier à avril 1906, à la suite de la crise de Tanger, est un compromis entre les grandes puissances sur la question du Maroc. Elle confirme la prépondérance de la France en donnant à celle-ci mission de maintenir l’ordre sur les confins algériens et dans les ports de l’Atlantique. En même temps, elle limite la liberté d’action française, car rien ne fut prévu en cas de troubles à l’intérieur du pays. On ne peut pas donc dire qu’elle règle totalement la question du Maroc. Or, en 1908, les populations marocaines détrônent le sultan Abd-Al-Aziz, accusé de favoriser l’intrusion des Français, et le remplacèrent par son frère Moulay Hafid qui suit la même politique que son frère. La pénétration française fait donc des progrès, au grand déplaisir de l’Allemagne qui tente d’abord de se servir comme monnaie d’échange des droits qu’elle prétend posséder au Maroc pour obtenir des avantages économiques. Le 9 février 1909, un accord franco-allemand est conclu : l’Allemagne reconnaît la prédominance de la France sur le Maroc, moyennant un partage des avantages économiques. Mais très vite, l’Allemagne, déçue des résultats de l’accord, cherche à rouvrir la question marocaine.
L’occasion se produit lorsque le sultan Moulay Hafid, assiégé dans Fès par des tribus berbères révoltées, fait appel à la France. Cette dernière intervient militairement pour dégager le sultan et protéger les nationaux. Cette action dépassant les droits accordés à la France à Algésiras, l’Allemagne accuse la France de violer l’accord, et le 1er juillet 1911, en réaction, une canonnière allemande est envoyée dans le port d'Agadir, sous prétexte d’assurer la protection des colons allemands. Le but recherché étant de décrocher une compensation et d’intimider le gouvernement français pour le contraindre à négocier sous la menace de la guerre. Ainsi, l’Allemagne voulait obtenir de la France, la totalité de ses possessions au Congo qui, alliées à celle du Cameroun qu’elle possède déjà, lui procurerait un vaste domaine colonial en Afrique centrale, susceptible de s’accroître encore avec l’éventuelle « liquidation » du Congo belge (au cas où le roi Léopold, son propriétaire, y renoncerait), dont elle pourrait espérer avoir sa part en tant qu’état limitrophe. Les exigences de l’Allemagne paraissent, aux yeux de l’Europe entière complètement démesurées au point que le président du Conseil Joseph Caillaux ne peut les accepter. Les autorités britanniques font savoir à l’Empereur Guillaume II que les demandes allemandes sont trop excessives et qu’il appuiera la France, si nécessaires par les armes. La France juge qu’un conflit ne ferait que tourner à son désavantage étant donné l’état de désorganisation dans lequel se trouvait le haut-commandement, la faiblesse de l’artillerie lourde et le désenchantement de la Russie qui considère que, les intérêts vitaux en France n’étaient pas menacés, l’alliance franco-russe na saurait jouer. Convaincu avec raison qu'une guerre ruinerait l'Europe, Joseph Caillaux plaide dès lors en toutes circonstances pour la paix, ce qui lui vaut d'être honni par une grande partie de la classe politique. La crise trouve une solution à travers une série de longues négociations. Menées directement par Caillaux, ce dernier négocie un compromis de la dernière chance : un accord est signé le 4 novembre 1911 qui prévoyait l'échange d'une partie du territoire du Congo français, entre le Cameroun et le Congo belge contre le fait que l’Allemagne ne devait pas gêner l’action française au Maroc. Mais pour que la France n’ait pas l’air de céder à un chantage, on donne à l’arrangement l’apparence d’un échange, les Allemands lui cédant un petit territoire situé au sud du lac Tchad. Le 30 mars 1912, qui n’a plus à redouter l’opposition de l’Allemagne, impose à Moulay Hafid la Convention de Fès qui rétablit un régime de protectorat sur le Maroc.
Les conséquences de la crise d’Agadir sont considérables. En France, cet accord mécontente le monde politique et l’opinion qui reprochent d’avoir trop cédé à l’Allemagne et son gouvernement est renversé fin 1911 remplacé par Raymond poincaré. Celui-ci se montre plus ferme vis-à-vis de l’Allemagne et resserra les liens avec le Royaume-Uni, choqué par la brutalité des méthodes diplomatiques de l’Allemagne. L’Entente cordiale en sort renforcée, de sorte que Guillaume II s’en inquiète et accélère la course aux armements, ce qui contribue à consolider encore plus l’entente franco-anglaise. On date de cet «incident d'Agadir» une importante étape dans la détérioration de la situation européenne et la prise de conscience par l'ensemble des Européens d'une menace de guerre généralisée.
ALBIN (P.) : La Querelle franco-allemande. Le « Coup d’Agadir ». Origines et développement de la crise de 1911, Paris, Félix Alcan, 1912.
ALLAIN (J.-C.) : Agadir, 1911, une crise impérialiste en Europe pour la conquête du Maroc, Paris, Publications de la Sorbonne, 1976.
GUILLEN (P.) : L’Allemagne et le Maroc de 1870 à 1905, Paris, PUF, 1967.
MILZA (P.) : Les relations internationales de 1871à 1914, Paris, A. Colin, 1968.
POIDEVIN (R.) : Les relations commerciales entre la France et l’Allemagne de 1898 à 1914, Paris, A. Colin, 1969.
AGAR (Marie-Léonide Charvin, dite), 1832-1891 : Actrice. Née à Sedan le 18 septembre 1832, Marie-Léonide Charvin vient à Paris vers 1853, où elle chante dans les cafés-concerts. Remarquée pour sa majestueuse beauté et son maintien sculptural, elle déserte le chant pour la déclamation, prend le nom d’Agar et débute dans la tragédie à l’Ecole lyrique de la Tour d’Auvergne (1859). Elle est engagée plus tard à la Comédie française qu’elle quitte en 1872 pour parcourir les principales villes de France. Elle y rentre en 1877 et y interprète avec une grande puissance dramatique les grands rôles du répertoire, mais, en 1878, elle abandonne de nouveau ce théâtre, pour y reparaître cependant encore en 1885. Elle est frappée de paralysie au cours d’une représentation au théâtre des Gobelins en 1888. Elle décèdera à Mustapha (Algérie) le 14 août 1891.
AGENCE FOURNIER : Agence de presse – l’une des plus anciennes – fondée à Paris en 1879 par Georges Fournier, qui est l’un des pionniers de la presse libérale. En 1937, le journaliste Jean Fontenoy s’associe avec Robert Bollack, directeur de l’Agence économique et financière, pour prendre le contrôle de l’entrprise.
AGENCE TECHNIQUE DE LA PRESSE : Bulletin quotidien d’informations politiques et financières fondé en 1926 par Jacques Landau, un ancien du Bonnet Rouge amnistié quelques années auparavant. Fournit, jusqu’en 1939, une documentation à la presse républicaine, Alexandre Zévaès et R. de Marmandie y collaborent régulièrement.
AGRAIVES (Frédéric Causse, dit Jean d’), 1892-1951 : Ecrivain. En cela, il se veut l’héritier de son père, Charles Causse, qui avait connu son heure de gloire en littérature de jeunesse en publiant, sous le pseudonyme de Pierre Maël, des romans écrits en collaboration avec Charles Vincent.
C’est d’ailleurs sous le nom de Fred Maël que Jean d’Agraives publie en 1916 son premier roman, L’Ile qui parle. Sous la pression des héritiers de Charles Vincent, il doit cependant y renoncer, et il opte pour le nom de Jean d’Agraives. C’est sous ce nom qu’il va publier une cinquantaine de romans, avec un succès non démenti, jusqu’à sa mort en 1951, atteignant pour certains de ses livres des tirages cumulés de près de 180.000 exemplaires. A partir de 1941, l’activité de l’auteur dans le domaine de la littérature de jeunesse s’est étendue à l’édition, avec la création successive de Colbert, puis des Deux Sirènes, qui publieront l’un comme l’autre un grand nombre de romans d'aventures et des récits maritimes.
Largement tournées vers le roman d'aventures géographiques et le récit d’aventures maritimes, les œuvres de Jean d’Agraives exaltent généralement les vertus de la France coloniale, que ce soit à travers le portrait de vaillants marins ou de serviteurs de la Nation. Nombreux sont ses récits qui vont emprunter, même de façon lointaine, à l’histoire militaire ou coloniale du pays (Le Maître du simoun, La gloire sous les voiles), et les récits d’imagination eux-mêmes savent emprunter parfois à ces pages héroïques, comme le curieux Aviateur de Bonaparte, qui permet la victoire de l’Empire en Italie grâce à l’invention d’un aéroplane. C’est d’ailleurs la période bonapartiste qui paraît avoir le plus clairement attiré l’auteur, qui ne cache pas une fascination pour l’Empereur (La frégate de l’Empereur, L’espionne de Nelson). Dans les œuvres privilégiant un cadre contemporain, l’aventure évoque les exploits des français dans le monde (La Cité des sables, Le Maître-coq du Kamchatka) ou se concentre sur les menaces venues de l’extérieur, avec une germanophobie significative de l’époque, et une prédilection pour le motif du « péril jaune », autre serpent de mer de la littérature populaire depuis le début du siècle, dans des œuvres souvent teintées d’anticipation (Le Sorcier de la mer, Le dernier pirate, L’Empire des algues). Face à ces multiples dangers, les héros de Jean d’Agraives, de braves marins ou des officiers de l’armée, presque tous Bretons comme l’auteur, représentent des modèles de courage et d’abnégation.
On le voit, l’œuvre de Jean d’Agraives est une illustration de cette littérature pour garçon qui a fleuri dans l’entre-deux guerres, et qui paraît vouée à préparer les plus jeunes à devenir les serviteurs de la Nation et de l’Empire. Comme c’est souvent le cas à l’époque, elle oscille entre une exaltation de la puissance de la France, et le sentiment diffus que cette puissance est menacée : les grandes heures de conquêtes sont reléguées dans un passé héroïque, tandis que le présent paraît déjà plein de dangers. C’est ce qui explique également que les motifs de l’aventure géographique traditionnelle tendent à être concurrencés par d’autres thématiques, celle du récit d’espionnage (Les portes du monde) ou de l’anticipation (Le virus 34) : le monde est entièrement balisé, les pays lointains ne sont plus des terres vierges à coloniser, mais des espaces peuplés, avec leurs opposants au régime français, prêts à l’affronter par les armes. Le monde n’est déjà plus celui Jean d’Agraives meurt en 1951. Au moment de sa mort, ses œuvres connaissent encore un grand succès, mais l’Histoire, (Dien Bien Phu et la guerre d’Indochine…) va rapidement balayer le monde et les valeurs qui étaient les siens.
- Jean-Paul Bouchon, Pierre Maël et l’affaire Pierre Maël, Poitiers, Paréiasaure Théromorphe, 1996.
- Bernard Le Nail, « Un grand romancier populaire d’origine bretonne, Jean d’Agraives (1892-1951) », Bulletin et mémoires de la société polymathique du Morbihan, tome CXXVII, 2001.
- Jacqueline et Bernard Le Nail, Dictionnaire des auteurs de jeunesse de Bretagne, Gourin, Keltia Graphic, 2001
1924. La cité des sables, Gedalge, puis Hachette, 1926.
1925. Le Maître du Simoun, Hachette, puis Colbert, 1943.
1925. Scaramouche, Baudinière.
1926. Le château du reliquaire, Gedalge.
1926. L’aviateur de Bonaparte, Hachette (en fascicules puis en volumes).
1927. Le sorcier de la mer, Hachette.
1927. Le dernier faune, Renaissance du Livre, puis Colbert, 1944.
1928. Mirage d’Asie, Hachette.
1928. La croisière de l’Argonaute, Hachette ; réédité sous le titre Le sillage pourpre, Fayard, 1930 et sous celui d’Un cargo dans la nuit, Hachette 1935.
1928. La princesse aux dragons verts, Hachette.
1929. Le Rayon Svastika, Fayard.
1929. Le filleul de La Perouse, Hachette.
1930. Le Virus 34, Editions Cosmopolites, puis Hachette 1936.
1930. Le trois mats fantôme, Editions Cosmopolites, puis Hachette, 1936.
1930. L’énigme du pastel, Hachette.
1931. Le sorcier jaune, Berger-Levrault ; réédité sous le titre Du sang sur l’étrave, Fayard, 1939.
1931. La frégate de l’empereur, Hachette.
1932. Le maître-coq du Kamtchatka, Plon, puis Hachette 1936
1932. Le tueur de navires, Berger-Levrault, puis Fayard, 1937.
1932. Le petit roi du lac, Nathan.
1932. L’ancre sous les ailes, Berger-Levrault ; puis Hachette, 1938.
1933. La gloire sous les voiles, Berger-Levrault ; puis Hachette, 1938.
1934. Les deux sirènes, Berger-Levrault.
1934. Le fléau de Neptune (suite du précédent), Berger-Levrault.
1935. La sirène des îles d’or, Fayard.
1935. Les frères de la côte (suite du précédent), Fayard.
1936. La gitane du roi, Fayard.
1936. Dague contre épée (suite du précédent), Fayard.
1936. L’espionne de Nelson, Hachette ; réédité sous le titre Le cimeterre de Tamerlan, Deux Sirènes, 1947.
1937. L’avion perdu, Fayard.
1937. La mer en feu (suite du précédent), Fayard.
1937. Empreinte sur la vase, Hachette.
AGRICULTURE (Ministère de l’) : Rattachée successivement à divers ministères, comme simple division, l’Administration de l’agriculture est érigée en département autonome par le décret du 14 novembre 1881. Elle comporte un certain nombre de services qui ont assez peu varié depuis sa fondation. Outre les services du cabinet et de la comptabilité, le ministère de l’Agriculture comprend les services de l’enseignement agricole, des harras, des forêts, de l’hydraulique agricole, de la répression des fraudes, des épizooties, etc.
Son ministre est assisté d’un Conseil supérieur de l’agriculture, comprenant une section permanente qui forme l’organe consultatif du département. Il a à sa disposition un service d’inspection de l’agriculture qui l’assiste en veillant à l’exécution de ses décisions dans l’ensemble du territoire. Plusieurs grandes sociétés privées goupent les agriculteurs et les personnes qui s’intéressent à l’agriculture. C’est d’abord l’Académe d’agriculture, puis la Société des agriculteurs de France, la Société d’encouragement à l’agriculture, la Société pomologique de France, etc. qui se tiennent en relation avec le ministère et lui font connaître les desiderata de leurs membres.
De plus, le ministère de l’Agriculture a largement organisé un enseignement agricole qui comprend : 1- un enseignement supérieur, représenté par l’Insitut national agronomique, 2 – un enseignement secondaire, à la fois théorique et pratique, représenté par les écoles nationales d’agriculture (Grignon, Montpellier, Rennes), l’école nationale d’horticulture (Versailles), l’école des indutries agricoles (Douai) ; 3 – un enseigement primaire supérieur, constitué par les écoles d’agriculture proprement dites ; 4 – un enseignement primaire élémentaire constitué par les écoles techniques (spécialisées) et les fermes-écoles ; 5 – un enseignement spécial donné par des écoles d’agriculture d’hiver ou saisonnières ; 6 – un enseignement post-scolaire d’agriculture donné par les professeurs et les instituteurs pourvus du brevet agicole ; enfin, 7 – un enseignement départemental et communal organisé dans chaque département par le directeur des services agricoles, assisté des professeurs d’agriculture.
De plus, des chaires d’agriculture ont été établies par la loi du 16 juin 1879 et le décret réglementaire du 9 juin 1880, à raison d’une chaire par département. Les titulaires, dits professeurs départementaux d’agriculture, sont nommés au concours. Ils sont chargés de l’enseignement agricoledans les écoles normales primaires, de conférences agricoles dans les campagnes, et de missions agricoles officielles dans leurs départements respectifs.
Enfin, il existe des Chambres consultatives d’agriculture, et le Crédit agricole permet aux agriculteurs de trouver à des conditions très avantageuses les capitaux utiles à la mise en valeur de leurs exploitations. L’agriculture qui a reçu de larges encouragements de l’Etat, doit également beaucoup au syndicalisme, qui permet aux petits exploitants de bénéficier des avantages de la grande culture.
AICARD (Jean-François-Victor), 1848-1921 : Poète et romancier. Jean Aicard est né à Toulon (Var), le 4 février 1848 et son père, lettré et savant, collabore au Grand dictionnaire universel de Pierre Larousse. Aicard est connu comme un écrivain assez élégan, coloré, souvent plein d’une fougue toute méridionale. Ses œuvres les plus remarquées sont : Poèmes de Provence (1874) ; La Chanson de l’enfant (1875) ; Miette et Noré (1880) ; le Livre d’heure et d’amour (1887) ; Maternité (1893) ; Jésus (1896) ; le Sang du sacrifice (1917) ; etc.
Ses romans les plus connus sont : Don Juan (1889) ; Le Roi de la Camargue (1891) ; L’Ibis bleu (1893) ; Fleur d’abîme (1894) ; le Diamant noir (1895) ; Benjamine (1906) ; Maurin des Maures (1908). Ses pièces de théâtres sont Pygmalion (1872) ; Mascarille (1873) ; Othello ou le More de Venise (1882) ; Le Père Lebonnard (1889), drame en alexandrins, traduit et joué dans différents pays. Lamartine (1883), ouvrage en vers, est comme les Poèmes de Provence et La Chanson de l’enfant, couronné par l’Académie française dont il devient membre en décembre 1909. Il meurt à Paris le 13 mai 1921.
BRISSON (Adolphe) : Jean Aicard, 1895.
SARCEY (Francisque) : Quarante ans de théâtre, t. VII, 1901.
AUBIN (G.) : Un poète provençal, Jean Aicard, Digne, 1908.
AIGLE (Charles-Joseph-Marie des Acres, Marquis de l’), 1875-1935 : Homme politique. Né le 7 novembre 1875 à Paris, le marquis de l’Aigle est le fils du comte Robert de l'Aigle (1843-1931), député de l'Oise de 1885 à 1893. Charles de l'Aigle devient maire de Rethondes, conseiller général de Ribécourt puis député de l'Oise (Compiègne) en 1932. Il s'inscrit au groupe parlementaire du centre républicain. Il meurt en cours de mandat le 11 septembre 1935 à Neuilly-sur-Seine. Le marquis de l'Aigle figure parmi les fondateurs de l'Association de la Presse monarchique et catholique des départements.
AILLIÈRES (Augustin-Fernand Caillard d’), 1849-1897 : Homme politique. Né le 30 janvier 1849 à Paris, élu député conservateur de la Sarthe de 1882 jusqu'à sa mort, Fernand Caillard d'Aillères devient collaborateur du Correspondant et membre de l'Association de la Presse monarchique et catholique. Il laisse des Etudes remarquées sur les Epurations administratives de 1877 à 1880. Son oncle, Thérèse-François-Albert Caillard d’Aillières (1817-1906), lui succède mais ne présente Mamers que jusqu’en 1892. Par contre, son fils, Bernard Caillard d’Aillières (1895-1957) est député conservateur et sympathisant PSF de la Sarthe, de 1936 à la guerre.
AIMARD (Olivier Gloux, dit Gustave), 1818-1883 : Écrivain français. Né à Paris en 1818, Gustave Aimard, pseudonyme de Olivier Gloux, est le grand représentant du roman western ou roman de l’Ouest. Abandonné par ses parents, il est adopté par la famille Gloux. Enfant turbulent, il se fait renvoyer de plusieurs établissements scolaires pour se retrouver, dès l'âge de neuf ans, mousse sur des navires voyageants en Europe, puis en Amérique. Il va alors passer une partie de sa jeunesse en Amérique du sud avant de faire différents travaux en Amérique du nord comme coureur des bois ou chasseur.
De retour en Europe en 1847, il va beaucoup voyager avant de s'arrêter en France en 1854. Lors de la guerre franco-prussienne, il est à l'origine de la constitution - et du scandale - des francs-tireurs de la presse et, si son rôle dans les combats n'est pas très important, il lui fournira matière à plusieurs romans (Les scalpeurs blancs, 1873). L'existence de Gustave Aimard est démesurée, elle est aussi très certainement en grande partie imaginée et, si elle a certainement nourri son œuvre, il semble que la biographie se soit également inspirée des romans et qu'Aimard se soit progressivement écrit une existence à la mesure de ses héros - cela a en tout cas affecté sa santé mentale : atteint de mégalomanie, il est interné à Sainte Anne où il meurt en 1883.
Il est difficile de ne pas se noyer dans une œuvre aussi nombreuse. D'autant que l'incroyable monotonie des titres augmente encore la perplexité de l'amateur : Les Titans de la mer (1873) ; Les rois de l'océan (1877) ; Les coupeurs de routes (1879) ; Les Bandits de l'Arizona (1881) ; Le trouveur de sentiers (1888). Certains récits, comme Le Souriquet (1882, sous-titré Légende de la perte du Canada), s'inspirent d'événements historiques. D'autres s'appuient essentiellement sur un exotisme de pacotille (Les bandits de l'Arizona, 1881).
Le second type de récits qu'a écrits Gustave Aimard, a pour cadre la mer et le monde de la piraterie : c'est la série des Rois de l'océan en sept ou huit volumes (1863-1877), selon les éditions. Cette fresque d'aventures maritimes, mais aussi sur terre, qui se déroule au XVIIè siècle, a pour héros Vent-En-Panne. Enfin, viennent les textes mineurs, ceux qui prennent pour cadre les bas-fonds parisiens (Les Invisibles de Paris, 1863-1877, et Les Vauriens du Pont-Neuf, 1878) et les romans patriotiques, ou encore une robinsonnade (Le Robinson des Alpes, 1888).
AIR (Ministère de l’) :
AJALBERT (Jean), 1863-1947 : Avocat et écrivain. Né le 10 juin 1863 à Levallois-Perret, Jean Ajalbert est avocat, poète impressionniste, écrivain naturaliste et anarchiste. Il écrit des vers impressionnistes et naturalistes : Sur le vif (1885) ; Femmes et Paysages (1891). Auteur également de plusieurs romans, nouvelles, impressions de voyage comme le P’tit (1888), En amour (1890) ; la Fille Elisa, pièce tirée du roman de Goncourt ; En Auvergne (1893) ; Notes sur Berlin (1894) ; l’Auvergne (1897) ; Sous le sabre (1898) ; la Forêt Noire (1899) ; la Tournée (1901) ; Sao von di, souvenirs de sa mission au Laos ; Veillées d’Auvergne (1905) ; les Destinées de l’Indochine (1909) ; le Château de Malmaison (1911) ; l’Aviation au dessus de tout (1916) ; Dix années à la Malmaison (1920) ; le Bouquet de Beauvais, Raffin Su-Su (1921) ; Lettres de Wiesbaden (1922) ; Au cœur de l’Auvergne (1923).
Parallèlement, il participe à de nombreuses revues littéraires et à la rédaction de plusieurs journaux. A partir de 1892, il fréquente les milieux anarchistes, donne régulièrement des articles à la presse libertaire Le Pot à colle ; L'Endehors ; Le Plébéien ; Les Temps Nouveaux et devient leur avocat. Mais sans illusions sur la justice, il s'oppose à l'Ordre, refuse de plaider lors du procès d'Auguste Vaillant, pour dénoncer le simulacre de justice et abandonne ensuite le barreau.
Ardent dreyfusard, il est l’un des premiers à dénoncer le lynchage médiatique de Dreyfus, et à apporter son soutien à Emile Zola après son J'accuse. Il collabore au Journal du Peuple crée par Sébastien Faure pour l'occasion, et rejoint la rédaction des Droits de l'Homme où il se montre un redoutable polémiste, il ira jusqu'à se battre en duel en janvier 1898. Il s'insurgera contre la grâce de Dreyfus (lui rendre justice aurait été de l'innocenter), et se fait alors beaucoup d'ennemis même parmi les juifs; de nombreux journaux lui ferment leurs portes. Sans revenu, Aristide Briand lui confie des missions en Indochine qui lui inspireront deux romans. Il collabore un temps à l'Humanité et s'éloigne définitivement de l'anarchisme. Il est ensuite nommé conservateur du château de la Malmaison (1907-1917), puis administrateur de la manufacture de Beauvais. En 1917, il est élu à l'Académie Goncourt. Il meurt le 14 janvier 1947.
AJAM (Pierre-Louis-Maurice), 1861-1944 : Homme politique. Né à Ruillé-sur-Loir (Sarthe), le 11 juin 1861, c'est grâce à son intense activité parlementaire que Maurice Ajam doit son poste de sous-secrétaire d'Etat à la Marine dans les gouvernements Doumergue (décembre 1913-juin 1914) et Viviani (juin-août 1914), chargé de la Marine marchande. Inscrit au groupe de la gauche démocratique, il est souvent intervenu dans des discussions économiques à la Chambre. Dès sa nomination, il ne s'occupe plus que de son ministère. Il met également en pratique les accords conclu entre l'Etat et la Compagnie générale transatlantique pour la desserte de l'Amérique latine. Réélu aux législatives de mai 1914, il garde son portefeuille après la démission de Doumergue. Dans le gouvernement qui le succède, son poste est supprimé deux mois plus tard en raison du déclenchement de la guerre. Maurice Ajam retourne alors à l'Assemblée. Il décèdera au Mans (Sarthe), le 26 février 1944.
ALAIN (Emile-Auguste Chartier, dit), 1868-1951 : Professeur, philosophe et écrivain. Fils d’un vétérinaire de Mortagne-au-Perche (Orne), doué pour les études, Emile-Auguste Alain est né dans cette commune le 13 mars 1868. Entré en 1889 à l’Ecole normale supérieure, il en sort agrégé de philosophie trois ans plus tard et enseigne d’abord à Pontivy, puis à Lorient et à Rouen enfin à Paris, à partir de 1902. En 1909, il est professeur de rhétorique supérieure au lycée Henri IV où, en dehors de l’intermède de la Première Guerre mondiale, il enseigne jusqu’à sa retraite en 1933. C’est à ce titre qu’il exerce une influence importante sur la jeunesse étudiante qu’il a formé à ses idées et qui, ensuite, les transmet à de nouvelles générations d’élèves ou les applique dans la littérature, le journalisme ou la politique.
A Lorient, il prend parti pour Dreyfus dans le journal radical local et participe à la fondation d’une Université populaire. Certaines de ses idées le rapprochent en effet des radicaux, comme la recherche du bonheur de l’homme dans la liberté, la responsabilité de soi, l’anticléricalisme, les vues sur les buts de l’éducation…mais s’il appartient intellectuellement à la famille des radicaux, il ne devient pas pour autant un homme politique et son engagement reste du domaine des idées, limité aux concepts philosophiques qi’il enseigne dans ses cours, et à ses écrits, en particuliers journalistiques. A partir de 1906, il écrit presque chaque jour dans La Dépêche de Rouen des articles intitulés « Propos d’un Normand », qu’il signe Alain. Petits articles d’abord quotidiens, où, à propos de n’importa quel faits divers, d’impressions de rues, de promenades dans la campagne, de lectures, il révèle sa vigueur de moraliste. Plus de 3.000 « Propos » paraissent ainsi jusqu’en 1914 et commencent à être publiés en volume à partir de 1908. Après la Première Guerre mondiale, il poursuit cette activité et 2.000 nouveaux « Propos » paraisent dans une revue fondée par ses disciples et intitulée Libres Propos. Groupés par sujets (éducation, sentiments, passions, politique…), ils forment d’importants recueils. Mais ce qui intéresse essentiellement l’historien, c’est de discerner dans ses idées ce qui a pu influencer ses lecteurs et ses élèves. Le trait le plus saillant et le plus constant de la pensée d’Alain est son pacifisme. Admirateur de l’action et de la pensée de Jean Jaurès, il pense comme lui que la guerre est le plus grand des malheurs. Quand elle éclate, il a 46 ans. Ils’engage alors comme volontaire et soldat de 2ème classe, car il considère que seul la fait de faire la guerre donne le droit de la juger de l’intérieur. C’est au front qu’il commence donc à écrire les deux livres qui paraîtront après l’armistice sous le titre de Mars ou la guerre jugée, écrit en 1915, et le Système des Beaux-Arts, où il exprime son pacifisme foncier.
Blessé à la jambe, réformé et démobilisé, Alain reprend ses cours qui l’imposent non seulement à ses élèves – dont beaucoup se font un nom et proclament leur dette à l’égard du philosophe – mais aussi à un public cultivé de plus en plus large.
Auteur d'une Doctrine radicale (1924), et du Citoyen contre les pouvoirs (1929), Alainl abandonne le professorat en 1933 et se fixe au Vésinet. Il entre dans une retraite forte active, puisqu’il continue de publier divers recueils de Propos, et qu’il écrit de nouveaux livres tels que son autobiographie intellectuelle, Histoire de mes pensées (1936).
Après le 6 février 1934, Alain accepte de patronner, avec le physicien Paul Langevin et l’ethnologue Rivet, le Comité de vigilence antifasciste dont il devient le vice-président. A ce poste, il s’efforce d’arbitrer les conflits qui opposent les diverses tendances du pacifisme. Mais lui-même est partie prenante de ces conflits. A ses yeux en effet, la paix doit être fondée sur la négociation, la révision des traités et le désarmement. Aussi n’approuve-t-il pas la politique de fermeté anvers l’Allemagne hitlérienne. En 1934-1935, il dénonce le piège de la « guerre juste » et en 1935, il écrit dans Vigilance, organe du Comité « Il n’y a pas de guerre aux tyrans ». L’antifascisme reste pour lui une affaire purement intérieure. Même après Munich, il signe la pétition lancée par le Syundicat national des instituteurs et le Syndicat national des postiers : « Nous ne voulons pas la guerre » ; et, en septembre 1939, dix jours après le déclenchement du conflit, il appose sa signature sur le tract « Paix immédiate ». Ce pacifisme, qui ne reconnaît aucune guerre juste, pas même celle contre le nazisme, a pu lui être reproché par ceux qui voulaient faire barrage à ce dernier ou par ceux qui, après la défaite, lui ont imputé une part de responsabilité morale. Mais il est vrai que, lorsqu’éclate la Seconde Guerre mondiale, l’esprit de la majorité des Français est à la paix. Or, l’action d’Alain ne s’est exercée que sur un petit groupe d’intellectuels. Le pacifisme de la majorité des Français est à rechercher ailleurs que dans son influence : il provient des horreurs vécues lors de la Première Guerre mondiale qui, dans l’esprit des combattants, devait être la « der des der ». Mais Alain qui professait à ses élèves que la plus haute valeur humaine est l’esprit libre et qu’en sonséquence l’homme doit refuser de perdre l’esprit, le philosophe pour qui le grand principe de la politique, de la pédagogie et de la morale est que l’homme doit être un homme (au point qu’il était surnommé « L’Homme » par ses disciples), celui qui malgré son âge n’a pas refusé en 1914 d’accomplir son devoir patriotique est bien autre chose que ce « professeur de lâcheté » que L’Humanité l’accusait d’être au lendemain de sa mort. Il est le témoin d’une génération que le traumatisme du conflit a durablement choquée et sclérosée dans des certitudes qui ont peut-être oblitéré cette liberté de jugement à laquelle Alain tenait tant. Alain décède en 1951 après avoir reçu le Grand Prix national des Lettres.
MAUROIS (André) : Alain, 1950.
FOUQUIÉ (Paul) : Alain, 1952.
MONDOR (Henri) : Alain, Souvenirs …1953.
ORY (P.), SIRINELLI (J.-F.) : Les intellectuels en France, de l’affaire Dreyfus à nos jours, Paris, Collin, 1986.
ALAIN-FOURNIER (Henri-Alban Fournier, dit), 1886-1914 : Romancier. Henri-Alban Fournier (il prendra en littérature le demi-pseudonyme d’Alain-Fournier) est né le 3 octobre 1886 dans le Cher, à la Chapelle-d’Angillon. Fils d’instituteurs, il passe son enfance dans le sud du Berry, enfance un peu triste, mais visitée par le merveilleux, par des rêves de paradis perdu au secret de la vie intérieure, qu’Alain-Fournier ne vivra plus que pour ressusciter, faisant de tous les plus petits évènements de son existence une suite de signes, une liturgie qui ne pourra trouver son épanouissement que dans la création littéraire.
En 1891, son père est nommé à l’école d’Epineuil-le-Fleuriel. Le futur Alain-Fournier y sera son élève jusqu’en 1898, avant d’entrer en sixième, comme pensionnaire au lycée Voltaire à Paris. En 1901, il songe à devenir marin et rentre en seconde au lycée de Brest pour se préparer à l’Ecole navale. Mais il y renonce et vient, en janvier 1903, passer son baccalauréat au lycée de Bourges. En octobre 1903 Alain-Fournier va préparer l’Ecole normale supérieure au lycée Lakanal à Sceaux. C’est là qu’il rencontre Jacques Rivière qui devient son meilleur ami. Ils échangeront jusqu’en 1914 une importante et passionnante correspondance. Fournier n’a pas le goût des idées, l’intelligence critique, la frénésie livresque de son ami. Il déaigne l’analyse dont il craint peut-être qu’elle ne vienne troubler les musiques rares et intimes qu’il porte en lui et qu’il commence à entendre. Un jour, un de leur professeur leur ayant lu une page d’Henri de Régnier, Alain Fournier, resté assez indifférent à Barrès dont s’enthousiasme Rivière, assouvit son goût du mystère chez Jammes, Maeterlinck et surtout Jules Laforgue, qui influenceront les poèmes réunis plus tard dans Miracles. La révélation de Claudel, en 1906, apporte à Alain-Fournier l’enrichissement, surtout émotif, d’un art de la totalité, à la fois parole et pensée, un monde extérieur et monde intérieur. Mais un an plus tôt, sa vie avait été bouleversée par une banale aventure, qu’on ne peut même pas appeler un incident : une jeune fille aperçue sur le Cours-la-Reine, avec laquelle il n’a qu’une brève conversation, qu’il ne revoit jamais et dont il n’a, que quelques nouvelles, mais dont il fait la figure, soudain vivante, de son rêve. Entre-temps, il échoue au concours d’entrée à l’Ecole Normale en 1906. En 1907, au terme d’une ultime année de « Khâgne » au lycée Louis Le Grand, il échoue de nouveau à l’Ecole Normale.
En 1908 et 1909, il fait son service militaire : après le peloton d’élève-officier à Laval, il est nommé sous-lieutenant à Mirande (Gers). Toujours hanté par le souvenir de cette fille, il écrit quelques poèmes et essais qui seront repris plus tard sous le titre Miracles.
Après son service militaire, Alain-Fournier cherche un emploi. Il trouve en avril 1910 un poste de rédacteur à Paris-Journal. Il a une liaison avec Jeanne Bruneau, une modiste de la rue Chanoinesse, originaire de Bourges. Il se donne tout entier à elle, mais elle ne le comprend pas.
A partir de 1910, Alain-Fournier, se met pour de bon à l’écriture du Grand Meaulnes. En 1912, il quitte la rédaction de Paris-Journal, devient le secrétaire de Claude Casimir-Perier avant d’entamer avec la femme de ce dernier la célèbre actrice madame Simone, de son vrai nom Pauline Benda, une liaison orageuse. Fin juillet 1913, huit ans après la rencontre du Grand Palais, grâce à l’entremise de Jeanne de Quiévrecourt, sa sœur, Alain-Fournier rencontre une dernière fois Yvonne de Vaugrigneuse, désormais mère de deux enfants. Il la quitte donc pour toujours et revient vers Simone. Achevé au début de 1913, Le Grand Meaulnes paraît d’abord dans La Nouvelle Revue française (de juillet à octobre 1913), puis en volume chez Emile-Paul. Sélectionné pour le prix Goncourt, Le Grand Meaulnes obtient 5 voix au dixième tour de scrutin (alors qu’il lui en suffisait de 6 pour avoir le prix). Au début de 1914 Alain-Fournier ébauche une pièce de théâtre, la Maison dans la forêt, et commence un nouveau roman, Colombe Blanchet, qui restera inachevé.
Mobilisé dès la déclaration de guerre, en août 1914, Alain Fournier rejoint le front comme lieutenant d’infanterie. Le 22 septembre 1914, il est tué au sud de Verdun, dans les Hauts de Meuse. Porté disparu avec vingt de ses compagnons d’armes, son corps a été découvert dans une fosse commune où les Allemands l’avaient enterré. Son beau-frère, Jacques Rivière publie en 1924 un recueil posthume de poème, essais, contes : Miracles. Alain-Fournier a laissé un autre manuscrit : Colombre Blanchet.
LÉONARD (Albert) : Alain Fournier et le Grand Meaulnes, Paris, 1943.
GILLET (Henri) : Alain Fournier, Paris, 1948.
BORGAL (Clément) : Alain-Fournier, Paris, 1955.
ALANIC (Mathilde), 1864-1948 : Femme de lettres. Née à Angers (Maine-et-Loire) le 10 novembre 1864, Mathilde Alanic, après avoir commencé à peindre, publie de nombreux romans destinés surtout au public familial, et dont, beaucoup écrits avec élégance et correction, ont obtenu un grand succès , tels : Norbert Dys (1899) ; le Maître du Moulin blanc (1901) : Ma cousine Nicolle (1901) ; la Gloire de Fonteclaire (1907) ; la Petite Miette (1911) ; le Sachet de lavande (1924). Ses romans sont souvent heureusement inspirés du terroir angevin. Elle décèdera à Angers le 20 octobre 1948.
ALAPETITE (Gabriel-Ferdinand), 1854-1932 : Administrateur et homme politique. Né à Clemecy (Nièvre) en 1854, Gabriel Alapetite devient résident général en Tunisie à partir de 1906, ambassadeur de France à Madrid en 1918 et haut commissaire de la République pour l’Alsace et la Lorraine en 1920. Il décède à Paris en 1932.
ALAUX (Jules-Emile), 1828-1903 : Philosophe et lettré. Né à Lavaur (Tarn), lettré de talent, philosophe, spiritialiste, Alaux profese à l’Ecole de lettres d’Alger. On lui doit notamment : La République (1871) ; Analyse métaphysique (1873) ; De la métaphysique considérée comme science (1879) ; Philosophie morale et politique (1894) ; Théorie de l’âme humaine (1895) ; etc. Il décède en 1903.
ALBALAT (Antoine), 1856-19 : Littérateur. Né à Brignoles (Var) en 1856, Antoine Albalat a publié des romans, des ouvrages de technique littéraire : le Mal d’écrire et le Roman contemporain (1895) ; l’Art d’écrire : Ouvriers et Procédés (1896) ; l’Art d’écrire enseigné en vingt leçons (1899) ; La Formation du style par l’assimilation des auteurs (1901) ; le Travail du style enseigné par les corrections manuscrites des grands écrivains (1903), et les Ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections (1905) ; Comment il faut lire les auteurs classiques (1915), et des Souvenirs de la vie littéraire (1921). Il décède
ALBERT (Charles Daudet, dit), 1869-1957 : Journaliste. Né à Carpentras le 23 novembre 1869, Charles Albert est issue d’une famille aisée d’universitaires. Il entre dans le mouvement socialiste à la suite de la sanglante affaire de Fourmies en 1891, mais évolue vers l’anarchie par réaction contre l’autoritarisme de Jules Guesde. Tout en étant correcteur d’imprimerie à Lyon, il collabore à la presse libertaire (Entretiens politiques et littéraires, La Société Nouvelle, La Révolte, Les Temps Nouveaux). Le 12 août 1893, il créé, à Lyon, un hebdomadaire communiste-anarchiste L’Insurgé, qui disparaît l’année suivante, puis il fonde à Paris, un peu plus tard, une imprimerie destinée à satisfaire les besoins de la propagande anarchiste et où sont tirés les premiers numéros du Libertaire, que vient de fonder Louise Michel et Sébastien Faure. La déconfiture de l’entreprise met fin à l’expérience. Dreyfusiste ardent, antimilitariste violent, anticlérical acharné, Charles Albert poursuit sans relâche sa propagande par la parole et par la plume, collaborant à l’Humanité nouvelle, au Journal du Peuple, à La Guerre Sociale.
Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, Charles Albert ne pense qu’à la patrie. Dans La Bataille, il attaque Romain Rolland et les pacifistes et provoque le départ de Marcelle Capy et Fernand Desprès, dit A. Desbois, d’un journal lancé par des syndicats où l’antimilitarisme et l’internationalisme avaient été à l’honneur. Il consacre même à Rolland tout un pamphlet intitulé : Au dessus de la mêlée et fustige les nigauds de Zimmerwald. Il décèdera au Kremlin-Bicêtre le 1er août 1957.
ALBERT (Marcelin), 1851-1921 : Viticulteur. Né à Argelliers le 29 mars 1851, Marcelin Albert est lié au fameux soulèvement sanglant des viticulteurs du midi de 1907 et à la mutinerie du 17ème régiment d’infanterie, glorifié par le célèbre chant révolutionnaire Gloire au Dix-septième. Il décèdera à Argelliers ( ?) le 12 décembre 1921.
ALBERT (Paul), 1827-1980 : Littérateur. Né à Thionville (Moselle) en 1827, Paul Albert est professeur de langue et de littérature française moderne au collège de France (1878). On lui doit : la Prose (1870) ; la Littérature française, des origines à la fin du XVIe siècle (1872) ; la Littérature française au XVIIe siècle (1873) ; La Littérature au XVIIIe siècle (1875) ; La Littérature française au XIXe siècle (1882-1885). il décède à Paris en 1880.
ALBERT-BIROT (Pierre), 1876-1967 : Écrivain. Né à Angoulème (Charente) le 22 avril 1876, Pierre Albert-Birot, après avoir fait une partie de ses études à Bordeaux, vient habiter avec sa mère à Paris. La vie étant très difficile, il doit interrompre ses études. Il rencontre le sculpteur Georges Achard et se met lui-même à sculpter. En même temps, il suit des cours à la Sorbonne et au Collège de France. Il devient restaurateur de meubles et d’objets anciens pour le compte d’un antiquaire parisien. Réformé au moment où éclate la Première Guerre mondiale, il fonde la revue Sic titre qui rallie à la signification du mot latin « oui » l’initiale de trois termes essentiels : son, image, couleurs. Il est d’abord le seul rédacteur puis, à partir du numéro quatre, s’opère la rencontre avec Guillaume Apollinaire. Dès lors, Sic prend une place importante dans la littérature de cette époque avec les signatures de Drieu la Rochelle, Reverdy, Soupault, Tzara, Aragon, Breton et Raymond Radiguet.
Pierre Albert-Birot crée le « numisme » école qui prône un art résolument neuf et s’inspire du futurisme de Marinetti. Sic disparaît en 1919. Auparavant, son fondateur avait participé et organisé en 1917 la représentation des Mamelles de Tirésiais de Guillaume Apollinaire qui fait alors scandale. En 1917, Pierre Albert-Birot fait paraître son premier recueil de vers, Trente-et-un poèmes de poche avec une préface de Guillaume Apollinaire qui voit en lui un « pyrogène ». De 1918 à 1929, il fonde le Théâtre du Plateau où il monte ses pièces, Matoum et Tévibar (1923) ; Barbe bleue ; Les Femmes pliantes (1923), théâtre anti-réaliste où le merveilleux est pénétré d’humour et de tragique. Il ne renonce pas pour autant à la poésie et publie De La Joie des sept couleurs (1919) ; publie une quinzaine de recueils parmi lesquels Poèmes à l’autre moi (1927), particulièrement représentatif de son besoin d’unité, de son refus de tout ce que l’on oppose : la vie, la mort, le Je et l’Autre… Il écrit en même temps Grabinoulor (1921) qui est son œuvre capitale ; Rémy Floche, employé (1934).
Cet individualiste annonce divers courants littéraires comme Dans La Lune et le Livre des poèmes (1924) ou avec ses pièces comiques, L’Homme coupé en morceaux (1921) ou Le Bondieu (1922).
Max Jacob a parlé de « l’ingénuité profonde » de Pierre Albert-Birot, qui est résolument moderne et s’étonne et s’amuse des inventions dont la civilisation est capable. Il les intègre au mouvement général qui emporte le monde transfiguré par la présence du soleil, maître de la lumière. Il exalte la vie et même le chagrin comme dans Amenpeine (1938) se trouve racheté par la création d’un poème. Il décèdera à Paris le 25 juillet 1967.
ALBERT-BUISSON (Albert Buisson, dit), 1881-1961 : Administrateur et homme politique. Né à Issoire, le 3 mai 1881. Petit-fils d’un fabricant de sabots, François Albert-Buisson entreprit des études de pharmacie à Paris. Reçu à l’internat des hôpitaux, docteur en pharmacie, il obtint également un doctorat de droit.
Cet homme polyvalent multiplia les activités. Il se montra, dans l’industrie, un administrateur avisé, en particulier comme directeur de Rhône-Poulenc. Il fut également juge, puis président du tribunal de Commerce de Paris, avant de devenir directeur de cabinet au ministère des Finances, puis maire d’Issoire, sa ville natale, conseiller général du Puy-de-Dôme et sénateur du même département en 1937 avec l’appui officiel de la Fédération radicale-socialiste et plus discret de Pierre Laval. Il vote les pleins pouvoirs au maréchal Pétain le 10 juillet 1940. Il écrit ou signe divers ouvrages de droit des affaires et de sciences économiques, ainsi que plusieurs monographies historiques consacrées à Michel de l’Hospital, au Cardinal de Retz. Il a écrit enfin un livre consacré aux Quarante au temps des Lumières.
Membre de l’Académie des Sciences morales et politiques depuis 1936, il continue sa carrière après la Libération et est élu à l’Académie française en 1955. Il décèdera à ? le 21 mai 1961.
ALBERT-FAVRE (Ernest-Charles-Albert Favre, dit), 1868-1959 : Homme politique. Né à Saint-Georges-les-Baillargeaux (Vienne), le 12 juillet 1868, Albert-Favre devient chef adjoint du cabinet d'Emile Combes (juin 1902-janvier 1905) puis devient sous-secrétaire d'Etat à l'Intérieur dans le second ministère Clemenceau (novembre 1917-janvier 1920). Sa grande action à ce poste est axée sur la gestion et l'allocation de toutes sortes d'aides, nécessaires après la Première Guerre mondiale. Il organise des programmes d'assistance aux femmes en couches, aux familles nombreuses, aux veuves sans ressources, aux vieillards, aux rapatriés et aux incurables. Des actions en faveur de l'enfance, du logement ou de la protection de la maternité sont entreprises sur son initiative. Enfin, il occupe en 1919 de l'indemnité de démobilisation. Réélu en novembre de la même année sur les listes républicaines, il laisse son poste lors de la démission du cabinet où Clemenceau l'avait appelé. Il décèdera à Saint-Georges-les- Didonne (Charente-Inférieure), le 16 juin 1952.
ALBERT-LE-ROY (François), 1856-1905 : Avocat et homme politique. Né à Paris le 19 décembre 1856, docteur es lettres, avocat à la cour d'appel de Paris, François Albert Le-Roy débute dans la carrière administrative comme sous-préfet, et conseiller de préfecture de Seine-et-Oise. Déjà conseiller général de l'Ardèche, il succède à un poste de député devenu vacant à Privas (Ardèche) de 1904 à 1905, après plusieurs tentatives infructueuses. Inscrit à la gauche radicale-socialiste, et membre de divers commissions, il se lance avec passion dans les débats qui marquent cette époque. Il interpelle le gouvernement sur la séparation des églises et de l'État, puis participe à la discussion du projet et des propositions de loi sur cette même séparation. Il décède à Saint-Fortunat-sur-Eyriuex (Ardèche) le 18 août 1905.
ALBERT-PETIT (Armand-Alexandre), 1860-1944) : Professeur, journaliste et homme politique. Armand-Alexandre Albert-Petit est né à Gasny (Eure), le 16 novembre 1860. Il effectue sa scolarité à Évreux, où il obtient de brillants résultats, décrochant notamment la première place au concours général, en histoire et en discours latin. A l'âge de 18 ans, le jeune homme quitte sa Normandie natale et se dirige à Paris, où il devient vétéran de rhétorique au lycée Louis-le-Grand. De là, il entre bientôt à l'École normale supérieure d'histoire. Il est agrégé en 1884 et commence sa carrière d'enseignant au lycée de Caen, où il officie de 1884 à 1887.
En 1887, il quitte la France pour prendre le poste de professeur d'histoire à l'École polytechnique suisse, à Zurich. Il y remporte un grand succès et ses cours sont suivis par une assistance sans cesse plus nombreuse. Sa leçon sur la guerre de 1870-1871 surtout est appréciée par ses étudiants, ainsi que par des auditeurs étrangers à l'école. Cet afflux imprévu de spectateurs rend vite sa salle de classe trop petite ! C'est dans le grand amphithéâtre de l'école qu'il doit désormais enseigner. Il rentre à Paris en 1890 et reçoit comme affectation une chaire d'histoire au lycée Janson-de-Sailly, qu'il ne quittera qu'en 1923.
C'est pendant son séjour helvétique qu'il publie en 1888 son premier livre : La France économique. Quelque temps plus tard, il entame une longue collaboration de presque quarante années avec le Journal des Débats, dans lequel il s'occupe plus particulièrement des questions de démographie, d'éducation, de budget et de politique. Il rédige des rubriques similaires dans la Dépêche tunisienne, pour laquelle il élargit sa réflexion à l'empire colonial. La Revue des Deux Mondes également reçoit sa contribution. Il y publie notamment des articles sur la Révolution française, sur l'histoire de la Normandie ou sur la méthode historique. Dans la Revue de Paris également, il dirige une rubrique de critique de livres d'histoire. Plus épisodiquement enfin, il écrit dans d’autres journaux et revues plus ou moins spécialisées dans l'histoire ou dans les questions de l'éducation : la Revue hebdomadaire, la Revue bleue, la Revue politique et parlementaire, l'Éducation, la Revue de France, l'Économiste français, etc.
En 1902, le ministre de l'Instruction publique, Georges Leygues, fait appel à lui pour siéger dans la commission préparatoire à la réforme de l'enseignement. Déjà professeur et journaliste reconnu, Albert-Petit devient l'un des acteurs importants de l'élaboration du système éducatif français.
En 1911, il prend la tête d'une collection d'ouvrages d'histoire régionaliste : les Vielles Provinces de France, dont 19 volumes paraîtront jusqu'en 1935. Il rédige lui-même le tome consacré à l'histoire de Normandie, lequel est couronné par l'Académie française.
Lorsque survient la Première Guerre mondiale, la collection des Vieilles Provinces de France concourt elle aussi et à sa manière à la campagne de justification du conflit auprès de l'opinion publique. C'est en 1915 en effet que paraît le tome consacré à l'Alsace : Comment l'Alsace est devenue française. Célébré à l'époque comme un monument d'objectivité, ce beau travail d'érudition n'est pourtant pas exempt d'arrière-pensées. Sous couvert d'étude historique, il participe à la propagande en faveur d'une guerre juste qui permettrait à l'Alsace de retrouver sa mère-patrie dont elle n'a que trop longtemps été séparée...
Après l'armistice, Albert-Petit rassemble dans une monumentale étude ses articles parus pendant la guerre dans le Journal des Débats et qui ont trait à la politique intérieure française. Ce recueil, complété par des documents annexes et par un texte de synthèse, est publié en trois tomes et intitulé La France de la Guerre. Mais cet historien éclectique et ami de Camille Jullian s'intéresse également à de plus lointaines périodes et à des régions situées au-delà des limites de l'Hexagone. Dans ce qu'il faut connaître de la Rome antique, paru en 1927, il fait le point sur les dernières découvertes en histoire romaine et, en dressant l'inventaire des fouilles réalisées au cours des cinquante années précédentes, il s'efforce de proposer un tri entre ce qui relève de la légende et ce qui est avéré par des éléments scientifiques. Une fois encore, son travail est couronné par l'Académie française, en 1928.
Au début des années trente, Albert-Petit collabore à l'Histoire de la IIIe République (publiée en 1933), pour laquelle il rédige le chapitre consacré à l'histoire de l'enseignement et de l'Université. A cette époque, il est l'un des historiens les plus en vue de sa génération. Poursuivant ses publications dans diverses revues, il est sollicité pour donner des conférences dans toute la France et en Suisse. L'Académie des sciences morales et politiques lui demande également de prononcer diverses interventions, notamment sur les pratiques pédagogiques, sur la sociologie ou sur le système éducatif français.
Le 9 mars 1935, il fait son entrée solennelle dans cette même académie
ALBERT-THOMAS (Albert Thomas, dit), 1878-1932 : Journaliste et homme politique. Né à Champigny-sur-Marne (Seine-et-Oise), le 16 juin 1878, Albert-Thomas est le fils d’un boulanger. Il fait ses études au lycée Michelet de Vanves et est reçu premier à l’agrégation d’histoire en 1902. Il enseigne quelques années et devient journaliste notamment à L’Humanité et rédacteur en chef de La Revue socialiste.
Conseiller municipal socialiste puis maire de sa ville natale, il est élu député de son parti dans la Seine en 1910 et réélu dans le Tarn en 1919. Albert-Thomas est désigné en mai 1915 par Viviani comme sous-secrétaire d’Etat auprès de Millerand chargé de l’Artillerie et de l’Equipement militaire puis de l’Artillerie et des Muntions dans le cabinet qu’il avait formé l’année précédente (août 1914-octobre 1915). Troisième membre de la SFIO à accéder au gouvernement, c’est dans ce domaine, capital en temps de guerre, qu’il effectue toute sa carrière ministérielle avec le même portefeuille dans le cinquième ministère Briand (octobre 1915-décembre 1916) avant d’être nommé ambassadeur en Russie au début de la révolution auprès des révolutionnaires russes dans l’espoir qu’il parviendrait à les inciter à poursuivre la guerre. Sa politique, partculièrement appréciée à ce sous-secrétariat d’Etat, lui vaut d’être promu ministre de l’Armement et Fabrication de guerre par Briand dans son sixième cabinet (décembre 1916-mars 1917) puis dans le cinquième cabinet Ribot (mars 1917-septembre 1917). Son but est de « rassembler toutes les énergies pour la victoire et d’utiliser au maximum toutes les ressources du pays ». Pour ce faire, il augmente la mobilisation du potentiel industriel et lui procure la main d’œuvre indispensable. Sous son impulsion, un grand nombre de travailleurs coloniaux ou étrangers sont employés dans les usines aux côtés des femmes, dont il favorise le recrutement. Il obtient aussi des sursis d’appel en faveur de certains ouvriers spécialisés. Afin de motiver chacun, il défend la politique des hauts salaires et n’hésite pas à prononcer ses discours juché sur des piles d’obus, de façon à marquer les esprits. Il quitte son poste au moment même ou la SFIO décide de ne plus participer au gouvernement. Chargé d’un secteur difficile et vital, il laisse l’image d’une politique parfaitement organisée et adaptée aux réalités que le conflt imposait.
Enfin, il participe à la conférence de la paix de 1919 et introduit dans la section XIII du Traité de Versailles d’utiles principes sociaux (limitation de la journée de travail, le repos hebdomadaire, la suppression du travail des enfants, etc.) et l’idée d’un Bureau International du Travail placé sous l’égide de la Société des Nations, dont on lui confie naturellement la direction en 1921. S’étant démis de son mandat de député, il se consacre dès lors au BIT. On lui doit divers ouvrages comme Le syndicalisme allemand (1903), La Russie, race colonisatrice (1906) et L’Histoire du Second Empire (1907). Il décède à Paris le 8 mai 1932.
ALBERTIN (Fabien-Joseph), 1879-1950 : Homme politique. Né à Martigues (Bouches-du-Rhône), le 30 novembre 1879, Fabien Albertin est le fils d'un receveur des douanes de Martigues. Il dirige l'Action douanière, milite au Parti socialiste et adhère à la Franc-maçonnerie. Après avoir affronté Paul Painlevé à Paris (Vème arrondissement) en 1914, il se présente dans son département natal et est élu député de la seconde circonscription d'Aix-en-Provence en 1924 et ce, jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. Plus spécialiste des questions financières et douanières que des travaux publics, Fabien Albertin ne fait qu’une courte carrière ministérielle. Il fait partie du gouvernement Paul Reynaud, aux côtés d’Anatole de Monzie, comme sous-secrétaire d'Etat aux Travaux publics et aux Transports, à partir de mars 1940. Il quitte le gouvernement deux mois plus tard à la suite d’une réduction du gouvernement visant à faire face plus efficacement à la mesure d’invasion. Le 10 juillet 1940, il vote les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Il se retire de la vie politique après la Libération et décèdera à Salon-de-Provence (Bouches-du-Rhône), le 7 octobre 1950.
ALDY (Émile-Paul-Félix), 1853-1921 : Magistrat et homme politique. Procureur de la République à Narbonne, il démissionne plutôt que de requérir contre le docteur Ferroul, militant socialiste (1887). Inscrit au barreau, il devient bientôt l’un des avocats les plus cotés de l’Aude. En 1902, il se fait élire député à la place de Ferroul, qui ne se représente pas contre l’ancien ministre Turrel. Il est élu député jusqu’en 1919 et meurt deux ans plus tard, à Narbonne. Précédant de quelques mois dans la tombe son ami Ferroul.
ALEXANDRE (Arsène-Pierre-Urbain), 1859-19 : Critique d’art. Né à Paris en 1859, Arsène Alexandre a collaboré à de nombreux journaux et publié : Henri Daumier (1888) ; A.-L. Barye (1889) ; Histoire de la peinture militaire (1889) ; Histoire de l’art décoratif, du XVIIIe siècle à nos jours (1892) ; l’Art du rire et de la caricature (1893) ; Histoire populaire de la peinture (1895) ; Jean Cariès imagier (1895) ; etc.
ALEXANDRE (André), 1860-1937 : Poète, dramaturge et littérateur. Né à Mommenheim (Alsace) en 1860, André Alexandre a publié deux recueils de vers : la Lande en fleurs et le Sonneur de biniou (1880-1881). Librettiste habile, on lui doit Madame Chrysanthème (1893) ; Brocéliande (1893) ; Evangéline (1895) ; le Spahi (1897), l’Ile du Rêve (1898) ; Rose-Mousse (1904) ; etc. Il a encore écrit pour le théâtre : Sire Olaf, légende (1888), Karadec (1892).
ALEXIS (Paul), 1847-1901 : Ecrivain. Né le 16 juin 1846 à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), Paul Alexis se fixe très tôt à Paris où il rencontre Emile Zola et se montre d’emblée comme l’un des plus fermes tenants du naturalisme. Il débute par une nouvelle intitulée Après la bataille, laquelle figure dans le recueil collectif des six Soirées de Médan (1880). La même année, Alexis publie deux romans : Le Journal de M. Mure et La Fin de Lucie Pellegrin. Adapté pour la scène, ce dernier est joué au Théâtre Libre le 15 juin 1888. En 1885, il publie le Besoin d’aimer et en 1890, Madame Meuriot.
Attiré parallèlement par le théâtre, il écrit plusieurs pièces, seul ou en collaboration. La plus célèbre étant Celle qu’on n’épouse pas, dont la première a lieu au théâtre du Gymnase le 8 septembre 1879, suivi de Monsieur Betzy, pièce en quatre actes, avec O. Méténier (1890 ; la Provinciale, pièce en trois actes, avec Giacosa (1893) ; Comtesse (1897) ; etc. Farouche disciple de Zola, il laisse de lui une belle monographie : Emile Zola, notes d’un ami, avec des vers inédits d’Emile Zola (1882). Il meurt à Levallois-Perret (), le 28 juillet 1901.
LECOMTE (G.) : Une époque littéraire : P. Alexis et le naturalisme, dans la Grande Revue du 15 juillet 1905. FAGUET (É) : Notes sur le théâtre contemporain, 1883.
ALGÉSIRAS (conférence d’) :
TARDIEU (A.) : La conférence d’Algésiras, histoire diplomatique de la crise marocaine (15 janvier-7 avril 1906), Paris, Félix Alcan, 1908.
ALGÉRIE : La Troisième République a hérité en Algérie d’une colonie conquise, mais au régime administratif incertain. La République est proclamée sans troubles graves. La population européenne salue son avènement avec joie. Les indigènes accueillent la nouvelle de la révolution avec une surprise mêlée d'inquiétude. Surtout la nouvelle de la captivité de l'Empereur émeut vivement les grands chefs ; les musulmans incarnent un peuple dans le sultan que Dieu a mis à sa tête; l'Empereur vaincu et prisonnier, c'était pour eux l'anéantissement de la France. Mais bientôt le gouverneur général et les préfets rencontrèrent des difficultés sérieuses, provenant des excitations de la presse, de l'effervescence d'une partie de la population et surtout de l'ingérence des conseils municipaux et des Comités de défense dans leurs attributions administratives. Les Comités de défense étaient issus de l'idée que, par suite de la révolution, tous les pouvoirs anciens étant abolis, le droit d'initiative était ouvert à chacun des citoyens. Ils envoient des délégués à Tours, chargés de presser la substitution du régime civil au régime militaire et de demander que les troupes qui se trouvaient encore en Algérie en soient éloignées.
Ils voyaient partout l'insulte et la menace prodiguées aux officiers français auxquels ils étaient habitués à obéir. Dans les campagnes, les tribus s'armaient, les impôts commençaient à rentrer difficilement, on mettait le bétail à l'abri dans les montagnes. Bientôt, à l'imitation des grandes villes françaises, les indigènes formèrent des chertiya ou conventions pour surveiller leurs caïds.
Pendant ce temps, le gouvernement de Tours ou plutôt l'un de ses membres, Crémieux, élaborait de nombreux décrets destinés à réorganiser et à transformer l'Algérie. Le décret du 24 octobre 1870 bouleverse tout ce qui touchait au gouvernement de l'Algérie. Le gouverneur, le sous-gouverneur, le secrétaire général, le conseil supérieur, le conseil de gouvernement sont supprimés.
La période de troubles qui avait commencé en septembre 1870 prit donc fin en avril 1871 avec l'arrivée de l'amiral de Gueydon. Mais à ce moment, depuis le mois de janvier, l'Algérie était en proie à une très grave insurrection indigène, qui réunissait pour la première fois contre nous les Arabes et les Kabyles, les chefs de l'ancienne aristocratie et ceux des confréries religieuses. Si elle avait éclaté plus tôt, elle nous eût obligés à reconquérir le pays tout entier.
L'insurrection algérienne de 1871 ne fut ni la révolte de l'opprimé contre l'oppresseur, ni la revendication d'une nationalité inexistante, ni une guerre de religion, ni une guerre de race. Elle fut la conséquence de nos luttes politiques et des malheurs de la patrie, dont l'Algérie comme toujours subit le contre-coup. Il n'est pas bon qu'une population conquise voie l'anarchie dans le camp du vainqueur.
Le 18 janvier 1871, le ministère de la Guerre avait donné l'ordre au général Lallemand d'organiser sans délai un régiment de spahis et de l'embarquer pour la France.Les spahis de Bou-Hadjar, du Tarf et d'Aïn-Guettar refusèrent formellement d'obéir à cet ordre. Ceux d'Aïn-Guettar désertèrent, pillèrent et assassinèrent dans les environs de Souk-Ahras, puis attaquèrent la ville, qui fut délivrée par une colonne venue de Bône. Ce foyer éteint, un autre se ralluma à El-Milia ; sans mot d'ordre, sans cause connue, les Kabyles vinrent assiéger le bordj. Un troisième foyer parut à Tébessa ; les Ouled-Khalifa enlevèrent les troupeaux d'un colon, tirèrent des coups de feu sur le commandant supérieur, pillèrent les, environs de Tébessa et cernèrent la ville.
Le mouvement allait devenir beaucoup plus sérieux avec la révolte de Mokrani. L'insurrection avait désormais un chef, se personnifiait dans un homme. Les indigènes aujourd'hui encore appellent l'année 1871 l'année de Mokrani, âm Mokrani.
Bien qu'une tradition sans aucun fondement les rattache aux Montmorency et qu'une autre tradition, qui n'a sans doute pas beaucoup plus de valeur, les fasse descendre de Fathma, fille du Prophète, les Ouled-Mokrani étaient en réalité une famille kabyle installée au quinzième siècle à la Kalaâ des Beni-Abbès ; ils s'étaient constitué une sorte de principauté qui s'étendait de l'Oued-Sahel au Hodna. Au dix-huitième siècle, ils étaient partagés en deux sofs, entre lesquels les Turcs entretenaient soigneusement les divisions. En 1838, Ahmed-el-Mokrani nous avait fait des offres de service; il était devenu un des grands feudataires indigènes créés par Valée dans la province de Constantine et c'est grâce à son concours que l'expédition des Portes-de-Fer avait pu s'effectuer sans encombre en 1839. Il avait vu sa situation diminuée par l'ordonnance du 15 avril 1845 et ce grand vassal était devenu un grand fonctionnaire, officiellement placé sous les ordres du commandant supérieur; il en avait conçu quelque mauvaise humeur. A sa mort, le khalifalik fut supprimé et son fils Mohammed-Mokrani fut nommé bachagha ; peu à peu, on réduisit ses pouvoirs, ses cavaliers, sa part d'impôt, on supprima les touiza ou redevances féodales. Napoléon III avait comblé d'honneurs et de décorations les chefs indigènes
Cependant, par la force des choses, la noblesse féodale s'était peu à peu transformée en une sorte de noblesse de cour et avait perdu avec sa fortune la plupart de ses privilèges. A la suite de l'ordre du jour du 9 mars 1871 condamnant le régime militaire, la démission de Mac-Mahon avait été suivie de celle de Mokrani, qui ne fut pas acceptée. Survint la guerre franco-allemande. Mokrani, à l'époque de la famine de 1868, avait emprunté 350 000 francs pour venir en aide aux indigènes de la région; le gouverneur général lui avait garanti que ces avances lui seraient remboursées, mais cette promesse n'avait pas été tenue. En 1870, la Banque de l'Algérie et la Société Algérienne ayant resserré leur crédit, Mokrani dut consentir une hypothèque générale sur ses biens. Cependant sa situation financière n'était pas obérée d'une manière assez inquiétante pour le pousser à la révolte. Mais le gouvernement civil était l'effroi du bachagha ; ce qu'il voyait, ce qu'il entendait, ce qu'il lisait dans les journaux n'était pas de nature à modifier ses sentiments. Le décret du 24 octobre naturalisant les Israélites ajouta à son amertume : « Je consens, disait-il, à obéir à un soldat, je n'obéirai jamais à un Juif ni à un marchand. » La situation se tendait de plus en plus. On s'efforça de calmer Mokrani sans y parvenir : « Les Français, disait-il, sont bien ingrats et injustes envers ma famille; ils veulent me jeter dans l'insurrection. » Il renouvela sa démission. Le 14 mars, à la Medjana, un conseil de famille fut tenu dans lequel on décida une manifestation armée pour obliger le gouvernement français à compter avec les grands chefs. Le bachagha ne voulait ni massacres ni pillages; il se proposait de bloquer et d'isoler les villes, d'où les Français ne pourraient plus sortir, afin de les contraindre à acheter par des concessions l'alliance des grandes familles : « Je me bats, disait Mokrani, contre les civils, non contre la France ni pour la guerre sainte. »
Le 16 mars 1871, 6 000 indigènes vinrent assiéger Bordj-bou-Arreridj, qui fut pillée et incendiée; la petite garnison retirée dans le fort fut délivrée par une colonne de secours. En même temps, Ahmed-Bou-Mezrag, frère du bachagha, attaquait les caravansérails de l'Ouennougha. Cependant Mokrani restait isolé avec quelques-uns de ses parents et ne réussissait à rallier à sa cause aucun des membres marquants de cette aristocratie indigène dont il s'était constitué le champion.
Sa mort ne modifia pas la situation; son frère Bou-Mezrag, moins intelligent mais plus passionné que lui, lui succéda; la direction appartint désormais aux exaltés qui voulaient prolonger les hostilités. Cependant nos moyens d'action s'organisaient et des renforts arrivaient de France.
Le point important était de débloquer les principales places de la Kabylie du Djurjura ; le centre du pays insurgé une fois dompté, le reste suivrait. La colonne Lallemand délivra Tizi-Ouzou, Dellys et opéra sa jonction avec la colonne Cérez. Toutes deux débloquèrent Fort-National, puis le général Cérez châtia les Beni¬Abbès, pendant que le général Lallemand allait punir Msila et Bou-Saada. Dans la Kabylie des Babors, la colonne Saussier enserrait les rebelles. De tous côtés, les notables se séparaient des insurgés et venaient au camp faire leur soumission. Enfin, le 13 juillet, Cheikh-el-Haddad, porté sur une, civière et suivi d'une longue file de khouans sans armes, vint faire sa soumission avec ses deux fils. Le spectacle fut émouvant; l'âge du vieux cheikh, ses malheurs, sa figure émaciée par toute une vie d'ascétisme et de réclusion, la dignité de son attitude frappèrent les plus sceptiques et les plus indifférents : « Je suis comme un mort entre vos mains », dit-il au général Saussier.
Après la soumission de Cheikh-el-Haddad, la guerre sainte était finie. Il y eut encore un petit mouvement insurrectionnel chez les Beni-Menaceur, qui assiégèrent Cherchel, pillèrent Zurich, Vesoul-Benian et Hammam-Rirha ; ce mouvement fut bientôt étouffé. De juillet à septembre, on eut encore plusieurs combats à livrer dans la Kabylie des Babors. Bou-Mezrag se réfugia chez les Maadid, où il fut défait par le général Saussier. Les Ouled-Mokrani parvinrent à échapper à nos colonnes et trouvèrent des alliés parmi les tribus du Sud, notamment le bandit Bouchoucha, qui avait été maître de Touggourt pendant quelques jours et avait fait massacrer la faible garnison de tirailleurs installée dans cette place. Le général Delacroix, avec une petite colonne, poursuivit les rebelles jusqu'au delà d'Ouargla. Bou¬Mezrag, qui était resté six jours sans boire ni manger, fut ramassé évanoui et sa capture enleva à l'insurrection son dernier drapeau. La cause de l'aristocratie indigène était à jamais perdue. L'insurrection, qui avait débuté le 16 mars 1871 à la Medjana par la révolte du bachagha, se termina le 20 janvier 1872 par l'arrestation de Bou-Mezrag. Bien qu'un tiers seulement de l'Algérie eût participé au mouvement, il y avait eu 800 000 insurgés, fournissant 200 000 combattants.
L'effectif de nos troupes avait été porté à 86 000 hommes, comme au temps des guerres contre Abd-el-Kader ; elles avaient livré 340 combats. Les pertes avaient été faibles : 2 686 morts, dont la moitié avait succombé aux maladies ou à la fatigue. La répression fut très dure, parfois hors de proportion avec les culpabilités et ne s'inspira pas toujours suffisamment des conditions du milieu indigène. On infligea aux rebelles une amende de guerre de 36 millions et demi, on séquestra 446 000 hectares de terres, estimés 18 millions et demi. Les insurgés, après un procès qui dura deux ans, furent jugés par la Cour d'assises, qui prononça des acquittements scandaleux et des condamnations non moins regrettables. Comme le disait M. Lucet, l'insurrection ne constituait pas une série de crimes de droit commun : c'était un fait politique. Cheikh-el-Haddad mourut en prison à Cons¬tantine; Bou-Mezrag, condamné à mort, fut déporté en Nouvelle-Calédonie. La clémence du Président de la République ou la sagesse du gouverneur général accordèrent un certain nombre de grâces et de commutations de peines. La lutte avait ravivé bien des haines. Des actes tels que le massacre de Palestro ne s'oublient pas du jour au lendemain. Quoiqu'elle s'explique par des circonstances tout à fait exceptionnelles, cette insurrection, survenant si longtemps après la conquête proprement dite, apporta dans les relations entre colons et indigènes une animosité et une défiance qui ne s'effacèrent que très lentement.
Les désastres de la guerre, en Algérie comme en France, furent réparés avec une admirable énergie. Le décret du 24 octobre 1870 fut abrogé et le décret du 29 mars 1871 restaura au profit de l'amiral de Gueydon, nommé gouverneur général civil, les pouvoirs du chef de la colonie tels qu'ils existaient depuis 1860; les principales différences consistaient en ce qu'il dépendait du ministre de l'Intérieur et non plus du ministre de la Guerre et avait sous ses ordres le général commandant les forces de terre et de mer.
L'amiral de Gueydon fut choisi par M. Thiers sur les indications de l'amiral Pothuau. Né à Granville en 1809, il appartenait à une famille de marins; il avait été gouverneur de la Martinique de 1853 à 1856 et avait montré dans ces fonctions de remarquables qualités administratives.
Il affirma dès le début sa volonté énergique d'administrer civilement, en s'appuyant sans réserve sur la population civile. Le décret du 7 octobre 1871 reconstitua le Conseil supérieur de l'Algérie; les généraux et les préfets n'y figuraient plus et les colons y étaient en majorité.
L'amiral prépara un projet de loi organique (26 décembre 1871) sur l'organisation municipale, départementale et coloniale; ce projet, qui résume ses idées personnelles en matière d'administration coloniale, dénotait une réelle connaissance des besoins de l'Algérie en même temps qu'un grand sens pratique et beaucoup de largeur de vues. Il prévoyait un Conseil supérieur composé pour un tiers de membres élus par les conseils généraux, pour un tiers de membres élus par les conseils municipaux, pour un tiers de fonctionnaires. Reprenant le projet d'Armand Béhic, il réclamait pour l'Algérie un budget spécial. Il se déclarait partisan d'une extension des attributions des assemblées départementales. Il voulait aussi diviser l'Algérie en cinq départements : ceux de la Seybouse, chef-lieu Bône ; du Rummel, chef-lieu Constantine; du Djurjura, chef-lieu Tizi-Ouzou ; du Chélif, chef-lieu Orléansville ; de l'Habra, chef-lieu Oran. Mais l'amiral n'eut guère le temps de mettre ses idées en pratique; à la chute de M. Thiers, il le suivit dans sa retraite et son administration prit fin dès le mois de juin 1873. « Le malheur de l'Algérie, disait Thiers à ce propos, c'est qu'on mois laisse jamais ceux qui ont eu le temps de l'apprendre et l'intelligence de la comprendre. »
L'œuvre de la colonisation fut reprise avec beaucoup d'activité à partir de 1871.
LA REPRISE DE LA COLONISATION
« Toutes les fermes, écrivait-il quelques mois après, tous les bâtiments, même ceux appartenant à des colons tués par les insurgés, sont relevés et habités. Presque tous les villages ont augmenté d'importance et l'adjonction à leur ancienne population de familles d'émigrants achève de leur donner la solidité qui leur manquait. Tel de ces villages, Palestro par exemple, a presque triplé sa population depuis un an. Partout les travaux considérables auxquels a donné lieu l'emploi des indemnités ont fait renaître la prospérité. » Quant à l'application du séquestre, oeuvre capitale du gouvernement de l'amiral de Gueydon, elle permit d'ajouter environ 500 000 hectares aux 200 000 hectares que possédait encore le domaine. Le gouverneur déclarait sans ambages : « Les biens séquestrés sur les tribus rebelles forment le plus clair de nos ressources pour la création de nouveaux villages ; par le séquestre, l'État se procure immédiatement les ressources territoriales dont il a besoin pour la colonisation. » Ainsi reprend l'œuvre si longtemps abandonnée de la colonisation agricole et du peuplement rural de l'Algérie.
LES ALSACIENS LORRAINS
Avant même la nomination de l'amiral de Gueydon au poste de gouverneur général, la question de la colonisation officielle avait été posée devant l'Assemblée nationale. Dès le 4 mars 1871, sous le coup de l'émotion que provoquait la signature du traité de Francfort, des membres de l'Assemblée avaient proposé « d'attribuer 100 000 hectares des meilleures terres dont l'État disposait en Algérie aux Alsaciens et aux Lorrains habitant les territoires cédés à l'Allemagne, qui voudraient, en gardant la nationalité française, demeurer sur le sol français. »
Prise en considération, cette proposition était devenue la loi du 21 juin 1871; une autre loi du 15 septembre et un décret du 16 octobre 1871 précisèrent ou modifièrent quelques-unes des dispositions primitivement adoptées.
Les 5 000 Alsaciens d'Algérie n'ont pas été inutiles pour maintenir dans la France nouvelle l'équilibre français; grâce à eux, quelque chose des aspects et des usages de l'Alsace revit sur ce sol lointain.
LES AUTRES CONTINGENTS
L'émigration alsacienne-lorraine ne constituait pas, il s'en faut de beaucoup, l'unique source de recrutement de la colonisation officielle. Dans les quatre années 1871-1874, les plus actives de l'œuvre de peuplement, elle ne figure que pour un peu plus de 50 pour 100 dans le total des concessionnaires émigrants et elle diminue très rapidement à partir de cette date. Les nouveaux contingents furent recrutés un peu partout, mais surtout dans les provinces méditerranéennes; leur régime était celui du titre II du décret du 10 octobre 1871 : concession gratuite et obligation de résidence; on les mêla d'ordinaire aux Alsaciens-Lorrains. Une question nouvelle commençait à se poser à cette époque, celle de la part à faire aux Algériens dans les concessions. De 1871 à 1874, ils en reçurent 2 835 contre 2 070 aux immigrants. Il est à la fois utile et juste de donner dans chaque village un certain nombre de concessions à des cultivateurs algériens laborieux et entendus, qui sont un excellent exemple à mettre sous les yeux des nouveaux venus. Mais par contre, ils ne renforcent pas le peuplement de la colonie; leur installation n'est qu'un déplacement.
En deux ans, 1872 et 1873, il n'a pas été créé ou agrandi moins de 84 centres et groupes de fermes. A leur peuplement se joint, sous le régime de l'obligation de résidence, celui des derniers centres créés par le Second Empire et délaissés par les acheteurs. C'est un effort énorme qui surprend et déborde quelque peu le personnel administratif et technique. Il faut ouvrir des chemins d'accès, déterminer l'assiette des villages, assurer leur alimentation en eau potable, effectuer des travaux publics de toutes sortes. Malgré la bonne volonté générale, il arrive parfois que les travaux ne sont pas finis quand les colons arrivent. Les oscillations de la politique de l'Algérie ont trop souvent la même brusquerie que celles de son climat; en 1872 comme en 1845 et en 1848, on avait, semble-t-il, dépassé la mesure de ce que la colonie pouvait absorber comme immigration. On s'en prit à l'amiral de Gueydon des mécomptes éprouvés. Gambetta lui rendait meilleure justice en déclarant que seules les choses faites par lui avaient duré, et un publiciste algérien convenait que le gouverneur qui avait le plus fait pour la colonie avait été précisément celui dont elle attendait le moins. Tel sera aussi le jugement de l'histoire.
LA LOI DE 1873 SUR LA PROPRIÉTÉ INDIGÈNE
La grave question de la législation foncière n'était toujours pas résolue. Le sénatus-consulte de 1863 s'était -proposé de favoriser la colonisation et la mise en valeur de l'Algérie par la constitution de la propriété individuelle chez les indigènes. Mais, sous le Second Empire, on avait seulement délimité les tribus et les douars; nulle part on n'avait entrepris la répartition entre les individus. Après 1871, les idées se modifièrent en cette matière comme dans toutes les autres. On aurait pu revenir au cantonnement, mais on préféra conserver le sénatus-consulte et remettre aux indigènes des titres individuels. Un texte de loi dans ce sens, précédé d'un long et remarquable rapport de M. Warnier, fut présenté à l'Assemblée nationale et adopté par elle. Cette loi, connue sous le nom de loi Warnier, cherche à atteindre la francisation de la terre musulmane et la délivrance aux indigènes après enquête de titres de propriété. On constate la propriété individuelle là où elle existe; on la constitue dans les territoires de propriété collective par des procédures d'enquête générale s'appliquant à tout un douar ou à toute une tribu. Plus tard, une loi de 1887 compléta et améliora la loi de 1873 en conservant le même principe.
Les auteurs de ces lois croyaient de bonne foi qu'ils allaient être les bienfaiteurs des indigènes en les tirant d'un soi-disant collectivisme, agraire pour les élever à la dignité de propriétaires individuels. Les résultats ne répondirent malheureusement pas à ces espérances. Nul essai législatif n'a donné lieu en Algérie à un travail aussi colossal que la loi de 1873, mais nul n'a abouti à un échec plus lamentable. Au point de vue théorique, la loi n'avait pas tenu suffisamment compte du droit musulman. Au point de vue pratique, elle manqua son but, car elle ne donna pas aux Européens la sécurité dans les transactions, ne conduisit pas les indigènes aux bienfaits de la propriété individuelle, mais en revanche les ruina par des aliénations trop faciles et des procédures extrêmement coûteuses. L'application de la loi entraînait en effet des frais énormes : 7 francs par hectare en moyenne pour des terres qui ne valaient pas plus de 20 francs. Pour achever l'exécution de la loi dans les 12 millions d'hectares du Tell, il aurait fallu cinquante ou soixante ans et autant de millions. Surtout, la délivrance des titres facilitait l'expropriation des indigènes par des spéculateurs peu scrupuleux; jusqu'alors, l'état confus de la propriété indigène empêchait les transactions immobilières ; c'était un obstacle fâcheux pour la colonisation, mais en même temps une sécurité pour l'indigène. Avec la loi de 1873, on vit s'abattre sur les douars une nuée d'hommes d'affaires.
La loi de 1873 apparaît comme une manifestation de la politique d'assimilation. On voulait assimiler complètement et rapidement la propriété indigène à la propriété française, sans tenir compte de ce que les conceptions juridiques françaises s'appliquaient très mal à la terre africaine. Tout n'est pas à blâmer dans la loi et les critiques dont elle a été l'objet visent les modalités d'application plutôt que le principe même. Le but qu'elle se proposait : mobiliser la terre indigène et procurer des terres à la colonisation, était excellent, mais les moyens pour y parvenir étaient défectueux; on ne change pas du jour au lendemain toutes les coutumes d'un peuple. Le cantonnement, l'expropriation pour cause d'inculture, une large application de la théorie musulmane d'après laquelle la terre appartient à celui qui la vivifie, auraient sans doute conduit à de meilleurs résultats; ces mesures auraient comporté une part d'arbitraire, mais les indigènes s'y seraient pliés plus facilement et en auraient beaucoup moins souffert que de la plaie des hommes d'affaires.
L'ALGÉRIE DE 1873 A 1881. LE GÉNÉRAL CHANZY (1873-1879)
Après le départ de l'amiral de Gueydon, un décret du 12 juin 1873 nomma le général Chanzy gouverneur général civil de l'Algérie. Le maréchal de Mac-Mahon, Président de la République, était resté au fond partisan du régime militaire. Aussi Chanzy reçut-il le commandement supérieur des forces de terre et de mer, un décret ayant abrogé la disposition du décret du 24 octobre 1870 qui séparait ces fonctions de celles du chef de la colonie. Sauf le mot civil, c'était le rétablissement du gouvernement général tel à peu près qu'il existait avant la guerre entre les mains de Mac-Mahon. Le gouverneur avait sous ses ordres deux hiérarchies distinctes : le directeur des affaires civiles et les préfets d'une part, le chef d'état-major et les généraux de division chargés des territoires militaires d'autre part.
Né en 1823, à Nouart, près de Buzancy, dans les Ardennes, le général Chanzy s'était d'abord engagé à seize ans comme mousse dans la marine; les injures des matelots, les coups de garcette et le mal de mer lui firent prendre le métier en aversion; il s'engagea dans l'artillerie, entra à Saint-Cyr et devint sous-lieutenant de zouaves en 1843. Il servit sans interruption en Algérie de 1843 à 1859 et de 1864 à 1870; sa carrière fut donc essentiellement africaine. Il avait joué un rôle glorieux dans la défense nationale, où il commandait la deuxième armée de la Loire. Élu député des Ardennes, il s'était rallié au gouvernement républicain.
La question fut portée en 1875 à la tribune par Warnier et Jules Favre. L'agitation dura jusqu'au départ du général, dont la situation était devenue de plus en plus fausse. Il refusait cependant de donner sa démission : " Je ne me cramponne pas à mon gouvernement comme à un portefeuille, disait-il, mais, si l'on est mécontent de moi, qu'on me remplace. " On le nomma ambassadeur à Saint-Pétersbourg.
M. ALBERT GRÉVY (1879-1881). LES DÉCRETS DE RATTACHEMENT (1881)
Les journaux étaient unanimes à demander un gouverneur purement civil; divisés sur toutes les questions, ils ne s'accordaient que sur ce point, auquel ils attribuaient un prix certainement exagéré, car la compétence et la capacité importent plus que l'origine et l'uniforme. " Quand je songe, écrivait le comte d'Haussonville, à tant de qualités requises pour se bien acquitter de semblables fonctions, si graves et si délicates, je comprends difficilement la situation d'esprit de ceux pour qui tout se résume dans la question de savoir si le gouverneur général sera un personnage civil ou militaire. J'avoue que cette alternative me laisse passablement indifférent. Que le gouverneur général soit civil ou militaire, il m'importe peu, mais je tiens l'unité de direction pour indispensable, quel que soit l'uniforme, et je veux que là où sera le pouvoir effectif, là aussi se rencontre une responsabilité effective. Que le gouverneur général passe à tort ou à raison pour avoir les sympathies de telle ou telle fraction des partis qui nous divisent, je ne m'en soucie pas davantage. A mon sens, le gouvernement qui servira le mieux les intérêts de l'Algérie sera celui qui s'affranchira le plus complètement dans ses choix de la tendance, si fréquente parmi les souverains du jour, à vouloir avant tout obliger leurs amis du premier degré. "
La question qui avait si longtemps passionné l'opinion en France et en Algérie fut résolue définitivement après le départ de Chanzy en faveur du gouvernement civil.
Les bureaux métropolitains étaient forcément très ignorants des réalités algériennes; la moindre décision à prendre amenait des tiraillements entre les différents ministères. C'est cette situation que décrivait Jules Ferry quelques années plus tard lorsqu'il disait : " Le gouverneur général n'est plus qu'un décor coûteux autant qu'inutile, tout au plus un inspecteur de la colonisation dans le palais d'un roi fainéant. "
M. Albert Grévy ne resta que deux ans en Algérie. L'enthousiasme qui l'avait accueilli à son arrivée ne dura pas longtemps; il fut bientôt taxé d'imprévoyance et d'insuffisance. Cependant, comme le disait M. O. d'Haussonville, une plus grande stabilité des gouverneurs eût été bien désirable : " La durée de la fonction, disait-il, est pour eux une condition de succès; j'ai regretté l'amiral de Gueydon quand il est parti, j'ai regretté après lui le général Chanzy; je suis persuadé, n'en déplaise à ses détracteurs, que M. Albert Grévy valait mieux comme administrateur au moment de son départ que le jour de son arrivée. "
LA COLONISATION
Le grand effort de la colonisation commencé sous Gueydon se continua sous Chanzy. Tous les ans, un programme de colonisation était dressé; Chanzy tenait la main à ce que les conditions de résidence fussent effectivement remplies et allait parfois sur place s'en assurer lui-même : " L'État, disait-il, n'a que des ressources limitées, il ne faut donner la terre qu'à ceux qui veulent l'exploiter sérieusement. "
Le décret du 30 septembre 1878, qui devait régir pendant plus de vingt-cinq ans la colonisation algérienne, substitua, à la location conditionnelle sous promesse de propriété définitive au bout de cinq ans de résidence, la concession gratuite attributive de propriété sous condition suspensive. Pour les lots de village, la résidence personnelle était obligatoire pendant cinq ans; le titre définitif pouvait être attribué après trois ans, à condition pour l'attributaire de justifier d'une dépense moyenne de 100 francs par hectare. Ainsi, c'était le système de la résidence obligatoire, base de toute colonisation de peuplement, qui persistait; il n'était possible de s'en décharger que pour les lots de ferme, mais en se substituant un autre colon français et en assumant des obligations précises de mise en valeur. Ces dispositions étaient assez heureuses. Le décret de 1878 fut moins bien inspiré en réduisant à une surface uniforme de 40 hectares l'étendue des concessions et en faisant de la concession gratuite l'unique procédé de colonisation. La conception générale, inspirée par la volonté de réagir contre les grandes concessions du Second Empire, était très juste, mais elle manquait de souplesse.
Au total, 1 375 kilomètres de voies ferrées sont ouverts au trafic en 1881, au lieu de 513 kilomètres en 1871. Le réseau des routes se développe, divers barrages sont construits, notamment celui de Perrégaux. Le commerce s'accroît dans des proportions très notables.
LA PÉRIODE DES RATTACHEMENTS. M. TIRMAN (1881-1891)
M. Albert Grévy eut pour successeur M. Tirman, auquel Gambetta confia le gouvernement général de l'Algérie en novembre 1881. Né à Mézières en 1837, il avait été préfet des Ardennes, du Puy-de-Dôme, des Bouches-du-Rhône, puis conseiller d'État. C'était un homme calme et pondéré, un esprit fin et souple, un administrateur compétent et avisé. Il s'occupa avec beaucoup de sollicitude des intérêts de l'Algérie.Le gouvernement de M. Tirman correspond à l'apogée du système des rattachements. L'essai de ce système ne pouvait être plus loyalement tenté que par ce fonctionnaire distingué et discipliné, et s'il avait dû réussir, nul mieux que lui n'était capable d'en assurer le succès. Le droit de décision lui échappant dans la plupart des cas, il lui fallait chaque jour persuader au gouvernement, assiégé d'affaires pressantes et vivant dans le tumulte et la fièvre des partis, sollicité par mille intérêts parfois contradictoires, de prêter un peu de son attention, de son crédit, de ses finances à une oeuvre lointaine. Il arrivait que les décisions se faisaient attendre, que les solutions demeuraient en suspens : jamais M. Tirman ne se décourageait; il recommençait son plaidoyer et il mettait à défendre la cause de l'Algérie tant de conviction, de chaleur et d'habileté, qu'il finissait souvent par arracher aux ministres les décisions nécessaires.
Jamais la centralisation n'avait connu de plus beaux jours.
La magique vertu du droit commun devait précipiter la fusion des races, façonner à notre empreinte des millions d'hommes. Le système des rattachements avait la prétention de réaliser l'assimilation administrative alors que l'assimilation n'était faite ni au point de vue social, ni au point de vue politique, ni au point de vue économique : " L'assimilation, dit M. Jonnart, c'est le but suprême de nos efforts, le souhait patriotique que nous formons, mais ce n'est malheureusement pas un fait accompli; il est puéril de prendre ses espérances pour des réalités et, au point de vue de la politique générale de notre pays, de ses finances, de la sécurité nationale, cela n'est pas sans danger. "
Les auteurs des décrets de 1881 avaient cédé à de généreuses illusions et à d'anciens souvenirs. Sous l'Empire, la théorie de l'assimilation était invoquée par les colons qui revendiquaient les franchises politiques et déclaraient que, la période héroïque étant terminée, le moment était venu d'inaugurer en Algérie le régime civil. Déjà à cette époque, M. Armand Béhic avait très bien vu que l'autonomie financière était un bien meilleur moyen de leur donner satisfaction. Les Algériens et avec eux tous les hommes politiques soucieux de l'avenir de l'Afrique du Nord n'allaient pas tarder à partager cette manière de voir.
LES TRAVAUX PUBLICS ET LA COLONISATION
M. Tirman dut se borner à développer, autant que les faibles moyens dont il disposait le lui permettaient, les travaux publics et la colonisation.
Pendant cette période, le premier réseau de chemins de fer s'achève. En 1886, la ligne d'Alger à Constantine est terminée et la grande artère parallèle à la côte prévue par le décret de 1857 est solennellement inaugurée en avril 1887. Puis c'est le tour des lignes de Ménerville à Tizi-Ouzou (1888), de Beni-Mansour à Bougie (1889), de Constantine à Biskra (1888), de Souk-Ahras à Tébessa (1888). Dans l'Algérie occidentale, les lignes d'Arzew à Aïn-Sefra (1887), de Mostaganem à Tiaret (1889), de Bel-Abbès à Tlemcen (1890) sont ouvertes au trafic. Au total, le réseau des chemins de fer algériens passe de 1 373 kilomètres en 1881 à 2 861 kilomètres en 1891; il a plus que doublé et on devine quelle impulsion cette construction a dû donner à l'Algérie, désormais pourvue de ses grands organes de circulation.
L'effort considérable accompli de 1871 à 1881 n'avait pas été sans absorber de grandes quantités de terres; 400 000 hectares avaient été consacrés à la colonisation et les réserves domaniales commençaient à s'épuiser.
La vente de lots de villages, tentée dans quelques centres, ne donna pas de bons résultats non plus au point de vue du peuplement; les lots furent achetés par des Algériens et demeurèrent la plupart du temps cultivés par des indigènes. La majorité des villages continua d'ailleurs à être allotie en vue de la concession gratuite, au moyen des quelques ressources que fournissaient encore les terrains domaniaux ou séquestrés; il devenait difficile de compléter les périmètres, les indigènes en général se refusant désormais à vendre leurs terres.
Dans la décade de 1881-1891, il a été formé ou agrandi de 107 périmètres; 2 846 concessions et 360 lots de ferme ont absorbé près de 176 000 hectares; il a été en outre constitué 338 lots industriels. La population rurale européenne passe de 146 000 à 199 000, soit une augmentation de 36 pour 100. La population française s'élève de 195 000 à 268 000, la population étrangère de 181 000 à 233 000 ; cette dernière commence à être décimée par la naturalisation automatique, en vertu de la loi du 26 juin 1889. Auparavant, en vertu de l'article 9 du Code civil, l'étranger né en France devenait Français si, dans l'année de sa majorité, il réclamait cette qualité; la loi de 1889 a renversé les termes de l'option : elle présume, chez celui qui ne déclare pas une intention contraire, la volonté de devenir Français. Jusqu'en 1889, les Français et les étrangers d'origine européenne se faisaient à peu près équilibre en Algérie; depuis lors, la colonie étrangère diminue et le groupe français s'accroît de plus en plus ; mais il ne faut pas être dupe des apparences : c'est la législation, non la situation démographique qui s'est modifiée.
LA CRÉATION DU VIGNOBLE
Le grand événement économique de cette époque, c'est la constitution du vignoble algérien. Son développement, dû à l'invasion phylloxérique en France, eut pour la colonisation de l'Algérie des conséquences extrêmement importantes. Le phylloxéra a provoqué une émigration des paysans de la France méridionale et en même temps l'Algérie a trouvé dans la vigne une culture industrielle parfaitement adaptée à son climat, permettant au petit colon de vivre sur une concession d'étendue restreinte, au grand colon pourvu d'un outillage perfectionné de réaliser des bénéfices considérables. La production du vin dans la métropole étant devenue insuffisante pour les besoins de la consommation et du commerce d'exportation, l'Algérie est venue combler le déficit de la production métropolitaine. Le mouvement de plantation a été surtout intense de 1880 à 1888; de 23 000 hectares en 1880, on passe à 103 000 hectares en 1888; la progression continue ensuite, mais devient moins rapide.
La création du vignoble est le plus grand fait de toute l'histoire économique de l'Algérie et marque un tournant décisif. Les efforts des services officiels pour encourager la colonisation sont peu de chose à côté de l'attrait qu'exerce sur les hommes et les capitaux une culture vraiment rémunératrice. " Il suffit d'une plante, disait La Bourdonnais, pour faire la richesse d'une nation. " Cette plante, l'Algérie l'avait vainement cherchée depuis 1830; elle avait cru, vers 1855, la trouver dans le coton; elle la rencontrait enfin dans la vigne, " la plus française de toutes les cultures ", a dit Jules Ferry. La vigne a puissamment contribué à la colonisation de l'Algérie; elle a enrichi les villes et les campagnes, rendu la confiance aux sceptiques. A sa suite, d'autres cultures se sont développées ou perfectionnées, d'autres éléments de richesse se sont révélés. Mais c'est la vigne qui a été le point de départ et qui a déclenché la prospérité algérienne.
L'ÉTABLISSEMENT DU PROTECTORAT FRANÇAIS EN TUNISIE
En 1881 se produisit un événement considérable de notre histoire coloniale, événement décisif pour l'avenir de la France dans l'Afrique du Nord. Par le traité de Kasr-Saïd (12 mai 1880), la France établissait son protectorat sur la Tunisie. Notre intervention avait eu des causes multiples; une incursion de Khroumirs, tribu de la frontière tunisienne, contribua à la déterminer. Mais la raison profonde était la nécessité absolue d'éviter le partage de l'Afrique du Nord entre plusieurs puissances européennes, d'étayer l'Algérie sur le protectorat tunisien. " La question tunisienne, disait Jules Ferry, est aussi vieille que la question algérienne. Ce territoire est, dans toute l'acception du terme, la clef de notre maison. " C'est notre oeuvre algérienne, poursuivie à travers tant de vicissitudes, au prix de si lourds sacrifices, qui nous donnait sur les pays voisins une sorte de droit de préemption et devait nous conduire à Fès en 1912 comme elle nous avait amenés à Tunis en 1881.
En revanche, la rapidité de la mise en valeur de la Tunisie, due en grande partie à la liberté qui lui était laissée, notamment en matière de travaux publics, ne fut pas sans faire réfléchir beaucoup d'hommes politiques sur les inconvénients des méthodes algériennes et contribua à la réaction contre les rattachements.
LA PÉNÉTRATION SAHARIENNE
L'idée de rendre effective la jonction entre l'Afrique du. Nord et l'Afrique occidentale par un chemin de fer est fort ancienne. Elle prit corps en 1879 avec les plaidoyers enflammés de l'ingénieur Duponchel. Une Commission fut nommée par M. de Freycinet, sous la présidence de M. E. Picard, pour étudier la question. Le résultat des études de cette Commission fut l'envoi d'importantes missions scientifiques au Sahara, les missions Pouyanne, Choizy et Flatters. La première étudia le Sud-Oranais, la seconde la région entre Laghouat et Ouargla ; la troisième devait rechercher un tracé aboutissant au Soudan entre le Niger et le Tchad.
La majorité de la Commission s'était montrée absolument opposée à toute expédition affectant une allure militaire et il avait été convenu que l'escorte serait purement indigène; quelques membres cependant s'étaient élevés contre cette manière de faire :" On dit, s'écria l'un d'eux, qu'on veut être pacifique: n'est pas pacifique qui veut. A quoi bon se faire assassiner pacifiquement? 150 ou 200 soldats aguerris, partie français, partie tirailleurs algériens, peuvent affronter l'attaque des plus fortes bandes sahariennes. Si l'instant n'est pas venu d'agir ainsi, continuons à laisser les explorateurs isolés se lancer à leurs risques et périls et plutôt que de faire les choses à demi, remettons à plus tard la grande et sérieuse entreprise. " On ne l'écouta pas. Le colonel Flatters, ancien commandant supérieur du cercle de Laghouat, connaissait bien les questions sahariennes, mais il était violent et impulsif. Dans un premier voyage, en 1880, il s'avança jusqu'au lac Menkhough ; il dut revenir sur ses pas en présence du mauvais vouloir des Touaregs et de son personnel indigène. Malheureusement, il ne voulut convenir ni vis-à-vis de lui-même, ni vis-à-vis des autres, que sa retraite avait été forcée et non volontaire.
UNE nouvelle période, celle de la renaissance coloniale de la France, commence avec la dernière décade du dix-neuvième siècle. En moins d'un quart de siècle, avec une remarquable continuité de desseins, un vaste empire d'outre-mer, dont l'Algérie sera la pièce maîtresse, va se constituer. Dès 1881, l'établissement du protectorat français en Tunisie avait modifié à notre avantage, d'une manière capitale, la situation de la France dans l'Afrique du Nord et dans la Méditerranée.
D'autre part, la convention de 1890, comme le remarque M. Jules Cambon, donnait un rôle nouveau au gouverneur général de l'Algérie. Il lui appartenait de tenir compte des nécessités qu'imposaient à notre pays les droits qui lui avaient été reconnus en Afrique. La politique
saharienne de l'Algérie était liée désormais à la politique extérieure de la France.
C'est pendant cette période et plus précisément de 1896 à 1902 que l'Algérie a reçu son organisation administrative actuelle. Après tant d'hésitations, d'essais souvent malheureux, on s'est arrêté à la solution d'une large décentralisation administrative, permettant à l'Algérie de s'intéresser à la gestion de ses propres affaires et de les diriger elle-même dans une assez large mesure, sous le contrôle de la métropole. Dans cette même période a été inaugurée une politique indigène nouvelle, plus libérale et plus généreuse. Enfin, l'Algérie, dont le développement avait été fort lent dans les périodes précédentes, a pris un essor économique merveilleux.
M. JULES CAMBON (1891-1897)
Il est assez malaisé de juger équitablement les événements et les hommes trop rapprochés de nous et de les mettre à leur vraie place. Le recul manque pour apprécier les faits qui n'ont pas encore produit toutes leurs conséquences. L'histoire ne dispose ni de documents d'archives, ni de mémoires privés. On peut bien cependant, sans crainte de se tromper, dire que l'Algérie a eu la bonne fortune, en quelques années, de rencontrer quatre grands gouverneurs généraux, dont le rôle a été considérable.
Ce sont MM. Jules Cambon, Laferrière, Révoil et Jonnart. Très différents de tempérament et de formation intellectuelle, ils ont travaillé avec la même ardeur à la même oeuvre : la création de l'Algérie nouvelle. Ils ont trouvé dans l'administration algérienne des collaborateurs remarquables; il serait injuste de ne pas rappeler ici, entre bien d'autres, les noms de M. Boulogne, le conseiller toujours judicieux et toujours écouté des gouverneurs pendant près de trente-cinq ans, de M. Luciani, directeur des affaires indigènes, de M. de Peyerimhoff et de M. Brunel, directeurs de l'agriculture et de la colonisation. Parmi les hommes qui honorent le plus notre temps et notre pays, il faut faire figurer MM. Paul et Jules Cambon. Unis par une fraternelle amitié, leur carrière offre un remarquable parallélisme. Issus l'un et l'autre de l'administration préfectorale, ils ont occupé les grandes ambassades de Londres et de Berlin à une époque des plus critiques, celle qui a précédé la guerre européenne et y ont montré des qualités éminentes. L'un et l'autre ont joué un grand rôle dans l'Afrique du Nord; M. Paul Cambon a organisé le protectorat tunisien, M. Jules Cambon a marqué sa place - une des premières - dans l'histoire de l'Algérie.
Né à Paris en 1845, M. Jules Cambon, élevé dans un milieu très cultivé et très libéral, se lia d'amitié avec Jules Ferry et les autres membres de l'opposition de la fin du Second Empire. Il fit la guerre de 1870 comme officier de mobiles, fut attaché au cabinet de Jules Simon en 1871, puis au gouvernement de l'Algérie en 1874; le général Chanzy, alors gouverneur général, voulant le mettre à même de bien connaître l'administration de la colonie, le fit passer successivement par tous les bureaux. Nommé préfet de Constantine en 1878, puis préfet de Lille et de Lyon, il fut appelé en avril 1891 par M. Constans au gouvernement général de l'Algérie. Il y demeura près de sept ans. En ce qui concerne l'organisation de l'Algérie, la politique indigène, la politique saharienne, il a préparé les solutions qui ont prévalu quelques années plus tard. Sa rare intelligence, sa connaissance des hommes, sa clairvoyance, sa finesse lui ont permis de faire triompher ses vues, qui étaient celles du bon sens et du patriotisme.
Il a déblayé le terrain pour ses successeurs, rendu possibles les réformes ultérieures en restituant au gouverneur général sa légitime autorité.
M. Tirman avait très bien aperçu les inconvénients du système des rattachements; M. Jules Cambon les éprouva plus vivement encore et résolut d'y mettre un terme. La population civile se sentait capable de prendre une part. active à la vie de la colonie; des jeunes gens nés sur son sol, et qui avaient un sens aigu de la personnalité de l'Algérie, souhaitaient que des libertés locales leur permissent d'exercer leur activité politique. Cependant la France, qui se lassait des sacrifices pécuniaires qu'elle consentait, hésitait encore à attribuer à l'Algérie une autonomie financière même partielle et limitée.
LES RAPPORTS DE BURDEAU ET DE JONNART
De remarquables rapports parlementaires, celui de Burdeau en 1891, celui de Jonnart en 1892, attirèrent l'attention sur la situation de l'Algérie, dont ils firent une étude très complète. Burdeau constatait que les crédits accordés à la colonie, après s'être élevés de 23 millions à 41 millions entre 1871 et 1884, étaient restés stationnaires à partir de cette date ou avaient même diminué. Il se demandait quel était le sens de cette stagnation. Ou bien le Parlement avait des doutes sur l'efficacité des sacrifices déjà faits, ou bien il considérait l'Algérie comme suffisamment pourvue des services et des travaux publics dont elle avait besoin, ou bien enfin il estimait que ce pays devait poursuivre sa croissance, que son budget devait se développer, mais qu'il devait y parvenir sans surcharger la métropole et en faisant appel à ses propres ressources. Dressant le bilan de la situation économique, administrative et sociale, il montrait que les deux premières hypothèses devaient être écartées
« Il faut, disait-il, que désormais à de nouvelles dépenses algériennes correspondent de nouvelles ressources algériennes. » Il concluait qu'avec une administration bien recrutée, instruite de la langue et des choses du pays, fortement contrôlée de France, rendue enfin indépendante des mauvais politiciens, l'avenir de la colonie était désormais assuré; que l'heure était venue où la colonisation en Algérie allait cesser d'être une entreprise plus souvent patriotique que profitable, et que le pays donnait tous les signes de vigueur et de rapide croissance auxquels on reconnaît les colonies approchant de l'âge adulte. L'opinion de Burdeau cependant n'était pas favorable au budget spécial, qui, disait-il, ne créerait pas de ressources nouvelles et engagerait prématurément l'Algérie dans la voie des emprunts; il proposait une simple unification des dépenses et des recettes permettant au Parlement de suivre désor¬mais avec plus de clarté le mouvement financier de la colonie.
Chemin faisant, Burdeau critiquait assez vivement les méthodes de la colonisation officielle, le réseau ferré de l'Algérie et la manière dont il avait été conçu, l'administration des indigènes. Ces critiques furent reprises et accentuées l'année sui vante par M. Jonnart dans un rapport non moins célèbre. Il insistait sur la nécessité de maintenir et de fortifier le gouvernement général, indispensable pour imprimer à l'organisme algérien une impulsion d'ensemble et pour être l'arbitre du conflit d'intérêts qui met fatalement aux prises la colonisation européenne avec les usages et les droits des indigènes. Il établissait fortement les périls de l'assimilation administrative et de la centralisation exagérée; il dénonçait les inconvénients graves de l'organisation départementale et communale, servilement copiée sur l'organisation métropolitaine; il critiquait non moins sévèrement que Burdeau le régime des chemins de fer. La politique indigène retenait particulièrement son attention :
« C'est notre devoir, disait-il, de prendre souci de l'amélioration du sort des indigènes, de les amener progressivement dans la grande famille française et, si la fusion reste une chimère, d'opérer la réconciliation des deux races. C'est notre devoir et c'est aussi notre intérêt : si nous voulons asseoir notre conquête d'Algérie sur une base indestructible et préparer le succès de nos entreprises dans le centre africain, il est indispensable que nous nous rattachions les musulmans algériens par des liens moins fragiles que ceux qui aujourd'hui les retiennent sous notre domination. »
LA COMMISSION DES XVIII ET LA RÉACTION CONTRE LES RATTACHEMENTS
A la suite de l'ordre du jour du 6 mars 1891, clôturant une interpellation développée par MM. Dide et Pauliat, le Sénat avait décidé la nomination d'une Commission de dix-huit membres chargée de rechercher, de concert avec le gouvernement, les modifications qu'il y avait lieu d'introduire dans la législation et dans l'organisation des divers services de l'Algérie.
La Commission des XVIII eut la bonne fortune d'avoir à sa tête Jules Ferry, qui lui consacra ce qui lui restait de force et de vie. L'homme d'État éminent auquel la France doit la Tunisie, l'Indo-Chine et Madagascar, l'initiateur et fondateur de notre nouvel empire colonial, se devait à lui-même de s'occuper de l'Algérie. « Il a été, dit M. Émile Combes, l'âme de la Commission, il lui a tracé le programme de ses travaux avec une sûreté de vues qui l'a préservée des tâtonnements et des écarts. Si quelques personnes ont pu craindre tout d'abord qu'il ne sût pas maîtriser assez vigoureusement la fougue de son caractère, nous qui l'avons vu à l'œuvre, nous lui devons ce témoignage qu'il n'a jamais abondé complètement dans des idées personnelles et qu'il s'est éclairé constamment par la discussion comme un homme qui n'a pas de parti pris. Quand il présidait la Commission de l'Algérie, Jules Ferry était sorti de la période militante, ne nourrissant plus, du moins en apparence, le regret d'avoir perdu le pouvoir, ni le désir de le reprendre, uniquement soucieux de sa mission parlementaire et ne gardant de sa carrière d'homme d'État que l'expérience des hommes et des choses. Appliquée à l'Algérie, cette expérience se résumait dans la conviction que l'avenir de ce pays était indissolublement subordonné à un changement de système. » L'œuvre de la Commission fut fort importante. Après avoir arrêté son programme, elle recueillit à Paris d'intéressants témoignages, réunis dans les procès-verbaux de ses séances. En mai et juin 1892, une délégation dirigée par Jules Ferry et composée de MM. Guichard, Labiche, Reymond, Isaac, Dide et Combes poursuivit en Algérie même une enquête sérieuse, interrogeant les colons et les indigènes. La Commission s'était tracé un programme assez vaste pour embrasser l'universalité des intérêts algériens. Son but était d'ailleurs moins de rédiger des projets de lois que de recueillir des témoignages, d'analyser des documents et de dégager des conclusions générales.
De 1892 à 1896 furent publiés une série de rapports, dont quelques-uns sont tout à fait remarquables : celui de Jules Ferry sur l'organisation et les attributions du gouverneur général, celui de Clamageran sur le régime fiscal, celui de Jean Guichard sur le régime forestier, celui de Franck¬Chauveau sur la propriété foncière, celui d'Émile Labiche sur la colonisation, celui d'Isaac sur la justice française et musulmane, celui de Jean Dupuy sur les offices ministériels, ceux d'Émile Combes sur l'instruction primaire des indigènes et sur les médersas.
Appelé à prendre part en qualité de commissaire du gouvernement à la discussion des rapports de la Commission sénatoriale, M. Jules Cambon fit connaître son avis sur les divers problèmes qui se posaient et formula sur certains points des réserves que la haute assemblée prit en considération et dont elle tint compte dans la rédaction des ordres du jour et des projets de résolution.
Le Conseil supérieur étudia toute une série de projets organiques sur les questions qu'avait abordées la Commission sénatoriale, en particulier un projet de Code forestier destiné à mettre la loi en accord avec les mœurs des populations, un projet sur la colonisation qui devait permettre de livrer de nouveaux espaces au peuplement européen, un projet contre l'usure.
M. Cambon eut l'occasion également de préparer un projet de budget spécial et de Conseil colonial dont on s'inspira quelques années plus tard.
Le rapport de Jules Ferry, qui fut son testament politique, est demeuré célèbre dans les annales parlementaires; l'élévation des idées, la vigueur du style en font une des pages les plus éloquentes qu'on ait écrites sur l'Algérie. Le système des rattachements y était condamné dans les termes les plus énergiques : « Les inspirateurs des décrets de 1881, disait Jules Ferry, se proposaient un double but améliorer les services, annihiler ou du moins réduire l'autorité du gouverneur général. De ce programme, la seconde partie seule a été réalisée, au grand détriment des affaires elles-mêmes. Au lieu de concentrer à Alger entre les mains d'un grand fonctionnaire, investi de grands pouvoirs, la décision du plus grand nombre des affaires, on l'a éparpillée à Paris entre neuf ministères. Mais les colonies, pas plus que les batailles, ne se commandent de loin, dans les bureaux d'un ministère. »
Le rapport de Jules Ferry fut discuté par le Sénat le 30 mai 1893; M. Jules Cambon intervint dans la discussion, renouvela les observations qu'il avait déjà présentées en 1891 devant la Commission, fit connaître ses vues sur le rôle du gouverneur général et sur l'organisation administrative de l'Algérie. Il montra combien était important le rôle du gouverneur, chargé d'administrer la population civile, de développer la colonisation, de veiller avec sollicitude sur les intérêts des indigènes dont il doit se considérer comme le représentant et le défenseur : « De la définition du rôle du gouverneur général, dit-il, résulte la définition même de ses attributions; son action est complexe; en même temps, elle doit être une action unique, car c'est le même homme qui peut tenir seul la balance entre les intérêts de la colonisation française et les intérêts de la population indigène dont il a seul la charge... En Algérie, la France se trouve en présence d'éléments de population divers, se distinguant les uns des autres, tenant à se distinguer, qui continueront de vivre sans mêler ni leurs idées, ni leurs sentiments intimes. Ne cherchez point à doter ce pays d'institutions qui se heurtent aux traditions du passé. Donnez-lui au contraire une administration capable de pénétrer la complexité de l'œuvre qui lui est confiée, munie de pouvoirs qui lui permettront de tenir compte d'intérêts en apparence opposés et d'approprier son action à la nature diverse des hommes et des choses. »
Le Sénat adopta les conclusions du rapport de Jules Ferry, aux termes d'un ordre du jour constatant l'accord du gouvernement et de la Commission sur la nécessité de rapporter les décrets de rattachement et de fortifier les pouvoirs du gouverneur général.
Quelques années plus tard, la Chambre des députés fut saisie de la même question par une interpellation de M. Fleury-Ravarin. Les séances des 8, 9 et 10 novembre 1896 furent consacrées à cette interpellation; l'Assemblée entendit successivement MM. Fleury-Ravarin, Forcioli, Samary, Thomson, Étienne, Viviani, Barthou, ministre de l'Intérieur du cabinet Méline, Bourlier. Les orateurs furent unanimes à faire le procès des rattachements; en même temps qu'ils estimaient que les pouvoirs du gouverneur général devaient être renforcés, ils demandaient comme contre-partie l'institution d'un contrôle sous la forme d'un conseil colonial élu. M. Jules Cambon, commissaire du gouvernement, parla le dernier. Il cita un certain nombre d'exemples topiques qui montraient les inconvénients et même les dangers du système de 1881 :
« Je crois, dit-il, que ce que demande M. Fleury¬Ravarin et ce que je demande moi-même est une chose bien simple et qui ne constitue pas une tyrannie bien lourde; je demande que les attributions qui sont aujourd'hui exercées à Paris, sous le contrôle du ministre, par des directeurs généraux, par des chefs de division et par des chefs de bureaux, soient exercées à Alger par le gouverneur général. Je ne vois pas en quoi l'exercice de ces attributions pèsera plus lourdement sur les populations et en quoi elles seront changées dans leur essence parce qu'elles seront remises aux mains du gouverneur général au lieu d'être laissées à des chefs de bureau et à des chefs de division... Ce que nous demandons, ce que nous croyons nécessaire, c'est de fortifier l'autorité de celui qui représente en Algérie la République et le gouvernement. Mais lorsque nous vous deman¬dons de fortifier cette autorité - j'insiste pour écarter complètement une objection qui a couru la presse - nous vous disons aussi : mettez à côté d'elle un contrôle plus fort, plus sérieux que celui qui existe; dotez l'Algérie d'un Conseil élu, chargé uniquement des affaires coloniales, des affaires locales, dans lequel vous ferez entrer les représentants élus des colons et ceux des indigènes eux-mêmes. »
L'ordre du jour motivé qui clôtura l'interpellation déclarait que la Chambre, approuvant les efforts faits depuis quelques années pour rétablir l'ordre dans l'administration algérienne, convaincue que le système des rattachements édicté par les décrets du 26 août 1881 constituait un obstacle au bon fonctionnement des services publics en Algérie et à la réalisation des réformes, invitait le gouvernement : 1° à rapporter immédiatement ces décrets et à réorganiser la haute administration de la colonie; 2° à déposer sans retard un projet de loi, tant pour constituer le contrôle de l'administration de la colonie que pour régler la composition et le fonctionnement du Conseil supérieur. »
LE DÉCRET DE 1896
A la suite de ces résolutions, un décret du 31 décembre 1896, abrogeant les décrets de 1881, conféra au gouverneur des pouvoirs propres, qu'une formule générale définissait en ces termes : « Le gouverneur général centralise sous son autorité le gouvernement et la haute administration de l'Algérie. » Le décret précisait ensuite les attributions conférées au gouverneur au point de vue militaire et diplomatique, au point de vue administratif et au point de vue budgétaire. Tous les services civils de l'Algérie étaient placés sous sa direction, à l'exception des services non-musulmans de la justice et des cultes, de l'instruction publique, des services de la trésorerie et des douanes. Le décret de 1896 rendit à peu près au gouverneur les pouvoirs qu'il avait en 1860 après la suppression du ministère de l'Algérie. M. Jules Cambon avait réussi à reconquérir l'indépendance de son administration, suivant la ligne de conduite qui lui avait été inspirée par Jules Ferry. Le gouverneur redevenait vraiment le chef de l'administration algérienne. Ce résultat n'avait pas été obtenu sans peine ni sans résistances, car il menaçait certains intérêts, à vrai dire peu respectables. Sous le régime des rattachements, l'Algérie, gouvernée en théorie de Paris, l'était en réalité par quelques partisans qui menaient facilement les bureaux métropolitains, ignorants des réalités du milieu. « Ceux qui tenaient pour les rattachements, dit Robert de Caix, craignaient non pas de voir l'Algérie devenir moins française, mais de la voir devenir moins politicienne. » Le décret de 1896 était la première victoire remportée sur le régime des rattachements, le point de départ essentiel de toute réforme. Dès lors, tout s'enchaîne logiquement; dans les années qui vont suivre, l'Algérie sera dotée d'une assemblée appelée à délibérer sur son budget, elle recevra son autonomie financière, les territoires du Sud seront pourvus d'une organisation appropriée. Les successeurs de M. Cambon vont compléter son oeuvre et marcher résolument dans la voie qu'il a tracée.
M. LÉPINE (1897-98) - LES TROUBLES ANTISÉMITIQUES
Le choix du gouvernement pour la succession de M. Cambon s'était d'abord porté sur M. Lozé, qui n'accepta pas et c'est M. Lépine qui fut nommé le 1er octobre 1897. On a dit de lui qu'il était un homme brave et un brave homme; payant de sa personne, plein de sang-froid au milieu du danger, il s'était fait par ces qualités une popularité parmi les Parisiens comme préfet de police. Mais il était peu préparé aux fonctions de gouverneur général de l'Algérie, qu'il n'avait pas sollicitées et qu'il ne conserva que quelques mois.
Un certain malaise continuait à peser sur l'Algérie; il se traduisait par des émeutes antijuives. Les causes de cette agitation étaient multiples : causes politiques, sociales, économiques. Il n'y avait là ni question de race, ni question de religion. Les Algériens détestent surtout dans l'Israélite le concurrent commercial ; une question électorale venait envenimer les choses et c'est de préoccupations électorales que s'inspiraient avant tout les campagnes antijuives qui ont été menées à diverses reprises en Algérie. Le droit de vote reconnu aux Israélites leur donnait en certains cas, le corps électoral étant fort peu nombreux, une influence prépondérante; on s'efforçait de les mêler aux luttes des partis et leurs défenseurs leur nuisaient souvent autant que leurs adversaires. Ce n'étaient pas seulement les juifs qui pesaient lourdement dans la balance électorale; la loi de 1898 sur la naturalisation accordait le droit de cité à un grand nombre d'étrangers, Espagnols surtout, comme le décret de 1871 l'avait accordé aux Israélites; les deux éléments, encore incomplètement fusionnés, s'opposaient l'un à l'autre. Tandis que les uns dénonçaient le « péril juif », les autres signalaient le « péril étranger », et montraient les dangers de l'afflux trop rapide dans les cadres électoraux d'hommes que la loi avait déclarés Français avant qu'ils eussent acquis la mentalité française.
Les naturalisés, les Néo-Français comme on les appelait à cette époque, ont incontestablement joué un grand rôle dans le mouvement antijuif. Depuis 1871, la question juive n'avait pas cessé d'avoir en Algérie un caractère aigu. Des troubles antisémitiques s'étaient produits à Alger en 1871, à Tlemcen, Constantine, Sétif, Batna vers 1875-78; à Alger, Constantine, Oran, Mostaganem en 1897.
En janvier 1898, sous les excitations d'une presse extrêmement violente, des émeutes antijuives éclatèrent dans différentes villes de l'Algérie; les désordres eurent un caractère particulièrement sérieux à Alger, où, sous la conduite d'un jeune agitateur, Max Régis, les émeutiers pillèrent et saccagèrent les boutiques, se ruant à l'assaut des magasins israélites. Régis devenu maire, Drumont élu député, étaient l'objet d'un véritable culte; l'anarchie menaçait; la vie économique était suspendue. M. Lépine, qui avait essayé de tenir tête courageusement, comme il avait coutume de le faire à Paris, se heurta à une foule hurlante.
M LAFERRIÈRE (1898-1900)
LA CRÉATION DES DÉLÉGATIONS FINANCIÈRES ET LA RÉORGANISATION DU CONSEIL SUPÉRIEUR
M. Laferrière, vice-président du Conseil d'État, remplaça M. Lépine en juillet 1898. Jurisconsulte éminent, homme grave et pondéré, il ne se contenta pas de réprimer l'émeute; il voulut en prévenir le retour en faisant les réformes nécessaires. Il rétablit l'ordre dans la rue, dans l'administration, dans les attributions et le fonctionnement des corps administratifs. Le maire antisémite d'Alger, Max Régis, fut suspendu; un « préfet à poigne », M. Lutaud, fut nommé. Mais M. Laferrière eut le grand mérite de comprendre que des mesures de répression ne suffisaient pas et que, pour atteindre le mal dans ses racines, pour détourner les Algériens des agitations stériles de la rue, il fallait donner un élément à leur activité. Il obtint du gouvernement les décrets du 23 août 1898, qui sont une sorte de constitution de l'Algérie.
Le premier de ces décrets, relatif aux attributions du gouverneur général, reproduisait le décret de 1896 et modifiait quelques-unes de ses dispositions pour fortifier et préciser les pouvoirs du gouverneur général. Un second décret créait, sous le nom de Délégations financières algériennes, une assemblée élective nouvelle, qui a pour but d'apporter au gouvernement général de l'Algérie le concours d'opinions libres, d'avis éclairés et de vœux réfléchis, émis par des représentants directs des contribuables algériens sur toutes les questions d'impôts et de taxes assimilées. Cette assemblée se compose de trois délégations; celle des colons (24 membres) représente les intérêts de la colonisation et de l'agriculture; celle des non-colons (24 membres) représente les intérêts des commerçants, des industriels, des ouvriers; celle des indigènes (21 membres, dont 6 forment la section kabyle) représente les intérêts de la population indigène. Les Délégations délibèrent d'abord séparément, puis se réunissent en séance plénière pour le vote du budget. Corrélativement, le corps électoral, au lieu de former une masse unique, est divisé en plusieurs groupes nommant chacun une délégation. Il faut, pour être électeur aux Délégations financières, avoir vingt-cinq ans d'âge, être Français depuis douze ans au moins et résider en Algérie depuis trois ans au moins. Quant à la délégation indigène, le décret de 1898 la faisait élire par les indigènes figurant dans les conseils municipaux des communes de plein exercice ou dans les commissions municipales des communes mixtes. Un troisième décret réorganisait le Conseil supérieur en y introduisant jusqu'à concurrence de plus de moitié (31 membres sur 60) des éléments électifs issus des Délégations financières et des Conseils généraux. Ces deux assemblées devaient être purement consultatives jusqu'à l'institution du budget spécial de l'Algérie.
Les Délégations financières reposent sur le principe de la représentation des intérêts. Elles constituent un mécanisme fort ingénieux, tel qu'on pouvait l'attendre de la science juridique de M. Laferrière et on ne peut leur reprocher qu'une excessive complication : complication voulue d'ailleurs et destinée à empêcher les écarts auxquels peut se livrer une assemblée unique et homogène. L'âge de l'électorat fixé à vingt-cinq ans, la naturalisation depuis douze ans étaient des précautions prises pour empêcher l'afflux trop rapide des Néo-Français.
Les assemblées algériennes ressemblent à première vue aux deux Chambres d'un Parlement. Mais elles n'ont en réalité ni pouvoir législatif, ni autorité souveraine. Elles ont un rôle prépondérant dans l'élaboration du budget, qu'elles votent sous réserve d'homologation par décret rendu en Conseil d'État et d'approbation par le Parlement. Toute modification au régime fiscal de l'Algérie doit être voté par elles. Ce sont elles également qui votent les emprunts et autorisent le gouverneur à accorder des concessions de chemins de fer. Mais en dehors du budget, dont l'examen leur incombe, elles ne peuvent qu'émettre des vœux et donner des avis; dans la pensée de leur créateur, elles rappelleraient donc plutôt les Conseils généraux des colonies.
La première session des Délégations financières s'ouvrit à Alger en décembre 1898 : « Je confie à votre sagesse et à votre patriotisme, disait M. Laferrière, cette institution nouvelle. Je vous la remets comme on remet au colon une terre pleine de sève, mais qui a besoin, pour devenir féconde, du travail et de la calme persévérance de celui qui la détient. » A l'ouverture de la deuxième session, en novembre 1899, M. Laferrière indiquait très bien dans quel esprit les Délégations financières avaient été conçues : « L'avenir, disait-il, ne dépend pas de l'action que la population algérienne s'efforcerait d'exercer sur les destinées de la métropole en fournissant un modique appoint aux partis qui aspirent à les diriger; il dépend de l'action que l'Algérie peut exercer sur ses propres destinées, d'un effort fraternel de tous ses enfants vers un même but, qui est la création d'un self-government non politique assurément, mais économique et social. » Ces sages conseils furent entendus et les Délégations financières, comme on le verra, ne déçurent pas les espérances de leur fondateur.
De cruelles épreuves privées - la perte d'un fils - le souci de sa propre santé très ébranlée amenèrent M. Laferrière à résigner ses fonctions en octobre 1900 ; il fut nommé procureur général à la Cour de cassation et mourut l'année suivante. Il était venu en Algérie à une époque bien tardive de sa carrière et de son existence ; soucieux de ses responsabilités, il n'était pas sans montrer quelque inquiétude sur ce terrain nouveau pour lui.
Si bref qu'ait été son séjour, son oeuvre est considérable; sans parler de la question du Touat, dont il sera parlé plus loin, il avait, par son tact et sa fermeté, rétabli l'ordre matériel et amené les Algériens à une vue plus calme et plus raisonnable des choses. Par la création des Délégations financières, il avait contribué puissamment à l'évolution qui éloignait l'Algérie du système de l'assimilation, injuste pour les indigènes et démoralisateur pour les Français. Il avait compris qu'au moment où l'Algérie devenait majeure, il fallait se livrer à un délicat travail d'équilibre et légiférer pour chacun des groupes ethniques qui s'y coudoient sans se confondre. Il avait préparé la solution du problème qui consistait à donner à ce pays la disposition de ses deniers sans rien sacrifier des droits imprescriptibles de la mère-patrie, traduit en formules vivantes et précises les aspirations et les espérances de l'Algérie, marqué d'une empreinte ineffaçable son passage à la tête des affaires de notre grande colonie
M. JONNART (1900-1901) ET LE BUDGET SPÉCIAL
C'est M. Jonnart qui fut appelé à la succession de M. Laferrière ; son premier gouvernement ne dura que quelques mois (octobre 1900-mai 1901) ; comme son prédécesseur, il dut abandonner sa tâche pour des raisons de famille et de santé. Mais il devait revenir à deux reprises au gouvernement général, de 1903 à 1911 et de 1918 à 1919.
Nul n'a accompli en Algérie une oeuvre plus considérable que celle de M. Jonnart et n'y a laissé des traces plus durables. Né à Fléchin (Pas-de-Calais) en 1857, il descendait d'une vieille famille d'agriculteurs de la région. Il avait vingt-quatre ans lorsqu'en 1881 M. Tirman, appelé au gouvernement général de l'Algérie par Gambetta, le choisit comme chef de cabinet. De 1885 à 1889, il fut chef des services de l'Algérie au ministère de l'Intérieur. Élu député en 1889, il fut dès 1893 appelé à faire partie du ministère Casimir-Périer comme ministre des Travaux publics. Au Parlement, il ne cessa de se préoccuper des questions algériennes; sa parfaite connaissance des hommes et des choses de notre colonie lui permit de rédiger son rapport de 1892 et lorsque, en 1900, Waldeck-Rousseau lui confia le gouvernement général, il lui fut donné d'appliquer le programme qu'il avait lui-même tracé.
M. Jonnart est, de tous les gouverneurs de l'Algérie, celui qui l'a le plus aimée. Au cours d'une carrière exceptionnellement brillante, il a occupé avec distinction les postes les plus considérables. Mais c'est dans sa carrière africaine qu'il trouva l'emploi le plus fécond de ses hautes qualités; c'est la partie de son oeuvre à laquelle lui-même, non sans raison, attachait le plus de prix.
« Nous savons, lui dit un jour un homme politique anglais, que vous avez été plusieurs fois ministre; mais beaucoup d'hommes en France ont été ministres dont les noms sont ignorés ou oubliés; celui que nous honorons en vous, c'est le grand proconsul, le grand gouverneur de l'Algérie. »
C'est en effet dans ces fonctions, avec lesquelles il s'était en quelque sorte identifié, que M. Jonnart donna vraiment sa mesure. L'Algérie n'était pas pour lui comme pour tant d'autres une étape à franchir plus ou moins rapidement; elle fut vraiment le centre de sa carrière et de ses préoccupations. C'était un homme d'un commerce sûr, une intelligence et un cœur d'une noblesse parfaite. Ce grand bourgeois, d'abord assez froid, mais qui savait être séduisant lorsqu'il le voulait, jouissait en Algérie d'une véritable popularité, aussi bien parmi les colons que parmi les indigènes; il pouvait tout obtenir d'eux. Peu d'hommes ont contribué autant que lui à la création d'une France nouvelle au delà de la Méditerranée, une des plus grandes oeuvres, la plus féconde peut-être, dont s'honore notre pays depuis un demi-siècle.
M. Jonnart s'était proposé avant tout de faire aboutir le budget spécial. Les pouvoirs les plus forts donnés au gouverneur, le plus large crédit consenti aux assemblées locales sont peu de chose pour le développement d'une colonie si elle n'a pas son budget ou si ce budget est consenti loin d'elle, sous des influences et des nécessités qui lui sont étrangères. Seule, la décentralisation budgétaire peut apporter à ceux qui administrent ou représentent un pays neuf ces deux facteurs essentiels du progrès : l'esprit d'initiative et l'esprit d'économie.
En octobre 1900, dans les conversations qui précédèrent sa nomination, M. Jonnart était intervenu personnellement auprès de Waldeck-Rousseau et l'avait converti à l'idée du budget spécial, dont Rouvier, ministre des Finances, ne voulait pas. Dans les premiers rapports qu'il adressa au président du Conseil, le gouverneur expliqua que les promoteurs du mouvement antijuif n'auraient jamais constitué une opposition redoutable s'ils n'avaient trouvé un terrain propice à leur propagande, une Algérie en plein malaise de croissance nerveuse, souffrant d'un régime administratif incohérent et trop souvent infécond, que les critiques du Parlement et les avertissements si pressants de M. Jules Cambon avaient à peine ébranlé. « Les peuples, disait M. Jonnart, sont comme les individus. Plus ils sont jeunes, ardents, débordants de vie, plus il faut les occuper. Il faut se garder de les abandonner au désœuvrement de leurs pensées et aux fantaisies de leur imagination. »
La loi du 19 décembre 1900, votée presque sans discussion sur un rapport de M. André Berthelot, conféra à l'Algérie la personnalité civile et lui donna un budget spécial. « On s'accorde aujourd'hui, disait l'exposé des motifs, à ne plus considérer l'Algérie comme un simple prolongement de la France continentale.
Sa situation géographique et plus encore sa formation ethnique et son développement économique lui donnent une personnalité propre. Si la solidarité nationale et politique qui l'unit à la mère-patrie ne doit pas en être affaiblie, du moins y a-t-il lieu d'en tenir compte dans l'organisation de son régime financier. » La loi laissait à la charge de la métropole les dépenses de la guerre, de la marine, des pensions et la garantie d'intérêts des chemins de fer jusqu'en 1926. En ce qui concerne les recettes, le principe de l'intégralité budgétaire s'appliquait plus complètement que pour les dépenses ; l'ensemble des recettes effectuées en Algérie, qui étaient perçues antérieurement au profit du Trésor, figurait désormais au budget algérien.
La difficulté était, tout en conférant à la colonie l'autonomie financière, de conserver à l'État un contrôle suffisant. Dans ce but, les dépenses laissées à la charge de l'Algérie sont divisées en dépenses obligatoires et dépenses facultatives; pour ces dernières, la latitude des assemblées algériennes est entière, sauf en ce qui concerne les dépenses de personnel, pour lesquelles le gouverneur seul peut proposer des augmentations. C'est le gouverneur qui établit le projet de budget, que discutent et votent ensuite les Délégations financières et le Conseil supérieur. Les dépenses sont autorisées par un décret rendu en Conseil d'État, la perception des droits, produits et revenus par une loi. La métropole conserve donc un contrôle et un droit de regard sur le budget algérien.
Une loi devait statuer sur l'organisation et les attributions du Conseil supérieur et des Délégations financières, qui, en attendant, continueraient à être régies par les décrets de 1898.
La loi de 1900 est un acte marquant dans l'histoire de l'Algérie. Les hommes d'État qui l'ont fait voter ont compris que ce pays ne pouvait se développer et se fortifier dans les liens qui l'enserraient, qui faisaient dépendre chacun de ses mouvements d'impulsions lointaines et diverses. Alors que tout le monde reconnaissait que l'essor de la colonie et le souci de son avenir nécessitaient de sérieux efforts, la majeure partie du produit des taxes nouvelles et le bénéfice des excédents de recettes lui échappaient. Le budget spécial mit fin à cette situation.
L 'AFFAIRE DE MARGUERITTE
M. Laferrière avait attiré l'attention sur les graves inconvénients des actes de désordre dans une colonie dont la population n'était pas entièrement française. Les événements ne devaient pas tarder à lui donner raison. Le 26 avril 1901, le village de Margueritte, situé à 9 kilomètres de Miliana, était assailli par une bande d'insurgés appartenant à la tribu des Rirhas ; l'instigateur du mouvement était un certain Yacoub, employé d'un colon européen, qui se découvrit tout à coup une vocation de prophète et d'illuminé; les indigènes donnèrent aux Européens qu'ils rencontrèrent le choix entre la conversion à l'islam et la mort; ceux qui consentirent à coiffer la chéchia et à prononcer la profession de foi musulmane furent épargnés. Une compagnie de tirailleurs, envoyée de Miliana, mit bientôt fin aux exploits de ces fanatiques; cinq Européens et seize indigènes avaient été tués.
L'affaire de Margueritte, peu importante en elle-même, était grave comme symptôme. Elle montrait que la mentalité des indigènes n'avait guère changé et qu'ils étaient encore disposés à suivre le premier agitateur qui se présenterait. Elle prouvait que les querelles des Européens sont pour les indigènes un fâcheux exemple et que les Français d'Algérie, de même qu'en 1871, avaient été imprudents en agis¬sant comme s'ils n'étaient pas entourés d'une population musulmane dix fois plus nombreuse qu'eux. Elle témoignait, comme les troubles antijuifs eux-mêmes, des inconvénients de l'incohérence administrative, conséquence du système des rattachements. Elle nous avertissait enfin que nous avions trop perdu de vue le problème indigène, trop négligé nos devoirs de surveillance et de tutelle.
M. RÉVOIL (1901-1903). LES TERRITOIRES DU SUD
M. Jonnart, en donnant sa démission au bout de quelques mois, exprimait l'espoir que son programme continuerait à être appliqué et que son successeur travaillerait, comme il l'avait fait lui-même, à la fusion plus intime des races et à l'essor de l'Algérie.
Cet espoir ne fut pas déçu. M. Révoil, ministre de la France au Maroc, qui fut choisi pour le remplacer, était un diplomate accompli, un esprit souple et ingénieux qui excellait à résoudre les difficultés sans les heurter de front. Lettré et artiste, il séduisait tous ses interlocuteurs par le charme qui émanait de sa personne et de sa conversation. Cet homme si doux et si paisible fut d'ailleurs en matière administrative le plus audacieux de tous les gouverneurs. Il poursuivit à la fois le développement économique et l'union morale de la colonie.
Comme ses prédécesseurs, il s'efforça, non sans succès, de détourner les Algériens des agitations de la rue pour les orienter vers la solution des problèmes économiques en même temps qu'il achevait la réorganisation administrative.
M. Révoil n'avait pas accepté sans hésitation le gouvernement général. Mais le ministre insista pour que la direction des affaires algériennes fût confiée à l'homme qui avait si habilement conduit les affaires marocaines, qui connaissait les populations musulmanes pour avoir longtemps vécu parmi elles à Tunis et à Tanger, qui avait su donner à notre politique envers l'islam une direction ferme et rationnelle. La nomination de M. Révoil témoignait de l'unité que nous voulions donner à notre politique dans l'Afrique du Nord; il allait appliquer ses talents, qui étaient de premier ordre, à la solution des questions qui se posaient sur nos frontières sahariennes et marocaines.
Dès l'instant que la France entendait avoir une politique saharienne, il était nécessaire de tracer une limite entre le pays méditerranéen et les immensités désertiques. On ne pouvait pas prolonger indéfiniment vers le Sud les trois divisions algériennes et il fallait substituer une impulsion d'ensemble à leurs vues mal coordonnées et divergentes.
Il importait d'appliquer dans ces régions pauvres et vides des méthodes d'administration moins pesantes et moins coûteuses que celle de l'Algérie du Nord.
Enfin la colonie, pourvue d'un budget spécial, ne pouvait ni ne voulait s'imposer la charge purement impériale de la pénétration saharienne, il fallait réagir contre la tendance des conseils généraux et des assemblées algériennes à employer dans le Tell, dans les régions de colonisation, les maigres ressources fournies par le Sud. La loi du 4 décembre 1902 créa les nouveaux territoires et le décret du 30 décembre 1903 détermina les conditions du fonctionnement de leur budget. De ces textes est issue une colonie nouvelle, dotée de la personnalité civile, pouvant posséder des biens, concéder des chemins de fer, contracter des emprunts, tout à fait distincte en un mot de l'Algérie du Nord, à laquelle elle n'est reliée que par une sorte d'union personnelle, la communauté du chef, et par un petit nombre d'insti¬tutions communes. Les territoires du Sud sont placés sous l'autorité immédiate du gouverneur général, qui y exerce toutes les attributions qui lui ont été dévolues dans l'Algérie du Nord et en outre toutes celles qu'y exercent les préfets. Chargé d'assurer la défense de ces régions et d'y maintenir l'ordre, il dispose des troupes qui y sont stationnées, sauf à ne pas les faire sortir de leur circonscription sans autorisation préalable et à rendre compte au gouvernement des mouvements qu'il ordonne. Une direction spéciale, confiée à un fonctionnaire désigné par décret, est chargée au gouvernement général de tout ce qui concerne l'administration et le contrôle de ces territoires.
La limite entre l'Algérie du Nord et les territoires du Sud a été fixée par la loi de 1902, qui a partagé en deux les hauts-plateaux, englobant dans les territoires du Sud, pour des raisons d'équilibre financier, la partie méridionale des anciens territoires militaires. La colonie comprend quatre territoires, dont les limites et les chefs-lieux ont varié à différentes reprises. A la tête de chaque territoire, un commandant militaire, nommé par décret, dirige à la fois les services militaires et administratifs. Les territoires sont divisés en cercles et annexes, dont l'administration est confiée aux officiers du service des affaires indigènes. C'est en somme, à peu de chose près, le régime des anciens territoires de commandement de l'Algérie.
Il semblait que la nouvelle organisation dût avoir pour corollaire la suppression des départements ou tout au moins des budgets départementaux. M. Jonnart avait demandé cette suppression dès 1892 et une Commission des réformes administratives, instituée par M. Révoil en novembre 1901, avait conclu dans le même sens. Les départements algériens et leur organisation, d'un parallélisme aussi rigoureux qu'absurde avec celle des départements métropolitains, étaient un legs de la période d'assimilation; ils ne semblaient pas devoir résister au jeu naturel de l'autonomie algérienne. En 1902, M. Bertrand, président des Délégations financières, qui jouissait d'une grande autorité dans cette assemblée, y fit le procès des départements; il leur reprocha d'entretenir l'esprit de sofs et les rivalités locales, de faire obstacle aux plans d'ensemble en matière de travaux publics, chaque département voulant avoir le même nombre de kilomètres de routes et de chemins de fer, la même part dans les dépenses hydrauliques, etc.
Mais il n'obtint pas gain de cause. Ni M. Jonnart, ni M. Révoil ne réussirent à obtenir une refonte complète de l'organisation départementale et communale, que l'un et l'autre estimaient désirable.
A l'arrivée de M. Révoil, deux décrets du 27 juin 1901 avaient de nouveau étendu les pouvoirs du gouverneur, détaché deux nouveaux services, ceux des douanes et des forêts, et soumis le personnel de ces administrations au contrôle du chef de la colonie. M. Révoil fit adopter non sans peine par les assemblées algériennes un premier projet d'emprunt de 50 millions; les délégués financiers, qui n'avaient encore délibéré que sur un seul budget, celui de 1901, étaient incertains de la solidité de leurs ressources permanentes et hésitaient à s'engager dans la voie des emprunts; il fallut toute l'insistance, toute la force de persuasion, toute la confiance dans l'avenir du gouverneur pour leur faire accepter ce premier et timide effort. Sur ces 50 millions, 30 millions étaient réservés à l'exécution de travaux hydrauliques, de routes et de ports. Le Parlement autorisa l'emprunt par la loi du avril 1902.
LA RÉFORME JUDICIAIRE ET LES TRIBUNAUX RÉPRESSIFS
Dès 1891, la Commission sénatoriale réclamait pour les indigènes une justice plus prompte, plus expéditive, mieux appropriée à leurs besoins. Jusqu'en 1902, la justice répressive vis-à-vis des indigènes était exercée par les juridictions de droit commun : justices de paix, tribunaux correctionnels, cours d'assises siégeant avec l'assistance du jury. Visiblement, l'appareil compliqué de notre justice crimi¬nelle était assez mal adapté aux mœurs des indigènes, qui ne comprenaient rien aux formalités et aux lenteurs de notre procédure et contribuait à entretenir la plaie de l'insécurité. M. Révoil attacha son nom à la création de deux juridictions nouvelles les tribunaux répressifs et les cours criminelles. Les tribunaux répressifs, créés par un décret du 29 mars 1902, remplacèrent pour les indigènes les tribunaux de première instance comme juridiction correctionnelle; ils se composaient du juge de paix président et de deux assesseurs, un Français et un indigène, nommés pour un an par le gouverneur général; les fonctions de ministère public étaient remplies par un administrateur ou un administrateur-adjoint. Les cours criminelles, créées par la loi du 30 décembre 1902, furent substituées à la cour d'assises pour les crimes commis par les indigènes ; elles comprenaient trois magistrats, deux assesseurs-jurés français et deux assesseurs-jurés musulmans. Ces deux juridictions furent vivement critiquées. On prétendit qu'elles constituaient un défi aux principes les moins discutables de notre droit public; les tribunaux répressifs surtout furent qualifiés « d'odieux et de monstrueux »; on déclara que c'était là une « justice à la turque » ; on se plaignit de l'attribution du rôle de ministère public aux administrateurs, de la suppression du droit d'appel, de la citation verbale.
M. Albin Rozet se fit à la tribune de la Chambre l'écho de ces critiques. Les réclamations à vrai dire ne venaient pas seulement d'honorables scrupules juridiques; elles émanaient pour une bonne part des agents d'affaires qui regrettaient de voir une justice simple et peu coûteuse se substituer à celle dont ils avaient si bien su profiter. L'institution, peut-être critiquable au point de vue du droit, avait le mérite d'être adaptée aux réalités et aux nécessités algériennes, de procurer une justice plus prompte, plus rapprochée du justiciable. Le garde des sceaux promit d'apporter aux tribunaux répressifs quelques retouches, qui rendirent leur fonctionnement plus satisfaisant.
LA DÉMISSION DE M. RÉVOIL ET LE VOYAGE DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
Victime d'incidents de politique intérieure et de basses compétitions, M. Révoil se vit obligé, le 11 avril 1903, de donner sa démission. Il abandonnait, contraint et forcé, l'œuvre à laquelle il avait consacré son ardeur et sacrifié une partie de sa santé. Indépendamment des causes particulières qui avaient provoqué son départ, M. Révoil s'était évidemment heurté à une opposition tenace et secrète contre les nouvelles institutions algériennes. Après avoir fait du gouverneur général un très haut personnage de l'État, on le brisait comme un fonctionnaire subalterne.
L'émotion fut très vive en Algérie, où M. Révoil s'était rendu populaire par son dévouement aux intérêts algériens, l'aménité de son caractère et la cordialité de ses relations. Le départ du gouverneur général était d'autant plus regrettable qu'il se produisait à la veille du voyage du Président de la République, M. Loubet. En accueillant le chef de l'État, M. Bertrand ne cacha pas les sentiments de l'Algérie pour son gouverneur : « M. Révoil, dit-il, qui avait donné tant de preuves de dévouement à la cause des colons et des indigènes, qui avait su grouper toutes les énergies dans un même effort pour la prospérité de l'Algérie, dont le zèle était inlassable, après les témoignages unanimes de confiance qu'il avait reçus de tous les points de la colonie, après nous avoir en dernier lieu vaillamment et avec succès défendus devant la Chambre, vient de résigner ses fonctions dans des conditions particulièrement inattendues. Nous aurions voulu pouvoir l'acclamer à vos côtés. Nous avons le devoir, au début de ce voyage, après vous avoir souhaité la plus cordiale bienvenue, d'adresser à M. Révoil, avec nos remerciements émus, l'expression de nos plus vifs regrets. "
Le voyage du Président Loubet dura du 15 au 26 avril. L'Espagne, l'Italie, la Russie et la Grande-Bretagne envoyèrent des navires de guerre le saluer à Alger. " J'apporte ici, déclara M. Loubet, avec la sollicitude cordiale de la mère-patrie pour ses enfants, le désir d'étudier sur place la situation et les intérêts d'un admirable pays, où nous poursuivons un idéal à la fois économique et moral, et où l'exercice de la liberté doit être concilié avec ses responsabilités et ses devoirs. " M. Loubet recommanda l'union de tous les Français d'Afrique, l'apaisement et la concorde entre tous les peuples et toutes les races. Il constata que les discordes étaient beaucoup plus superficielles de près qu'elles ne le paraissaient de loin et que le prétendu antagonisme entre les colons et les indigènes n'existait en aucune façon. Le 21 avril, une magnifique revue fut passée au Khreider en présence du Président, dont le voyage contribua au rétablissement du calme dans la colonie. Quelques jours après, M. Jonnart était nommé gouverneur général et reprenait l'œuvre que son état de santé ne lui avait pas permis d'achever en 1900. Il allait, cette fois, passer près de neuf années au gouvernement général et mettre fin à la regrettable précarité qui avait caractérisé les gouverneurs généraux depuis le départ de M. Cambon.
L'évolution politique commencée en 1896 est à ce moment achevée. Ses principales étapes avaient été la restauration des pouvoirs du gouverneur en 1896, la création des Délégations financières en 1898, l'institution du budget spécial en 1900, l'organisation des territoires du Sud en 1902. Ces divers actes ont donné à l'Algérie sa constitution nouvelle telle qu'elle existe aujourd'hui. Les solutions adoptées tenaient compte des deux éléments du problème, les Européens et les indigènes; ils conciliaient la liberté nécessaire à la colonie avec le contrôle non moins nécessaire de la métropole. On renonçait définitivement aux erreurs de l'assimilation aussi bien qu'à celles du royaume arabe.
LE SECOND GOUVERNEMENT DE M. JONNART (1903-1911)
Cette nouvelle constitution algérienne, c'est à M. Jonnart qu'il allait appartenir de la faire fonctionner et d'en tirer le meilleur parti. La colonie était à l'âge critique; devant elle se dressaient les questions économiques, financières et sociales les plus graves et les plus complexes. Comme lors de son premier gouvernement, M. Jonnart s'appliqua à détourner les Algériens des querelles stériles; il s'efforça de les intéresser à leurs affaires, de donner un aliment à leur activité, d'élargir leur horizon, de leur inculquer le sentiment des réalités et des responsabilités.
Le budget spécial a été l'instrument d'indéniables progrès. Qu'il s'agit de colonisation, d'enseignement public, des oeuvres de prévoyance, d'assistance et d'hygiène, de la conservation et de l'exploitation des forêts, de l'organisation des territoires du Sud, de l'exécution dans le Nord comme dans le Sud d'importants travaux publics, le nouveau régime de décentralisation provoqua d'heureuses initiatives et des solutions fécondes. Maîtresse de son budget, l'Algérie pouvait désormais en toute sécurité procéder à l'inventaire de ses ressources et de ses besoins, formuler un programme d'ensemble, escompter l'avenir, coordonner et sérier ses efforts et ses sacrifices.
Les assemblées algériennes montrèrent une prudence et une sagesse exemplaires. " Nous ignorions, dit M. Jonnart, les délégués financiers et moi, cette grande politique qui consiste à se dresser de mutuelles embûches pour épuiser le meilleur de son temps en vaines querelles et en débats stériles ; nous nous complaisions dans cette pauvre petite politique bien modeste et peu bruyante qui consistait à nous rapprocher et à nous donner la main, à rechercher consciencieusement ensemble les meilleures solutions, à associer nos faibles lumières et nos bonnes volontés, à sacrifier au besoin quelques-unes de nos vues à l'intérêt général et surtout au désir de concorde. Nous estimions que le bruit ne fait pas de bien et que le bien ne fait pas de bruit. Divisés, nous eussions été impuissants; c'est seulement en restant unis, groupés, étroitement associés, que nous avions quelque chance d'assurer le succès de nos démarches, de protéger et de défendre utilement l'Algérie. Nous devions rester unis pour favoriser l'épanouissement de toutes les forces vives de ce pays, de toutes ses énergies latentes et pour justifier la confiance et les espérances de la mère-patrie. "
La principale préoccupation des assemblées algériennes fut de doter l'Algérie d'un budget sincère et solide; leur gestion fut ordonnée, méthodique, prudente; cette oeuvre leur faisait d'autant plus honneur qu'elle se poursuivait au milieu de réelles difficultés économiques, notamment de graves crises viticoles. Les forces contributives d'un pays en formation, où il y avait peu de richesse acquise, où le sort de beaucoup de colons restait précaire, exigeaient de grands ménagements. En dix ans, le budget spécial fut aménagé, affermi, consolidé. La dotation annuelle des divers services fut augmentée; un fonds de réserve, formé pour la majeure partie de plus-values budgétaires, fut constitué. Un vaste programme de travaux publics fut mis sur pied, comportant la construction de 1 000 kilomètres de chemins de fer, d'un important réseau de routes nationales, l'amélioration des ports, l'exécution de travaux hydrauliques.
De nouveaux centres furent créés, les anciens centres améliorés, les richesses forestières largement exploitées, un effort énorme consenti en faveur de l'enseignement tant européen qu'indigène, l'assistance publique et l'hygiène développées.
L'emprunt était le seul moyen d'exécuter les travaux publics indispensables, tout en faisant porter une partie de la charge sur les générations futures, appelées à en bénéficier plus encore que les générations actuelles.
Dès 1906, il était de toute évidence que tous les travaux portés sur la liste de 1902 ne pouvaient être exécutés avec la somme de 50 millions et que beaucoup d'autres ouvrages, non inscrits sur la liste, devaient être entrepris. Une somme de 300 millions n'eût pas été exagérée pour faire face aux améliorations prévues; mais, pour tenir compte des facultés des services et des disponibilités du budget, on s'arrêta pour le nouvel emprunt au chiffre de 175 millions; cet emprunt fut autorisé par la loi du 28 février 1908.
Sur le total, plus de 96 millions étaient destinés aux chemins de fer, dont 72 millions pour la construction de lignes nouvelles, le surplus étant attribué à l'amélioration des lignes déjà existantes, 32 millions aux routes, 16 millions aux travaux maritimes.
Ce programme de travaux publics était le plus vaste que l'Algérie eût jamais entrevu. Or la mise en valeur de l'Algérie était avant tout une question de travaux publics; M. Jonnart, qui avait été en 1893 ministre des Travaux publics, voulut le redevenir au delà de la Méditerranée; il s'efforça d'améliorer l'outillage indispensable au développement du pays, de donner aux Algériens plus de routes et plus de chemins de fer, un meilleur régime des transports, des ports agrandis et mieux aménagés.
Non seulement l'Algérie n'avait pas assez de chemins de fer, mais ceux qui existaient ne rendaient pas les services qu'on était en droit d'en attendre. Il importait de construire des lignes nouvelles, mais il fallait avant tout tirer meilleur parti des lignes anciennes.
Le gouverneur général réclama tout d'abord une modification à la loi de 1900 en ce qui concernait le régime des chemins de fer. Au système du paiement successif par la métropole et par la colonie des charges de la garantie d'intérêts, la loi du 23 juillet 1904 substitua le système du paiement simultané; la participation de la métropole devait diminuer progressivement et celle de la colonie croître peu à peu. A partir de 1905, l'exploitation des chemins de fer de l'Algérie fut remise à la colonie, qui en assuma les charges et en encaissa les produits.
C'était le seul procédé qui permît la prompte application d'un programme dont dépendaient la vie, l'essor, l'avenir de la production et du commerce algériens. Il ne s'ensuivait pas que, du jour au lendemain, toutes les questions de transports dussent être résolues au mieux des intérêts généraux, mais on pouvait désormais les aborder, les discuter, les faire aboutir.
Les lignes algériennes étaient partagées entre cinq Compagnies, dont les réseaux étaient constitués d'une manière tout à fait incohérente, par des lignes sans soudure entre elles. Ce morcellement entraînait des inconvénients graves au point de vue des pertes de temps, des charges financières de l'exploitation, de la décroissance des taxes pour les longs parcours, de la diversité et de la complication des tarifs, qui différaient suivant les réseaux et souvent d'une ligne à l'autre d'un même réseau. M. Jonnart songea tout d'abord à racheter toutes les concessions pour constituer un réseau unique, mais ce projet rencontra de tels obstacles qu'il dut se contenter de poursuivre l'unification des tarifs, leur communauté sur les divers réseaux et l'exécution du programme des travaux complémentaires en s'adressant séparément à chacun des concessionnaires. La plupart des Compagnies s'y prêtèrent, mais la Compagnie de l'Est-Algérien, par suite des règles qui avaient présidé à la construction de son réseau, déclara ne pouvoir s'engager dans la voie des abaissements de taxes. Le rachat des lignes concédées à l'Est-Algérien et leur exploitation en régie furent autorisées par un décret de 1907; puis, en 1911, les assemblées algériennes votèrent le rachat des lignes de la Compagnie Bône-Guelma, qui fut réalisé par un décret de 1913.
Le régime des transports maritimes ne soulevait pas de moins vives critiques que celui des transports terrestres ; mais ici, l'action du gouverneur était à peu près impuissante. Les grèves des inscrits maritimes de 1904 furent désastreuses pour l'Algérie et causèrent en particulier de cruels dommages au trafic des primeurs. Après de longues négociations, M. Jonnart réussit à obtenir du Parlement le vote de la loi du 22 juillet 19o9, qui autorisa le gouvernement, dans les circonstances exceptionnelles, à suspendre temporairement le monopole de pavillon et posa le principe de la liaison de la métropole avec l'Algérie, en cas de grève maritime, par des navires empruntant leurs équipages à la marine nationale. L'expérience montra que ces mesures, si elles diminuaient un peu les inconvénients des grèves maritimes, ne suffisaient pas à en supprimer tous les effets désastreux.
Pour les forêts comme pour les chemins de fer, l'excessive centralisation, l'éparpillement des responsabilités, la manie assimilatrice avaient abouti aux plus fâcheux résultats. Ils avaient été maintes fois signalés. L'application du Code forestier de 1827, l'organisation même du service des forêts, ne tenaient compte ni des usages, ni des besoins impérieux des populations. L'application rigoureuse du Code forestier métropolitain était arrivée à ce résultat de ruiner progressivement à la fois les indigènes et le domaine forestier; les indigènes étaient dévorés par les procès-verbaux et les forêts par les incendies.
La loi du 21 février 1903 substitua à la réglementation en vigueur en France des dispositions propres à l'Algérie, plus larges et plus souples. Le gouverneur, de qui relevait désormais le personnel forestier, édicta les mesures nécessaires à l'application de la loi nouvelle; il s'efforça de concilier la sauvegarde des forêts avec les besoins des populations pastorales. Des dispositions furent prises pour rendre plus efficaces les précautions contre les incendies, dont la fréquence diminua notablement; mieux défendues, les forêts algériennes furent aussi mieux exploitées ; auparavant, elles brûlaient et ne rapportaient rien : désormais, elles rapportèrent et ne brûlèrent plus.
Il fallait travailler aussi à mettre en valeur les gisements miniers que possédait la colonie. L'affaire de l'Ouenza fut, en cette matière, un exemple mémorable des intolérables abus auxquels peut conduire l'excès du formalisme et de la centralisation. Il s'agissait d'un gisement de minerai de fer situé dans le département de Constantine, qu'on évaluait à 30 ou 40 millions de tonnes, masse assez importante sans doute, mais ne représentant guère plus comme tonnage que la plus petite des concessions de Meurthe-et-Moselle.
Une société s'engageait à construire à ses frais, sans subvention ni garantie d'intérêt, un chemin de fer de 200 kilomètres de l'Ouenza à Bône, à faire également à ses frais les installations nécessaires dans le port de Bône, enfin à payer à la colonie une redevance pour l'extraction du minerai, qui devait s'élever au minimum à un million de tonnes par an. " C'était, dit M. Jonnart, la plus belle affaire que l'Algérie eût jamais connue. " M. Révoil avait signé en 1903 un contrat d'option que M. Jonnart s'empressa d'approuver. Cependant la déclaration d'utilité publique rencontra des difficultés insurmontables; les résistances provenaient surtout des producteurs de minerais de fer de Suède et d'Espagne, minerais de composition analogue à ceux de l'Ouenza, inquiets de cette concurrence, tandis que les métallurgistes étaient désireux d'échapper par l'exploitation de l'Ouenza à leurs fournisseurs habituels et de s'approvisionner directement. L'affaire se compliqua de considérations et interventions de toutes sortes : soucis patriotiques parce que la société comprenait des métallurgistes étrangers, rivalité de Bône et de Bizerte qui prétendait devenir le débouché du minerai. Le dossier, approuvé par les assemblées algériennes, fut transmis au gouvernement en 1904 et un projet de loi déposé, concluant à l'approbation. Après les délais d'une procédure interminable, qui dura plus de sept ans, la discussion vint enfin devant la Chambre en janvier 1910 ; mais il fut impossible d'obtenir le vote du projet.
L'affaire de l'Ouenza avait fait durement sentir à l'Algérie les dangers de notre procédure administrative. Elle montrait la nécessité de libérer les mines et les travaux publics de l'Algérie, comme le sont ceux de sa voisine, la Tunisie, d'une réglementation favorable surtout à ceux qui prétendent lui interdire de mettre à profit ses richesses naturelles.
Les assemblées algériennes secondèrent efficacement tous les progrès dans l'ordre moral et intellectuel aussi bien que dans l'ordre matériel. Outre les sommes prélevées sur le budget ordinaire, sur le fonds de réserve et sur les fonds d'emprunt pour la colonisation, les travaux publics, l'aménagement des forêts, il faut noter celles qui furent consacrées au développement de l'assistance, aux progrès de l'hygiène, à la distribution de l'enseignement public à tous les degrés. Les lois sociales de la métropole et la législation ouvrière française furent étendues à l'Algérie dans la mesure où elles étaient compatibles avec les conditions d'existence spéciales à la colonie et avec les modifications reconnues nécessaires en ce qui concernait les indigènes et les étrangers. Une dotation de près de 3 millions de francs fut inscrite à l'emprunt de 1908 pour l'amélioration et la modernisation des hôpitaux civils. Un Institut Pasteur fut organisé à Alger en 1910 ; des savants remarquables, comme le docteur Sergent et le docteur Foley, y poursuivirent de remarquables études sur l'hygiène et sur les maladies des hommes, des animaux et des plantes.
La lutte contre le paludisme fut méthodiquement entreprise et on prescrivit les mesures prophylactiques que la science moderne recommande : assèchement des mares, pétrolage des eaux stagnantes, grillage des portes et fenêtres, quininisation préventive. La vaccination fut rendue obligatoire.
Pour rapprocher et confondre dans la famille française les divers éléments de la population européenne, le meilleur moyen est assurément de les réunir d'abord sur les bancs de l'école.
Aussi l'enseignement public à tous les degrés fut-il l'objet de la sollicitude de M. Jonnart. Les assemblées algériennes consentirent patriotiquement les plus généreux sacrifices et firent plus en l'espace de trois ou quatre ans qu'il n'avait été fait pendant les vingt années qui avaient précédé la création du budget spécial. Un vaste programme d'écoles primaires et primaires supérieures fut élaboré, de manière à faire face à l'augmentation de la population scolaire européenne.
En 1907, M. Jonnart fit adopter par les assemblées algériennes le projet de création d'une Université destinée à grouper les écoles d'enseignement supérieur instituées trente ans auparavant par Paul Bert ; M. Joly, délégué financier, un des hommes les plus distingués qui aient honoré les assemblées de la colonie, fut un des artisans les plus convaincus et les plus passionnés de cette oeuvre.
La création fut autorisée par la loi du 30 décembre 1909, qui marque une date décisive dans le développement de l'instruction publique en Algérie. L'Université d'Alger constitue à la fois un foyer de culture française et un centre de recherches de toutes natures sur notre vaste domaine de l'Afrique du Nord. Dans le même ordre d'idées, M. Jonnart, voulant donner à quelques artistes choisis parmi les meilleurs des facilités pour venir en Algérie, fonda sur les coteaux de Mustapha la villa Abd-el-Tif, qui accueillit tous les ans deux boursiers désignés à la suite d'un concours. Cette création était pour lui un symbole montrant que l'Algérie adulte ne voulait pas être seulement un pays de marchands, uniquement préoccupé des cours des vins, des moutons et des céréales, mais qu'elle entendait faire une place aux choses de l'esprit et de l'art.
M. LUTAUD . (1911-1918)
Lorsque M. Jonnart quitta l'Algérie en 1911, l'évolution déterminée par la suppression des rattachements était très avancée. Les nouvelles institutions algériennes, budget spécial, délégations financières, territoires du Sud, fonctionnaient d'une manière satisfaisante. L'ordre était rétabli dans l'administration, mieux dans la main du gouverneur, s'inspirant de méthodes appropriées au pays. La politique indigène avait pris une orientation nouvelle et un accent nouveau. Les questions sahariennes et marocaines étaient résolues ou sur le point de l'être.
M. Lutaud, préfet du Rhône, qui succéda à M. Jonnart et qui demeura plus de sept ans au gouvernement général, accomplit lui aussi une oeuvre considérable. Il avait été longtemps préfet d'Alger : " Mon étroite collaboration avec mes trois éminents prédécesseurs, Laferrière, Révoil, Jonnart, disait-il en débarquant en Algérie le 22 avril 1911, m'a désigné au choix du gouvernement de la République pour continuer leur tâche et suivre leurs traditions. "
Lorsque M. Jonnart quitta l'Algérie en 1911, l'évolution déterminée par la suppression des rattachements était très avancée. Les nouvelles institutions algériennes, budget spécial, délégations financières, territoires du Sud, fonctionnaient d'une manière satisfaisante. L'ordre était rétabli dans l'administration, mieux dans la main du gouverneur, s'inspirant de méthodes appropriées au pays. La politique indigène avait pris une orientation nouvelle et un accent nouveau. Les questions sahariennes et marocaines étaient résolues ou sur le point de l'être.
M. Lutaud, préfet du Rhône, qui succéda à M. Jonnart et qui demeura plus de sept ans au gouvernement général, accomplit lui aussi une oeuvre considérable. Il avait été longtemps préfet d'Alger : " Mon étroite collaboration avec mes trois éminents prédécesseurs, Laferrière, Révoil, Jonnart, disait-il en débarquant en Algérie le 22 avril 1911, m'a désigné au choix du gouvernement de la République pour continuer leur tâche et suivre leurs traditions. "
Homme de parti et qui ne s'en cachait pas, M. Lutaud sut cependant faire plus et mieux que de la politique électorale et préfectorale, s'élever à des vues d'ensemble dignes de ses hautes fonctions, apporter sa contribution, qui n'est pas sans importance ni sans intérêt, à l'organisation de l'Algérie nouvelle. C'est à lui qu'incomba la tâche difficile de gouverner la colonie pendant presque toute la durée de la grande guerre.
La situation de l'Algérie en 1914, à la veille du grand conflit mondial, était des plus satisfaisantes, aussi bien au point de vue politique qu'au point de vue économique. Les troubles de l'antisémitisme avaient pris fin et le souvenir même en était effacé. L'entente était demeurée parfaite entre les gouverneurs et les assemblées algériennes; celles-ci comptaient des hommes d'un réel mérite, sérieux, pratiques, profondément dévoués aux intérêts de l'Algérie, soucieux du bien public. Le budget avait passé de 58 millions en 1901 à 175 millions en 1914. Comme les assemblées locales apportaient une grande prudence dans l'évaluation des dépenses et les prévisions de recettes, chaque année des excédents, qui en treize ans s'étaient élevés à 115 millions, étaient versés au fonds de réserve. L'Algérie avait à la fois une dette très faible et des réserves fiscales intactes; les Européens ne payaient ni la contribution foncière sur la propriété non-bâtie, ni l'impôt sur les successions; plusieurs impôts indirects de la métropole n'existaient pas ou ne comportaient que des taux très réduits. Ces privilèges, longtemps légitimes et nécessaires, étaient appelés tôt ou tard à disparaître, les colons étaient les premiers à en convenir; leurs représentants déclaraient qu'ils se rallieraient volontiers à un système qui établirait les mêmes obligations fiscales pour les Européens et les indigènes. Dès 1911, M. Lutaud, avec une claire vision des nécessités politiques et financières, avait fait étudier la réforme du régime des impôts; la grande guerre allait en hâter la réalisation.
LES EUROPÉENS ET LA SITUATION DÉMOGRAPHIQUE
La population européenne a passé de 531 000 âmes en 1891 à 579 000 en 1896; le dernier recensement effectué avant la guerre, celui de 1911, constatait la présence de 752 000 Européens, dont 5 000 dans les territoires du Sud. Cet accroissement est dû surtout aux excédents de la natalité; à partir de 1896, le nombre des Européens nés en Algérie l'emporte sur celui des immigrés; c'est là une importante étape dans la voie de la formation d'un peuple algérien.
Jusqu'en 1886, les Français et les étrangers d'origine européenne se faisaient à peu près équilibre en Algérie. Depuis lors, la colonie étrangère semble avoir beaucoup diminué et le groupe français a augmenté de plus en plus. En 1896, on trouve 318 000 Français (non compris les Israélites) et 212 000 étrangers; en 1911, 493 000 Français et 189 000 étrangers d'origine européenne. Cette diminution apparente du nombre des étrangers est une conséquence de la loi de 1889 sur la naturalisation, qui accroît chaque année l'élément national de plusieurs milliers d'unités. En fait, l'immigration étrangère se maintient pendant cette période; la situation économique de l'Espagne et de l'Italie est assez médiocre et ces pays continuent, ainsi que Malte, à fournir à l'Algérie d'importants contingents qu'attirent les hauts salaires, les travaux publics, les chances d'enrichissement. Mais, par le jeu de la naturalisation automatique, on compte déjà, en 1896, 50 000 naturalisés; en 1911, on recense 304 000 Français d'origine, 188 000 naturalisés et 189 000 étrangers; le groupe étranger a donc perdu à peu près la moitié de ses membres; il est décimé en outre par les mariages mixtes, qui sont fort nombreux et atteignent une proportion de 20 à 25 pour 100; ce sont surtout des mariages entre Français et jeunes filles espagnoles. C'est principalement dans le département d'Oran que se marque la prédominance de l'élément étranger; on y constate en 1911 la présence de 93 000 Espagnols, 93 000 naturalisés et 95 000 Français d'origine; les trois groupes sont donc sensiblement de même importance et il y a dans le département d'Oran deux Espagnols d'origine pour un Français d'origine. Les Espagnols sont surtout nombreux dans les arrondissements d'Oran et de Bel-Abbès. A Oran-ville, on recense 24 000 Français d'origine, 34 000 naturalisés, 28 000 Espagnols.
C'est aux environs de 1896 qu'on commença à se préoccuper en Algérie de ce qu'on appelait le " péril étranger ". Comme le " péril juif ", il était dénoncé surtout par ceux qui redoutaient l'entrée dans le corps électoral d'éléments qui leur échappaient. Il ne faut ni nier, ni exagérer ce péril. Assurément, la naturalisation n'a pas par elle-même une sorte de vertu efficiente et n'inspire pas nécessairement à celui qui la reçoit des idées françaises et des sentiments français. Mais, comme il n'est pas à souhaiter que les étrangers restent groupés en nationalités distinctes sous l'égide de leurs consuls, la naturalisation était la seule solution qui s'offrait à nous. Tout au plus aurait-on pu, pour les étrangers comme pour les Israélites, mieux ménager les transitions et graduer l'accession à la cité française; de même que la plupart de nos lois, la loi sur la naturalisation aurait gagné à être amendée et adaptée en vue de son application en Algérie. Mais il était parfaitement possible de nous assimiler tous ces éléments ; puisque nous n'avions ni la prétention ni la possibilité de les éliminer, il fallait les franciser.
LA COLONISATION
Le meilleur moyen de faire contrepoids à l'élément étranger, naturalisé ou non, était d'intensifier le peuplement français rural. La précarité de notre oeuvre dans le Nord de l'Afrique apparaîtrait bientôt si, négligeant les enseignements de l'histoire, nous n'envisagions pas les conséquences de l'infiltration nécessaire des éléments étrangers et de l'accroissement continu de la population indigène. Pour asseoir notre domination sur des bases indestructibles, il est indispensable que les émigrants de notre race et de notre pays constituent un noyau solide et résistant de population rurale, car un pays finit toujours par appartenir à celui qui y cultive la terre. Le moyen le plus pratique d'atteindre ce résultat, c'est l'attribution de la terre à des familles françaises, soit par la concession gratuite, soit par la vente, avec résidence obligatoire dans les deux cas. C'est ce but que s'est toujours proposé la colonisation officielle et qu'à travers bien des erreurs et bien des vicissitudes, elle a finalement atteint dans une large mesure.
Les lois de 1873 et de 1887 sur la propriété foncière, inspirées du même désir ouvrir tout le pays aux colons, assimiler la propriété algérienne à celle de la métropole, avaient donné des résultats médiocres. Les avantages qu'on en attendait pour la colonisation ne s'étaient pas réalisés ; le domaine avait acquis très peu de terres ; les indigènes, ruinés par les licitations, avaient continué à vivre dans l'indivision et les titres qu'on leur avait délivrés étaient restés entre leurs mains de vains chiffons de papier. Là encore, il fallut reconnaître que le progrès ne s'impose pas par des mesures législatives. La loi du 16 février 1897, abrogeant les procédures d'ensemble, leur substitua un système d'enquêtes partielles permettant aux propriétaires et acquéreurs de terres indigènes d'obtenir la délivrance de titres français d'une valeur inattaquable. On ne prétendait plus opérer d'office la mobilisation de tout le sol algérien : on l'attendait désormais de la libre initiative des particuliers.
M. Jules Cambon, pendant les sept années qu'il passa au gouvernement général de l'Algérie, s'occupa très activement de la colonisation et du peuplement français, dans la mesure où le lui permettaient l'insuffisance des sommes affectées aux achats de terres dans la période qui a précédé l'institution du budget spécial. Il proposa de livrer autant que possible aux colons des terres préalablement défrichées par la main-d'œuvre pénitentiaire.
Il demanda aussi qu'un long délai fût accordé aux acquéreurs pour se libérer, l'État ayant beaucoup moins d'intérêt à encaisser rapidement le prix des terres qu'à faciliter la mise en valeur et à soustraire les nouveaux colons à l'usure. Quelques procédés de publicité, affiches et livrets, comme ceux dont les colonies anglaises tirent très bon parti, augmentèrent le nombre des demandes de concessions et rendirent possible une sélection des demandeurs, dont on exigea un capital de 5 000 francs. Les études préliminaires des centres furent mieux faites, les emplacements mieux choisis, en particulier au point de vue de la salubrité. L'aire du peuplement national s'étendit. On pénétra dans le Dahra, la mise en valeur de la plaine de Bel-Abbès se compléta, la colonisation remonta les vallées de la Mékerra et de la Mina. On aborda les régions jusque-là purement pastorales du Nahr-Ouassel et du Sersou. Dans le département de Constantine, quelques centres furent créés entre Sétif et Batna. L'administration algérienne reprit aussi, sans grand succès d'ailleurs; le problème si tentant de la colonisation maritime. Somme toute, de 1891 à 1900, 103 centres furent créés ou agrandis, 120 000 hectares livrés à la culture européenne. Une reprise de la colonisation se marque au début du vingtième siècle. Les inquiétudes causées par la naturalisation automatique engagent à renforcer le peuplement français; en même temps, le budget spécial et l'emprunt fournissent les ressources qui manquaient; sur l'emprunt de 1902, 12 millions sont consacrés à la colonisation.
Des villages sont projetés sur les hauts plateaux ou dans les hautes vallées du Tell et l'aire du peuplement français s'étend vers le Sud jusqu'à la limite des steppes. La surface des concessions est élevée à 30 ou 40 hectares, des essais de peuplement régional sont tentés. Les émigrants sont empruntés surtout aux départements des Hautes-Alpes, de l'Ardèche, de la Lozère, de l'Aveyron, de l'Ariège. Enfin la législation est remaniée et assouplie. Le décret du 30 septembre 1878, qui régissait la colonisation officielle et qui était l'objet de nombreuses critiques, fait place au décret du 13 septembre 1904.
Ce décret admet concurremment quatre modes d'aliénation : 1° la vente à prix fixe à bureau ouvert au bureau des domaines du chef-lieu du département; 2° la vente aux enchères par adjudication publique; 3° la vente de gré à gré exceptionnellement; 4° la concession gratuite quand l'intérêt de la colonisation l'exige. Les acquéreurs doivent être Français; ils sont tenus à dix années de résidence; les deux tiers des lots sont réservés aux immigrants et l'étendue maxima des concessions portée à 200 hectares. Le décret réalise en somme trois réformes principales : le système de la vente est autorisé, mais non imposé; l'obligation de résidence est portée à dix ans; la surface des lots est augmentée et leur étendue peut être désormais plus ou moins grande suivant les circonstances. La vente à bureau ouvert devient le procédé normal d'aliénation des terres; il permet d'acquérir la propriété immédiatement et dans des conditions avantageuses. Ce procédé assure le recrutement de colons mieux pourvus de ressources, mieux à même de vaincre les difficultés, plus attachés à la terre en raison des sacrifices qu'ils ont faits. Au point de vue financier, la colonie récupère par la vente une partie de ses dépenses, de plus en plus élevées par suite du prix des terres et du coût des voies d'accès. Par contre, au point de vue du peuplement rural, les résultats des ventes à bureau ouvert sont peu encourageants; le système facilite les spéculations et les fraudes, prépare la constitution de latifundia, ne fixe pas suffisamment l'acquéreur au sol. Aussi ne renonce-t-on pas complètement à la concession gratuite, qui permet de choisir avec soin les colons à installer dans les centres nouveaux et d'exercer sur eux un contrôle plus efficace.
Le nouveau décret permit de reprendre l'œuvre de la colonisation officielle et de la pousser très activement. Un effort considérable fut accompli, rappelant les périodes les plus actives et réparti sur les régions les plus variées, avec une tendance à s'étendre sur les parties des hauts plateaux considérées longtemps comme exclusivement pastorales et qui s'étaient révélées comme dotées d'une moyenne de pluies suffisante pour donner de bonnes récoltes de céréales.
Au total, de 1904 à 1914, plus de 50 millions ont été dépensés pour la création de centres nouveaux, l'agrandissement des anciens centres et l'établissement de voies de communication destinées à desservir des régions colonisées par l'initiative privée; 59 nouveaux villages ont été créés, 140 centres anciens agrandis, 151 lots de ferme créés. Les nouveaux territoires ainsi constitués englobent près de 200 000 hectares, dont 53 000 concédés gratuitement et 128 000 vendus à bureau ouvert pour un prix global de 19 millions.
LA POLITIQUE INDIGENE
La politique indigène a évolué dans un sens de plus en plus libéral. Les souvenirs des heures de lutte et d'insurrection commençaient à s'effacer. Il devenait possible de traiter les musulmans d'une manière plus bienveillante et plus fraternelle, de leur faire apprécier notre bonté après leur avoir fait sentir notre force, de les associer enfin graduellement à la gestion des affaires algériennes. Ce sont surtout M. Jules Cambon et M. Jonnart qui ont instauré cette politique nouvelle.
En envoyant M. Cambon à Alger, M. Constans lui avait dit: " On a fait la conquête militaire de l'Algérie, il s'agit maintenant d'en faire la conquête morale. " Assurément, la masse des indigènes prospérait en Algérie, mais peut-être certains de nos administrateurs et de nos colons ne ménageaient-ils pas assez leurs susceptibilités et leurs intérêts : " Pour moi, dit M. Jules Cambon, j'ai toujours pensé que le premier devoir du gouverneur général est de resserrer les liens qui attachent à la France les populations indigènes. Elles n'ont pas de représentant auprès du gouvernement métropolitain; c'est le gouverneur qui est leur représentant naturel, puisque c'est leur existence qui est la justification de sa fonction. Aussi estimai-je qu'il importait d'être très attentif à leurs intérêts. " C'est dans cet esprit que, dans les communes mixtes, les djemaâs de douars furent reconstituées et leurs attributions augmentées; le gouverneur veilla à ce que les ressources de l'impôt arabe fussent employées d'une manière équitable. Les sociétés de prévoyance indigène furent réorganisées par la loi du 14 avril 1893. L'enseignement primaire indigène reçut une vive impulsion; les médersas, destinées au recrutement des fonctionnaires indigènes, furent vivifiées. Enfin M. Cambon assura aux musulmans les bienfaits de l'assistance par des tournées médicales effectuées dans les tribus et par la fondation d'hôpitaux indigènes spéciaux en Kabylie et dans l'Aurès. Des sages-femmes reçurent la mission de combattre les préjugés et les méthodes barbares des matrones indigènes.
Les populations musulmanes se montrèrent sensibles à ce souci de leur bien-être et en témoignèrent leur reconnaissance. C'est l'honneur de M. Cambon d'avoir déclenché cette évolution et d'avoir fait prévaloir une conception plus large et plus intelligente des conditions dans lesquelles doit s'exercer notre domination.
" Il ne saurait y avoir de colonisation durable et féconde, disait M. Jonnart, sans une bonne politique indigène. Cette politique exige beaucoup de tact et de compétence. A vrai dire, on ne diffère pas tant sur le fond que sur une question de priorité des réformes à accomplir. D'une part, c'est la thèse de l'émancipation des populations indigènes ; de l'autre, celle de leur évolution préalable, prudemment dirigée, préparée par le développement économique, intellectuel et social. " C'est cette seconde thèse que M. Jonnart fit sienne. Il tendit constamment au rapprochement des deux groupes de population qui sont en présence dans l'Afrique du Nord. Cette politique fut poursuivie avec l'entière adhésion des assemblées algériennes et s'harmonisa avec les vues générales de la politique française.
En 1901, lorsque l'Algérie avait reçu la gestion de ses affaires, l'œuvre de l'enseignement indigène était à peine ébauchée; de 1890 à 1900, la métropole lui avait consacré 9 millions; on comptait 288 écoles primaires, fréquentées par 25 000 élèves. Le budget colonial prit entièrement à sa charge les dépenses de construction des écoles indigènes, dont une partie jusque-là incombait aux communes; de 1901 à 1914, plus de 20 millions furent dépensés; on compta 433 écoles et 45 000 élèves. Tout en poursuivant la construction de nouvelles écoles, M. Jonnart rechercha les moyens de mieux pénétrer les tribus, d'y propager plus rapidement et plus sûrement, avec notre langue, quelques notions élémentaires d'agriculture et d'hygiène, en recourant à des installations plus rudimentaires, à un personnel auxiliaire moins rétribué et à des méthodes d'enseignement plus pratiques. On s'efforça de rendre les programmes plus simples, plus souples, plus nettement orientés vers la formation de jeunes gens capables d'évoluer dans leur milieu, plus aptes à y exercer leurs métiers et leurs professions traditionnelles. On voulut en un mot de mieux en mieux adapter le fonctionnement des écoles aux besoins généraux de la population et aux besoins particuliers de chaque contrée.
M. Jonnart tenta de faire revivre quelques-unes des industries indigènes. Au musée des antiquités algériennes qu'avait créé M. Cambon à Mustapha fut adjoint un musée d'art musulman, que M. Stéphane Gsell organisa avec infiniment de science et de goût. L'art des tapis, qui était en complète décadence, fut rénové par la création d'écoles-ouvroirs; il en fut de même de la céramique, de la broderie et de quelques autres industries, qui redevinrent pour les indigènes une source de profits.
M. Jonnart voulut assurer aux indigènes l'assistance médicale sur tous les points du territoire par des infirmeries indigènes très simplement aménagées. On s'appliqua aussi à étendre les soins médicaux à la partie féminine de la population, à créer des cliniques pour les femmes en couches. Des tournées médicales et des consultations gratuites furent organisées dans les douars; un corps d'auxiliaires médicaux indigènes, collaborateurs du médecin, fut créé. La lutte contre l'ophtalmie et le paludisme fut scientifiquement organisée; des dispositions furent prises pour prévenir les épidémies de variole et de typhus.
En même temps qu'on s'employait à protéger les musulmans contre les fléaux qui les atteignaient, on poursuivait le développement des sociétés indigènes de prévoyance, qui rendent de si grands services et qui sont une des institutions les plus fécondes de l'Algérie, car elles arment les cultivateurs contre deux maux redoutables, la famine et l'usure.
" Il faut, disait M. Jonnart, que les indigènes voient en nous autre chose que des gendarmes et des marchands et que çà et là se dresse, visible à tous, un symbole de la bonté française. "
La question la plus délicate est sans contredit celle de l'enseignement indigène, question plus politique que technique.
Ces sociétés furent encouragées à faire à leurs participants des prêts en vue de l'acquisition d'un matériel agricole plus perfectionné. On s'appliqua à améliorer les procédés de culture et d'élevage des indigènes, qui se mirent à pratiquer les labours préparatoires et achetèrent des charrues françaises. On envisagea la création de sociétés indigènes de culture (dje maâs-el-fellahia), dont le but, plus étendu que celui des sociétés de prévoyance, serait de donner aux cultivateurs des habitudes de travail régulier et des moyens de cultiver rationnellement. La situation matérielle des indigènes s'améliora d'une manière très notable; en 1908 et en 1909, une sécheresse persistante désola plusieurs régions de la colonie : néanmoins, grâce aux progrès accomplis, ils ne connurent pas les horreurs de la famine.
Une politique d'améliorations sociales n'implique nullement une politique de faiblesse, bien au contraire. L'administration pouvait se montrer d'autant plus rigoureuse vis-à-vis des chefs indigènes et des tribus complices des malfaiteurs qu'elle avait fait tout ce qui dépendait d'elle en faveur des musulmans. Dans les communes de plein exercice, on s'efforça, sans toucher aux attributions qui appartenaient à l'autorité municipale et que la loi seule eût pu lui enlever, d'assurer une surveillance plus active des populations en renforçant la police d'État et le personnel de la sûreté départementale. Des secrétaires généraux pour les affaires indigènes et la police générale furent créés dans chacune des préfectures de l'Algérie. M. Jonnart demanda et obtint le maintien des tribunaux répressifs créés en 1902 à la demande de M. Révoil et accepta seulement certaines modifications à leur fonctionnement, modifications qui furent effectuées par un décret du 9 août 1903. L'internement par mesure administrative ne fut appliqué qu'à titre tout à fait exceptionnel et entouré de nombreuses garanties, mais néanmoins maintenu. Il en fut de même des pouvoirs disciplinaires des administrateurs, de plus en plus réduits dans leur application; la loi du 23 décembre 1904 prorogea ces pouvoirs pour une nouvelle période de sept années, mais réduisit le nombre des infractions et en exempta certaines catégories d'indigènes. Enfin un décret du 24 septembre 1908 décida que les représentants des indigènes dans les conseils généraux seraient désormais élus comme les délégués financiers indigènes.
Cependant l'évolution libérale de la politique indigène ne s'arrêta pas là. Un fait capital se produisit en 1912 : l'institution du service militaire obligatoire pour les indigènes. Jusque-là, leur recrutement se faisait uniquement par engagements volontaires; ce recrutement avait été entravé par la loi du 11 juillet 1903, qui diminuait le taux des primes et des pensions de retraite.
Dès 1908, il était question d'établir la conscription. Une commission fut nommée pour établir dans quelle mesure et par quels moyens il serait possible de tirer un meilleur parti des ressources en hommes de l'Afrique du Nord; elle conclut au développement du système de recrutement par voie d'engagements en modifiant la loi de 1903; à la mise en vigueur, parallèlement au système des engagements, d'un recrutement basé sur le principe de l'obligation du service, enfin à l'organisation des réserves. L'annonce de ces propositions provoqua une assez vive agitation aussi bien parmi les colons que parmi les indigènes; on vit même un millier d'indigènes de Tlemcen s'expatrier en Syrie. On passa outre néanmoins et deux décrets des 31 janvier et 3 février 1912 réalisèrent les réformes préconisées par la commission.
Le second décret imposait aux indigènes l'obligation du service militaire obligatoire, tempérée par la faculté du remplacement et la très faible proportion des appelés; le régime des appels n'était envisagé que comme un moyen de compléter le rendement des engagements dans la limite des besoins. " La sagesse et la prudence de cette méthode, disait l'exposé des motifs du décret de 1912, n'échappera pas aux Français d'Algérie, qui comprennent d'ailleurs les nécessités militaires auxquelles la métropole doit faire face et se font un devoir de reconnaître les intérêts supérieurs en cause. Les indigènes se plieront d'autant plus volontiers aux nouvelles formalités qu'elles ne constituent pas pour eux une charge et qu'en les acceptant avec le loyalisme dont ils ont donné maintes fois les preuves, ils se constitueront un titre de plus à la sollicitude du gouvernement, décidé à pratiquer à leur égard une politique de bienveillant libéralisme. "
L'application du service militaire obligatoire aux indigènes devait forcément amener une modification de leur statut. Une campagne très vive contre l'administration algérienne était d'ailleurs menée par MM. Paul Bourde et Philippe Millet dans le journal le Temps, par M. Albin Rozet au Parlement; on y représentait les indigènes algériens comme vivant sous un régime d'arbitraire, d'iniquité et de terreur; l'administration était prisonnière des colons et le demeurerait tant qu'on n'accorderait pas aux indigènes dans les divers conseils de la colonie une représentation sérieuse et suffisante. Un parti " jeune-algérien " commençait à se constituer; quatre mois après l'institution de la conscription, en juin 1912, ce groupe apporta à Paris un cahier de revendications politiques. De longs débats sur la politique algérienne eurent lieu à la Chambre des députés au début de 1914; l'ordre du jour du 9 février 1914, qui clôtura les débats, demandait au gouvernement " de réaliser à bref délai l'égalité fiscale, de modifier largement et d'améliorer le statut des indigènes, pour accorder à ceux-ci toutes les libertés compatibles avec la souveraineté française. "
Un décret du 19 septembre 1912 dispensa du régime de l'indigénat les indigènes qui avaient accompli leur service militaire et les admit à l'électorat municipal. Un autre décret du 13 janvier 1914 élargit d'une manière très notable le corps électoral indigène; en même temps, l'effectif des conseillers municipaux indigènes passait du quart au tiers de l'effectif du conseil, avec un maximum de 12 conseillers au lieu de 6. Enfin, à la veille de la guerre, la loi du 15 juillet 1914, précédée d'importantes discussions devant les Chambres, réduisait de nouveau considérablement le nombre des infractions au Code de l'indigénat, faisait passer au juge de paix la plus grande partie de ces contraventions spéciales et donnait une longue liste des capacités qui soustrayaient les indigènes à la juridiction exceptionnelle de l'administrateur. Le permis de voyage imposé jusque-là aux indigènes était supprimé. L'internement administratif était remplacé par une mise en surveillance spéciale, entourée de multiples garanties.
LE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE
La grande prospérité économique de l'Algérie n'a guère commencé qu'aux environs de 1900. Dans les dernières années du dix-neuvième siècle, ceux qui avaient foi dans l'avenir de ce pays et qui fondaient sur lui de grandes espérances étaient rares, même dans la colonie. Certains économistes s'efforçaient encore de démontrer que le vignoble algérien était hypothéqué au delà de sa valeur, que la fertilité des terres s'épuisait et que, somme toute, l'Algérie était une très mauvaise affaire. La Banque de l'Algérie, pour aider à la constitution du vignoble, s'était trouvée entraînée à consentir des prêts fonciers qui ne rentraient pas dans son rôle de banque d'émission. L'abus du crédit avait été suivi d'un brusque resserrement vers 1892 et la Banque, ne pouvant rentrer dans ses créances, s'était trouvée à la tête d'un grand nombre de domaines dont la liquidation, poursuivie de 1892 à 1900, fut assez pénible. Une crise de mévente avait éprouvé la viticulture algérienne en 1893; la métropole étant à peu près le seul marché où les vins algériens trouvent à se placer, ce placement devient difficile toutes les fois qu'il y a en France plusieurs bonnes récoltes consécutives. Cependant divers indices sont favorables; les récoltes de céréales sont plus abondantes et moins inégales; les bonnes méthodes de culture sont de plus en plus pratiquées par les Européens, notamment dans la plaine de Bel-Abbès. On s'efforce d'accroître et d'améliorer le cheptel algérien, de développer l'industrie pastorale, en particulier par l'aménagement de rdirs et de citernes; une enquête est poursuivie par les soins de M. Cambon sur le "pays du mouton ".
La loi douanière de 1892, déclarée applicable à l'Algérie, rend de plus en plus intime l'union économique de la France et de l'Algérie; celle-ci reçoit des primes indirectes considérables par l'admission en franchise des produits algériens, alors que les céréales, le bétail, les vins étrangers sont frappés de droits élevés; en revanche, elle offre à l'industrie française, notamment à la métallurgie et aux textiles, d'importants débouchés et supporte les charges du monopole du pavillon, qui réserve aux armateurs français la navigation entre la France et l'Algérie, considérée comme un cabotage.
Les richesses agricoles, pastorales, forestières, minières de l'Algérie se développent suivant un rythme déjà un peu plus rapide et le total des exportations, qui dépasse 200 millions, tend à se rapprocher de celui des importations ; il lui est même quelquefois supérieur, notamment en 1895. Mais la courbe n'est pas régulièrement ascendante et les crises agricoles occasionnent de grandes variations. Au total, le commerce, qui en 1890 atteignait 509 millions (importations 260 millions, exportations 249 millions) s'élève en 1900 à 536 millions (importations 313 millions, exportations 222 millions). La progression est assez lente.
Le développement économique de l'Algérie devient beaucoup plus rapide à partir de 1900. Cet essor est dû pour une part aux mesures de décentralisation qui, à partir de cette époque, ont permis à la colonie de prendre son essor, contribué à l'éveil des initiatives et des énergies, à l'épanouissement de toutes les forces vives.
Mais d'autres facteurs sont intervenus. La France a recueilli enfin le fruit de ses longs et patients efforts pour humaniser, assainir, cultiver, mettre en valeur cette terre barbare et désolée par tant de siècles d'anarchie ; elle a récolté ce qu'elle avait semé.
Les colons avaient longtemps travaillé, peiné, souffert; leur inlassable labeur trouvait sa récompense. Comme ces fleurs des tropiques qui, après une longue préparation, s'épanouissent en quelques heures, la prospérité algérienne a éclaté tout à coup.
Les statistiques qui décomposent la fortune de la colonie et font ressortir les différentes phases de son évolution montrent clairement cette transformation.
Le vignoble, quoique éprouvé par deux nouvelles crises de mévente en 1901 et en 1905 et par le phylloxéra, qui nécessite sa reconstitution en plants américains, donne des bénéfices considérables.
En même temps que la production viticole et la vinification font d'admirables progrès, les céréales et le bétail, en dépit des mauvaises années comme 1908, prennent dans les exportations une importance de plus en plus grande.
La production des céréales augmente, non seulement parce qu'on met en valeur des terres auparavant couvertes de broussailles, mais surtout parce qu'on s'applique de plus en plus, même en territoire indigène, à perfectionner les procédés de culture. Progressivement, le danger de la monoculture, sans disparaître complètement, s'atténue. Les cultures arbustives, trop longtemps délaissées, se développent et les plantations d'oliviers se multiplient. L'exportation des primeurs dépasse toutes les espérances.
Le tabac, le coton, dont la culture, disparue depuis la guerre de Sécession, a été reprise en 1906, sont parmi les produits les plus rémunérateurs. Les productions secondaires, telles que le liège, les peaux, l'alfa, les figues sèches, les dattes occupent d'année en année une place plus large dans le mouvement des échanges.
L'extraction des minerais de fer et des phosphates atteint une réelle importance. De grosses fortunes s'édifient, la dette hypothécaire est remboursée, les capitaux affluent dans les banques, le bien-être et le luxe progressent dans les villes et dans les campagnes.
Alger devient une véritable capitale et une des grandes cités méditerranéennes ; les fortifications de 1840 sont éventrées pour lui permettre de rejoindre ses anciens faubourgs de Mustapha et de Bab-el-Oued ; une véritable fièvre de construction fait surgir des quartiers neufs. Un arrière-port est créé dans la baie de l'Agha pour répondre à l'accroissement de la navigation. A Oran, la ville se développe aussi, en dépit des obstacles naturels et le commerce prend une ampleur tout à fait remarquable; là aussi, de grands travaux de port sont effectués pour la création de nouveaux bassins. A Constantine, deux grands ponts sont construits au-dessus du ravin du Rummel, la colline du Koudiat est dérasée, la ville cesse d'être confinée sur son inaccessible rocher. Le port de Bône est également agrandi.
L'Algérie est devenue une des meilleures clientes de la France; en 1913, elle lui achète pour 550 millions de marchandises et lui en vend pour 350 millions. Le duc de Broglie disait que nous ne retirerions guère de notre colonie africaine qu'une bonne armée : voici que, dans certaines années, les exportations dépassent les importations et que la France commence à s'inquiéter de la concurrence que certains produits algériens font à ceux de son propre sol. En 1910, le commerce de l'Algérie dépasse pour la première fois un milliard; il a plus que doublé depuis 1904; en 1913, dernière année normale avant la guerre, il atteint 1 168 millions. Voilà le prix de tant de peines, voilà le bénéfice incontestable pour notre pays de la grandiose entreprise poursuivie de l'autre côté de la Méditerranée, au milieu de tant d'injustes et décourageantes critiques.
LE PENETRATION SAHARIENNE
La convention franco-anglaise de 1890, en reconnaissant à la France sa zone d'influence dans l'Afrique du Nord-Ouest, donnait au gouverneur général un rôle nouveau. Si l'Algérie devait devenir la porte de l'Afrique, c'est à lui qu'il appartenait de l'ouvrir et de la tenir ouverte. Toute tentative pour relier l'Afrique du Nord au Soudan nécessitait au préalable une politique saharienne méthodique et vigoureuse. En cette matière comme pour la politique indigène et pour l'organisation générale, M. Jules Cambon a frayé la voie à ses successeurs.
Il reprit tout d'abord en main la direction des affaires indigènes des territoires de commandement, qui avait été en fait abandonnée aux généraux commandant les provinces d'Alger, d'Oran et de Constantine, dont les efforts se contrariaient parfois ; l'unité de notre action politique dans le Sud fut rétablie.
Le ministre des Affaires étrangères ayant déclaré à la tribune de la Chambre des députés que la question du Touat était une question exclusivement algérienne, M. Cambon, dès le mois d'août 1891, écrivait combien il lui paraissait nécessaire que la France, en occupant le groupe des oasis qui s'étendent au Sud-Ouest de l'Algérie, prît une résolution qui assurerait définitivement la tranquillité de ses possessions et sa domination dans le Sahara : " Les oasis du Touat, du Gourara et du Tidikelt, disait-il, ont servi de refuge à tous les hommes de nos tribus plus ou moins compromis et ont été le centre de toutes les agitations qui se produisent contre nous ; c'est là que s'est réfugié Bou-Amama, qui cherche par tous les moyens à encourager les insurrections, les razzias et les défections. D'un autre côté, le souvenir de la mission Flatters, qui n'a pas été vengée, écarte de nous les Touaregs, qui en ont concerté le massacre. Enfin les nécessités de la politique nous ayant conduit à reconnaître la souveraineté de la Porte sur Rhadamès et sur Rhat, il en résulte que, si nous laissons échapper le Touat, qui est la plus grande ligne d'eau et de population se dirigeant à travers le Sahara vers l'intérieur de l'Afrique, le traité conclu avec l'Angleterre relativement à l'hinterland algérien sera devenu lettre morte entre nos mains.
L'occupation des oasis du Sud-Ouest aurait eu, d'après M. Cambon, le triple résultat de rendre toute insurrection impossible dans le Sud, de mettre dans nos mains la voie saharienne la plus fréquentée après le Nil, enfin de nous donner plus de liberté de mouvement dans la question du Maroc.
Chaque année, sans se lasser, M. Cambon proposait au gouvernement quelque combinaison nouvelle et chaque année l'occupation des oasis était ajournée. A défaut d'une expédition que le gouvernement interdisait, on s'efforça d'utiliser certaines influences. En 1891, M. Cambon fit venir du Maroc à Alger le vieux chérif d'Ouezzan, Moulay-Abdes-Selam, et l'envoya dans le Touat, où il mit à notre service son prestige religieux. En 1892, le gouverneur général, en compagnie du général Thomassin, se rendit à El-Goléa et y reçut les hommages du chef de la grande famille des Ouled-Sidi-Cheikh, Si-Kaddour, qui, depuis la fin de l'insurrection, s'était tenu à l'écart sur les confins du Maroc; on essaya de reprendre avec ce personnage la politique qui nous avait donné jadis, avec le concours de son père Si-Hamza, le sultanat d'Ouargla. Les travaux du chemin de fer de Djenien-bou-Rezg, le long de la frontière marocaine, furent activés. Quelques bordjs fortifiés jalonnant la route des oasis sahariennes furent construits au delà de nos possessions, à Hassi-Inifel sur l'Oued Mya, à Hassi-bel-Haïrane (Fort-Lallemand) dans le couloir de l'Igharghar, à Hassi-Chebaba (Fort-Miribel) et à Hassi-el-Homeur (Fort-Mac-Mahon) au Sud et au Sud-Ouest d'El-Goléa. Le général de La Roque, qui commandait à Constantine, prit contact avec les Touaregs ; une délégation conduite par Abden-Nebi, petit-neveu de Cheikh-Othman, l'ami et le fidèle compagnon de Duveyrier, se rendit à Alger.
Les rapides progrès de la domination française dans l'Afrique occidentale contribuaient à resserrer autour du désert les deux branches de l'étau. En 1895, Tombouctou était occupée; en 1898, un administrateur algérien, Coppolani, entreprenait en Mauritanie une campagne de pacification; une "course au lac Tchad " s'organisait de 1892 à 1897, avec les missions Crampel, Dybowski, Maistre, Gentil. Les conventions franco-anglaises de mars 1898 et de juin 1899 achevaient la délimitation du Sahara, attribuant à la France tout l'arrière-pays, y compris l'Ouadaï et le Tibesti (1). Le Soudan français devenait ainsi dans toute son étendue limitrophe du Sahara, dont la pacification devenait pour lui comme pour l'Algérie un important problème.
En 1898, l'explorateur Foureau, avec une escorte de 300 hommes placée sous les ordres du commandant Lamy, reprenant le plan de Flatters dans des conditions meilleures et qui assurèrent le succès, réussissait à traverser le Sahara par le pays des Azdjer et l'Aïr et aboutissait au Tchad, où il opérait sa jonction avec la mission Gentil qui venait du Congo et du Chari, et avec la mission Joalland-Meynier, qui avait succédé à la mission Voulet-Chanoine et s'était avancée du Niger au Tchad.
Les forces réunies des trois missions se heurtaient à Rabah, le dernier des grands conquérants noirs, qui fut vaincu et tué le 22 avril 1900 au combat de Kousseri; le commandant Lamy trouva lui aussi la mort dans cette rencontre.
L' OCCUPATION DES OASIS DU SUD-OUEST ET SES CONSÉQUENCES
La pénétration saharienne, si longtemps interrompue, marche à pas de géant dans les premières années du vingtième siècle. La période de 1900 à 1912 est, à cet égard, absolument décisive. C'est à ce moment que l'empire français d'Afrique se constitue véritablement, que ses divers tronçons se soudent, que la question saharienne se règle, que le problème marocain enfin reçoit la solution qu'exigeaient nos intérêts africains.
Les oasis du Sud-Ouest furent occupées à la suite de l'attaque de la mission Flamand, dont l'escorte, commandée par le capitaine Pein, s'empara d'In-Salah en décembre 1899. L'occupation fut maintenue, mais on ne se décida pas sans quelque hésitation à lui donner la suite qu'elle comportait; les à-coups et les lenteurs rendirent l'opération plus coûteuse. En mars 1900, on résolut d'en finir avec les oasis du Touat. Une colonne, sous les ordres du colonel d'Eu, acheva la prise de possession du Tidikelt, non sans avoir eu un combat acharné à soutenir dans l'oasis d'Inrar, située à 50 kilomètres d'In-Salah. D'autre part, la colonne Bertrand, forte de 2 000 hommes, partie de Duveyrier, occupait Igli sans coup férir. Des forces venues d'El-Goléa et de Géryville convergeaient sur Tabelkoza et Timmimoun et occupaient le Gourara. Enfin le général Servière recevait la soumission des ksours du Touat et entrait le 30 juillet 1900 à Adrar. Certaines oasis du Gourara avaient fait appel aux Beraber pour organiser la résistance à notre domination. Les sanglants combats de Sahela-Metarfa (30 août et 5 septembre 1900), de Timmimoun et de Charouin (18 et 28 février 1901) nous montrèrent que notre sécurité était loin d'être complète de ce côté. Cependant, au printemps de 1901, la " question du Touat " peut être considérée comme résolue.
La prise de possession des oasis ne s'était pas opérée sans d'assez grandes difficultés, les unes inhérentes à l'opération elle-même, les autres résultant des erreurs de méthode consistant à accumuler inutilement dans ces régions pauvres de lourds et onéreux effectifs de troupes régulières, qui ne pouvaient y subsister qu'au prix d'énormes sacrifices d'argent et d'animaux.
M. Jonnart, lors de son premier séjour à Alger, avait préconisé la formation de forces sahariennes recrutées sur place; M. Révoil réalisa cette organisation. Un décret du ter avril 1902 créa les Compagnies sahariennes, qu'on a définies une tribu nomade militairement encadrée. Ces Compagnies, composées d'hommes recrutés parmi les habitants du Sahara et qui, au moyen de la solde qui leur est attribuée, se nourrissent et s'entretiennent eux-mêmes, sont encadrés par un personnel français spécialisé et choisi avec le plus grand soin.
Elles ont les qualités d'endurance, de sobriété, d'énergie nécessaires pour mener d'une façon continue la vie nomade du désert, pour rivaliser de hardiesse et de vitesse avec leurs adversaires et pour les dominer grâce à un meilleur armement, à une discipline plus forte, à une direction supérieure.
Si nous avions longtemps hésité à occuper les oasis, c'était dans la crainte d'ouvrir prématurément la question du Maroc. Cette crainte n'était pas vaine. Dès la conquête des oasis, il devint évident que l'équivoque du traité de 1845 ne pouvait se prolonger sans risques. A ce traité, qui avait résolu le problème des frontières sahariennes en le déclarant inexistant, les faits donnaient chaque jour des démentis pleins de menaces. A l'instigation de M. Révoil, un protocole destiné à interpréter le traité de 1845 fut signé à Paris le 20 juillet 1901 et complété par les accords du 20 avril 1902.
Ces conventions organisèrent une politique de collaboration entre la France et le gouvernement chérifien dans les régions frontières. Quoique le makhzen ne se prêtât que d'assez mauvaise grâce à cette collaboration, les accords conclus par M. Révoil facilitèrent notre progression vers le Sud et le Sud-Ouest; ils donnèrent plus d'aisance aux mouvements de nos troupes et nous délivrèrent de la préoccupation, si vive jusque-là, que le moindre incident ne fût exploité contre nous auprès du sultan.
Cependant les vols et les agressions contre nos postes et nos convois, enlèvements de troupeaux, assassinats de sentinelles, attentats contre les isolés, se multipliaient d'une manière de plus en plus inquiétante dans la région de la Zousfana. M. Jonnart, replacé à la tête du gouvernement général en mai 1903, était décidé à mettre un terme à cet état de choses. Il se rendit aussitôt dans le Sud-Ouest; au cours de sa tournée, le 31 mai, son escorte fut attaquée par les habitants de Zenaga, le principal des ksours de Figuig. Cet incident ne fit que hâter l'exécution des mesures de police prévues. Le 8 juin, le ksar de Zenaga fut bombardé et les habitants demandèrent l'aman. Mais la soumission des sédentaires ne réussit pas à mettre fin aux coups de main des nomades, comme en témoigna l'attaque du poste de Taghit (août 1903).
C'est M. Jonnart qui appela dans l'Afrique du Nord le grand colonial qui devait pacifier et organiser le Maroc. Sur ses instances, le gouvernement se décida à confier le commandement de la subdivision d'Aïn-Sefra au colonel Lyautey, qui s'était déjà trouvé aux prises avec des difficultés analogues au Tonkin et à Madagascar et y avait fait ses preuves comme organisateur; bientôt après, on renforça encore sa situation en dotant la subdivision d'une organisation autonome; son chef fut investi de l'autorité directe sur toutes les troupes stationnées dans son commandement, sous le contrôle du ministre de la Guerre et du gouverneur général. M. Jonnart défendit énergiquement son collaborateur contre les bureaux des ministères et contre les embûches de toutes sortes; il le soutint et l'encouragea dans l'œuvre par laquelle il allait préluder, dans les confins algéro-marocains, à celle qu'il devait accomplir dans l'empire chérifien.
Il n'y a pas de plus grand nom que celui de Lyautey dans l'histoire de la France coloniale moderne, ni d'œuvre plus belle que la sienne. " Ses incomparables qualités de chef, dit le rapport précédant le décret qui lui conférait la dignité de maréchal de France, son sens de l'action, son autorité, sa méthode et ses succès ont fait de lui un des meilleurs artisans de la gloire française. " Il aime à se dire l'élève de Gallieni, qui fut lui-même l'élève de Faidherbe ; avec ces trois hommes s'est renouée dans notre pays la grande tradition coloniale. La guerre, telle que Lyautey l'a pratiquée pendant sept ans en Algérie et pendant quatorze ans au Maroc, c'est moins une guerre qu'une pénétration pacifique, où la manifestation de la force permet d'en éviter l'emploi. L'action politique précède, accompagne et suit l'action militaire. La conquête à faire, ce n'est pas celle du territoire : c'est celle des populations qui y vivent.
Le poste qui abrite un marché et la patrouille de goumiers qui nettoie la piste ont une action plus efficace que la colonne qui fait le vide et qu'on oublie dès qu'elle est passée. Le marché se complète par l'infirmerie et l'influence du médecin est inséparable de celle du soldat. C'est la doctrine de l'action régionale, dans laquelle les opérations militaires sont rares, énergiques sans doute, mais brèves, tandis que les actions politiques, économiques et médicales sont permanentes et progressives.
La rénovation des méthodes ne va pas sans une adaptation de l'outil. Les colonnes passaient et ne pacifiaient pas ; les troupes, dispersées ensuite dans les postes, y menaient une déprimante vie de garnison. Il fallait rendre à ces forces, calquées sur le modèle des troupes françaises et façonnées en vue de la guerre européenne, les caractéristiques des troupes d'Afrique, diminuer leurs besoins, alléger leurs convois, les doter d'éléments légers, aussi mobiles que l'adversaire. Il fallait les convaincre que, suivant le mot de Lyautey, on se garde par le mouvement et les organiser en conséquence. Bugeaud avait eu ses zouaves et ses turcos : Lyautey eut ses goums, ses groupes francs, ses compagnies de légion montée, ses pelotons de méharistes. Des groupes mobiles, reliant entre eux leur action et s'appuyant sur un petit nombre de grands postes fortement constitués et ravitaillés, purent désormais atteindre nos adversaires, jusque-là si difficilement saisissables.
L' OCCUPATION DE BÉCHAR (1903) ET DE BERGUENT (1904)
Le Sud-Oranais était le point de contact de la pénétration saharienne et de la pénétration marocaine. Dès la conquête des oasis, nous avions été amenés à utiliser la ligne de communication naturelle de la Zousfana et de la Saoura pour relier les régions nouvellement occupées au Sud de la province d'Oran. Mais on ne pouvait guère s'établir dans le fossé, c'est-à-dire dans la vallée de la Saoura, sans être obligé de s'assurer en même temps le talus qui le borde, c'est-à-dire la région des Ouled-Djerir et des Douï-Menia. Aussi, dès son arrivée à Aïn-Sefra, le général Lyautey prépara l'installation à l'Ouest du Djebel-Béchar d'un poste qui fut créé le 11 novembre 1903 et qui prit le nom de Colomb-Béchar. La constitution de groupes mobiles à action rayonnante dans les nouveaux postes de Colomb et de Forthassa permit de porter la ligne de protection à l'Ouest de la Zousfana et de supprimer progressivement les garnisons échelonnées dans toute la série des postes. Une action politique incessante s'exerçait en même temps sur les groupements de la frontière et amenait les Douï-Menia et les Ouled-Djerir à accepter notre juridiction. Les Beni-Guil se soumirent à leur tour et en 1904 un poste destiné à les protéger fut créé à Berguent, point d'eau situé dans l'Oued-Charef, à 4 kilomètres de Ras-el-Aïn.
En 1905 et en 1906, des opérations de police, conduites avec autant de bonheur que d'activité, améliorèrent notablement la situation dans le Sud-Oranais. Le chemin de fer, poussé avec activité, atteignait Djenien-bou-Rezg en 1900, Beni-Ounif, à 4 kilomètres de Figuig, en 1903, Colomb-Béchar en 1905. Ainsi, depuis 1900, en l'espace de cinq ans, nous nous étions installés dans les oasis sahariennes, puis dans la Zousfana et la Saoura et en dernier lieu à l'Ouest du Béchar.
LA QUESTION TOUAREG ET LE GÉNÉRAL LAPERRINE
Dans le même temps que le général Lyautey instaurait la paix française dans les confins algéro-marocains, le colonel Laperrine la faisait régner dans l'immense Sahara. La pénétration saharienne eut la même fortune que la pénétration marocaine l'homme qu'il lui fallait ne lui fit pas défaut. De même que Lyautey avait adapté aux circonstances les doctrines de Bugeaud, Laperrine accommoda les méthodes de Lyautey aux nécessités sahariennes. La mobilité, recommandable dans le Sud-Oranais, est plus indispensable encore dans le vrai Sahara et s'y entend d'une façon plus absolue. L'occupation des oasis sahariennes s'était faite avec un grand appareil militaire : la conquête du Sahara central fut obtenue par une poignée d'hommes. Au printemps de 1902, le lieutenant Cottenest, envoyé à la poursuite d'un rezzou de Touaregs qui avait dévalisé quelques indigènes du Tidikelt, fut attaqué à Tit par 300 Touaregs, qu'il mit en fuite après leur avoir infligé de grosses pertes. Ces pertes avaient une singulière importance pour des guerriers dont le chiffre total ne dépassait pas 1 200 hommes et le combat du Tit eut un grand retentissement dans tout le Sahara. L'attitude à la fois bienveillante et ferme de Laperrine fit le reste et amena la soumission des Hoggar, qui étaient jusque-là le groupe réputé le plus hostile à notre domination. Le 20 janvier 1904, l'amenokal Moussa-ag-Amastane vint à In-Salah faire sa soumission, s'engageant à rendre les pistes du pays si sûres qu'un esclave portant de l'or sur sa tête pourrait traverser le Hoggar en toute tranquillité. Ainsi, la question touareg, ouverte depuis quarante ans et pour laquelle tour à tour Duveyrier, Polignac, Flatters, Foureau et Lamy avaient préconisé les solutions les plus opposées, se trouvait, à la première tentative de Laperrine, conduite à son dénouement.
Dans le Sahara occidental, les Touaregs Azdjer restèrent plus longtemps rebelles à notre influence et les résultats obtenus furent moins complets. Cependant la reconnaissance conduite à Djanet par le capitaine Touchard et les campagnes d'apprivoisement de Laperrine réussirent, malgré les difficultés suscitées par les agents ottomans de Rhat, à nous ramener une grande partie des tribus, dont le territoire fut parcouru en tous sens par nos Sahariens, appuyés sur les postes de Fort-Flatters (Temassinine) et Fort-Polignac.
De ce côté, la limite de la zone d'influence française était déterminée par les conventions franco-anglaises du 14 juin 1898 et du 26 mars 1899; les oasis de Rhadamès et de Rhat étaient placées dans la zone tripolitaine et pénétraient dans notre territoire comme deux antennes gênantes, mais le tracé nous réservait la plupart des terrains de parcours des Azdjer avec les principaux points d'eau.
En 1902, l'Italie, héritière éventuelle de la Tripolitaine, adhéra à l'arrangement franco-anglais.
Pendant la guerre italo-turque, nous occupâmes Djanet sans difficultés, et nous étendîmes notre prise de possession jusqu'aux limites fixées par l'arrangement de 1899.
De toutes parts, le Sahara et ses habitants étaient enserrés dans les mailles de notre réseau. Notre installation au Touat, succédant à notre entrée à Tombouctou, était bientôt suivie de l'occupation d'Agadès. Le 18 avril 1904, Laperrine, parti d'In-Salah avec un petit détachement de méharistes, rencontrait à Timiaouine, dans l'Adrar des Ifoghas, une reconnaissance venue de Bourem et rendait sensible, par cette jonction, la pacification du Sahara central. Une décision ministérielle du 7 juin 1905, suivie d'un arrangement du 20 juin 1909, traça la limite entre l'Algérie et le Soudan; partant du Hoggar, elle aboutit d'une part à l'Atlantique au cap Noun, d'autre part à la frontière tripolitaine près de Rhat.
Cette limite, bien entendu, n'est pas et ne saurait être une barrière; de nombreuses jonctions furent réalisées entre les troupes soudanaises et algériennes, et de plus en plus fréquemment les officiers de deux territoires des Oasis et du Niger se réunirent pour l'étude des questions qui nécessitaient une entente. Avec de faibles escortes, des voyageurs et des savants purent se rendre sans être inquiétés d'Alger à Tombouctou.
LA PACIFICATION DES CONFINS ALGÉRO-MAROCAINS (1907-1910)
La question de la pénétration saharienne une fois réglée, c'est vers les territoires beaucoup plus intéressants qui s'étendent à l'Ouest de l'Algérie qu'il nous fallait reporter nos regards.
L'acte d'Algésiras du 7 avril 1906 avait d'ailleurs reconnu " la situation spéciale faite à la France au Maroc par la contiguïté sur une vaste étendue de l'Algérie et de l'empire chérifien, et par les relations particulières qui en résultent entre les deux pays limitrophes. " Par ces dispositions, la portée des accords de 1901 et de 1902 se trouvait sensiblement accrue. L'Algérie pouvait en tirer une amélioration notable de sa position vers l'Ouest. Elle s'y employa avec succès de 1907 à 1910.
M. Jonnart estima que, pour y parvenir, l'unité d'action politique et militaire était indispensable et proposa de confier au général Lyautey le commandement de la division d'Oran, en même temps qu'il resterait à la tête du territoire d'Aïn-Sefra. Toute une série de vexations et de mauvais procédés de la part des autorités chérifiennes rendirent nécessaire l'occupation d'Oudjda, qui fut effectuée le 29 mars 1907. Cette occupation ne donna pas les résultats qu'on aurait pu en attendre en raison des restrictions qui y furent apportées, la colonne expéditionnaire ayant reçu l'ordre de ne pas dépasser un rayon de 10 kilomètres autour de la ville. M. Jonnart réclama en vain l'occupation de Cheraâ pour contenir les populations voisines. L'agitation croissante aboutit à une violation du territoire algérien dans la région du Kiss. Il fallut se décider à intervenir chez les Beni-Snassen ; l'opération, remarquablement conduite par le général Lyautey, aboutit en quelques semaines à la soumission de 30 000 Berbères.
L'affaire des Beni-Snassen était à peine terminée que, pour la première fois depuis 1903, la situation dans l'Extrème-Sud redevenait inquiétante. Au cours de l'année 1908, des harkas considérables, fanatisées par des marabouts, se rassemblèrent au Tafilelt et vinrent nous attaquer dans le Sud-Oranais ; la riposte à leurs agressions nous conduisit sur le Haut-Guir ; la harka fut repoussée près du ksar de Bou-Denib, où une garnison fut laissée; le ter septembre, dans un blockhaus voisin du ksar, 75 hommes commandés par le lieutenant Vary se défendirent héroïquement pendant dix-huit heures contre les attaques furieuses de 20 000 Marocains. Quelques jours après, la colonne Alix mettait la harka en pleine déroute à Djorf et la poursuivait jusqu'à Toulal. Cette victoire arrêta le mouvement de guerre sainte qui avait précipité sur nous les Beraber et laissa aux indigènes une très vive impression de terreur et de découragement. Le sentiment de force irrésistible qu'avait donné aux Marocains la défaite des harkas de 1908 fut malheureusement un peu atténué par l'affaire d'Anoual, où une de nos reconnaissances subit le ter décembre un échec qui nous fut infligé par les Aït-bou-Chaouen. L'effort militaire que ce soulèvement, succédant à celui des Beni-Snassen, avait rendu nécessaire, montrait que, sur toute la frontière algéro-marocaine, du Kiss au Guir, une grande vigilance était plus que jamais indispensable.
D'autre part, la crise dynastique qui opposait au sultan Abd-el-Aziz son frère Moulay-Hafid ébranlait tout le Maroc. La question du Maroc se posait dans son entier et entrait dans une phase nouvelle. Le gouvernement décida de confier au général Lyautey la direction et la responsabilité de toute la zone algéro-marocaine et le 19 mai 1908, il fut investi de la charge de haut-commissaire du gouvernement dans les confins.
Quelques mois après, il adressait au président du Conseil un programme complet d'organisation, destiné à assurer d'une façon définitive la protection de la frontière algérienne, la sécurité de ses abords, l'innocuité des foyers d'agression voisins.
La période qui va de la fin de 1908 au mois de mai 1910 est une période d'attente. Elle fut d'ailleurs amplement mise à profit pour consolider les résultats acquis, apprivoiser les indigènes, les habituer à notre contact, en faire sentir les avantages à ceux que nous avions sous la main, y préparer ceux qui ne nous connaissaient pas encore. C'est ainsi qu'entre la défaite des harkas et les opérations du printemps de 1910, des zones nouvelles furent acquises sans coup férir à la sécurité et à la pacification. Dans le Nord, le commandant Féraud entrait en relation avec les populations du massif montagneux situé au Sud d'Oudjda.
Le ksar d'Ain-Chair se ralliait entièrement à notre cause. Les postes de Bou-Anan et de Bou-Denib rassuraient et apprivoisaient graduellement les ksours de l'Haïber et du Haut-Guir, rayonnaient sur les hammadas environnantes, y poursuivaient les djichs et les rezzous. Les populations les plus farouches prenaient confiance et entraient en relations avec nous. Au printemps de 1910, le Sud de l'amalat d'Oudjda et le Nord du Haut-Guir étaient gagnés à notre influence jusqu'au voisinage de la Moulouya.
Un nouveau pas en avant fut alors accompli; les mouvements combinés de nos détachements de Bou-Denib, Colomb, Berguent et Oudjda mirent à la raison les tribus qui manifestaient encore des sentiments hostiles. Pendant que le général Alix et le colonel Strasser opéraient à l'Ouest d'Anoual, châtiaient les Ait-bou-Chaouen et les Aït-Hammou, le général Lyautey et le colonel Féraud, poursuivant l'application de l'accord de 1902, qui prévoyait l'établissement de marchés à El-Aïoun-Sidi-Mellouk et à Debdou, occupaient Taourirt, carrefour des routes conduisant à Debdou, à Melilla et d'autre part à Taza et à Fez.
Le colonel Féraud entreprenait une série d'opérations en éventail dans la plaine de Tafrata; le 10 juillet 1910, deux fractions de la tribu des Beni-bou-Yahii nous attaquaient au gué de Moul-el-Bacha, mais peu après elles venaient à résipiscence et payaient l'amende qui leur était imposée.
L'occupation de Taourirt nous permettait d'étendre sur la basse Moulouya, depuis la mer jusqu'à Guercif, la même surveillance que la colonne Alix et nos postes du Guir venaient d'exercer sur la moyenne Moulouya. Ainsi, la question des confins algéro-marocains s'était trouvée ramenée d'abord d'In-Salah à Figuig, puis de Figuig à Oudjda. Du Nord au Sud, l'Algérie se trouvait couverte par une zone acquise à la sécurité, grâce à l'action combinée de notre politique et de nos armes. Ces opérations consacraient la supériorité des méthodes inaugurées sept ans auparavant ; il faut en rapporter l'honneur au général Lyautey et au gouverneur Jonnart, qui s'était efforcé de faciliter en toutes circonstances la tâche de son collaborateur.
LE PROTECTORAT MAROCAIN (1912)
L'anarchie grandissante qui ruinait rapidement l'autorité du sultan précipita au Maroc le cours des événements. Le 27 avril 1911, Moulay-Hafid, assiégé dans Fès par les tribus en révolte, adressait un appel à la France et demandait que nos troupes vinssent le secourir dans sa capitale. La colonne expéditionnaire du général Moinier, partie de Casablanca, arriva à Fès le 21 mai.
Le 30 mars 1912, Moulay-Hafid signait le traité qui plaçait le Maroc sous notre protectorat et le 2 avril 1912, le. général Lyautey était nommé résident général de France au Maroc; il devait le rester jusqu'au 11 octobre 1925.
Ainsi s'achève la constitution de notre nouvel empire colonial. La question tunisienne, la question saharienne, la question marocaine ont été successivement résolues. " De Cambon en Tunisie à Lyautey au Maroc, dit Émile Bourgeois, quel achèvement en trente ans de l'effort séculaire qu'Alger s'apprête à célébrer en 1930! " L'Algérie a joué un rôle considérable dans le développement et l'organisation de notre empire nord-africain. Elle a été la pépinière et l'école de cet admirable corps d'officiers des affaires indigènes qui seconda si efficacement l'effort de nos troupes. Elle a pris largement sa part de la conquête, de la pacification et de la colonisation du Maroc. C'est surtout dans les confins de l'Ouest que la colonie fut à la peine et à l'honneur. Sans elle, sans l'œuvre patiente accomplie pendant des années dans la région algéro-marocaine, l'établissement du protectorat français au Maroc n'eût pas été possible.
L'ALGÉRIE PENDANT LA GUERRE (1914-1919)
En Algérie, les intrigues allemandes affectaient les formes les plus diverses ; tantôt c'étaient des savants, naturalistes, géographes, ethnographes, orientalistes, qui prenaient prétexte de leurs recherches pour pénétrer dans les milieux indigènes ; tantôt d'inoffensifs acheteurs de moutons ou des chercheurs de mines, qui disparaissaient tout à coup par les voies les plus rapides lorsqu'ils se sentaient surveillés. Les touristes allemands, qu'amenaient en troupes compactes les beaux navires de la Hamburg-Amerika, se transformaient en propagandistes bénévoles ; on les vit un jour faire embarquer, à Alger même, des déserteurs de la Légion étrangère, sous les yeux des indigènes stupéfaits de tant d'audace.
Les résultats de toutes ces intrigues furent médiocres. Un Allemand qui avait essayé de se glisser dans la zaouïa de Sidi-Ahmed-el-Kebir, près de Blida, en simulant une conversion à l'islam et en prenant le costume indigène, fut bientôt dénoncé par les musulmans eux-mêmes. Le savant Frobenius, qui s'était installé dans un village kabyle peu de temps avant la guerre, ne parlait aux indigènes que le revolver au poing et ne leur laissa pas de bien bons souvenirs. Le baron von Oppenheim s'était efforcé sans plus de succès de travailler les confréries religieuses.
C'est en Algérie que furent tirés les premiers coups de canon de la grande guerre. Le 4 août 1914, au lever du jour, deux navires de la flotte allemande, le Goeben et le Breslau, se présentaient devant la côte algérienne; le Goeben bombardait Philippeville, pendant que le Breslau attaquait Bône ; ils lancèrent une soixantaine d'obus, tuèrent quelques hommes et occasionnèrent des dégâts matériels assez importants. Ce bombardement n'était pas un acte fortuit, mais bien la manifestation d'un plan longuement mûri; les Allemands espéraient que les coups de canon du Goeben et du Breslau éveilleraient quelque écho dans les montagnes kabyles et qu'une insurrection, à laquelle ils auraient tendu la main en prenant possession d'un ou de plusieurs ports et qu'ils auraient encouragés de leurs subsides, viendrait dès le début de la guerre européenne compliquer notre tâche et entraver la mobilisation. Il n'en fut rien et le XIXe corps fut transporté en France sans difficulté. Les Allemands les mieux informés et les plus perspicaces se rendirent compte rapidement qu'une insurrection générale de l'Afrique du Nord n'avait aucune chance de se produire.
L'entrée en guerre de la Turquie, le 29 octobre 1914, bientôt suivie de la proclamation de guerre sainte, laissa les musulmans algériens assez indifférents. Pendant toute la durée de la guerre, des brochures et des proclamations, dont une faible partie seulement parvint à destination, furent expédiées par ballots. Une des plus notables de ces brochures fut celle que publia à Constantinople l'Algérien Bou¬Kabouya, lieutenant de tirailleurs qui avait déserté devant l'ennemi; ce tract, intitulé L'Islam dans l'armée française, présentait sous le jour le plus sombre la situation des indigènes enrôlés sous nos drapeaux.
En 1916 se constitua à Berlin un Comité musulman pour l'indépendance de l'Algérie; il était dirigé par un fils d'Abd-el-Kader, l'émir Ali. Mais toute cette propagande ne donna pas les résultats escomptés.
Le banditisme, qui a toujours existé à l'état endémique dans les régions montagneuses et boisées de l'Algérie, se développa pendant la guerre, qui avait amené, en même temps que la diminution des effectifs$militaires, la mobilisation d'une partie des autorités de surveillance et de répression. C'est surtout en 1915 que le fléau sévit et qu'on observa une recrudescence de crimes et de délits de droit commun, dont les indigènes furent victimes autant et plus que les Européens. En 1916, la situation s'améliora. Cependant, jusqu'à la fin de la guerre, en particulier dans la province de Constantine, la sécurité fut troublée à diverses reprises par des associations de malfaiteurs, ayant à leur tête des soldats indigènes déserteurs ou insoumis et des prisonniers évadés.
Un certain nombre d'incidents eurent pour cause première la résistance au service militaire et à l'enrôlement des travailleurs. Les deux plus sérieux furent l'affaire des Beni-Chougran (octobre 1914) et l'affaire du Bellezma (novembre 1916). Dans la région des Beni-Chougran, située entre Perrégaux et Mascara, sous l'influence d'excitations maraboutiques, une échauffourée sanglante se produisit à l'occasion des opérations de recrutement. Dans le Bellezma, les troubles eurent un caractère plus sérieux; le bordj de Mac-Mahon, chef-lieu de la commune mixte d'Aïn-Touta, fut assiégé, le sous-préfet de Batna et l'administrateur assassinés, le village et la gare pillés. L'arrivée d'un bataillon de Sénégalais empêcha le mouvement de s'étendre. Les foyers d'agitation s'éteignirent, les résistances tombèrent et ne dégénérèrent jamais en insurrection. Dans l'ensemble, la bonne tenue de l'Algérie fut remarquable. La guerre européenne de 1914 fournit en quelque sorte la contre-épreuve de celle de 1870 : tandis que la première avait été suivie d'une insurrection en Algérie, la seconde montra à quel point les indigènes s'étaient rapprochés de nous et considéraient leurs intérêts comme solidaires des nôtres.
LE SAHARA PENDANT LA GUERRE
Pendant une douzaine d'années, de 1902 à 1914, le Sahara français avait joui d'une tranquillité aussi parfaite que le comportaient le caractère du pays et celui des habitants. Sans doute, des rezzous l'avaient encore parcouru, mais aucun des postes que nous y avions fondés, soit à la lisière de l'Afrique du Nord, soit au cœur même de la zone désertique, n'avait été sérieusement inquiété; leur ravitaillement s'était effectué sans trop de difficultés et l'apprivoisement des indigènes, Touaregs et autres, avait fait des progrès remarquables.
La situation dans l'ensemble était bonne lorsque éclata la guerre européenne.
La tranquillité de l'Algérie et des territoires du Sud dépendait de la résistance qu'offriraient les marches qui les protégeaient sur leurs flancs dans le Sud¬Tunisien et dans le Sud-Oranais. C'est du côté du Sud-Tunisien et de la Tripolitaine que se produisirent au début de la guerre des événements importants. La Libye, où les Italiens avaient occupé Rhadamès en 1913, le Fezzan et Rhat en 1914, renfermait des populations encore insoumises; les Turcs et les Allemands essayèrent, en s'appuyant sur la confrérie musulmane des Senoussiya, de les lancer contre les Italiens d'abord, puis contre les Français. En septembre-octobre 1915 se produisit une grande poussée contre nos postes de l'Extrême-Sud tunisien, Dehibat et Oum¬Souigh ; une colonne partie de Tataouine les délivra; la harka, dont les pertes étaient considérables, se retira en Tripolitaine où elle se dispersa.
L'agitation avait gagné les Touaregs Azdjer, fortement travaillés par la propagande senoussiste. Djanet, assiégée par une harka et héroïque ment défendue par le maréchal des logis Lapierre, succomba, fut reprise, puis évacuée. Il en fut de même de Fort-Charlet, dont une mehalla, dotée d'un matériel de guerre pris aux Italiens en retraite, s'était emparée; une colonne commandée par le colonel Meynier le réoccupa, mais pour l'évacuer aussitôt en raison des difficultés de ravitaillement. Un repli plus général parut même s'imposer et Fort-Polignac fut également abandonné.
Le 1er décembre 1916, le Père de Foucauld était assassiné dans son ermitage de Tamanrasset par une bande senoussiste venue de Tripolitaine. Après ses belles explorations au Maroc et des séjours en Palestine, il s'était fait ordonner prêtre à quarante-trois ans et s'était installé à Beni-Abbès, pour s'y employer à des oeuvres charitables; puis, à la suite d'entretiens avec Laperrine, qui avait été son camarade à Saint-Cyr et était demeuré son ami intime, il avait vu dans l'apprivoisement des Hoggar une besogne réalisable et en 1905 avait pris pour centre d'action Tamanrasset.
Vivant plus misérablement que le plus pauvre des Touaregs, soignant les malades et les enfants, propageant avec ténacité de menus progrès matériels, apaisant les querelles, portant partout, dans cet âpre monde du désert, sa souriante bonté et son angélique patience, le « marabout chrétien » fut bientôt adoré des Hoggar et célèbre dans le Sahara tout entier. Son prestige et son dévouement semblaient devoir garantir contre tout attentat cet homme admirable, qui fut un savant, un patriote et un saint et qui mourut en martyr pour son pays et pour sa foi.
Les Hoggar, impressionnés par la mort du Père de Foucauld et par les succès senoussistes en pays azdjer démesurément grossis, entrèrent à leur tour en dissidence, abandonnant leurs terrains de parcours et se réfugiant les uns dans l'Aïr, les autres dans la région montagneuse de l'Ilaman. Même la fidélité de leur chef, l'amenokal Moussa¬ag-Amastane, un de nos plus fidèles alliés, parut un instant ébranlée. A l'autre extrémité du Sahara, un Touareg de l'Aïr, Kaoussen, assiégeait notre poste d'Agadès avec des bandes senoussistes. Le Sahara tout entier semblait nous échapper.
Pour remédier à ce péril, le général Lyautey, alors ministre de la Guerre, fit appel au général Laperrine, qui avait été le pacificateur et l'organisateur du Sahara. Une décision du 12 janvier 1917 lui donna autorité sur l'ensemble des territoires sahariens de l'Algérie, de la Tunisie et de l'Afrique occidentale. La situation, qui paraissait profondément troublée, se rétablit avec une surprenante rapidité. Laperrine réussit en peu de temps à reprendre en main les populations sahariennes. Il mit Fort-Flatters en état de défense, conserva Fort-Motylinski et fit démentir énergiquement les bruits d'abandon du Tidikelt que répandaient nos ennemis.
Le capitaine Depommier rentra à Djanet et obtint la soumission des Azdjer. Il ramena Moussa-ag-Amastane, dont l'influence et les négociations aboutirent bientôt à la soumission presque totale des Hoggar. La garnison d'Agadès fut débloquée; Khaoussen, poursuivi et traqué par nos colonnes, avec lesquelles Moussa collabora, abandonna la lutte; sa fuite ramena le calme dans l'Aïr, qui fit sa soumission complète.
Dès la fin de 1917, le Sahara et ses habitants n'inspiraient plus d'inquiétudes. L'année 1918 marqua la fin de l'agitation que la guerre y avait fait naître et que l'appui donné par les Germano-Turcs aux contingents tripolitains avait réussi à y propager. La situation redevint tout à fait comparable à ce qu'elle était en 1914. La question du Sahara central ne fut plus qu'une question de police locale, pour laquelle nous disposions, avec les Compagnies sahariennes, d'un outil parfaitement adapté au milieu.
Dans le Sahara occidental, de graves événements se produisirent au Tafilelt en 1918. Le chérif Mohammed-Semlali fit assassiner la mission française établie à Tighmart et souleva les Ait-Atta. Le 9 août 1918, un combat malheureux eut lieu à Gaouz dans une des palmeraies du Tafilelt ; l'insurrection menaçait de s'étendre; on fit appel à des forces empruntées à l'Algérie, mais c'est seulement en janvier 1919 que les harkas se dispersèrent et que la résistance fut brisée. On ne se décida pas d'ailleurs à occuper le Tafilelt et on résolut d'attendre la fin de la guerre pour cette opération.
Grâce au chef exceptionnel que fut le général Lyautey, grâce à des prodiges sans cesse renouvelés d'habileté politique et de valeur militaire, l'armature avait tenu bon au Maroc, aussi bien qu'en Tunisie et au Sahara. On n'imagine que trop ce qui serait arrivé si nous avions lâché pied dans l'empire chérifien; l'incendie, comme l'espéraient les Allemands, aurait pu gagner l'Algérie, la Tunisie, tous nos pays musulmans.
LES SOLDATS ET LES TRAVAILLEURS INDIGÈNES
Non seulement l'Algérie n'a pas été pour la France pendant la guerre une cause de fai¬blesse et une source de difficultés, mais elle a apporté à la métropole un concours militaire des plus précieux; elle a aidé la mère-patrie dans la grande crise en lui fournissant des soldats et des travailleurs. Il n'y a pas lieu d'insister sur les contingents européens; tous les hommes valides furent mobilisés, comme en France, et utilisés tant sur le front français que sur le front d'Orient; les effectifs français atteignirent 155 000 hommes, dont 1 15 000 quittèrent l'Algérie; les pertes s'élevèrent à 22 000 hommes. Pour les indigènes, au moment de l'ouverture des hostilités, le système du recrutement entrait à peine en application et sous une forme très atténuée; on n'appelait que 2 500 hommes sur un contingent de 45 000. Au cours de la guerre, en même temps que les engagements étaient poussés à outrance, le nombre des appelés était augmenté. Le décret du 7 septembre 1916 soumit les indigènes à un régime qui se rapprochait sensiblement de celui des Français d'origine. Sous la pression des événements, il était devenu indispensable d'intensifier le recrutement; en 1917 et en 1918, on eut recours à l'incorporation complète du contingent et à l'appel total des classes, combattants et auxiliaires. A partir de 1918, le droit au remplacement fut suspendu, comme le prévoyait le décret de 1916. Au total, en tenant compte des effectifs existant au 1er août 1914, l'Algérie indigène a fourni pendant la guerre 173 000 hommes, dont 83 000 appelés, 87 000 engagés et 3 000 réservistes, soit environ 3,6 pour 100 de la population indigène. Les pertes, très inférieures dans l'ensemble à celles des Français, s'élevèrent à 25 000 hommes. On attribua aux familles des indigènes mobilisés les mêmes allocations qu'aux familles françaises : 1 fr. 25 par jour, plus 50 centimes par enfant. Cette allocation assura la subsistance de beaucoup de familles indigènes et, étant donné leur sobriété, il en résulta pour elles un réel enrichissement. Les sommes ainsi distribuées s'élevèrent à 70 millions. Sur la Marne, sur l'Yser, sur la Somme, à Verdun, les troupes indigènes ont fait l'admiration du monde, soient qu'elles aient combattu sous les drapeaux de leurs régiments, soit que leurs bataillons aient concouru avec des bataillons de zouaves à constituer des régiments mixtes. Les Allemands mirent tout en oeuvre pour amener les prisonniers indigènes à prendre du service dans l'armée turque. La plupart furent internés au Camp-du-Croissant, à Zossen, près de Berlin ; séparés de leurs officiers, commandés par des officiers allemands parlant l'arabe, ils furent l'objet des attentions les plus flatteuses; on leur fit la cuisine selon leurs rites et leurs goûts ; on les combla de promesses et d'argent; on leur construisit une mosquée; la séduction alternait avec la brutalité. Ces tentatives de débauchage eurent peu de succès et se heurtèrent en général à de très vives résistances.
L'Algérie indigène pendant la guerre ne fournit pas seulement des soldats, mais aussi des travailleurs pour les usines. Dès 1907, un mouvement d'émigration de travailleurs vers la France s'était dessiné dans la population de la Kabylie, région montagneuse et surpeuplée, habitée par des indigènes énergiques et très âpres au gain. A côté des colporteurs kabyles, de plus en plus nombreux, qu'on trouvait à Paris, à Marseille, à Lyon et dans la France entière, on rencontrait des indigènes dans certains établissements industriels et miniers, notamment dans le bassin houiller du Pas-de-Calais. Le nombre des émigrants s'accroissait d'année en année ; une enquête effectuée en 1914 évaluait leur nombre à 1 000 environ, dont 7 500 dans les mines du Pas-de-Calais. Dès le début de la guerre, les indigènes s'employèrent dans les usines de munitions, où les attiraient des salaires rémunérateurs ; on songea bientôt à régulariser et à accroître cet exode. Le décret du 14 septembre 1916 prévoyait le recrutement par voie d'embauchage volontaire et à défaut par voie de réquisition de travailleurs algériens pour les usines de guerre. Afin de ne pas nuire aux engagements militaires, ils devaient être choisis parmi les hommes des classes antérieures à la classe 1915. Le recrutement des travailleurs, comme celui des soldats, donna des résultats très inégaux suivant les régions, tant au point de vue du nombre qu'au point de vue de la valeur. Certaines populations, déjà habituées à l'émigration, s'y prêtèrent d'assez bonne grâce; d'autres s'effrayèrent et cet effort, demandé au moment même où on levait intégralement la classe 1917, portant sur des hommes déjà âgés et pères de famille, parait avoir été la principale cause des incidents de la province de Constantine. Au total, l'Algérie fournit pendant la guerre 89 000 travailleurs recrutés administrativement; si l'on y ajoute les travailleurs libres, on arrive, d'après les estimations les plus dignes de foi, au chiffre de 119 000.
LA VIE ÉCONOMIQUE DE L'ALGÉRIE PENDANT LA GUERRE
En raison de sa situation géographique, l'Algérie a surtout souffert pendant la guerre de la difficulté des communications maritimes. La guerre sous-marine, au moyen de laquelle l'Allemagne s'efforça d'entraver le ravitaillement des puissances de l'Entente et finalement de détruireleur marine marchande, rendit très précaires ses relations avec la métropole et eut sur sa vie économique des conséquences profondes.
Les destructions de navires furent très nombreuses dans la Méditerranée occidentale; les premiers sous-marins y parurent au printemps de 1915; en 1916, l' U-35 et l' U-39 y firent des croisières célèbres ; des transports de troupes, des paquebots et surtout de nombreux cargos furent torpillés sur les côtes de l'Algérie. Le maximum des destructions fut atteint en avril 1917; à partir de ce moment, le système des convois escortés fut substitué au système peu efficace des patrouilles ; des procédés variés, tant offensifs que défensifs, armement des navires, appareils fumigènes, camouflage, détection sous-marine, assurèrent à la marine marchande une protection plus sérieuse. Elle fut cependant très éprouvée. La plus grande partie du tonnage étant d'ailleurs réquisitionnée ou affrétée et consacrée aux besoins de la défense nationale, il devint de plus en plus difficile à l'Algérie de se procurer les navires nécessaires aussi bien pour ses exportations que pour ses importations. Seuls, les besoins les plus urgents reçurent satisfaction, partiellement et tardivement.
Le but à atteindre était, par un emploi judicieux des ressources de l'Algérie, de ne demander au commerce extérieur que les marchandises strictement indispensables, puis de mettre à la disposition de la métropole un excédent de production aussi considérable que possible. D'où deux questions essentielles : celle du ravitaillement de l'Algérie et celle de l'aide fournie par elle à la mère-patrie.
De 1914 à 1918, les récoltes de céréales suffirent à l'alimentation de la colonie et laissèrent des excédents pour l'exportation; des difficultés s'élevèrent néanmoins du fait qu'il fallait calculer aussi exactement que possible la quantité de céréales nécessaire au pays et ne laisser sortir que le superflu, étant donné la difficulté de se réapprovisionner. Le même problème se posa pour la viande et pour l'huile d'olive, qui est, avec la semoule, la base principale de l'alimentation des indigènes. Parmi les denrées que l'Algérie ne produit pas et qui lui sont indispensables, le sucre figure au premier rang; la consommation mensuelle atteint 3 000 tonnes; un des premiers soins du service du ravitaillement fut de s'en procurer; il n'y parvint pas sans de sérieuses difficultés. En dehors des produits alimentaires, la question la plus importante était celle des combustibles, houille, pétrole, essence; avant la guerre, l'Algérie recevait plus de 2 millions de tonnes de houille, dont 500 000 étaient absorbées par la consommation locale; en raison des restrictions, qui por¬tèrent principalement sur le nombre des trains et l'éclairage des villes, on pouvait à la rigueur se contenter de 400 000 tonnes, mais on n'arriva même pas à se les procurer et la situation fut à certains moments assez critique; en 1918, 240 000 tonnes seulement furent livrées à la consommation intérieure. A partir de 1917, ce n'est qu'avec beaucoup de peine également qu'on obtint le pétrole et l'essence nécessaires.
L'isolement forcé de l'Algérie pendant la guerre et l'élévation du prix des frets l'amenèrent à rechercher dans son sol ou son sous-sol des ressources encore inexploitées, à installer ou à développer un certain nombre d'industries. On rechercha sans grand succès des combustibles minéraux, dont l'Algérie s'est montrée jusqu'ici à peu près totalement dépourvue. La hausse du prix du charbon permit de reprendre l'exploitation des lignites de Marceau et de Smendou ; le petit gisement houiller de Kenadsa, à 20 kilomètres de Colomb-Béchar, fut aménagé et donna 5 à 6 000 tonnes. Les gisements pétrolifères de la région de Relizane fournirent quelques milliers de tonnes de pétrole brut. L'industrie de la minoterie et celle des pâtes alimentaires prirent un remarquable essor. En même temps que s'étendaient les plantations de tabac, les manufactures connaissaient une très grande activité. La production de l'alcool s'accrut en raison des obstacles que rencontrait l'exportation des vins. La difficulté de transporter des animaux vivants amena la création d'une usine frigorifique à Maison-Carrée. Une laverie de laines fut installée à Hussein-Dey. Dans la région d'Alger se créèrent quelques usines pour la fabrication du matériel de guerre. Les empêchements rencontrés pour l'exportation de l'alfa firent étudier la création d'usines pour la fabrication de la pâte à papier.
Pays avant tout agricole, c'est par les produits de la terre que l'Algérie pouvait venir le plus efficacement en aide à la France; elle n'y a pas manqué. Elle fournit à la métropole pendant les années de guerre des quantités de blé, d'orge et d'avoine qui varièrent suivant les récoltes, mais qui furent toujours importantes. La récolte de 1918 fut magnifique et laissa un excédent de 7 à 8 millions de quintaux de céréales, qui furent achetés par l'intendance et jouèrent un rôle important dans la victoire française; c'est en effet grâce à cette récolte que tous les transports maritimes purent être consacrés à amener les troupes américaines avec une rapidité qui avança d'un an la fin de la guerre, épargnant des pertes énormes en capitaux et en vies humaines. La récolte des vins, variable elle aussi, fut en moyenne de 7 à 8 millions d'hectolitres, s'élevant à 10 millions en 1914, s'abaissant à 5 millions en 1915; les hauts prix des vins procurèrent aux colons algériens des bénéfices remarquables, mais leur transport rencontra pendant toute la durée des hostilités les plus graves difficultés; on y remédia en partie par la distillation, qui réduisait le volume à transporter dans la proportion des neuf dixièmes.
Beaucoup d'autres denrées alimentaires furent fournies par l'Algérie à la métropole, notamment les fèves, l'huile d'olive, les dattes, les figues, les oeufs. Les moutons algériens (800 000 têtes par an) furent l'objet d'un important commerce, ainsi que les bœufs, les chevaux, les mulets, les ânes, les laines, les cuirs et les peaux. Le tabac profita largement de la guerre, la régie française achetant la plus grande partie de la récolte en feuilles et absorbant aussi beaucoup des produits des manufactures. En revanche, les lièges, les alfas, les produits miniers, par suite du manque de main-d'œuvre et surtout de la rareté du tonnage, réservé à des matières plus immédiatement utiles, furent victimes d'une stagnation et d'un arrêt presque complets, qui allèrent en s'accentuant à mesure que la guerre se prolongeait.
Le commerce de l'Algérie, malgré le manque de main-d'œuvre, de personnel de direction, de crédit, de matières premières, de transports maritimes, conserva pendant la guerre une certaine activité, quoique son volume total ait suivi une courbe descendante de 1913 à 1918, la diminution portant surtout sur les importations, qui furent toujours inférieures aux exportations pendant cette période. Les oscillations du trafic pendant les hostilités furent d'ailleurs indépendantes des influences d'ordre économique; elles n'eurent d'autre régulateur que les besoins de la défense nationale et les nécessités immédiates de la vie courante, commandées à leur tour par le resserrement des ressources, l'élévation des taux des frets et des assurances, la précarité des moyens de transports. La France s'aperçut pendant la guerre que l'Algérie constituait pour elle un marché de produits alimentaires et de matières premières qu'elle avait trop peu utilisé et dont elle ne soupçonnait pas l'importance.
LES EUROPÉENS ET LA CRISE DE LA COLONISATION
Les diverses catégories de populations qui sont en présence en Algérie ont inégalement souffert et inégalement profité de la guerre. Elle a éclairci les rangs des colons algériens comme ceux des paysans français. En outre, l'immigration s'est arrêtée et la natalité a baissé. L'élément européen n'a donc pas réalisé les gains qu'il aurait obtenus dans des conditions normales. Les pertes en vies humaines ont été sensiblement égales chez les Européens (22 000) et chez les indigènes (25 000), mais non équivalentes, puisque l'élément indigène est cinq fois plus nombreux. La population européenne, qui, de 1901 à 1911, avait augmenté de plus de 100 000 âmes, n'en a gagné que 40 000 de 1911 à 1921. Une des conséquences les plus frappantes de la guerre, c'est que l'accroissement de la population euro¬péenne a profité uniquement aux villes, qui ont absorbé la totalité de l'augmentation.
La fusion des divers éléments européens s'est poursuivie dans des conditions satisfaisantes. La colonie étrangère, décimée par les mariages mixtes et les naturalisations automatiques, tend de plus en plus à se confondre avec la population d'origine française. La distinction entre les Français d'origine et les naturalisés présente de moins en moins d'intérêt. Les naturalisés ont eu pendant la guerre une attitude parfaitement loyale et leur conduite n'a donné lieu à aucune critique.
La fraternité des Algériens est désormais scellée dans le sang et il n'y a plus qu'une seule catégorie de Français : ceux qui ont combattu contre l'ennemi commun. C'est ici le lieu de se remémorer les pages où Renan a si éloquemment démontré que ce qui constitue une nation, ce n'est ni la forme du crâne, ni l'identité d'origine, mais la communauté des souvenirs et des espérances, des gloires et des deuils. D'autre part, l'immigration espagnole, en raison des conditions du change, n'est plus attirée par les hauts salaires et s'est arrêtée. Bref, on peut dire que la guerre, en Algérie, a fait avancer la fusion des éléments européens. Il n'est plus question du « péril étranger », qui avait paru si redoutable vingt ans auparavant. Dans l'ensemble, l'Algérie a dû à la guerre un enrichissement au moins relatif, parce que la vie économique y a été moins complètement arrêtée qu'en France. Les Européens ont obtenu, notamment dans la viticulture, des bénéfices considérables. Mais les indigènes ont réalisé plus de profits encore que les colons et leur condition s'est transformée bien davantage. Il faut faire état des primes d'engagement et de démobilisation, des allocations journalières, des carnets de pécule, des salaires des travailleurs coloniaux; dans les communes de Kabylie, il a été payé pour 10 millions de francs de mandats postaux en 1914, 12 millions en 1915, 17 millions en 1916, 26 millions en 1917. Enfin et surtout, les hauts prix atteints par les céréales et par le bétail ont profité aux indigènes. Or, l'indigène possesseur de quelques ressources voit dans la terre le placement le plus sûr; inquiet de l'inflation fiduciaire, il cherche à se défaire de ses billets de banque et à les remplacer par des propriétés, qu'il est disposé à payer très cher.
Au début des hostilités, la mobilisation, les difficultés d'exploitation, l'incertitude des transactions et des transports avaient provoqué un fléchissement du prix des terres. Mais, dès la fin de 1917, les bonnes récoltes et la hausse des denrées agricoles amenèrent une plus-value générale. En 1919, la hausse est de plus en plus rapide et accentuée; une fièvre de spéculation sévit; bon nombre de propriétaires européens profitent de la hausse pour vendre leurs biens; quelques-uns les rachètent, puis les revendent plus cher encore. Les acquisitions de domaines européens par les indigènes sont de plus en plus nombreuses : « Vous nous avez pris la terre à coups de fusil, disent-ils, nous vous la reprenons à coup de douros. » En 1918 et 1919, les Européens vendirent aux indigènes 60 000 hectares de terre et en achetèrent seulement 35 000; le recul de la propriété européenne fut plus particulièrement marqué dans le département de Constantine et en Kabylie, où des centres entiers revinrent aux mains des indigènes; ce fait s'explique par la densité de la population indigène et la prédominance de l'élément berbère; dans l'Ouest de l'Algérie, les achats des Européens conservèrent presque partout la prépondérance.
LE TROISIÈME GOUVERNEMENT DE M. JONNART ET LES RÉFORMES INDIGÈNES (1918-1919)
En 1918, au moment de l'effort suprême, le gouverne ment de M. Clemenceau fit appel une fois encore à M. Jonnart et lui confia la direction des affaires de l'Algérie. Il s'agissait de faire accepter aux indigènes un recrutement militaire de plus en plus intensifié et aux colons des réformes indigènes très importantes : « Ne me demandez pas de soldats, avait dit M. Clemenceau à M. Jonnart, mais faites en sorte de m'en envoyer le plus possible. » Débarqué à Alger au milieu du mois de janvier 1918, le gouverneur général se mit immé¬diatement en relations avec les chefs indigènes, qui lui promirent leur concours le plus dévoué; en deux mois, il obtint une levée de 70 000 hommes, dont 50 000 pour l'armée et 20 000 pour les usines de guerre.
Cet empressement créait aux indigènes un nouveau titre à notre affection et à notre reconnaissance. En 1915 et en 1916, diverses propositions émanées de l'initiative parlementaire demandaient que la France reconnût par un acte législatif le dévouement et la fidélité des indigènes algériens. En novembre 1915, les Commissions des affaires extérieures de la Chambre et du Sénat réclamèrent du gouvernement l'exécution des réformes promises par l'ordre du jour du 9 février 1914, réformes que la guerre avait fait ajourner. Les présidents de ces Commissions, MM. Clemenceau et Leygues, devenus ministres, se devaient à eux-mêmes de ne pas laisser plus longtemps ces promesses en suspens. En janvier 1918, lorsque M. Jonnart accepta de nouveau, pour la durée de la guerre, les fonctions de gouverneur, il se mit d'accord avec le conseil des ministres sur un programme qui était la conclusion logique des votes et des délibérations antérieurs.
Le caractère de M. Jonnart, son expérience de l'administration et de la politique algériennes, auxquelles il était si intimement mêlé depuis quarante-deux ans, étaient un sûr garant qu'il n'aurait pas collaboré à l'application de réformes qu'il eût désapprouvées et qu'il eût jugées de nature à soulever un antagonisme entre les colons et les indigènes. La guerre avait été pour les indigènes la pierre de touche, l'épreuve décisive de leur loyalisme; il convenait de les rapprocher de plus en plus de la famille française, de les associer de plus en plus étroitement à nos destinées.
Des considérations internationales venaient d'ailleurs s'ajouter aux arguments d'équité et de justice; il fallait que, le jour où les plénipotentiaires des pays belligérants se réuniraient en conférence pour mettre fin à l'horrible mêlée, nous pussions faire état avec orgueil de notre générosité envers les musulmans algériens. Cependant les réformes projetées rencontraient dans les assemblées de la colonie des résistances et des appréhensions ; le gouverneur dut déployer de grands efforts pour vaincre leurs hésitations et leurs objections ; les adversaires des réformes ne se sont pas trompés sur son rôle en cette circonstance lorsqu'ils ont donné à la loi qui les réalisait le nom de « loi Jonnart ».
Le programme arrêté par le gouvernement comportait des réformes militaires, des réformes fiscales, enfin des réformes administratives et politiques.
Au point de vue militaire, deux innovations étaient particulièrement intéressantes. La première permettait aux indigènes, qui auparavant ne pouvaient prétendre à un grade supérieur à celui de lieutenant, d'accéder aux grades les plus élevés de l'armée. La seconde disposait que les militaires indigènes auraient droit aux mêmes pensions de retraite et aux mêmes gratifications de réforme que les Français.
Au point de vue fiscal, la réforme était plus significative et plus profonde. Jus¬qu'en 1919, les impôts auxquels étaient assujettis les indigènes de l'Algérie et ceux que payaient les Européens étaient entièrement différents. Les impôts arabes étaient passablement compliqués et inégaux, mais ils reposaient sur de vieilles traditions; à maintes reprises, on avait songé à les modifier et à les réformer; dès 1859, le comte de Chasseloup-Laubat y avait pensé; M. Jules Cambon, après beaucoup d'autres, s'en était occupé en 1892; enfin M. Lutaud avait repris la question en 1911. La plupart des membres des assemblées algériennes déclaraient hautement que, une fois la paix conclue, l'égalité fiscale entre les Européens et les indigènes serait immédiatement réalisée. Dans leur session de 1917, ces assemblées avaient voté l'établissement de la contribution foncière sur la propriété non¬bâtie, qui fut appliquée à partir de 1918. La guerre se prolongeant, le gouvernement demanda à l'Algérie de ne pas ajourner plus longtemps la réforme. Elle fut votée par les Délégations financières le 21 juin 1918, et un décret du 30 novembre homologua cette décision. Elle réalisait l'assimilation fiscale, l'égalité complète entre les contribuables européens et indigènes; le régime des contributions directes fut en même temps réorganisé d'après les principes qui venaient d'être mis en vigueur dans la métropole. En vertu de ces dispositions, les impôts arabes et la contribution des patentes cessèrent d'être perçus; ils furent remplacés par une série d'impôts cédulaires, auxquels sont soumis les revenus des différentes catégories et par l'impôt complémentaire sur le revenu. Les impôts arabes furent maintenus seulement dans les territoires du Sud, où les Européens sont peu nombreux et les indigènes beaucoup moins évolués.
Quant aux réformes d'ordre administratif et politique, elles entrèrent dans la pratique par la loi du 4 février 1919 et par les décrets du 6 février 1919. Le statut personnel des indigènes musulmans, tel qu'il était réglé par le sénatus-consulte de 1865, comportait deux degrés : celui de la naturalisation complète, pour l'indigène qui, renonçant au statut personnel musulman, se soumettait aux lois civiles et politiques de la France et acquérait la qualité de citoyen français; celui du sujet français, qui conservait le statut personnel musulman et demeurait soumis aux règles particulières édictées pour la population indigène, telles que celles qui concernaient les contraventions spéciales de l'indigénat et la compétence des tribunaux répressifs. Entre ces deux statuts, la loi du 4 février 1919 créa un statut intermédiaire, dont étaient appelées à bénéficier de nombreuses catégories d'indigènes, qui, par leur situation personnelle, par leur degré d'évolution ou par les services qu'ils avaient rendus, étaient en mesure de prendre part utilement à la vie publique et de concourir directement ou par des représentants choisis par eux à la gestion des intérêts de la communauté.
Ce statut intermédiaire entre celui du sujet français et celui du citoyen français était la partie vraiment originale de la réforme de 1919. Quant aux indigènes qui désiraient devenir citoyens français, la loi ajouta encore aux facilités déjà très grandes que leur donnait le sénatus-consulte de 1865 ; l'attribution de cette qualité ne leur était plus concédée par l'administration à titre de don qu'elle était toujours libre de refuser : désormais, une simple déclaration suffisait à ceux qui remplissaient les conditions nécessaires et c'était à l'autorité judiciaire qu'il appartenait de recevoir cette déclaration et de vérifier si ces conditions étaient remplies.
La conservation du statut personnel musulman ne faisait nullement obstacle à ce que les indigènes pussent participer à la vie publique locale; la loi nouvelle spécifia en conséquence qu'ils devaient être représentés dans toutes les assemblées délibérantes de l'Algérie, délégations financières, conseils généraux, conseil supérieur, conseils municipaux, commissions municipales, djemaâs de douars, par des membres élus siégeant au même titre et avec les mêmes droits que les citoyens français. C'était le corollaire logique de la réforme fiscale. De même qu'il était juste que les recettes des divers budgets fussent fournies dans la propor¬tion de leurs forces contributives aussi bien par les Français que par les indigènes, de même il fallait que ceux-ci fussent appelés, par l'intermédiaire de représentants élus par eux et indépendants, à voter et à contrôler les dépenses.
Enfin, autre réforme capitale, les djemaâs de douars furent reconstituées dans les communes de plein exercice par la loi du 1er août 1918. C'était un acte de justice et de bonne administration. La djemaâ, c'est-à-dire la représentation du douar, est, parmi les institutions anciennes des indigènes, celle qui symbolise le mieux à leurs yeux les franchises séculaires. Elle protège et sauvegarde les biens communaux des douars, leurs pâturages, leurs terrains de parcours; elle allait reprendre la maîtrise des prestations et des revenus du douar pour les affecter à des travaux d'utilité publique intéressant le petit groupement. Dans les communes mixtes, où les djemaâs étaient auparavant composées de notables désignés par les préfets et placées sous la présidence de chefs indigènes également nommés par l'administration, elles furent désormais élues par la population et choisirent elles-mêmes leurs présidents.
La loi spécifiait expressément que les conseillers municipaux indigènes participeraient désormais à l'élection des maires et des adjoints dans les communes de plein exercice. C'est sur ce point que M. Jonnart avait rencontré en Algérie les plus vives résistances; il avait dû user de son ascendant personnel sur les repré¬sentants de colons pour en triompher.
La mesure était cependant justifiée. Si l'on voulait voir les municipalités témoigner d'une égale sollicitude pour tous les habi¬tants de la circonscription communale, il fallait que les conseillers municipaux indigènes ne fussent pas traités en parents pauvres et que leur action sur le choix des maires et des adjoints leur permît de défendre plus efficacement les intérêts de leurs commettants. Dès l'instant qu'on estimait que des considérations d'équité et de prévoyance commandaient d'initier plus complètement les indigènes à la vie publique, de leur donner un droit de contrôle sur la gestion des affaires locales, il fallait en toute loyauté leur assurer une représentation sérieuse, suffisante, placée sur le même pied que la représentation des Européens.
Le nombre des électeurs indigènes fut considérablement accru par les réformes de 1919. Depuis vingt-cinq ans, une série de décrets avaient élargi les cadres de l'électorat indigène, pendant que des arrêtés du gouverneur étendaient les catégories d'indigènes soustraites aux lois de l'indigénat et aux juridictions exceptionnelles. L'électorat et l'éligibilité étaient désormais conférés à tous les indigènes âgés de vingt-cinq ans qui avaient servi dans l'armée, étaient propriétaires ou commerçants, exerçaient une fonction publique ou étaient pourvus d'un diplôme universitaire. Le droit de suffrage, dans ces conditions, était accordé à 100 000 électeurs pour les Délégations financières, tandis qu'ils n'étaient pas plus de 15 000 auparavant, à plus de 400 000 électeurs pour les conseils municipaux et les djemaâs.
Les réformes de 1919 assuraient à la population musulmane de l'Algérie toutes les garanties nécessaires au respect et au développement de ses intérêts, sans aller jusqu'à une assimilation qu'elle ne désirait pas et qui eût profondément troublé ses habitudes. Elles constituaient une marque de confiance envers les indigènes, en même temps qu'elles montraient une fois de plus au monde musulman que le gouvernement français demeurait fidèle à ses principes d'humanité et de progrès. La participation des indigènes à la guerre, les services qu'ils avaient rendus à la France, avaient noué entre eux et nous de puissants liens. Soumis désormais au même régime fiscal que les Français, payant comme eux l'impôt du sang, ayant comme eux défendu la patrie commune, les musulmans algériens devaient être admis à prendre une part plus large à la gestion des intérêts collectifs, sans rien compromettre de l'hégémonie française.
L'ALGÉRIE DEPUIS LA GUERRE (1919-1930)
La guerre finie, M. Jonnart rappela à M. Clémenceau que seules des circonstances exceptionnelles l'avaient décidé à retourner en Algérie, qu'il avait rempli le programme qui lui avait été assigné, et que, désirant se consacrer désormais aux régions libérées, particulièrement à celles du Pas-de-Calais, envahies dès 1914 et complètement ruinées par l'ennemi, il priait le gouvernement de lui donner un successeur. L'Algérie, depuis 1919, a eu comme gouverneurs généraux MM. Abel (1919-1920), Steeg (1921-1925), Viollette (1925-1927) et Bordes. On s'abstiendra, faute d'un recul suffisant, de tout jugement sur ces derniers gouverneurs; quelques-uns d'entre eux sont encore mêlés à la politique active et n'ont pas achevé leur carrière; il est trop tôt pour les apprécier, eux et leur oeuvre, sine ird et studio. Le rôle du gouverneur général, tout en demeurant très important, est d'ailleurs moins grand que dans les années qui se sont écoulées de 1890 à 1914 et pendant lesquelles la colonie a accompli son évolution décisive. Elle est désormais majeure, elle a reçu les institutions qui lui permettent d'atteindre son plein développement. L'Algérie fara da se.
Une des questions qui se posent, c'est de savoir si le gouverneur général doit appartenir au monde parlementaire, comme MM. Abel, Steeg et Viollette, ou à l'administration comme M. Bordes. Il est évident qu'elle ne comporte pas de solution absolue. On fait valoir, en faveur du gouverneur membre du Parlement, qu'il pourra défendre les intérêts de l'Algérie devant les Chambres et dans les conseils du gouvernement avec plus de liberté d'allures et sans préoccupations de carrière; en faveur du gouverneur-fonctionnaire, qu'il pourra se consacrer plus exclusivement à sa tâche africaine et demeurer plus longtemps à son poste. Il y a eu d'excellents gouverneurs-fonctionnaires, comme M. Cambon, et de grands gouverneurs-parlementaires, comme M. Jonnart. L'essentiel est le choix de l'homme vraiment apte par ses qualités et par son passé à s'acquitter dignement de ces hautes fonctions. L'Algérie demande surtout que le chef de la colonie soit stable et ne change pas fréquemment. Le gouverneur général devrait, comme le vice-roi de l'Inde britannique, être nommé pour cinq ans au moins.
Les Délégations financières ne sont plus l'assemblée souple et docile qu'ont connue les Révoil et les Jonnart ; les indigènes eux-mêmes, dont le vote unanime était autrefois obtenu, dit-on, sur un simple signe du représentant du gouverneur, montrent beaucoup plus d'indépendance.
Les délégués ont pris conscience de leur force, ils tiennent les cordons de la bourse et ne les desserrent qu'à bon escient; ils ont une doctrine financière, à laquelle ils sont fermement attachés et qui sur certains points s'oppose à celle des gouverneurs. Ils ont fait néanmoins un très bon usage des attributions qui leur ont été conférées. Divers projets de réforme des assemblées algériennes ont été élaborés, dans le sens d'un élargissement de leurs pouvoirs, de la suppression du compartimentage, de la suppression ou de la refonte du Conseil supérieur.
Cependant la loi organique annoncée par les décrets de 1898 et par la loi de 1900 n'a pas encore vu le jour. La réforme essentielle et urgente consisterait, semble-t-il, sans donner aux assemblées algériennes un véritable pou¬voir législatif ni une autorité souveraine, à leur permettre de régler sur place les affaires qui n'intéressent ni les finances métropolitaines, ni la défense nationale et de statuer notamment sur les demandes de concessions de mines et de chemins de fer qui ne comportent ni subvention, ni garantie d'intérêt. On peut, croyons-nous, sans danger, accroître les attributions des assemblées algériennes; l'autonomie financière n'est pas la préface du séparatisme.
De nombreux problèmes concernant la sécurité, les communications, la politique indigène, l'administration même, sont communs à toute l'Afrique française du Nord. Le défaut de contact et le manque de coordination entre l'Algérie, qui relève du ministère de l'Intérieur, et les protectorats de la Tunisie et du Maroc, qui dépendent du ministère des Affaires étrangères, n'est pas sans inconvénient; l'esprit français, épris de logique, voit là une anomalie déconcertante.
A la suite du voyage du Président de la République, M. Millerand, dans l'Afrique du Nord en 1922, et sur la suggestion du maréchal Lyautey, des conférences nord-africaines annuelles furent instituées, dans lesquelles les gouverneurs et les résidents généraux se réunissent pour étudier en commun les questions qui les intéressent.
La première de ces conférences eut lieu à Alger en février 1923 ; elles se tiennent alternativement à Alger, à Rabat et à Tunis. Elles ont donné de bons résultats, mais laissent néanmoins subsister une lacune, car il n'y a point d'arbitre entre les chefs des trois possessions nord-africaines ; il en serait autrement si ces conférences avaient lieu à Paris même, sous la direction effective du Président du Conseil.
Convient-il d'aller plus loin et de rattacher l'Algérie, comme on l'a proposé à diverses reprises, soit au ministère des Colonies, soit à un ministère de l'Afrique du Nord? Les bons arguments ne manquent pas en faveur de cette solution, propre à donner une impulsion d'ensemble à notre politique africaine. Mais de graves objections se présentent, qui l'ont fait écarter jusqu'ici. Il ne serait pas sans inconvénient ni sans danger de vouloir unifier les trois parties de notre domaine nord-africain, qui ont chacune leur vie propre et leur originalité, et ne sont pas au même degré de leur évolution. Les musulmans de l'Afrique du Nord se connaissent peu, ne s'aiment guère, ne se sentent pas solidaires : serait-il bien raisonnable de réaliser entre eux, par un souci de symétrie et de logique, une unification qui risquerait de les amener à faire bloc contre nous? En ce qui concerne plus particulièrement l'Algérie, elle redouterait, si elle dépendait du ministère des Colonies ou d'un ministère spécial, qu'on n'eût la tentation de l'administrer de Paris et qu'elle ne fût ainsi ramenée au funeste régime des rattachements. D'autre part, si l'Algérie n'est pas une simple réunion de départements français, ce n'est pas non plus une colonie comme les autres ; cette province française ne saurait être confondue avec des possessions lointaines dont la structure sociale et économique est très particulière. Les indigènes algériens diffèrent certes des Français de la métropole, avec lesquels on a eu tort parfois de vouloir les confondre, mais ils ne diffèrent pas moins des populations coloniales noires et jaunes. Le véritable ministre de l'Algérie, c'est le gouverneur général; et si l'unification, qui est certainement encore prématurée, doit se réaliser un jour, ce devrait être par la constitution à Alger même d'un haut-commissariat de l'Afrique du Nord, auquel M. Jonnart avait songé pendant la guerre.
LA SITUATION FINANCIÈRE
La question financière a constitué après la guerre pour l'Algérie, comme pour tous les pays qui ont été atteints par le grand cataclysme, une des préoccupations les plus angoissantes. Sa monnaie, solidaire de la nôtre, a passé par les mêmes alternatives : inflation, dépréciation, stabilisation de fait en 1927, stabilisation de droit en 1928.
Bien que le sol de l'Algérie n'ait pas subi les atteintes directes de l'ennemi, elle n'en a pas moins éprouvé la répercussion des événements ; elle a été atteinte non seulement dans son amour filial pour la mère-patrie, dont elle a partagé les épreuves, mais dans sa constitution sociale, dans ses ressources vives, dans sa vie économique et financière.
Le budget de l'Algérie, que les assemblées locales avaient si prudemment aménagé et qui autorisait toutes les espérances, avait été profondément ébranlé par les événements. Dans les cinq exercices de guerre, un déficit de plus de 120 millions s'accusa dans les revenus budgétaires; en même temps, les dépenses exceptionnelles pour le ravitaillement de la population, pour l'amélioration du sort des fonctionnaires et des cheminots, pour le déficit des chemins de fer, devenaient de plus en plus considérables. Au total, 621 millions de dépenses ne figuraient pas aux écritures budgétaires qui, de 1915 à 1922, ne répondaient plus à la réalité. Il fallut faire appel au fonds de réserve, emprunter à la Banque de l'Algérie, créer des impôts nouveaux.
Dès la fin de la guerre, on s'attacha à liquider la situation. Il n'était pas possible de prolonger, au delà des circonstances qui l'avaient imposée, la méthode financière consistant à demander à la Banque de l'Algérie les ressources nécessaires tant pour équilibrer le budget que pour faire face aux dépenses exceptionnelles du temps de guerre. Cette politique, en faisant appel aux avances d'une banque d'émission, aggravait l'inflation de la circulation fiduciaire, cause principale de la cherté de la vie et ne pouvait que retarder le retour à une situation économique normale. Malheureusement, en 1920 se produisit une sécheresse désastreuse et la récolte fut à peu près nulle. En temps ordinaire, on eût pu se procurer facilement et à bon marché des grains en Russie, en Argentine ou ailleurs; les circonstances nées de la guerre, déficit général des récoltes, carence de la Russie, conditions de fret et de change, obligèrent l'Algérie à payer le blé nécessaire à la soudure plus de 200 francs le quintal; il fallut importer en 1920-21 plus de deux millions de quintaux. C'était une opération sans précédent dans l'histoire de l'Algérie par sa durée et par les difficultés de toutes sortes que l'administration rencontra pour la mener à bien; elle fit le plus grand honneur au directeur de l'agriculture, M. Brunel, qui fut à la hauteur de sa tâche dans des circonstances presque tragiques.
La crise de 1920 retarda le rétablissement de la situation budgétaire normale. Malgré l'augmentation des impôts, les recettes demeuraient insuffisantes pour couvrir les dépenses ordinaires et les travaux publics, très ralentis, ne pouvaient être alimentés que par des ressources exceptionnelles.
Il fallut procéder à un emprunt de liquidation. Des lois du 5 août 1920, du 23 juillet 1921 et du 31 mars 1922 autorisèrent l'Algérie à contracter un grand emprunt de 2 milliards, sur lequel 400 millions devaient être consacrés à la liquidation du passif laissé par la guerre et l'après-guerre; le surplus, soit i 600 millions, réalisables par tranches, était affecté aux travaux publics.
Pour la première fois, le budget de 1924 se solda par des excédents de recettes; dans les budgets suivants, l'équilibre fut réalisé d'une manière de plus en plus complète. L'Algérie récupéra ses forces, répara les dommages causés par la guerre, assainit ses finances. Les excédents de recettes reparurent, le fonds de réserve fut reconstitué. Le budget a passé de 175 millions en 1914 à 532 millions en 1924 et 674 millions en 1926; celui de 1919 s'est élevé à 1 320 millions, celui de 1930 à 1801 millions ; sur cette somme, le budget ordinaire, couvert par les recettes des impôts, s'élève à 988 millions et le budget extraordinaire à 813 millions. Même en tenant compte comme il convient de la dévaluation de la monnaie, l'augmentation, on le voit, est considérable.
L'Algérie, qui n'a supporté qu'indirectement les charges financières de la guerre, tandis que la métropole fléchissait sous le poids des réparations, des pensions et des dettes de guerre intérieures et extérieures, a eu plus de facilités que la France pour faire un effort financier décisif, dont il ne faut d'ailleurs pas réduire le mérite. Mais les réserves fiscales ont été fortement sollicitées et les impôts sont devenus très lourds. Ils ont paru d'autant plus lourds qu'ils ont coïncidé avec une réforme fiscale qui bouleversait les habitudes du contribuable et pesait très sévèrement sur les Européens. Le nouveau système d'impôts institué en 1919 et en 1920 a connu cette mauvaise fortune de voir les trois premières années de son application coïncider avec de mauvaises récoltes
D'après certaines évaluations, les Européens possèdent 63 pour 100 de la fortune algérienne et supportent 73 pour 100 des charges publiques; les indigènes détiennent 37 pour 100 et supportent seulement 27 pour 100 des charges; la réforme de 1919 a donc été très largement favorable à la population indigène.
Les privilèges fiscaux dont les Européens ont longtemps joui ont complètement disparu, malgré l'intérêt qu'il pouvait y avoir à conserver en Algérie un régime impositaire moins lourd qu'en France, afin d'y attirer les capitaux et les colons. D'après les chiffres de l'impôt sur le revenu et de la taxe sur les successions, la fortune de l'Algérie serait, par rapport à celle de la France, comme 1 est à 45. C'est l'agriculture qui est à la base du budget algérien; or, l'hectare de vigne, qui paie 75 francs en France, paie 101 francs en Algérie; l'hectare de céréales paie 1 fr. 35 en Algérie au lieu de 2 fr. 70 en France, mais pour des rendements beaucoup moindres. En Algérie, comme dans tous les pays neufs, il y a peu de fortunes mobilières; toute la vie économique repose sur la transformation et la circulation des denrées agricoles. Il importe donc que les produits algériens, grevés sur les marchés européens de frais de transport considérables, n'aient pas à supporter des impôts tels, que le prix de revient les mette en état d'infériorité. A quoi bon s'exposer à l'insécurité, à la fièvre, au sirocco, à la sécheresse, quitter une France où il fait si bon vivre, si ce n'est pas pour trouver au delà de la Méditerranée des conditions d'existence plus faciles ? Aussi les assemblées algériennes se montrent-elles résolument hostiles à toute nouvelle augmentation des impôts ; elles attendent l'accroissement des ressources de celui de la production, qu'il convient de ne pas trop surcharger.
En résumé, la situation financière de l'Algérie est sensiblement moins belle qu'avant la guerre, mais cependant prodigieusement enviable au regard de celle des grands États du continent qu'ont accablés toutes les charges de cette crise formidable. L'avenir peut être doté avec un faible effort supplémentaire, dont le poids ne sera pas excessif, et qui est indispensable pour que le développement de l'outillage puisse suivre le développement même du pays.
LES TRAVAUX PUBLICS
A la fin de 1914, 40 millions seulement, sur un total de 143 millions, avaient été dépensés pour l'exécution des voies ferrées nouvelles prévues au programme de 1907, de sorte que la hausse des prix se fit sentir sur plus des deux tiers de la dépense. Un nouveau programme, s'élevant à 450 millions, avait été arrêté par les assemblées algériennes dans leur session de 1914.
Pendant la guerre, l'administration s'était efforcée de maintenir le plus d'activité possible sur les chantiers de travaux publics, mais elle avait dû se borner en général aux travaux d'entretien. La mobilisation ayant enlevé au service de la construction des lignes nouvelles la plus grande partie du personnel, on se contenta d'achever les sections des lignes qu'on pouvait terminer en utilisant les approvisionnements parvenus en Algérie avant l'ouverture des hostilités.
Après la guerre, l'Algérie s'efforça tout d'abord d'acquérir le matériel néces¬saire à la remise en état et au renforcement des voies ferrées déjà existantes. Elle voulut aussi effectuer le plus rapidement possible la transformation de la ligne de Tébessa à Bône, destinée à drainer les richesses minérales, phosphates et minerais de fer, de la province de Constantine. En 1920, un programme de travaux publics de 2 600 millions fut établi, dont 1600 millions devaient être demandés à un emprunt et le reste au budget ordinaire. Mais l'incertitude qui pesait sur le monde entier, les difficultés budgétaires, les prix formidablement accrus des matériaux et de la main-d'œuvre, le désir des assemblées algériennes d'éviter à leurs électeurs de trop lourdes charges fiscales, firent pratiquer une politique de prudence et de recueillement. Le déficit croissant des chemins de fer, auquel il fallut remédier comme en France par des relèvements de tarifs, créait d'ailleurs un état d'esprit peu favorable à la construction de lignes nouvelles. En 1921 et en 1922, les travaux publics furent à peu près complètement suspendus. Poursuivant la réorganisation des chemins de fer commencée par M. Jonnart, l'Algérie racheta les réseaux encore détenus par des Compagnies; puis elle confia l'exploitation des lignes situées à l'Ouest d'Alger à la Compagnie P.-L.-M., à l'administration des chemins de fer de l'État les lignes de l'Algérie orientale et l'ancien réseau oranais à voie étroite. La liaison entre les deux exploitations fut assurée par un Comité de direc¬tion et un Conseil supérieur des chemins de fer.
En 1923, l'amélioration de la situation permit d'envisager une reprise et un programme restreint fut élaboré en vue d'une réalisation immédiate. Ce programme fut établi pour une période de cinq ans, de 1925 à 1929; il comportait une dépense totale de 430 millions, dont 129 millions pour les chemins de fer, à savoir 75 millions pour la mise en état des lignes déjà en exploitation et 54 millions pour l'achèvement du programme de 1907. Les lignes prévues à ce programme ont été achevées en 1927, sauf la ligne de Constantine à Djidjelli, la plus coûteuse et la plus difficile de toutes, qui doit être terminée en 1931. Quant aux 1 743 kilomètres des voie nouvelles du programme de 1920, on n'en a pas encore abordé la réalisation.
Le principal effort s'est porté sur les travaux hydrauliques; M. Steeg a fait entreprendre la construction d'un certain nombre de grands barrages-réservoirs, notamment celui de l'Oued-Fodda, qui contiendra 220 millions de mètres cubes et celui des Gribs qui en renfermera 230 millions; ces ouvrages, qu'on espère, par des dispositions convenables, garantir mieux que par le passé contre les risques de rupture et d'envasement, sont destinés à la mise en valeur de la plaine du Chélif. En ce qui concerne les travaux des ports, les crédits votés et les fonds de concours des Chambres de commerce assurent leurs progrès; de grands travaux sont entrepris notamment pour le développement des ports d'Alger et d'Oran.
LES EUROPÉENS ET LA COLONISATION
D'après le dénombrement de 1.926, la population européenne de l'Algérie s'élève à 833 000 âmes; l'accroissement (42 000 depuis 1921) est donc revenu à peu près au rythme d'avant¬guerre, tout en demeurant un peu plus faible. On compte 657 000 Français et 176 000 étrangers; les Français se décomposent en 549 000 Français d'origine, 71 000 étrangers naturalisés, 37 000 Israélites naturalisés. Le chiffre le plus élevé des naturalisés a été atteint en 1911 et n'a cessé de décroître depuis lors très rapidement, parce que les fils de naturalisés, Israélites ou étrangers européens, sont comptés comme Français d'origine, ce qui est d'ailleurs parfaitement légitime. L'immigration étrangère n'a d'ailleurs repris que faiblement depuis la guerre, en raison des modifications économiques survenues tant en Algérie que dans les pays d'origine de cette immigration. La dépréciation de notre monnaie, le ralentissement des travaux publics découragent les Espagnols et les Italiens. Il y a d'ailleurs moins de vides à combler, moins de terres à défricher et on peut désormais confier aux indigènes plus évolués des tâches pour lesquelles les Espagnols étaient autrefois indispensables.
Le « péril étranger » s'est évanoui et les violentes polémiques qu'il suscitait jadis ont pris fin. La fusion ethnique, économique et morale s'opère d'elle-même. Entre les peuples européens représentés en Algérie, les dissemblances, manifestes à l'origine, s'atténuent par une perpétuelle action et réaction de ces groupes les uns sur les autres. Les Français d'origine sont eux-mêmes fortement imprégnés de sang étranger par les mariages mixtes; à l'heure actuelle, il est à présumer que les deux tiers des enfants de l'Algérie ont du sang étranger dans les veines. Ce qui frappe du reste, c'est la proportion croissante des Européens nés en Algérie. Ces divers traits : prépondérance de la natalité sur l'immigration, prépondérance des Algériens nés dans la colonie, indiquent que le peuple algérien est désormais constitué. La guerre européenne a puissamment contribué à accélérer la fusion Français ou étrangers, tous sont devenus Algériens.
L'œuvre de la colonisation agricole, interrompue de 1914 à 1919, a été reprise dès que les circonstances l'ont permis. Mais, des trois opérations nécessaires à la création d'un centre de colonisation, à savoir la constitution du périmètre, l'aménagement du centre et le peuplement du village, c'est, contrairement à ce qu'on imagine, cette dernière qui est encore la plus facile. Sans parler des Algériens fils de colons, la France, malgré ses conditions démographiques actuelles, peut fournir facilement à l'Algérie les quelques centaines de familles, les quelques milliers d'individus qu'elle pourrait absorber tous les ans.
Mais l'aménagement des centres est devenu très coûteux, par suite de l'augmentation du prix de la main-d'œuvre et des matériaux et de l'énorme plus-value de la propriété foncière. Surtout, il devient de plus en plus difficile de se procurer des terres. Les indigènes, soit en raison de la répugnance qu'ils éprouvent à abandonner le sol qui leur vient de leurs ancêtres, soit par opposition instinctive et systématique à l'installation de nouveaux foyers européens, refusent de vendre. Quelques centres ont été peuplés ou agrandis depuis 1919, mais beaucoup de projets de villages qui avaient été envisagés avant 1914 et dont la réalisation avait été ajournée pendant la guerre ont dû être abandonnés, par suite du refus opposé par les indigènes aux propositions d'acquisition.
On hésite toujours à recourir à l'expropriation, quoiqu'elle offre toutes les garanties pour la sauvegarde des intérêts particuliers, et on ne l'applique pour ainsi dire presque jamais. Sur bien des points, l'administration ne peut plus que s'efforcer d'ouvrir à l'initiative privée de nouvelles régions par la création de voies d'accès, l'installation de hameaux ou de petites agglomérations. Ce n'est pas à dire que l'intervention de l'État ne demeure nécessaire, mais cette intervention affectera désormais des modalités nouvelles; il lui appartiendra de doter et de gérer une caisse de colonisation, d'organiser le crédit agricole, de dégager les terres disponibles et de les revendre avec des facilités de paiement.
Des modifications ont été reconnues nécessaires au décret de 1904, qui a donné des résultats satisfaisants au point de vue du nombre des propriétés aliénées et des superficies alloties, ainsi que de l'importance des constructions rurales, du cheptel et du matériel agricole, mais qui a eu des conséquences beaucoup moins heureuses au point de vue du peuplement rural. Ces modifications ont été effectuées par le décret du 9 septembre 1924, qui a porté de dix à vingt ans la période de résidence obligatoire et de vingt à quarante la période pendant laquelle les terres ne peuvent être cédées qu'à des colons français. Enfin la part des Algériens dans les lots de colonisation a été élevée du tiers à la moitié : mesure parfaitement justifiée, car il faut permettre aux fils de colons d'essaimer et ils réussissent en général beaucoup mieux que les nouveaux venus, mais ce fait montre que la colonisation officielle, dont le but était d'attirer des immigrants français, des familles métropolitaines, tend à changer de caractère et touche à sa fin, tout au moins dans ses méthodes actuelles.
C'est ce que prévoyait en 1906 M. de Peyerimhoff dans la conclusion de sa remarquable enquête sur la colonisation officielle; il estimait qu'un moment viendrait où elle devrait disparaître et céder la place à la colonisation libre : « Le nouveau peuple, disait-il, est encore dans la période de formation; il a la brève et unique plasticité des organismes jeunes; sa masse n'est pas telle qu'on ne puisse agir fortement sur sa composition et ses allures; les unes et les autres, l'expérience le prouve, seront fixées dans quelques dizaines d'années et il sera trop tard pour y rien changer. »
Au point de vue des transactions foncières entre les Européens et les indigènes, la situation anormale de 1914-1919 a pris fin et on est revenu à peu près à la situation d'avant-guerre; les indigènes ont été éprouvés par la sécheresse, les mauvaises récoltes, la mortalité du cheptel; en même temps, les allocations et les primes de démobilisation se tarissaient, les usines de guerre se fermaient. A partir de 1920, les acquisitions des Européens sont devenues égales ou supérieures à leurs ventes; pour la période 1921-1925, ils ont acheté aux indigènes 135 000 hectares et leur en ont vendu 114 000. Mais, dans le département de Constantine, la colonisation est encore en recul, les Européens vendant 51 000 hectares et n'en achetant que 38 000. La reprise des terres de colonisation par les indigènes, là où elle se produit, a un double inconvénient : inconvénient politique par l'atteinte portée au peuplement français rural; inconvénient économique, car, là où les fermes françaises tombent aux mains des indigènes, les bâtiments ne sont plus entretenus, le bétail n'est plus soigné, le matériel est à l'abandon, le sol envahi par les mauvaises herbes; c'est le retour à la barbarie.
D'autres dangers menacent d'ailleurs le peuplement rural par le développement de grands domaines européens, véritables latifundia, qui ont évidemment un rôle économique utile, mais font le vide autour d'eux en faisant disparaître la moyenne et la petite propriété. Tout compte fait, la population européenne rurale paraît avoir diminué depuis 1911 d'environ 10 000 unités. Dans certains villages de colonisation, la régression est incontestable; même de petites villes comme Blida, Tizi-Ouzou, voient décroître le nombre des Européens non-fonctionnaires.
Le problème foncier n'est toujours qu'incomplètement résolu, peut-être parce qu'il ne comporte pas de solution absolue. La loi de 1897 n'était, dans la pensée de ses auteurs, qu'une loi provisoire permettant d'attendre la réalisation d'une réforme plus complète. Le rapport de M. Franck-Chauveau à la Commission des XVIII avait conclu à l'application en Algérie du système des livres fonciers ou système Torrens, dont le principal avantage eût été de faciliter les transactions immobilières en leur donnant une base solide et sûre et de favoriser le développement du crédit immobilier par la création de cédules hypothécaires. Diverses propositions de loi furent présentées dans ce sens en 1903, 1907, 1919, 1921. Mais il apparut que ce système, excellent dans les pays neufs, ne ferait en Algérie qu'ajouter une nouvelle complication au régime foncier et les assemblées algériennes ne s'y montrèrent pas favorables. Elles demandèrent seulement un certain nombre de modifications à la loi de 1897.
Ces modifications ont été réalisées par la loi du 4 août 1926, qui a pour objet de rendre la procédure d'enquête partielle plus rapide et moins coûteuse et de remettre en vigueur les procédures d'ensemble destinées à assurer la constitution de la propriété indigène dans tous les douars où la colonisation a largement pénétré, c'est-à-dire dans ceux où la moitié au moins des surfaces aura fait l'objet d'enquêtes partielles ou quand la moitié au moins des intéressés le demandera. Même dans ces cas, le gouverneur général reste juge de l'opportunité de la mesure. Cette loi est, en un certain sens, un retour à la loi tant critiquée de 1873; mais cinquante ans ont passé depuis et la transformation de la terre collective en propriété individuelle est maintenant réclamée par les indigènes eux-mêmes; le droit de veto absolu de l'autorité supérieure introduit une autre différence. Il n'y a d'ailleurs pas à craindre actuellement de voir les indigènes se dépouiller trop facilement de leurs terres; c'est plutôt l'avenir de la propriété européenne qui serait de nature à inspirer des inquiétudes.
On ne peut assez s'étonner que, pendant qu'on faisait de si grands sacrifices pour établir en Algérie des colons français, on ait si longtemps négligé de les mettre en état de réussir par une bonne organisation du crédit agricole.
Si l'on veut que les paysans français s'implantent en Algérie d'une façon définitive, il faut les soutenir dans la lutte engagée par eux contre une nature capricieuse. A quoi sert de donner la terre à celui qui n'a pas les moyens de la cultiver? Le crédit mutuel agricole, désormais constitué, répond à cette nécessité primordiale. Le crédit à court terme ou crédit de campagne a été organisé par la fondation de Caisses régionales de crédit agricole mutuel, créées en Algérie par la loi du 8 juillet 1901. Pour le crédit à moyen et à long terme, la loi du 28 juillet 1927 a décidé la création d'un organisme central, la Caisse foncière agricole. Un des premiers effets de l'organisation du crédit mutuel agricole en Algérie a été d'y faire apparaître la coopération agricole de production. La plupart des coopératives agricoles ont été fondées depuis 1920; il n'en existait que 28 en 1915, il y en a aujourd'hui 179. Elles affectent les formes les plus diverses : caves coopératives, docks à céréales, docks à tabac, coopératives cotonnières, etc. Elles tendent à améliorer la situation du producteur en mettant à sa disposition un matériel technique plus perfectionné; d'autre part, elles organisent et gèrent les services d'intérêt collectif agricole de leurs adhérents.
LES INDIGÈNES
La population indigène a augmenté plus rapidement encore que la population européenne. Elle s'élève à 5 148 000 âmes, dont 532 000 dans les territoires du Sud et représente 86 pour 100 de la population totale, dont les Européens ne représentent que 14 pour 100.
La société indigène, comme la société française elle-même, est sortie profondément transformée de la grande guerre. Les indigènes ne pouvaient échapper complètement aux mouvements nationalistes déchaînés dans le monde entier; les doctrines wilsoniennes, l'exemple d'Angora et de l'Égypte ont exercé sur eux une certaine influence. On ne pouvait ignorer cette transformation; il était nécessaire de la prévenir, de la préparer, de la guider. La France s'est efforcée en Algérie d'adapter sa politique à ces conditions nouvelles et de donner aux musulmans algériens toutes les satisfactions compatibles avec la bonne administration du pays, liée elle-même au maintien de son hégémonie.
Les pouvoirs disciplinaires des administrateurs, au sujet desquels on avait beaucoup et longtemps discuté, avaient été considérablement réduits par la loi de 1914, qui, applicable pour une durée de cinq ans, venait à échéance en 1919 ; ces pouvoirs furent alors supprimés, mais il fallut les rétablir, à la demande des indigènes eux-mêmes, d'abord pour deux ans, puis pour cinq ans; depuis la loi du 4 février 1919, tous les électeurs au titre indigène échappaient d'ailleurs au régime de l'indigénat.
Les pouvoirs disciplinaires ont finalement disparu à partir du ter janvier 1928 et les tribunaux répressifs ont été également supprimés par un décret du 1er mai 1930.
En ce qui concerne les oeuvres d'assistance et d'hygiène, la voie tracée par M. Jules Cambon et par M. Jonnart a été suivie par leurs successeurs. En 1926, les infirmeries indigènes organisées par M. Jonnart ont été transformées en hôpitaux auxiliaires par M. Viollette et des circonscriptions médicales rurales ont été créées. En même temps que nous luttions contre la maladie par le développement de l'hygiène et la diffusion des soins médicaux, nous luttions contre l'ignorance par les écoles, contre la misère et l'usure par les sociétés de prévoyance, les oeuvres de mutualité et de crédit.
Pour la mise en valeur de l'Algérie, il faut faire appel à la collaboration des indigènes. Ce n'est pas seulement une obligation morale, c'est une nécessité. Il faut mettre à leur disposition l'outillage qui leur manque, répandre parmi eux un enseignement pratique, faire l'éducation professionnelle des agriculteurs et des artisans, de manière à augmenter leur rendement. Des centres d'éducation professionnelle et agricole ont été créés dans un certain nombre de communes mixtes; tout a été mis en oeuvre pour leur permettre de perfectionner leur matériel agricole, d'exploiter leurs terres d'une manière plus rationnelle et d'obtenir de meilleurs rendements. Le rythme du progrès est devenu plus rapide et on peut entrevoir la formation d'une classe de paysans et d'artisans indigènes dont il n'existait guère jusqu'ici que des embryons.
Les indigènes ne semblent pas avoir fait un trop mauvais usage des droits politiques nouveaux qui leur ont été accordés. Sans doute, il est difficile de les faire passer du régime patriarcal qui était le leur et qui n'était démocratique qu'en apparence au régime représentatif. Les élections indigènes donnent lieu à des trafics d'influence et à des luttes de clans, que n'ignorent pas d'ailleurs les pays de l'Europe méridionale, mais qui s'exercent ici avec plus de cynisme et présentent plus d'inconvénients. Modelés par des siècles d'islam et par un enseignement de pur psittacisme, les indigènes récitent souvent nos formules politiques sans les bien com¬prendre et s'adonnent à un verbalisme grandiloquent assez vain. Seuls, d'ailleurs, un petit nombre d'indigènes s'intéressent à la politique; la masse demeure complètement amorphe. Un petit-fils d'Abd-el-Kader, ancien officier de l'armée française, le capitaine Khaled, a essayé de jouer un rôle politique et de susciter quelque agitation; il n'y a pas réussi, étant lui-même assez inconsistant, et s'est retiré en Égypte.
Les partis indigènes algériens ne sont pas jusqu'ici bien nettement constitués. On peut cependant distinguer les conservateurs, qu'on appelle les Vieux Turbans, appartenant aux vieilles familles féodales qui exerçaient traditionnellement le pouvoir et auxquelles notre administration l'avait plus ou moins maintenu; les Jeunes Algériens, qui sont principalement des élèves de nos écoles, s'adonnant aux professions libérales ou au commerce, assez détachés, au moins en apparence, des idées religieuses et traditionnelles, partisans du rapprochement avec les Français et de l'assimilation; enfin les nationalistes musulmans, qui allient, suivant des modalités assez variables, l'orthodoxie musulmane, considérée par eux comme une machine de guerre contre les Européens et certaines idées empruntées à notre civilisation; ils entendent nous combattre avec nos propres armes : la presse, les réunions, les associations, les mandats publics. La propagande révolutionnaire, exploitée au profit des revendications musulmanes, n'est pas sans action sur les indigènes, chez lesquels a toujours existé un vieux levain communiste; certains groupements reçoivent directement ou indirectement le mot d'ordre de Moscou. Il y a là un danger sérieux; seul l'appui que les aspirations indigènes les plus violentes trouvent dans certains milieux européens pourrait leur donner une réelle gravité.
Les revendications politiques des indigènes portent surtout sur le droit qu'ils réclament d'élire des représentants au Parlement français tout en conservant leur statut personnel. Cette mesure semble prématurée et présenterait des inconvénients de plus d'un genre; on renouvellerait sur une échelle gigantesque l'erreur du décret Crémieux. Si les indigènes veulent entrer dans la famille française, il faut qu'ils en manifestent la volonté en se soumettant aux mêmes lois que nous.
Le fait qu'ils hésitent à le faire est la meilleure preuve qu'ils ne sont pas encore mûrs pour y pénétrer de plain-pied. Comme l'écrivait M. Raymond Aynard, «pour peu qu'on se rende compte de l'immense différence des milieux, des traditions, des éducations et des races, on admettra difficilement que ces indigènes, si éloignés de nos idées et de nos sentiments, participent à la direction de nos affaires et qu'affranchis d'une partie de nos lois civiles, ils légifèrent pour nous. On reconnaîtra qu'il serait dérisoire de leur accorder pour la forme quelques places au Palais-Bourbon ou au Luxembourg, ou singulièrement périlleux de leur faire une part normale, de constituer dans nos assemblées un groupe musulman, qui pourrait devenir l'arbitre des partis en cas de crise et qui, objet de leurs surenchères, accorderait son concours au prix des concessions les plus fâcheuses pour notre autorité et notre prestige. » Il n'est d'ailleurs pas difficile d'imaginer une représentation des indigènes à Paris, en dehors du Parlement, qui présenterait pour eux plus d'avantages sans offrir les mêmes inconvénients.
LA CRISE DE LA MAIN-D' ŒUVRE
L'exode des musulmans algériens en France s'est maintenu et développé après la guerre; les indigènes, qui ont touché des salaires élevés et réalisé des économies pendant leur séjour en France, sont les meilleurs agents recruteurs auprès de leurs coreligionnaires; le mouvement, comme avant la guerre, est alimenté presque exclusivement par la Kabylie. Bien qu'on n'ait pas de données précises, on estime que le nombre des travailleurs indigènes en France a passé de 52 000 en 1921 à 72 000 en 1922 et 92 000 en 1923; ils sont aujourd'hui environ 100 000. La majeure partie réside dans la région parisienne; le reste se trouve dans le Nord de la France (départements du Nord et du Pas-de-Calais), dans le centre (Lyon, Saint-Étienne, Clermont), dans la région méditerranéenne (Marseille). Leur rendement est en général médiocre; ils fournissent un travail irrégulier, changent souvent d'employeurs, sont les premiers congédiés en cas de crise; il faut alors les hospitaliser ou les rapatrier. La plupart exercent des métiers qui n'exigent pas d'apprentissage; on leur confie de basses besognes, que dédaignent les autres travailleurs.
Obligée dès avant la guerre de faire appel à la main-d'œuvre étrangère, la France y est contrainte aujourd'hui dans des proportions bien plus considérables encore. La main-d'œuvre indigène ne risque donc pas de concurrencer la main-d'œuvre nationale. Les salaires que touchent les indigènes, les économies qu'ils réalisent, vont enrichir la France d'outre-mer; l'émigration améliore leur situation matérielle.
Mais les Kabyles sont, malgré certaines apparences, trop différents des populations au milieu desquelles ils sont appelés à vivre pour que cette transplantation se produise sans troubles, aussi bien pour eux que pour les habitants de la métropole. La loi du 15 juillet 1914 ayant supprimé le permis de voyage même pour les déplacements en dehors de la colonie, les travailleurs indigènes qui vont en France n'étaient astreints à aucune formalité d'aucune sorte.
On avait essayé d'exiger des travailleurs la production d'un contrat d'engagement, mais cette mesure avait donné lieu à un certain nombre d'abus, embarquements clandestins et faux contrats d'embauchage. Le décret du 4 avril 1928 se borne à exiger une carte d'identité, un certificat médical et la justification d'un certain pécule. Il paraît impossible d'empêcher l'exode des travailleurs indigènes, mais il faut, si l'on veut en diminuer les inconvénients, s'efforcer de l'organiser, de le contrôler, de le moraliser et de le surveiller, aussi bien dans l'intérêt de l'Algérie que dans celui de la métropole.
L'émigration kabyle a contribué à amener en Algérie une hausse des salaires et une raréfaction de la main-d'œuvre dont les colons se plaignent amèrement. Il est clair que, si cet exode n'était pas maintenu dans de justes limites, les exploitations agricoles de l'Algérie en souffriraient très sérieusement. La crise de la main-d'œuvre a d'ailleurs beaucoup d'autres causes. Le développement du Maroc français et même du Maroc espagnol a privé la province d'Oran de ressources auxquelles elle faisait autrefois appel. Le développement économique de l'Algérie a augmenté les besoins de main-d'œuvre dans les exploitations agricoles et minières, en même temps qu'il permettait aux indigènes de tirer meilleur parti de leurs propres terres et les dispensait de chercher du travail chez les colons ; après avoir été nos serviteurs, ils tendent à devenir nos concurrents.
Enfin le taux des salaires s'est élevé plus rapidement que les besoins des indigènes; ils peuvent donc se suffire en travaillant moins.
Le phénomène est très complexe, mais ne laisse pas d'être inquiétant. Il est nécessaire en effet, pour que la prospérité économique se maintienne, que l'abondance de la main-d'œuvre compense sa médiocrité, et que son bon marché contre-balance les aléas du climat et les frais de transport qu'occasionne l'éloignement des lieux de consommation.
Il est assez singulier d'observer quelle évolution ont subie les idées. Les Algériens se plaignaient du « péril étranger » et voici qu'ils regrettent les travailleurs espagnols; ils étaient effrayés de la multiplication si rapide des indigènes, et voici qu'ils trouvent ces précieux collaborateurs trop peu nombreux. Ils se sont aperçus que la main-d'œuvre indigène est absolument indispensable à la mise en valeur d'une colonie, qu'il faut tout faire pour en augmenter le nombre et la qualité et qu'il n'existe au fond que deux véritables richesses : l'homme et la terre.
LA SITUATION ÉCONOMIQUE
D'une manière générale, l'Algérie a moins souffert de la guerre que la métropole. Il semble même que, pendant cette période elle se soit enrichie. Mais cet enrichissement, quoique réel, n'est pas aussi considérable qu'il semble au premier abord. Comme l'ont observé les économistes, ce n'est pas en général pendant la guerre qu'un peuple souffre le plus des sacrifices et des privations que la lutte lui a imposés ; les maux économiques et financiers ne sévissent d'ordinaire qu'un certain temps après le rétablissement de la paix. L'Afrique du Nord en est un exemple ; elle a reperdu dans les années qui ont suivi la guerre une partie des bénéfices qu'elle avait effectués pendant la période des hostilités. « Les gains passagers réalisés dans certaines professions, dit M. Alapetite, ne doivent pas faire illusion sur l'appauvrissement général qui résulte pour le monde entier de ces dépenses de guerre dont le calcul donne le vertige, de tant de destructions causées par la bataille et de celles que la barbarie de l'ennemi y a gratuitement ajoutées. Que sont pourtant ces pertes matérielles à côté de ce que nous aurions perdu si l'effort immense, si le sacrifice sans égal dans l'histoire demandé à la France de 1914 l'avait lassée avant que le but fût atteint! »
Pendant les années 1914-1919, le volume total du commerce avait diminué. Cette diminution avait porté surtout sur les importations, de sorte que pendant les années de guerre les exportations avaient toujours été supérieures aux importations. Après la guerre, la situation se renverse complètement; l'Algérie cherche à se procurer les objets manufacturés dont elle avait été privée pendant la guerre, notamment les articles de luxe et il en résulte une augmentation considérable des importations; la mesure est même parfois dépassée.
En même temps, les exportations diminuent par suite des mauvaises récoltes. Les années 1919-1924 forment la plus mauvaise série agricole que l'Algérie ait enregistrée depuis cinquante ans.
En 1919, la récolte avait été médiocre; en 1920, elle fut presque nulle; alors que, de 1913 à 1918, l'Algérie avait toujours récolté plus de 7 millions de quintaux de blé et même 13 millions en 1918, en 1920 elle ne produisit que 1 800 000 quintaux; pour l'ensemble des céréales, on obtenait 6 millions de quintaux, au lieu de 30 millions en 1918 et la part des indigènes dans ce total ne dépassait pas 3 millions de quintaux; 1920 est la plus mauvaise année qu'il y ait eu depuis la famine de 1868. Certaines parties des départements d'Oran et d'Alger ne récoltèrent absolument rien. Les pasteurs furent éprouvés plus cruellement encore que les cultivateurs de céréales; certaines régions perdirent 60 et 70 pour 100 de leur cheptel. La misère et le typhus s'abattirent sur les malheureuses populations indigènes.
Des mesures efficaces furent prises pour leur venir en aide et on ne revit pas les affreuses scènes de famine de 1868. On organisa des chantiers de travaux publics, on prit des mesures pour permettre aux indigènes éprouvés par la sécheresse de subsister jusqu'à la récolte suivante et pour leur procurer des grains de semence. On fit également aux populations pastorales des avances à titre de prêts remboursables, pour les aider à reconstituer leur cheptel. Les répercussions de la crise se firent sentir dans toutes les branches de l'activité commerciale, d'autant plus qu'aux causes locales s'ajoutèrent des causes générales instabilité des prix, désordre monétaire, rupture d'équilibre des changes, hausse formidable des salaires et des denrées. La consommation se restreignit, le crédit bancaire se resserra, les charges des impôts devinrent de plus en plus lourdes.
Le malaise persista dans les années suivantes, mais il s'atténua.
La sécheresse sévit de nouveau en 1922, en 1924, en 1926, mais sans causer des difficultés aussi graves qu'en 1920; puis, en 1927, ce fut le tour des inondations, qui dévastèrent certaines régions de l'Oranie, car telle est en Algérie l'irrégularité du régime des pluies qu'on y passe de la disette à la surabondance. Ces divers fléaux n'ont pas retardé la marche en avant de la colonie et la mise en valeur s'est poursuivie sur un rythme de plus en plus accéléré. Européens et indigènes y ont contribué les uns et les autres.
L'agriculture demeure la grande richesse de l'Algérie. La viticulture continue à donner des bénéfices élevés et à constituer la principale richesse du pays. « Sans elle, dit M. Berthault, toute la vie de la colonie s'arrêterait; c'est elle qui permet les hauts salaires ruraux et apporte le bien-être aux masses indigènes qui achètent alors largement les tissus et le sucre; c'est elle qui, presque exclusivement, alimente le commerce des villes de la côte et contribue à l'essor de la construction; c'est elle qui permet à l'industrie automobile française d'avoir tant d'acheteurs de l'autre côté de la Méditerranée; c'est elle qui, avant tout, fait vivre les transporteurs, depuis les camionneurs jusqu'aux compagnies de chemin de fer et de navigation. » Mais les colons n'ignorent pas que le marché des vins est présentement saturé et que les crises de mévente risquent de se reproduire. Aussi s'efforcent-ils de varier leurs productions. Les bonnes méthodes de culture des céréales sont de plus en plus pratiquées; les indigènes achètent des charrues françaises et font des labours préparatoires; les rendements deviennent plus élevés et relativement plus réguliers. La culture du tabac, celle du coton se développent. Les cultures fruitières, olivier, oranger, sont l'objet de soins attentifs, ainsi que les primeurs. L'élevage du mouton, principale ressource des indigènes des steppes, a réparé les dégâts causés par les années de disette; bien que les progrès soient ici moins sensibles, un certain nombre d'améliorations ont été réalisées. Le liège, l'alfa, dont l'exploitation avait été interrompue pendant la guerre, ont repris leur place dans les exportations algériennes et l'ont même accrue. Les richesses minières sont exploitées avec plus ou moins d'intensité selon les conditions de la concurrence internationale et du cours des métaux. Mais les minerais de fer, avec l'Ouenza, qui a fini par entrer en exploitation en 1921, et les phosphates donnent des tonnages très importants. Les industries nées de la guerre ne lui ont pas survécu en général, mais les industries dérivées de l'agriculture se sont développées. L'industrie du bâtiment, longtemps arrêtée par l'élévation du prix des matériaux et de la main-d'œuvre, a repris avec beaucoup d'activité, notamment à Alger.
Tout cela se résume dans un mouvement commercial qui, en 1928, a atteint 8 964 millions, en augmentation de plus d'un milliard sur celui de 1927 (7 927 millions).
Cet accroissement affecte à la fois les importations, qui s'élèvent à 4 968 millions, et les exportations, qui se montent à 3 996 millions. Si l'on veut apprécier les changements intervenus depuis 1913, il faut évidemment tenir compte de la dépréciation de la monnaie, sous peine d'aboutir à des résultats absurdes. Si on ramène à la parité de l'or les valeurs envisagées, 0n constate que les échanges de 1928 représentent une valeur totale de 1 757 millions contre 1 177 millions en 1913, soit une augmentation de 580 millions de francs-or, imputables pour 274 millions-or à l'accroissement des exportations et pour 396 millions-or aux importations (1).
La part de la France dans ce commerce est de 3 918 millions aux importations et de 2 790 millions aux exportations; cette part est à peu de chose près la même qu'avant la guerre. Cependant, voici qu'après avoir incité l'Algérie à produire, les agriculteurs français se plaignent qu'elle produit trop, tout au moins trop de vin et trop de blé et leur fait une concurrence sérieuse. C'est là, comme le dit très justement M. André Sayous, un véritable malthusianisme économique; On retrouve dans ces plaintes des traces de la vieille conception d'après laquelle les habitants des colonies devaient subordonner tous leurs actes à l'intérêt de la métropole, ne pas lui faire concurrence tout en lui offrant de larges débouchés. Des vues aussi étroites ne sont plus de mise. L'Algérie fait partie intégrante du territoire français; il faut espérer qu'aucune atteinte, sous quelque forme que ce soit, ne sera portée à l'union douanière, qui est si complète entre la France et l'Algérie qu'il est impossible de dissocier les avantages et les inconvénients qui en résultent pour chacune d'elles.
LE SAHARA
Pour un pays comme le Sahara, dont le principal caractère est l'immensité, l'apparition des moyens de transport modernes est autre chose qu'un simple progrès : c'est toute une révolution, le début d'une ère nouvelle, un tournant brusque de l'histoire. La télégraphie sans fil assure la liaison entre les postes, leur permet de se communiquer les renseignements et de se prêter un mutuel appui. L'automobile et l'avion suppriment l'obstacle saharien par la rapidité de son franchissement et opèrent peu à peu la jonction effective de nos possessions nord-africaines et intertropicales. C'est en 1915 que furent tentés les premiers essais d'automobilisme au Sahara;
le commandant Meynier construisit une piste automobile et des camionnettes à pneus jumelés atteignirent In-Salah ; peu à peu, le rayon d'action s'étendit et en 1920 l'automobile parvenait au Hoggar. L'invention de la chenille souple, mise à l'épreuve dans la région de Touggourt, permit d'envisager une traversée complète du désert. Le 17 décembre 1922, sur l'initiative du général Étienne et de M. André Citroën, une caravane composée de cinq voitures de 10 C. V., la mission Haardt-Audouin-Dubreuil, partait de Touggourt et par le Hoggar arrivait à Bourem sur le Niger le 6 janvier 1923, ayant couvert en vingt-deux jours un parcours de 2 800 kilomètres ; la mission, après avoir poussé jusqu'à Tombouctou, rentra en Algérie par le même itinéraire. En novembre 1923, les frères Georges et René Estienne parcourent l'itinéraire de Colomb-Béchar au Niger par Beni-Abbès, Adrar, Ouallen et Tessalit, que la mission Gradis reconnaît à son tour en janvier et novembre 1924. Bientôt la voiture à six roues jumelées tend à se substituer à l'auto-chenille, l'auto¬chenille elle-même se perfectionne et les deux types de véhicules luttent de vitesse. La piste de Colomb-Béchar à Bourem est désormais fréquentée régulièrement et met le Niger à cinq jours de l'Oranie.
Les débuts de l'avion au Sahara furent tragiques. Le général Laperrine, qui en avait tout de suite saisi les avantages, avait obtenu en 1917 la création d'une escadrille saharienne. La première traversée aérienne du désert fut effectuée en 1920 par le commandant Vuillemin ; le général Laperrine y trouva la mort en plein Sahara, après dix jours de souffrances et de privations. La traversée aérienne a été renouvelée en 1925 par l'escadrille Tulasne, de Gao à Colomb-Béchar et retour à Gao, puis par Vuillemin et Pelletier-Doisy, par les Belges Thieffry et Roger, par Lemaître et Arrachard. On s'efforce, par une pénétration progressive et méthodique, d'aboutir graduellement à une liaison régulière.
En 1923, la question du chemin de fer transsaharien fut reprise à nouveau. Le Conseil supérieur de la défense nationale émit un vœu en faveur de la construction d'une voie ferrée reliant l'Afrique du Nord à l'Afrique occidentale; il conseil lait un tracé partant d'Oran, passant par Ras-el-Ma, Colomb-Béchar et Adrar, atteignant la boucle du Niger à Tosaye et aboutissant dans la région de Ouagadougou; il préconisait une ligne à voie normale de 1 m. 44 et la traction par locomotive à combustion interne, sans préjudice des possibilités d'électrification. A partir de 1926, à la suite d'une mission transsaharienne des délégués des Chambres de commerce d'Oran, d'Alger et de Constantine, une ardente campagne imposa la question à l'attention publique. Par la loi du 7 juillet 1928, un organisme d'études du chemin de fer transsaharien fut créé au ministère des Travaux publics et doté d'un crédit de 11 millions et demi; le directeur de cet organisme, M. Maître-Devallon, a fait connaître son avis sur l'entreprise au triple point de vue technique, économique et administratif.
Le rapport préconise le tracé par Oran, Oudjda, Bou¬Arfa, Colomb-Béchar, Reggan, In-Tassit, aboutissant au Niger à Gao. La dépense de construction est évaluée à 3 milliards et la durée des travaux à huit ans.
Le transsaharien ne présente pas de difficultés techniques insurmontables. Les objections qui lui sont faites sont de nature économique. Ses partisans envisagent, au bout de quelques années, un trafic de 400 000 tonnes et de 70 000 voyageurs; ses adversaires prétendent qu'un train de marchandises par an suffirait à transporter toutes les denrées qui emprunteront cet itinéraire et que la zone productive du Soudan sera toujours drainée par la voie moins coûteuse de l'Atlantique. On objecte aussi que, dans l'outillage de notre empire colonial, d'autres tâches plus urgentes et plus immédiatement productives s'imposent à nous. On fait remarquer enfin que l'automobile et bientôt sans doute l'avion fourniront aux voyageurs pressés, et que la dépense n'effraie pas, la solution au moins provisoire de la traversée rapide du désert.
C'est au point de vue politique que l'utilité du transsaharien est incontestable. L'Afrique du Nord et l'Afrique occidentale jouent un rôle croissant dans notre vie nationale; chaque progrès, chaque pas en avant qu'elles feront rendra de plus en plus nécessaire de les souder l'une à l'autre par une voie ferrée. Le Sahara, le plus grand désert du monde, est un très grave obstacle à la mise en valeur des régions intertropicales de l'Afrique et à la cohésion de l'empire colonial français. Cet obstacle ne peut être vaincu que par le rail. On ne saurait que s'associer sur ce point aux conclusions de l'explorateur Foureau : « Considéré en tant qu'affaire commerciale, écrivait-il, je n'ai qu'une très médiocre confiance dans le rendement probable du transsaharien devant le néant du trafic que j'entrevois.
Mais, si on ne veut le considérer que comme un instrument de domination (d'autres disent un chemin de fer impérial, et c'est évidemment la même chose), le transsaharien, sous ce point de vue spécial, serait une oeuvre splendide, aplanirait bien des difficultés, supprimerait bien des obstacles. »
Il n'est pas un Français qui ne souhaite la réalisation de ce projet grandiose, qui s'exécutera tôt ou tard. Les avis ne diffèrent que sur son opportunité et son degré d'urgence.
En tout état de cause, la pacification du Sahara occidental est la mesure préliminaire indispensable à l'exécution de ce grand dessein. Or, si la situation est demeurée excellente dans le Sahara central, dans le Sahara touareg, elle est par contre devenue fort mauvaise dans la partie méridionale des confins algéro-marocains. Rien n'a subsisté de l'œuvre qu'avait accomplie dans ces régions le général Lyautey et de la sécurité qui régnait jusqu'en 1912 et même jusqu'en 1918 ; à cette époque, on circulait commodément et sans escorte de Colomb¬Béchar à Bou-Denib, alors qu'aujourd'hui on ne peut plus sortir de Colomb-Béchar autrement qu'en auto¬mitrailleuse. Les attentats sont devenus innombrables ; ils ont été sans cesse en s'aggravant et en se multipliant. En 1927 et en 1928, il y a plus de 90 rencontres entre les dissidents et nos forces de police; nos pertes par le feu ont été de 264 tués et 129 blessés. Le 8 décembre 1928, trois automobiles de l'armée furent attaquées près de Taghit ; les officiers qui les occupaient, parmi lesquels le colonel Clavery, chef du territoire d'Aïn-Sefra, furent tués; le 14 octobre 1929, un groupe de légionnaires, attaqué à 30 kilomètres de Colomb¬Béchar, près de Maharidja, par un djich d'Aït-Hammou, fut complètement massacré, il eut 48 morts et 16 blessés.
Cette situation n'a d'autre cause que la politique de faiblesse suivie dans ces régions depuis 1918. Nous avons subi à cette époque un grave échec au Tafilelt et nous ne l'avons pas réparé. Notre prestige, sur lequel repose toute notre sécurité, en a subi une grave atteinte. Le défaut d'entente et de coordination des efforts entre l'Algérie et le Maroc a fait le reste.
Pour y remédier, des décrets du 3 février 1930 ont reconstitué un commandement militaire des confins du Sud algéro-marocain, analogue à celui qu'a jadis exercé le maréchal Lyautey et comprenant à la fois des territoires algériens et des territoires marocains.
On a fait dépendre ce commandement du Maroc : on peut se demander si c'est bien la meilleure solution, car cette zone saharienne, que la géographie et l'histoire rattachent à l'Algérie, est plus à sa portée et elle est mieux en état d'y intervenir utilement.
L'Algérie réclame depuis plusieurs années avec insistance les deux mesures indispensables pour faire cesser cet état de choses : l'occupation du Tafilelt et la construction de la voie ferrée de Colomb-Béchar au Ziz. Il est déraisonnable d'être à Bou-Denib et de ne pas être au Tafilelt, où se concentrent et se ravitaillent tous les pillards, et où les Douï-Menia, tribu de notre obédience, ont des palmeraies et des parcours. On hésite devant cette opération comme on a longtemps hésité à occuper In-Salah, qui jouait le même rôle pour le Sahara central; pour le Tafilelt comme pour In-Salah, on s'exagère beaucoup les difficultés. Depuis le mois de mai 1929, les consignes imposées aux troupes et qui les réduisaient à la défensive la plus passive ont été quelque peu détendues et le prolongement de la voie ferrée de Colomb-Béchar vers le Tafilelt a été enfin décidé.
C'est surtout en matière de politique saharienne qu'une meilleure coordination des efforts de l'Afrique du Nord s'impose avec urgence. Il n'y a point de Sahara algérien ni de Sahara marocain, mais le Sahara tout court. « Le Sahara n'appartient à personne », disaient avec raison les négociateurs du traité de 1845. Et la conférence nord-africaine de 1923 disait de même : « Le Sahara occidental est une vaste région qui constitue l'hinterland de l'Algérie, du Maroc et de l'Afrique occidentale française, sa répartition entre les trois colonies n'existe pas. » Il faut laisser les Compagnies sahariennes des territoires du Sud faire la police dans les vastes régions qui s'étendent entre la vallée de la Saoura, le cours du Dra, l'Atlantique et la Mauritanie et leur créer des points d'appui dans la zone que traversent les rezzous pour se rendre du Dra au Soudan. L'intérêt français doit prévaloir sur les conceptions plus ou moins particularistes. Un avenir prochain réalisera, dans ces vastes régions, nous n'en doutons pas, la sécurité par l'unité.
L' OEUVRE DE LA FRANCE EN ALGÉRIE
Nous nous sommes heurtés, dans l'accomplissement de cette oeuvre, à des difficultés formidables, qu'il ne faut pas sous-estimer. Les unes tenaient à la nature même du pays : accidenté, morcelé, de parcours difficile, soumis à un climat tour à tour torride et glacé, à des pluies tantôt trop rares et tantôt surabondantes. Les autres provenaient des hommes, montagnards indomptables comme les Kabyles ou nomades insaisissables comme les Sahariens, tous belliqueux, farouches, auxquels l'islam non moins que leur propre tempérament faisait un devoir de lutter jusqu'à la mort contre le chrétien et contre l'étranger. Enfin d'autres difficultés et non les moins graves dérivaient de nos révolutions intérieures, de nos changements de méthode et pour tout dire de notre inexpérience coloniale : la France a finalement triomphé de tout cela.
LE BILAN SCIENTIFIQUE
Pour bien administrer l'Algérie et la mettre en valeur, il fallait d'abord connaître le pays et ses habitants, dont nous ignorions tout en 1830. Notre bilan scientifique est considérable. Dès 1839, une exploration scientifique de l'Algérie fut entreprise par ordre du gouvernement. La commission chargée de cette exploration comprit vingt membres, dont huit désignés par l'Académie des Sciences et cinq choisis par l'Académie des Inscriptions; parmi eux figuraient Bory de Saint-Vincent, Berbrugger, Carette, Delamare, Enfantin, Pellissier, Ravoisié, Renou ; les travaux qu'elle publia formèrent un ensemble des plus considérables. A une époque plus récente, les Écoles supérieures d'Alger, fondées par Paul Bert en 1879 et devenues l'Université d'Alger en 1909, ont produit des ouvrages de la plus haute valeur. Des travaux innombrables, qui remplissent des bibliothèques entières et dont quelques-uns sont de premier ordre, sont dus à des officiers, à des administrateurs, à des hommes de toutes professions et de toutes origines, qui se sont passionnés pour cette terre où tant de problèmes nouveaux s'offraient à notre curiosité. La géologie a été étudiée par Pomel, Ficheur et leurs élèves; le climat par Thévenet ; la flore par Battandier, Trabut, Maire; la géographie, en particulier celle du Sahara, par Gautier, Chudeau ; l'agronomie par Hardy, Rivière, Lecq, Marès, Couput, Vivet, Ducellier ; des recherches de première importance sur les maladies spéciales à l'Algérie, en particulier sur la malaria, ont été faites par Laveran, Maillot, Sergent, Folley. Un biologiste tout à fait éminent, connu dans le monde entier par ses découvertes sur les infusoires, Émile Maupas, a vécu et travaillé à Alger. Dans le domaine des sciences morales et politiques, les moeurs et la sociologie indigènes ont été étudiées par Carette, Daumas, Hanoteau, Letourneux, Doutté ; le droit musulman par Morand, Milliot ; la linguistique arabe et berbère par René Basset, Motylinski, William Marçais, le Père de Foucauld.
Il faut mettre hors de pair le magnifique ouvrage de S. Gsell sur l'histoire ancienne de l'Afrique du Nord; peu d'œuvres de notre temps font autant d'honneur à la science française. L'histoire musulmane a été éclaircie par de Slane, Brosselard, Masqueray, Georges Marçais, Alfred Bel, Luciani; l'histoire moderne par Pellissier de Reynaud, Cat, de Grammont, de Peyerimhoff, Esquer, Yver. Des recueils d'inscriptions, des collections de textes ont été publiés, des revues consacrées à l'étude de l'Afrique du Nord ont été fondées. Le centenaire de l'Algérie a été l'occasion d'un nouvel inventaire, qui comprend de nombreuses et belles publications, telles que l'Iconographie de l'Algérie de G. Esquer. Enfin il faut noter l'influence de la conquête de l'Algérie sur la littérature française avec Fromentin, Masqueray, Louis Bertrand; sur la peinture avec Delacroix, Fromentin, Guillaume, Dinet et beaucoup d'autres. Des écrivains et des artistes algériens, voire même indigènes, participent à ce mouvement depuis quelques années et accroissent le patrimoine intellectuel de la France.
LE BILAN ÉCONOMIQUE
L'Algérie en 1830 était un pays pauvre, ruiné par des siècles d'anarchie et de mauvaise administration, périodiquement dévasté par la famine et la peste. Les indigènes, agriculteurs ou pasteurs, ne demandaient à la terre que ce qui était strictement nécessaire à leur subsistance; leurs méthodes de culture étaient si barbares, ils étaient si impuissants à combattre les caprices du climat, que ce strict nécessaire leur était souvent refusé. Le commerce était nul, la seule industrie était la piraterie.
Les Français ont, plus que les Romains eux-mêmes, fait faire à l'agriculture algérienne des progrès immenses; ils ont étendu les surfaces cultivées, tiré meilleur parti des cultures anciennes, introduit des cultures nouvelles.
C'est le climat de l'Algérie qui imprime à son économie rurale son caractère spécial, détermine le choix des cultures et impose les pratiques agricoles. Sont exclues les cultures tropicales, café, canne à sucre, indigo, qu'on avait vainement essayées dans les premières années de la conquête. Les cultures algériennes sont essentiellement des cultures méditerranéennes. Elles souffrent surtout de la rareté et de l'irrégularité des pluies. Divers moyens permettent d'y remédier dans une certaine mesure; ce sont l'irrigation, qui affranchit le cultivateur des caprices de l'atmosphère; le dry farming, qui emmagasine l'eau des pluies dans le sol; la pratique des cultures arborescentes, qui résistent mieux à la sécheresse que les plantes annuelles.
Le meilleur et le plus sûr de ces moyens est l'irrigation. Il existe en Algérie un millier d'entreprises d'irrigation arrosant plus de 200 000 hectares.
De grands barrages-réservoirs sont en construction qui accroîtront notablement cette surface, en particulier dans la plaine du Chélif, au prix de travaux coûteux. Mais l'irrigation n'est pas une panacée dans l'Afrique du Nord; les surfaces irrigables seront toujours très restreintes, quoi qu'on fasse, et les oueds algériens font bien pauvre figure à côté du Nil, du Gange, du Niger, de l'Euphrate. C'est surtout en favorisant la pénétration de l'eau dans le sol pendant la période des pluies qu'on constituera des réserves aquifères souterraines qui permettront à l'Algérie de lutter contre la sécheresse. Dans les régions sahariennes, où aucune culture n'est possible sans irrigation, les Européens sont venus au secours des indigènes; la corporation des puisatiers indigènes, qui avaient le monopole du pénible et dangereux travail du forage des puits artésiens, a cédé la place à l'industrie française, qui a obtenu dans l'Oued-Rir des résultats merveilleux et rendu la vie à beaucoup d'oasis qui se mouraient. Mais aux Européens aussi les conditions naturelles imposent en cette matière des limites assez étroites.
De toutes les cultures de l'Algérie, les céréales sont celles qui occupent de beaucoup les plus vastes surfaces, 3 millions d'hectares en moyenne sur 4 millions d'hectares cultivés. Un ensemble de procédés, connus sous le nom de dry farming, ont pour but et pour effet d'utiliser le plus complètement possible l'eau des précipitations atmosphériques, de réduire au minimum les pertes d'eau par évaporation et de faire profiter une récolte de l'eau tombée pendant deux années consécutives. Le dry farming a permis d'une part d'augmenter, de régulariser les rendements, d'autre part de consacrer à la culture des céréales des régions situées à la limite du Tell et des steppes, comme le Sersou, où on ne s'y livrait pas autrefois. Les indigènes, par leur nombre et par les espaces qu'ils détiennent, sont les grands producteurs de céréales de l'Algérie; sur 3 millions d'hectares, ils en ensemencent environ 2 300 000 ; ils cultivent de préférence l'orge et le blé dur. Les Européens pratiquent aussi la culture des céréales, surtout dans les plaines un peu sèches de l'intérieur, telles que la plaine de Bel-Abbès et celle de Sétif; ils ensemencent surtout le blé tendre et l'avoine et obtiennent des rendements plus élevés et plus réguliers que les indigènes. Une augmentation très notable peut être réalisée par la mise au point des cultures indigènes et par la collaboration entre les indigènes et les colons. La moyenne de l'exportation algérienne est de 1 200 000 quintaux de blé et de 800 000 quintaux d'orge; mais elle atteint souvent des chiffres beaucoup plus élevés dans les bonnes années; par contre, si la récolte est déficitaire, l'Algérie devient importatrice.
La vigne est la plus importante des cultures européennes et son développement est le fait économique le plus remarquable de l'histoire moderne de l'Algérie.
Le vignoble couvre 238 000 hectares et donne en moyenne 8 millions d'hectolitres. La constitution du vignoble a entraîné de grands frais et exigé des mises de fonds considérables. Mais de grandes fortunes se sont faites dans la culture de la vigne; les bénéfices de la récolte d'une année ont été parfois égaux ou supérieurs au prix d'achat de la propriété. Une pareille réussite est la meilleure des réclames pour un pays neuf. La médaille a son revers : on a souvent dénoncé les inconvénients de la culture de la vigne qui, aux dangers de toutes les monocultures, joint ceux de porter sur une production que les indigènes ne consomment pas, qui, dans beaucoup de pays, est regardé comme un produit de luxe ou même prohibé, enfin qui concurrence directement une des grandes cultures de la France métropolitaine. Les Algériens s'en rendent parfaitement compte et ne demandent pas mieux que de porter leurs efforts sur les autres cultures qui se révéleront suffisamment rémunératrices.
L'olivier a toujours joué dans l'Afrique du Nord un rôle considérable, dont témoignent les restes d'anciennes plantations, les ruines de moulins, les textes des écrivains. La zone de culture est très étendue; dans l'Algérie intérieure, beaucoup de montagnes qui ne portent qu'une maigre brousse pourraient être mises en valeur par des plantations d'oliviers. Sur 7 millions d'arbres en rapport, 4 appartiennent aux indigènes et 3 aux Européens ; la production moyenne peut être évaluée à 340 000 hectolitres. A côté de l'olivier, beaucoup d'autres cultures fruitières, notamment le figuier, l'amandier, l'abricotier, occupent une place importante dans l'économie algérienne. Le palmier-dattier est la principale, on peut même dire l'unique richesse des territoires du Sud; on y compte 5 millions de dattiers en rapport, dont 168 000 appartiennent aux Européens. La production moyenne est de 1 500 000 quintaux de dattes, dont 280 000 quintaux de dattes fines.
La culture coûteuse et délicate des agrumes ne pénètre pas dans l'intérieur, trop froid et trop continental, mais les plaines sublittorales, où la température moyenne est élevée et l'irrigation possible, lui sont très favorables. Il en est de même des primeurs, qui se sont beaucoup développées depuis trente ans au voisinage de la mer et des ports d'embarquement. Ces cultures pourraient progresser beaucoup encore avec une organisation appropriée des transports et de la vente.
Parmi les cultures industrielles, la principale est le tabac, qui a pris un grand développement dans ces dernières années; la superficie qu'il occupe est en moyenne de 30 000 hectares, donnant 300 000 quintaux; la moitié appartient aux Européens. La culture des plantes à parfum couvre 4 000 hectares; celle du coton 8 000 hectares, donnant 50 000 quintaux de coton brut.
Les cotons algériens, produits par les variétés égyptiennes sélectionnées, présentent les mêmes qualités que ceux de l'Égypte et peuvent être employés aux mêmes usages; mais les surfaces propres à cette culture sont assez restreintes. Les meilleurs spécialistes pensent qu'en utilisant toutes les terres favorables, on pourrait produire en Algérie au maximum 12 à 13 000 tonnes; c'est un appoint qui ne serait pas négligeable, aussi bien pour l'industrie française que pour la fortune de la colonie, mais qui ne permet pas d'espérer que le coton puisse, comme on l'a suggéré, remplacer la vigne.
Ainsi les Européens ont rénové la culture des céréales par le dry farming, celle de l'olivier par les procédés améliorés de plantation, de taille, de fabrication de l'huile. Ils ont créé ce magnifique vignoble qui fait de la Mitidja, "l'infecte Mitidja " comme on disait à l'époque de la conquête, une des plus riches plaines du monde; les bénéfices de la culture des primeurs, du tabac, du coton sont venus s'y joindre. En tout cela, ils ont été suivis, bien qu'avec quelque lenteur et d'une manière encore insuffisante, par les indigènes, dont ils ont été les bienfaiteurs par les salaires qu'ils leur ont distribués et plus encore par les exemples qu'ils leur ont donnés.
L'élevage s'associe à l'agriculture dans des proportions variables. Les indigènes sont les grands éleveurs de l'Algérie comme ils sont les plus grands cultivateurs de céréales et les Européens ne possèdent qu'une faible part du cheptel; c'est sans doute la raison pour laquelle l'élevage a fait peu de progrès; des modes d'association entre Européens et indigènes sont présentement essayés qui remédieront sans doute à cet état de choses. On compte 1 million de bœufs, 200 000 chevaux, 150 000 mulets, 8 millions de moutons, 4 millions de chèvres et 200 000 chameaux. Entre le bœuf, animal tellien, et le chameau, animal saharien, le mouton est l'animal par excellence de la steppe algérienne et sa principale richesse. Le troupeau ovin est sujet à de grandes variations; après avoir été très éprouvé de 1920 à 1926 par les années de sécheresse, il s'est maintenant reconstitué. L'espace réservé à l'élevage transhumant lui est disputé par la reconstitution de la forêt, par les cultures européennes et indigènes. Pour compenser cette réduction de terrains de parcours, il faut tirer meilleur parti de ce qui reste, et ne pas laisser péricliter l'industrie pastorale, qui est une des grandes richesses de l'Algérie.
Les Européens ont mis en valeur un certain nombre de produits spontanés que les indigènes ne savaient pas utiliser et qui sont loin d'être négligeables. Tels sont les produits forestiers, l'alfa, les ressources fournies par la pêche maritime, enfin les produits miniers. Parmi les produits forestiers, le principal est le liège, dont la production atteint 250 000 quintaux.
L'alfa, graminée spontanée des steppes, dont l'Algérie exporte 150 000 tonnes, est utilisée pour la papeterie. La pêche du corail, qui a joué un si grand rôle pendant près de trois siècles, est abandonnée, mais la pêche des poissons sédentaires destinés à être consommés à l'état frais, celle des poissons migrateurs, tels que le thon et la sardine, font vivre 6 000 pêcheurs.
L'Algérie renferme d'importantes richesses minérales, dont les principales sont les gisements de phosphate de chaux et les minerais de fer. On extrait actuellement 800 000 tonnes de phosphates, dont 700 000 sont fournis par le gisement du Kouif près de Tébessa. Mais l'Algérie est moins favorisée que la Tunisie et le Maroc à cet égard; les gisements qu'elle possède sont situés plus loin de la mer et des ports d'embarquement; ils sont surtout d'une teneur moins élevée que les phosphates marocains, dont la concurrence menace gravement certaines exploitations nord-africaines. Les minerais de fer sont en général des carbonates et des hématites très riches, ordinairement purs de phosphore, très propres à la fabrication des fontes Bessemer et particulièrement recherchés en Angleterre; les gisements qui fournissent les plus forts tonnages se trouvent dans la région littorale à l'ouest d'Oran et à la frontière algéro-tunisienne, où sont situés les dômes ferrugineux de l'Ouenza et du Bou-Kadra. L'Algérie paraît appelée à devenir un des principaux pays producteurs de fer du monde; la production actuelle dépasse 2 millions de tonnes. Après les minerais de fer et les phosphates, ce sont les minerais de zinc et de plomb qui accusent la production la plus importante. De nombreux gîtes métallifères ne sont pas exploités faute de main-d'œuvre et surtout de voies de communication. Les exploitations minières ont amené la création d'agglomérations relativement importantes dans des régions autrefois désertes, apporté aux voies ferrées et aux ports des éléments de trafic considérables, fourni des ressources au budget de la colonie. Cependant les avantages que l'Algérie retire de ce genre d'exploitations ne sont en aucune façon comparables à ceux que lui laisse l'agriculture, les minerais n'étant l'objet d'aucune transformation dans le pays même et étant exportés à l'état brut.
Les industries indigènes sont en général de petites industries familiales qui ne travaillent pas pour l'exportation. Elles étaient entrées dans une décadence profonde, à laquelle on s'est efforcé de porter remède. Seules, les industries de la broderie et du tapis semblent pouvoir renaître. Quant aux industries européennes, ce sont principalement des industries dérivées de l'agriculture, telles que les minoteries, !es fabriques de pâtes alimentaires, les distilleries, les moulins à huile. Une grande partie de la récolte de tabac est manufacturée sur place, ainsi qu'une certaine quantité de lièges.
La plupart de ces industries ne comportent que des installations rudimentaires; il est évidemment possible de les développer dans une certaine mesure, mais l'Algérie ne présente pas jusqu'à nouvel ordre des conditions très favorables à la grande industrie. Il est vraisemblable qu'elle trouvera longtemps encore avantage à échanger ses produits agricoles contre les produits manufacturés de France et d'Europe.
Les voies de communication sont indispensables à la mise en valeur de l'Algérie. Dans les vieux pays, la route et le rail drainent un trafic préexistant : ils le créent dans les pays neufs. Un bon réseau de communications est d'autant plus nécessaire que la Berbérie est complètement dépourvue de cours d'eau navigables; c'est un corps sans artères, où le sang ne circule pas. Seul, le rail permet aux forces militaires de se transporter rapidement d'un point à un autre, favorise les échanges, diminue le prix de revient des objets manufacturés, facilite aux indigènes la vente de leurs récoltes et de leur bétail, arrache enfin les tribus à leur isolement pour les faire vivre de la vie générale. La vapeur triomphe de la distance, qui a toujours été en Algérie le grand obstacle; elle est, pour tout dire d'un mot, le véhicule de la civilisation. A côté de plus de 5 000 kilomètres de routes nationales et d'environ 20 000 kilomètres de chemins de grande communication ou vicinaux, l'Algérie compte 4 789 kilomètres de chemins de fer d'intérêt général en exploitation. C'est peu pour assurer les échanges sur 300 000 kilomètres carrés peuplés de 5 millions d'habitants. Mais on ne saurait en aucune façon comparer à cet égard l'Algérie aux pays de l'Europe occidentale. Du fait que la population est très clairsemée sur des espaces immenses, des voies de communications sont plus nécessaires que partout ailleurs, mais elles sont aussi moins productives. La ligne parallèle à la mer, avec les voies qui lui servent de débouchés vers les ports, est à peu près la seule dont l'exploitation soit rémunératrice; les lignes du Sud, trop éloignées des pays de colonisation et de culture, sont, sauf quelques exceptions, assez peu productives. Mais les recettes nettes des chemins de fer ne permettent pas à elles seules d'évaluer leur utilité. Le premier et le plus incontestable produit du réseau algérien, le maintien de la sécurité, l'accroissement de la fortune publique, ne peut guère se chiffrer.
Quel que soit le sort ultérieur des projets de transsaharien, il est bien évident que c'est la façade méditerranéenne qui restera toujours la façade la plus vivante et la plus intéressante. Les échanges de " l'île du Maghreb " se font par ses ports dans une proportion de plus de 95 pour 100. Pour les ports comme pour les autres travaux publics, la France a longtemps hésité à faire les avances de fonds nécessaires à la mise en valeur.
Aujourd'hui, les ports d'Alger, d'Oran, Philippeville, de Bône et de Bougie sont très complètement outillés; des travaux de moindre importance ont été effectués dans un certain nombre de ports secondaires. Alger et Oran sont les premiers ports de l'Afrique du Nord. Point de départ des voies ferrées qui se dirigent vers Constantine et Tunis d'une part, vers Oran et Casablanca de l'autre, situé à égale distance des deux extrémités de la Berbérie, sensiblement sous le méridien de Paris et de Marseille, siège du gouvernement général et centre de population européenne le plus important de toute l'Afrique, Alger est, pour une grande partie des voyageurs et des marchandises à destination ou en provenance de l'Europe, le point d'arrivée et le point de départ; il reçoit environ les deux tiers des envois de la métropole en Algérie; sa part dans les exportations est proportionnellement moindre, mais reste néanmoins considérable.
Alger vient immédiatement après Marseille au point de vue du mouvement général de la navigation; il se classe au sixième rang pour le tonnage des marchandises (3 700 000 tonnes en 1929). Dans l'Algérie occidentale, le port d'Oran concentre la plus grande partie du trafic; son ,mouvement s'accroît avec une rapidité extraordinaire, il a même dépassé Alger en 1929 (3 800 000 tonnes de marchandises et 6 200 000 tonnes de relâcheurs) ; la construction de nouvelles lignes destinées à faire entrer dans sa sphère d'influence une partie du Maroc, peut-être même du Soudan, lui garantissent un bel avenir. Dans l'Algérie orientale, le trafic se partage entre les trois ports de Bougie, de Philippeville et de Bône, Bône l'emportant d'ailleurs sur ses rivaux, à cause de ses exportations de phosphates et de minerais. Au total, le mouvement annuel des marchandises embarquées et débarquées en Algérie s'élève à près de 12 millions de tonnes.
Le mouvement commercial de l'Algérie consiste essentiellement dans la vente des produits du sol et l'achat de produits manufacturés, le second de ces facteurs étant lui-même conditionné par le premier. On constate à la fois une progression constante et rapide des importations et une tendance des exportations à égaler, quelquefois à dépasser le chiffre des importations. A l'importation, la nomenclature des articles est extrêmement variée; les plus importants sont les tissus, les machines, le charbon, l'essence, le sucre, le café. A l'exportation, les produits de la viticulture viennent au premier rang (un milliard et demi), puis les céréales, les légumes frais et secs, les fruits de table, le tabac en feuilles, l'huile d'olive, les produits de l'élevage, animaux sur pied, laines et peaux, les produits naturels tels que le liège, l'alfa, le crin végétal, enfin les produits miniers. Les produits manufacturés sont peu nombreux : les tabacs et quelques tapis.
La part de la France dans le commerce de l'Algérie est considérable, aussi bien à l'importation qu'à l'exportation. En 1929, sur un commerce de près de 10 milliards, elle est de plus de 7 milliards, 77 pour 100 des importations et 74 pour 100 des exportations ; la presque totalité des produits de l'agriculture et de l'élevage sont exportés en France ; seuls, une partie des alfas, des lièges, des minerais et des phosphates vont à l'étranger. L'Algérie arrive au cinquième rang des fournisseurs de la France, après la Grande-Bretagne, les États-Unis, l'Allemagne et la Belgique, au quatrième rang de ses clients, après la Grande-Bretagne, la Belgique et l'Allemagne. L'Angleterre est loin de prendre une part aussi prépondérante dans le commerce de l'Inde et de l'Australie. C'est surtout au point de vue économique que l'Algérie est véritablement un prolongement de la France et lui est plus étroitement unie qu'aucune autre colonie à sa métropole.
Les ressources de l'Algérie ne sont pas incommensurables ; ce n'est pas un Eldorado ni un pays de cocagne; elle joue néanmoins un rôle économique déjà important dans la vie nationale; ses ressources sont loin d'être toutes mises en valeur. Elle recèle des trésors d'initiative et de labeur, d'énergie et de hardiesse. Il faut lui faire confiance, elle le mérite.
LE BILAN POLITIQUE
" L'Algérie a dit M. Jonnart, n'est ni une colonie au sens propre du mot, ni une simple réunion de départements français ; le régime qui lui convient n'est ni l'autonomie, ni l'assimilation, c'est la décentralisation. " Après avoir longtemps oscillé entre les utopies également funestes du royaume arabe et des rattachements, l'Algérie a enfin reçu, depuis le début du vingtième siècle, la constitution qui lui convient. Son organisation nouvelle tient compte à la fois des colons et des indigènes, fait à la métropole sa part et à la colonie la sienne. Les franchises qui lui ont été accordées, la liberté qui lui a été donnée de gérer ses propres affaires au mieux de ses intérêts, sous le contrôle de la métropole, ne portent aucune atteinte à l'unité et à l'indivisibilité de la République. Ces franchises, dont elle a fait un excellent usage, nul ne songe à les lui retirer et on est à peu près unanime à penser qu'elles doivent être étendues. Des gens mal informés agitent parfois le spectre du séparatisme : la géographie et l'histoire nous enseignent que l'Algérie, dont la superficie utile est très faible, ne présente pas le cadre nécessaire à une existence pleinement autonome, et qu'elle a toujours dépendu d'une domination extérieure, phénicienne, romaine, arabe ou turque, aujourd'hui française.
Les quelques centaines de mille Européens qui vivent au milieu de 5 millions d'indigènes ne sauraient se maintenir s'ils n'avaient derrière eux la masse des 40 millions de Français de la métropole, auxquels les unissent les liens sentimentaux, intellectuels, politiques et économiques les plus étroits. Et les indigènes ne sauraient davantage se passer de la France métropolitaine, qui a assumé leur tutelle, qui accomplit sa tâche de la façon la plus généreuse et à laquelle eux aussi sont unis désormais par des liens multiples. Le séparatisme serait pour l'Algérie le retour au chaos et à la barbarie.
Il n'est pas exact que les colonies parvenues à l'âge adulte doivent se séparer de la métropole comme un fruit mûr tombe de l'arbre. La politique coloniale britannique, pour laquelle nous avons peut-être en France une admiration excessive, aboutit en effet à la séparation des grands Dominions ; elle ne réussit pas à s'attacher les indigènes, considérés comme des natives à tout jamais incapables de devenir des citoyens britanniques. En France, où n'existe nul préjugé de couleur, de race ou de religion, les idées chrétiennes aussi bien que les idées révolutionnaires et sans doute aussi notre tempérament propre font que nous regardons tous les hommes comme nos frères et nos égaux. Aussi, aucune colonie ne s'est jamais volontairement séparée de nous et de vieilles colonies, que les circonstances historiques ont fait passer sous d'autres dominations, nous sont demeurées attachées, parlent encore notre langue et nous gardent une fidèle affection.
L'œuvre que nous avons entreprise et finalement réalisée en Algérie présente des caractères uniques dans l'histoire coloniale. Dans les colonies tropicales, les Européens, peu nombreux, sont administrateurs, chefs d'entreprises, directeurs de culture; ils ne se mêlent pas à la vie indigène, ne gênent pas son fonctionnement, altèrent peu ses caractères. Dans les colonies de la zone tempérée, les Européens, soit qu'ils aient trouvé ces terres inhabitées, soit qu'ils aient détruit la population indigène, sont en général à peu près seuls, peuvent organiser l'administration et se répartir les terres à leur guise. En Algérie, le problème, délicat entre tous, si délicat que beaucoup l'ont cru insoluble, consiste à faire vivre côte à côte une nombreuse population européenne et une population indigène plus nombreuse encore, qui, bien loin de tendre à disparaître, se multiplie avec une extrême rapidité.
Un bloc de 850 000 Européens, dont plus de 650 000 Français, vivent aujourd'hui sur le sol de l'Algérie. Alger, Oran, qui étaient encore à la fin du dix-neuvième siècle de petites villes provinciales d'aspect vieillot, ont pris place parmi les grandes cités méditerranéennes. Alger, avec 226 000 habitants, dont 160 000 Européens, et 273 000 habitants dont 189 000 Européens si l'on y ajoute les satellites qui font partie de l'agglomération algéroise, est la plus grande ville de toute la Berbérie, voire même de tout le continent africain après le Caire et Alexandrie.
Oran a 150 000 habitants, dont 121 000 Européens ; Constantine (94 000 habitants) et Bône (52 000 habitants) ont également progressé, quoique dans une moindre mesure. Le peuplement rural a toujours paru aux vieux Africains le seul moyen d'assurer notre suprématie d'une manière durable par la prise de possession effective du sol; un pays finit toujours par appartenir à celui qui y cultive la terre. Si nous voulions être autre chose en Algérie que des passants dont le sable aurait bientôt effacé les pas, notre devoir primordial était d'y implanter et d'y maintenir une population rurale française aussi nombreuse que possible. La tâche était difficile, car le colon est une plante délicate et précieuse, transportée à grands frais, qui ne saurait se passer de soins assidus si on ne veut pas qu'elle soit étouffée par la végétation spontanée. Finalement, nous avons couvert l'Algérie de centaines de villages aux toits rouges qui lui donnent un aspect de province française. L'édifice de la colonisation agricole a somme toute assez bien résisté à la terrible secousse de la grande guerre; çà et là cependant, il s'est produit des fissures qu'il faut se hâter de boucher, des brèches qu'il convient de réparer. La présence de l'Européen dans les campagnes est le plus sûr moyen de rapprocher de nous les indigènes et de les tirer de leur antique barbarie, en même temps que d'assurer à tout jamais notre prépondérance dans l'Afrique du Nord.
Un nouveau peuple franco-algérien s'est constitué dans la vieille Régence barbaresque. Ce nouveau peuple est doué de belles qualités physiques et morales. La race est vigoureuse et saine, trempée par le rude climat. L' Algérien est intelligent, énergique, audacieux; il a, plus que les Français de la métropole, le goût du risque; " il est paysan, dit M. E.-F. Gautier, par l'amour passionné de la terre, mais c'est un paysan aventureux. " Ombrageux et susceptible comme tous les jeunes peuples, il a un vif patriotisme local, qui ne nuit en rien à son profond attachement pour la mère-patrie. La supériorité numérique des Français d'origine est assez faible, mais leur supériorité sociale, politique, intellectuelle, est incontestable et incontestée.
Aux États-Unis, une minorité d'Anglo-Saxons a digéré, assimilé des populations de toute provenance et de toute origine, Italiens, Allemands, Slaves. Il en a été de même en Algérie. L' Algérien diffère forcément par quelques traits du Français de la métropole, par suite de l'influence du milieu physique d'une part, de la composition ethnique d'autre part. Mais, grâce à la diffusion de la langue française, véhicule de nos idées, ce peuple algérien qui se forme est véritablement nôtre; c'est un jeune rameau du vieux tronc gallo-romain. Qu'importe que ce peuple ne soit qu'en partie français par le sang, s'il le demeure par la langue, les idées, les institutions, s'il est marqué de notre empreinte et perpétue notre civilisation.
Plus de 5 millions d'indigènes musulmans, Berbères ou Arabo-Berbères, vivent sur ce sol de l'Algérie à côté des 850 000 Européens; leur nombre a plus que doublé sous notre domination. Nous avons soumis, non sans peine, ces populations farouches et indomptables; nous avons prouvé que nous étions forts, et les musulmans ont le respect, le culte de la force. Nous n'en avons pas moins pratiqué à leur égard une politique de rapprochement, d'association, d'émancipation progressive; nous nous sommes efforcés de gagner leurs cœurs et nous y avons en somme assez bien réussi. Les indigènes pourront s'associer sans arrière-pensée à la commémoration d'une conquête qui leur a été bienfaisante. Loin d'avoir détruit en Algérie une nation qui n'y a jamais existé, nous l'avons fait naître; nous avons délivré les Algériens du joug brutal des Turcs et de leur propre anarchie; nous avons mis fin aux guerres entre tribus, aux épidémies, aux famines qui les décimaient. Nous nous sommes efforcés d'améliorer leur condition physique, intellectuelle, économique.
Longtemps immobiles, du moins en apparence, les indigènes ont évolué et évoluent de plus en plus rapidement au contact de la population européenne. Peu à peu, une société essentiellement guerrière, religieuse, patriarcale, se transforme en une société déshabituée des luttes à main armée, préoccupée plus qu'autrefois de ses besoins matériels, où des groupements d'intérêts se substituent aux anciens groupements de tribus et de familles. Si nulle propagande du dehors ne vient entraver notre oeuvre séculaire et nous en retirer le bénéfice, les indigènes, on peut en être assuré, se rapprocheront de nous graduellement.
La politique indigène à pratiquer vis-à-vis des musulmans de l'Algérie est un problème délicat et complexe; elle est toute de tact et de nuances; elle ne peut être maniée que par des hommes prudents et avisés; elle ne s'improvise pas. On oppose parfois l'une à l'autre la méthode du protectorat et la méthode de l'assimilation, la première fondée sur le respect des institutions des indigènes, la seconde s'efforçant au contraire de leur donner nos institutions et nos lois. Chacune de ces deux méthodes a ses avantages et ses inconvénients; chacune part d'une idée juste, c'est sa généralisation qui est fausse et dangereuse. Il ne faut toucher à la société indigène qu'avec prudence, avec lenteur, avec méthode, mais enfin elle évolue, que nous le voulions ou non; il faut la faire évoluer dans un sens qui tende à la rapprocher de nous et non à l'en éloigner. Il faut respecter les institutions des indigènes dans la mesure où elles sont respectables, les modifier dans la mesure où elles sont modifiables.
Tout n'est pas à blâmer ni à rejeter dans les méthodes algériennes d'assimilation des indigènes. Masqueray rapporte une conversation qu'il eut avec Jules Ferry dans un jardin de Mustapha : " Nous parlions, dit-il, de la Tunisie et de l'Algérie, de la terre du protectorat et de la terre de la conquête, de celle qui nous est venue sans rien perdre d'elle-même et de celle que notre victoire a bouleversée comme une herse aux dents aiguës. M. Ferry nous écoutait, jouissant délicieusement de la grande brise du large. Alors, l'un de nous osa dire que, malgré la quiétude du protectorat, l'Algérie lui était encore plus chère que la Tunisie, justement parce qu'elle exigeait plus d'efforts et parce que nulle part ailleurs, ni en Asie, ni en Amérique, ni en Afrique même, nulle autre nation que la nôtre n'avait entrepris d'assimiler des indigènes musulmans en introduisant au milieu d'eux un élément européen, problème difficile, regardé par beaucoup comme une utopie, mais qu'un jour ou l'autre un homme d'État pourrait résoudre en se couvrant de gloire. Il se retourna vers le parleur et le fixa d'un regard métallique, presque étonné, comme un homme surpris dans le secret de sa pensée. "
Certes, notre victoire a bouleversé l'Algérie " comme une herse aux dents aiguës " ; c'est un troupeau sans bergers et, comme l'a dit M. Jules Cambon, une poussière d'hommes. Mais cette société, qui a perdu ses cadres, se prépare à entrer dans les nôtres. Il est remarquable que les musulmans algériens ne réclament pas l'indépendance comme les Égyptiens, ni une charte constitutionnelle comme les Tunisiens. N'ayant pas, n'ayant jamais eu de souverain national, déclarés Français par le sénatus-consulte de 1865, pourvus de droits électoraux par la loi de 1919, ils aspirent à se confondre avec nous; ils réclament des écoles françaises, même pour les filles, un enseignement français; ils demandent à prendre à nos côtés une place de plus en plus grande dans nos assemblées délibérantes, à s'associer à nous dans la gestion politique et la mise en valeur économique de l'Algérie. Ils demandent à avoir les mêmes droits que nous, à devenir citoyens français comme nous, en un mot à faire partie de la famille française.
Nous ne sommes pas venus en Algérie simplement pour remettre un peu d'ordre dans l'administration indigène, donner au pays son outillage, après quoi, notre oeuvre étant terminée, ce pays se détacherait de nous et nous n'aurions plus à compter que sur sa reconnaissance assez problématique pour les services rendus. Notre but final, conforme à notre idéal d'autrefois et de toujours, à l'idéal de Richelieu et de Louis XIV aussi bien que de la Révolution française, c'est la fondation d'une France d'outre-mer, où revivront notre langue et notre civilisation, par la collaboration de plus en plus étroite des indigènes avec les Français, en un mot par leur francisation.
Les Africains sont amenés fatalement à parler notre langue, à adopter quelques-unes de nos méthodes et de nos idées, à se confondre peu à peu avec nous. Personne ne peut mettre en doute que cela soit désirable; on a seulement contesté parfois que cela soit possible. " La grande oeuvre, dit Raymond Aynard, la grande chimère peut-être, si attirante qu'on ne peut s'empêcher de la suivre, c'est l'assimilation du dedans, la création d'une âme commune. C'est une tâche colossale de rapprocher ces colonnes d'Hercule, ces deux humanités qui se sont toujours ignorées ou combattues. " Mais il faut laisser faire le temps, sans lequel ne se crée aucune oeuvre durable. Qu'est-ce qu'un siècle dans l'histoire de l'humanité? Il faut vingt ans pour faire l'éducation d'un homme: il faut vingt siècles pour faire l'éducation d'une race.
L'Algérie n'est ni un dominion comme le Canada, ni un État sujet comme l'Inde, ni une colonie de la Couronne comme la Jamaïque. La France a repris l'œuvre de Rome dans le même esprit que sa devancière, qui tendait à incorporer les provinces à l'Empire : Cuncti gens una sumus. " Nous voulons, dit Onésime Reclus, faire de nos Africains, de quelque race qu'ils soient, un peuple ayant notre langue comme langue commune, car l'unité de langage entraîne peu à peu l'union des volontés. Et nous pouvons espérer que des centaines de millions d'hommes parleront un jour la langue de Victor Hugo, quand auront disparu des nations qui se croyaient beaucoup plus assurées que nous d'une éternelle durée. "
LE RÔLE DE L'ALGÉRIE DANS L'EMPIRE COLONIAL FRANÇAIS
Si la date de 1830 est une des plus grandes de notre histoire nationale, c'est que nul événement n'a été plus fécond en conséquences que notre établissement à Alger. C'est il y a cent ans qu'a été posée la première pierre de ce vaste empire colonial africain qui s'étend jusqu'au lac Tchad et aux rives du Congo. Après avoir flotté à Alger en 1830, notre drapeau a été arboré à Tunis en 1881, à Fès en 1912. Dès lors, le rôle de l'Algérie s'est trouvé complètement modifié et élargi. Colonie acquise par hasard, un peu dédaignée et languissante, elle est devenue le point de départ et le centre le plus actif de l'influence française en Afrique. De même que notre colonie de la Réunion nous a conduits à Madagascar et que nos comptoirs du Sénégal nous ont amenés sur le Niger, c'est l'Algérie, ce sont les longs efforts que nous y avons déployés, le sang et l'argent que nous y avons dépensés pendant un siècle, qui ont fait de nous les héritiers éventuels de la Tunisie et du Maroc. La Tunisie a profité de l'expérience algérienne, le Maroc à la fois de l'expérience algérienne et de l'expérience tunisienne. C'est en Algérie que s'est formé le personnel de soldats, d'administrateurs, de colons, que nous avons utilisé dans les protectorats voisins ; c'est en Algérie que l'homme de génie auquel nous devons le Maroc, le maréchal Lyautey, a, comme disait Kléber, " préparé ses facultés ". L'Algérie, qui comptera bientôt un million d'Européens, est le centre le plus puissant de l'influence française en Afrique; c'est pour l'étayer, pour assurer son avenir, que nous nous sommes établis dans le reste du Maghreb; le Maroc et la Tunisie doivent tenir grand compte des nécessités algériennes; l'Algérie ne saurait oublier de son côté que la manière dont elle traitera les indigènes, la façon dont elle résoudra plus ou moins heureusement les problèmes multiples qui les concernent, auront la plus grande influence non seulement sur l'avenir de la Tunisie et du Maroc, mais sur les sympathies du monde musulman tout entier.
Ce n'est pas tout. Les Algériens, enfermés entre la Méditerranée et le Sahara, aspirent à sortir de " l'île du Maghreb " et à se relier au Soudan à travers le Sahara. Ils entendent collaborer à la mise en valeur de la boucle du Niger, y trouver les eaux abondantes qui leur manquent, les terres cotonnières qui leur font défaut. La nature a opposé de grands obstacles à ce que l'Algérie devienne la porte de l'Afrique soudanaise. Mais, tôt ou tard, ces obstacles seront vaincus par les moyens que la science moderne met à notre disposition, l'automobile, l'avion, le rail. Ainsi se constituera le grand empire africain créé par notre ténacité, en dépit des conditions géographiques qui lui avaient refusé toute cohésion. De cet empire africain, l'Algérie sera la clef de voûte. Des perspectives illimitées s'ouvrent ainsi à cette misérable Régence barbaresque où nos pères ont débarqué en 1830. La France, qui retrouve dans l'Algérie sa propre image, revivra en quelque sorte au delà de la Méditerranée. Ainsi elle aura pris sa large part " du fardeau de l'homme blanc " et rempli vis-à-vis de l'Afrique sa mission civilisatrice.
AGERON (C.-R.) : Histoire de l’Algérie contemporaine (1871-1954), Paris, PUF, 1979,
STORA (B.) : Histoire de l’Algérie coloniale (1830-1954), Paris, Editions La Découverte, 2004.
ALIBERT (Henri-Albert-Fançois-Joseph-Raphaël), 1887-1863 : Professeur et homme politique. Né à Saint-Laurent (Lot), le 17 février 1887, Raphaël Alibert est issu d'une vieille famille catholique du Rouergue versée par tradition dans le droit. Il compte parmi ses aïeux plusieurs conseillers du Présidial de cette province. Elève brillant dont la plupart de la scolarité se déroule au Caousou de Toulouse puis à la faculté de Droit de Paris, ce juriste passionné, auteur d’une thèse remarquée, semble manifester des sympathies pour la monarchie et l'Action française. Du reste, il est un temps l'un des précepteurs du Comte de Paris exilé en Belgique. Il livre même quelques articles à la revue Questions du Jour, fondée par ce dernier.
Maître des requêtes au Conseil d'Etat, il en démissionne en 1924 et lui préfère les voies de l'entreprise et de l'influence intellectuelle. Tout en demeurant professeur de droit administratif et constitutionnel à l'École libre des Sciences politiques, il rejoint le groupe d'Ernest Mercier, le plus grand patron de l’électricité, et travaille en particulier pour Sud-Lumière, l'une de ses sociétés. Concurremment, il participe à l’animation du « Redressement français », groupe de pression fondé en 1920, formé d’industriels qui soutiennent des candidats aux élections législatives. Il développe alors un certain nombre d'idées dont la création d'un secrétariat général au sein de chaque ministère ou le contrôle systématique de la constitutionnalité des lois. La réforme institutionnelle se niche au coeur de ses réflexions : il collabore à la rédaction de l'Encyclopédie
dirigée par Anatole de Monzie et intègre le Comité technique de la réforme d'Etat, créé par Jacques Bardoux. Soucieux de donner un écho à ses recherches, il s'enquiert de trouver une personnalité susceptible de les relayer dans l'opinion. Ce sera, à partir de 1937, le maréchal Pétain qu'il croise parfois aux Affinités françaises auxquelles il appartient également. Raphaël Alibert a en outre donné une implication plus pratique à son engagement politique puisqu'il s'est porté candidat à Pithiviers aux élections législatives de 1928 sous l’étiquette de l’Alliance républicaine où il essui un sérieux revers.
L'étude de cet échec peut contribuer à éclairer l'antiparlementarisme dont il fera montre ultérieurement. Alibert fait la connaissance du maréchal Pétain aux réunions du groupe. Séduit par l’assurance de ce monarchiste de l’Action franaise, Pétain en fait son « précepteur politque » et l’un de ses familiers. Tout naturellement , Pétain le nomme sous-secrétaire d’État à la présidence du Conseil le 16 juin 1940 et appartient au dernier gouvernement de la IIIème République. La dissolution de la franc-maçonnerie, en 1940, est l’un des actes politiques de son passage au gouvernement. Convaincu de la nécessité de pactiser avec les autorités allemandes, il fait arrêter, sous la fallacieuse accusation de complot, le ministre de l’Intérieur démissionnaire Georges Mandel, le 17 juin, au moment de l’annonce du changement de gouvernement. Le 20 juin, il fabrique un faux affirmant que les Allemands sont arrêtés sur la Loire par les troupes françaises. Il empêche ainsi, pendant quelques précieuses heures, le départ du gouvernement pour l’Afrique du Nord. Quelques parlementaires et anciens ministres quitteront, malgré tout, le pays à bord du Massilia, ce qui permettra à Alibert de les accuser de désertion. Pour regénérer le pays, il travaille à la destruction du régime républicain jugé responsible de la défaite. Avec Laval, qu’il considère comme « l’homme de la situation », il rédige les actes constitutionnels qui tendent à abolir la Constitution républicaine de 1875 et à établir un Etat autotrtaire. Le texte est voté le 10 juillet 1940. Continuant sa carrière politique sous le régime de Vichy, il est condamné à mort par contumace, à la dégradation nationale à vie et à la confiscation des biens le 7 mars 1947. Il est amnistié le 26 février 1959 et décèdera à Paris le 5 juin 1963.
ALLAIN (Marcel), 1885-1969 : Romancier. Né à Paris le 15 septembre 1885, Marcel Allain crée avec Pierre Souvestre (1874-1914) le type hallucinant de Fantômas, canaille distinguée aux mille crimes « parfaits » et impunis. Devenu le secrétaire de Souvestre, Allain collabore étroitement avec ce « patron », devenu son ami, et qui a reçu de l’éditeur Fayard la commande de cinq romans fantastiques. En trente-deux mois, ils publient trente-deux voluMes de Fantômas, dont le titre avait été trouvé dans le métropolitain. Homme d’action, homme du monde, coiffé du légendaire « tuyaU de poêle », pourvu de dons exceptionnels et enchanté de faire peur, Fantômas, technicien du crime est partout et de nulle part. Il adore son métier qui est d’assassiner, et le pratique comme un sport, s’évadant de toutes les prisons. La figure de Fantômas a retenu l’attention de poètes et d’écrivains tels qu’Élémir Bourges, Cocteau, Antonin Artaud, et surtout Guillaume Apollinaire qui proclame Allain « roi des surréalistes ». il décèdera à Saint-Germain-en-Laye (Yvelines), le 25 août 1969.
ALLAIN-TARGÉ (Françoi-Henri-René), 1832-1902 : Avocat et homme politique. Né à Angers (Maine-et-Loire) le 17 mai 1832, François Allain-Targé devient avocat puis magistrat. Farouche opposant à l’Empire, il démissionne en 1864 et se range dans l’opposition républicaine radicale au Second Empire. A ce titre, il commence alors une carrière de journaliste dans les feuilles d’opposition. Après le 4 septembre 1870, il devient préfet de Maine-et-Loire puis de la Gironde. Républicain convaincu, il est élu conseiller municipal de Paris en 1871 et 1874 puis député de la Seine de 1876 à 1889.
Allain-Targé, personnalité marquant du parti républicain appartient à la franc-maçonnerie. Ami de Gambetta, il devient l’un des rédacteurs du journal de ce dernier, La République française. A deux reprises, Allain-Targé accède à des postes ministériels importants. Il est ministre des Finances dans le « Grand ministère » de Gambetta (novembre 1881-janvier 1882), puis ministre de l'Intérieur dans le premier cabinet Brisson (avril 1885-janvier 1886). Il recommande la stricte neutralté aux fonctionnaires au moment des élections de 1885. En 1889, il décide de se retirer de la vie politique et meurt le 16 juillet 1902 au château de Targé (Maine-et-Loire).
KAYSER (J) : Les grandes batailles du radicalisme, des origines aux portes du pouvoir (1820-1901), Paris, Marcel Rivière, 1962.
ALLAIS (Alphonse), 1854-1905 : Écrivain. Alphonse Allais est né à Honfleur (Calvados) le 20 octobre 1854 dans la pharmacie paternelle. Humoriste de vocation et de système, il est toute sa vie la fantaisie en personne. A dix-sept ans, reçu bachelier es sciences, Allais devient stagiaire à la pharmacie paternelle.
Son père est obligé de se séparer de lui et l'envoie comme stagiaire dans une pharmacie à Paris. Là, il rencontre des chansonniers, des artistes et commence à écrire ses nouvelles dans la presse et les cabarets monmartrois. Il débute par un recueil de calembredaines : A se tordre (1891), et devait par la suite en donner beaucoup d’autres. Les principaux étant Vive la vie (1892) ; Rose et vert pomme ; le Parapluie de l’escouade (1894) ; Deux et deux font cinq (1895) ; On n’est pas des bœufs (1896) ; Amours, délices et orgues (1898) ; l’Affaire Blaireau ; Pour cause de fin de bail (1899) ; Ne nous frappons pas (1900) et enfin le Captain Cap (1902).
Pour le théâtre, il a écrit, seul ou en collaboration, quelques savoureuses comédies : l’Innocent Sylvéric ou les fonds hollandais (joué au Théâtre des Nouveautés le 7 février 1896) ; le Pauvre b… et le Bon Génie (1899) ; Monsieur la Pudeur (joué au Théâtre Cluny le 4 décembre 1903). Il décède à Paris le 28 octobre 1905.
CARADEC (F.) : Alphonse Allais, Paris, Belfond, 1994.
ALLAR (André-Joseph), 1845-1926 : Sculpteur. Né à Toulon (Var), le 22 août 1845, membre de l’Académie des beaux-arts en 1905, on lui doit des œuvres d’un sentiment élevé : les Dieux d’Alceste (1881), Jeanne d’Arc écoutant les voix, Isis se dévoilant, etc. Il décède à Toulon le 10 avil 1926.
ALLARD (Maurice), 1860-1942 : Avocat, journaliste et homme politique. Né à Amboise (Indre-et-Loire) le 1er mai 1860, Maurice Allard, d’abord avocat, inscrit cinq ans au barreau de Paris, fait pendant la période boulangiste une vigoureuse campagne contre cette tentative de dictature. Il est rédacteur dans plusieurs journaux socialistes. Ces derniers l'envoient siéger à la Chambre où il s'inscrit au groupe socialiste et y manifeste une grande activité, mais c'est à propos de la séparation des Églises et de État qu'il se montre le plus véhément. Battu aux élections de 1910, il reprend sa carrière de journaliste et est l'un des leaders de L’Humanité de Jean Jaurès. Il décèdera à Amboise le 27 novembre 1942.
ALLARD (Paul), 1841-1916 : Historien. Né à Rouen (Seine-Inférieure) le 4 décembre 1841, Paul Allard est d’abord magistrat puis se spécialise sur l’histoire de l’antiquité chrétienne. Il publie à cet effet de nombreux ouvrages nourris de faits et d’une inspiration chaleureuse : les Esclaves chrétiens depuis les premiers temps de l’Eglise jusqu’à la fin de la domination romaine en occident (1876) ; l’Art païen sous les empereurs chrétiens (1879) ; Histoire des persécutions du Ier au IVe siècle (1884) ; le Christianisme et l’empire romain, de Néron à Théodose (1897) ; Saint Basile (1899), Julien l’Apostat (1900-1902) ; Saint Sidoine Apollinaire (1909) ; les Origines du servage en France (1913). Il meurt à Senneville-sur-Fécamp (Seine-Inférieure) le 4 décembre 1916.
ALLART (Hortense), 1801-1879 : Femme de lettres. Née à Milan (Italie), Hortense Allart est l’auteur de romans et des Enchantements de Prudence (1873-1874), souvenirs littéraires curieux mais sujets à caution où l’on trouve de fréquents détails sur ses relations avec Lamennais, Béranger, Libri, Sainte-Beuve, et surtout Chateaubriand. Elle décède à Montlhéry en 1879.
ALLASSEUR (Jean-Jules), 1818-1913 : Sculpteur. Né à Paris en 1818, élève de David d’Angers, Allasseur est surtout l’auteur d’un Robert Estienne (1881). Il décède à Paris en 1913.
ALLEAUME (Ludovic-René), 1859-1941 : Artiste peintre, graveur. Né à Angers (Maine-et-Loire) le 24 mars 1859, élève de l'Ecole des Beaux-Arts d'Angers, puis de Paris (atelier Hébert et Luc-Olivier Merson), Ludovic Alleaume se fait remarquer par des scènes d’histoire, des paysages d’Orient, des tableaux de genre et des portraits. Citons de lui : Caïn (1886) ; Fendeur d’ardoise à Angers (1887) ; la Nuit de Noël à Bethléem (1893) ; Jérusalem, la vallée de Josaphat ; Dina, fille de Lia ; A la campagne ; les Cigales. Il est aussi l'auteur de quatre peintures murales à l'église Saint-Nicolas de Craon : l'Annonciation, Apparition du Christ à Marie-Madeleine, Saint-Nicolas apaisant les flôts et Saint-Nicolas faisant l'aumône, et du plafond de la caisse d'épargne de Laval.
ALLEMAGNE :
ALLEMANE (Jean), 1843-1935: Ouvrier et homme politique. Né à Sauveterre (Haute-Garonne) le 25 août 1843, Jean Allemane entre très tôt comme apprenti à l’imprimerie Dupont à Paris. A seize ans, il est déjà révolutionnaire et ennemi du pouvoir. Son premier acte de militant est sa participation à une grève qui éclate chez l’imprimeur Donnaud où il travaille. Son action révolutionnaire ayant attiré l’attention de la police impériale, il est emprisonné pendant deux mois. A sa sortie des géôles il est devenu socialiste et il organise divers groupements dans les milieux ouvriers.
Arrêté après l’écrasement de la Commune où il avait pris part, il est envoyé au bagne de Toulon, où il reste aux fers pendant cinq longs mois. Il est ensuite débarqué pour l’île Nou. Ayant tenté de s’évader, il est condamné aux travaux forcés et déportés en Nouvelle-Calédonie de 1873 à 1880. Après l’amnistie de 1879, il entre en France. Mais avec soixante autres communards, il est condamné à cinq ans de banissement et ne peut donc rester à Paris. Il refuse cependant de quitter la capitale et le gouvernement n’ose pas le faire arrêter. Il organise des réunions, milite à la Fédération des Travailleurs Socialistes (FTS) ou « possibilistes » de Paul Brousse, et dirige à Paris un des journaux de cette formation, Le Parti Ouvrier, créé en 1888. Mais Allemane s’oppose à Brousse auquel il accuse sa main-mise sur la direction du parti, la modération de ses positions et ses alliances avec les radicaux qui le conduisent à faire passer au second plan la défense des intérêts ouvriers tandis que l’allemanisme, bien avant la CGT, préconise comme moyen de lutte contre l’Etat bourgeois, la grève générale, et il ne conçoit d’action parlementaire que pour donner beaucoup plus d’ampleur à la propagande socialiste. En octobre 1890, au congrès de Chatellerault, c’est la scission : Allemane et ses partisans sont exclus de la FTS et décident alors de créer le Parti Socialiste Ouvrier Révolutionnaire (PSOR). Composé d’ouvriers tous syndiqués, le PSOR rejette les intellectuels, et cet « ouvriérisme » constitue sa principale originalité au sein diu mouvement socialiste et le rapproche d’autres groupes non socialistes, comme les anarchistes et les syndicalistes qui entendent se fonder sur une spécificité ouvrière pour transformer la société. Pour parvenir à la société idéale, Allemane compte sur le moyen d’action propre au monde ouvrier à savoir la grêve générale révolutionnaire. Les conceptions d’Allemane apparaissent ainsi comme une synthèse au carrefour des grandes doctrines du mouvement ouvrier de l’époque, blanquisme, marxisme, possibilisme, anarchisme et syndicalisme révolutionnaire. L’influence de son mouvement s’exerce surtout à Paris, mais aussi dans le Jura, en Bourgogne, dans l’Aisne et les Ardennes. En 1900, Allemane et son mouvement adhèrent au Parti socialiste français, constitué par les socialistes réformistes autours de Jean Jaurès. Allemane est élu député du 11ème arrondissement de Paris à une élection partielle en 1901, mais est battu l’année suivante par un mutualiste. En 1905, il participe, avec le PSF, à la fondation du parti socialiste SFIO dont il devient l’élu, toujours à Paris, aux élections législatives de 1906. Aux élections générales suivantes de 1910, le futur ministre Henry Paté, républicain de gauche, le bat. Dès lors, son activité politique se déploit principalement à l’intérieur du mouvement socialiste, qu’il quitte en 1913 et il meurt, à peu près oublié, à Herblay (Seine-et-Oise), le 6 juin 1935. Il est l’auteur de Mémoires d’un communard et du Socialisme en France.
LEFRANC (G.) : Le mouvement socialiste sous la IIIème République (1875-1940), Paris, Payot, 1965.
LIGOU (D.) : Histoire du socialisme en France (1871-1961), Paris, PUF, 1962.
WILLARD (C.) : Socialisme et communisme français, Paris, A. Colin, 1967.
WINOCH (M.) : Le socialisme en France et en Europe, XIXème-XXème siècle, Paris, Seuil, 1992.
ALLIANCE RÉPUBLICAINE DÉMO-CRATIQUE : Fondée le 23 octobre 1901, l’Alliance républicaine démocratique, est un parti politique rassemblant les modérés qui, derrière Waldeck-Rousseau, ont choisi le camp dreyfusard. La génèse tient à trois évènements : l’affaire Dreyfus, la naissance du Parti radical-socialiste en juin 1901 et la perspective des élections législatives de 1902. Désormais, et jusqu’à la fin de la Troisième République, l’Alliance démocratique va constituer la grande formation modérée dans laquelle se recrutent les hommes de gouvernement de droite, attachés au régime. Elle compte dans ses rangs des personnages de premier plan tels que Louis Barthou, Raymond Poincaré, Henri Chéron, Paul Deschanel, Maurice Rouvier, Eugène Etienne, Joseph Caillaux ou Jean Dupuy.
L’initiateur de la création, Charles Pallu de la Barrière, devenu son secrétaire général de 1901 à 1919, a agi à l’instigation de Waldeck-Rousseau, et a gagné à sa cause Adolphe Carnot, le frère de Sadi, qui accepte d’être président-fondateur avec Magnin, ancien gouverneur général de la Banque de France. Viendront ensuite, à la présidence, Charles Jonnart en 1920, Joseph Noulens de 1921 à 1923, Antony Ratier de 1923 à 1933 puis Pierre-Etienne Flandin de 1933 à 1940. L’Alliance reçoit l’appui de milieux d’affaires et de la presse telle que Le Matin, Le Petit Parisien, Le Journal. Si en 1902, on dénombre 39 députés et 39 sénateurs, plus d’une centaine de députés et plus d’une cinquantaine de sénateurs sont affiliés entre 1910 et 1932, puis les chefs régressent. Qualifiée d’ « état major sans troupe » par ses contempteurs, l’Alliance républicaine démocratique regroupe environ 30.000 adhérents vers 1910, seulement 14.000 en 1933 et exactement 23.861 adhérents en 1939, répartis en comités et fédérations, la Fédération girondine étant de loin la plus importante.
Toutefois sa cohésion est médiocre. Si au lendemain de la Première Guerre mondiale, elle semble pouvoir serir de creuset à un rassemblement des centres qui absorberait les radicaux (et, dans ce but, elle change pour quelques années son nom en celui de Parti républicain démocratique et social), durant les années 1930, elle est déchirée de vifs débats qui opposent en particulier le président de l’Alliance Pierre-Etienne Flandin, partisan d’une alliance avec les radicaux, à des hommes comme André Tardieu ou Paul Raynaud qui rejettent en bloc les compromis et souhaitent voir la droite française proposer au pays une doctrine moderne. La débâcle des droites en 1936 touche profondément l’Alliance qui perd prés de 300 000 voix par rapport aux législatives précédentes (autour d’un million) et voit le nombre de députés sous son influence chuter de 99 à 42. L’alliance républicaine démocratique disparaitra en même temps que la Troisième République.
FLANDIN (P.-E.) : Paix et liberté (L’Alliance démocratique à l’action), Paris, Flammarion, 1938.
LACHAPELLE (G.) : L’Alliance démocratique. Ses origines, ses hommes, son rôle, Paris, Grasset, 1935.
ALLIANCE RÉPUBLICAINE DE LA JEUNESSE : L’Alliance républicaine de la jeunesse a été fondée au printemps 1889 par un groupe de jeunes gens militant au sein du Comité antiboulangiste des étudiants, crée lui-même en août 1888. L’Alliance entretient des contacts étroits avec l’Union libérale du bâtonnier Barboux et l’Association nationale républicaine, alors présidée par Jules Ferry. L’avocat Jules Ronjat, président de l’organisation, est appelé à siéger au sein du Conseil général de l’ANR.
ALLIANCE RÉPUBLICAINE DE LA JEUNESSE : L’Alliance républicaine de la jeunesse a été fondée au printemps 1889 par un groupe de jeunes gens militant au sein du Comité antiboulangiste des étudiants, créé lui-même en août 1888. L’Alliance entretient des contacts étroits avec l’Union libérale du bâtonnier Barboux et l’Association nationale républicaine, alors présidée par Jules Ferry. L’avocat Jules Ronjat, président de l’organisation, est appelé à siéger au sein du conseil général de l’ANR. On ne trouve plus aucune mention de cette organisation au dela de l’année 1893.
ALLIER (Raoul), 1862-1939 : Philosophe. Né à Vauvert (Gard) le 29 juin 1862, Raoul Allier est issu d’une famille de vignerons protestants. Il fait de brillantes études aux lycées de Montpellier et de Carcassonne, puis Charlemagne à Paris. Il est admis à l’Ecole normale supérieure en 1882, et est admis à l’agrégation de philosophie en 1885. Sans être pasteur, il fait l’essentiel de sa carrière comme enseignant au lycée de Montauban puis dans les facultés de théologie protestante à Montauban puis à Paris dès 1889. Professeur titulaire au début du siècle, il est doyen de la faculté de 1920 à 1933. Il est à diverses reprises chargé de cours libres à la Sorbonne.
C’est le pasteur Tommy Fallot, fondateur du mouvement protestant du Christianisme social, qui le convertit à l’action sociale en 1884. Dans les années suivantes, il est secrétaire général de la Ligue française pour le rélèvement de la moralité publique (fédération abolitionniste qui lutte contre la protistution réglementée), fondée par Elie Gounelle et fait partie du comité directeur de l’Association pour l’étude pratique des questions sociales de 1894 à 1914. Au delà du milieu protestant, il s’engage dans la défense de Dreyfus et participe au mouvement des Universités populaires.
En liaison avec l’américain J. Mott, fondateur de la Fédération universelle des étudiants chrétiens, il suscite la création du mouvement français d’étudiants chrétiens, la FFACE (Fédération française des associations chrétiennes d’Etudiants), qu’il préside de 1899 à 1920. Il fixe dès le départ des buts évangélisateurs aux étudiants, à l’imitation des Settlements (centres sociaux où des étudiants résidents) britanniques. Il ne verra véritablement le mouvement décoller qu’après 1905, sous l’impulsion de Charles Grauss.
Au début du siècle, Raoul Allier est une personnalité reconnue qui défend les intérêts des Eglises réformées dans le journal Le Siècle, au moment de la séparation des Eglises et de l’Etat. Il collabore aussi aux Cahiers de la Quinzaine de Charles Péguy. Il a publié de nombreux ouvrages : La Chanson huguenote au XVIe siècle (1886) ; Science, philosophie et religion (1893) ; la Philosophie d’Ernest Renan (1895) ; Voltaire et Calas (1898) ; la Cabale des Dévots (1902) ; la Séparation des Eglises et de l’Etat (1903) et collabore au Nouveau Larousse illustré.
Pendant la Première Guerre mondiale, Raoul Allier prend des positions très patriotiques. En décalage avec la sensibilité majoritaire de la jeunesse fédérative, il doit quitter la présidence de la FFACE mais garde celle de l’assocation des étudiants protestants de Paris. Il défend à la fin de sa carrière des positions politiques et religieuses conservatrices, en liaison avec l’association de défense du protectionnisme La Cause. Il décède aux-Loges-en-Fargeau (Morbihan) le 9 novembre 1939.
RICHARD (G.) : La vie et l’œuvre de R. Allier, Paris, Berger-Levrault, 1948.
ALLOCATIONS FAMILIALES : Avant de s’imposer dans la législation, les allocations familiales représentent d’abord un mouvement spécifique du réformisme social. Instituées par certains patrons catholiques à la fin du XIXe siècle, contre la majorité des syndicats qui revendiquent le contrôle ouvrier, les allocations familiales s’appuient sur une dynamique et des réseaux particuliers. On trouve, au centre du dispositif, plusieurs associations natalistes souvent dominées par les catholiques, telle l’Alliance nationale pour l’accroissement de la population française. S’y ajoutent, au cours des années 1920, les préoccupations démographiques aggravées par la Première Guerre mondiale, thématique de la dépopulation qui dépasse très largement les seuls milieux catholiques. Le premier projet d’allocations familiales obligatoire est dépôsé par Maurice Bokanowski, député de centre gauche, en février 1920. Les motivations du patronat enfin jouent leur propre rôle. La nécéssité de fixer une main d’œuvre stable, le moyen de compenser la hausse des prix sans une augmentation brutale et générale de la masse salariale, la volonté de préserver la caractère de « libéralité » de l’allocation contre l’idée d’un droit social.
De 1920 à 1930, le progrès des caisses patronales d’allocations familiales est d’ailleurs remarquable. De 11.500 en 1920, le nombre de familles allocataires passe à 480.000 en 1930. Avec un nombre de caisses dites de compensation, nées du groupement de plusieurs entreprises, lui aussi en constante progression (6 en 1920, avec les zones pionnières de Grenoble et l’ingénieur Romanet et de Roubaix-Tourcoing, 230 en 1930), le mouvement a crée de lui-même un groupe de pression : les dirigeants des caisses et leurs alliés d’obédience démocrate-chrétienne venus de certains milieux politiques et syndicaux (CFTC). Au tout début des années 1930, si le mouvement des allocations familiales est encore accusé de jouer un rôle diviseur – à la fois diviseur de la classe ouvrière selon les syndicats de gauche et diviseur du patronat entre grande et petite industrie -, l’idée d’allocation familiale, reconnue et encouragée par l’encyclique Quadragesimo Anno (1931), encourage, dit-on, le maintien ou le retour de la mère au foyer.
Dans ce contexte, la loi du 11 mars 1932, issue d’un projet par Louis Loucheur en 1929, si elle appartient de plein droit au progrès de la législation sociale, deux ans après sur les assurances sociales, marque avant tout la consécration de ce mouvement familial et patronal spécifique. Le projet de loi a été préparé par le directeur du Travail, Piquenard, en concertation avec le Comité central des allocations familiales (créé en 1921) qui regroupe les caisses patronales et la Commision supérieure des allocations familiales instituées pour l’occasion. Le vote du 30 mars 1931, à la Chambre des députés, a lieu sans débat et le texte final demeure très favorable à l’autonomie de gestion patronale. Obligation est faite aux employeurs de s’affilier aux caisses d’allocations mais celles-ci demeurent des caisses patronales tant du point de vue des modalités de prestations que de fixation de leur montant effectif, le taux minimum prévu par la loi étant trop faible pour être une contrainte. A cette date, l’obligation et la généralisation n’étaient synonymes ni de nationalisation ni d’étatisation des prestations familiales.
La loi de 1932 avant cependant crée un véritable instrument à l’échelle du pays. L’allocation familiale ne pouvait plus être considérée comme une libéralité du patron envers son salarié mais comme le complément légal du salaire. De plus, dans le cadre da la politique nataliste menée par la gouvernement Daladier (3 décrets-lois en 1938 puis le décret-loi du 29 juillet 1939, dit « code de la famille »), le souci démographique l’emportait de plus en plus sur l’aspect salarial et strictement social. En renforçant l’idée d’une responsabilité de la collectivité nationale vis-à-vis d’elle-même, la politique nataliste légitimait les mesures d’encadrement de l’Etat contre l’autonomie patronale des caisses. Oubliées par les accords Matignon de juin 1936, les allocations familiales bénéficient ainsi, entre 1938 et 1939, d’un mouvement d’unification des barêmes et d’égalisation des prestations dorénavant référées à un salaire moyen départemental et non plus laissées à l’appréciation des caisses.
CECCALDI (D.) : Histoires des prestations familiales en France, Paris, Union nationale des Caisses d’allocations familiales, 1957.
HATZFELD (H.) : Du paupérisme à la Sécurité sociale, 1850-1940, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1989.
TALMY (R.) : Histoire du mouvement familial en France : 1896-1939, 2 vol., Paris, Union nationale des Caisses d’allocations familiales, 1962.
ALLOTE DE LA FUYE (François-Maurice), 1844-19 : Orientaliste. Né à La Rochelle (Chatente-Inférieure) en 1844, sorti de l’Ecole polytechnique en 1865 dans l’armée du génie, Allote de La Fuye est décoré en 1870. Retraité en 1905 comme colonel, il reprend ses études de linguistique et d’archéologie orientales. Il a réuni une importante collection de textes sumériens archaïques sous le titre de Documents présargoniques. L’Académie des inscriptions l’a élu correspondant. Il décède à le.
ALPHAND (Jean-Charles-Adolphe), 1817-1891 : Ingénieur. La carrière d’Alphand est un bon exemple de réussite due à une compétence professionnelle indiscutable jointe à une diplomatie convaincante. Né à Grenoble en 1817, Alphand est appelé en 1854 par le préfet Haussmann avec le titre d’ « ingénieur en chef des embellissements », il est chargé de transformer Paris pendant tout le Second Empire.
En 1870, ce haut fonctionnaire de l’Empire, promu colonel par la gouvernement de défense nationale, est chargé des fortifications de Paris et des forts avancés. Sa carrière administrative se poursuit ensuite, et Alphand assure la supervision de tous les services de la Ville de Paris comportant des travaux après la guerre comme le service des Eaux à la mort de Belgrand en 1878. La même année, il travaille à l’Exposition universelle qui s’annonce en aménageant notamment les nouveaux jardins du Trocadéro. Sa carrière se termine brillamment en dirigeant l’Exposition universelle de 1889. Alphand décède la même année qu’Haussmann, en 1891 à Paris. Aux dires d’Haussmann, en 1890, Alphand, grand officier de la Légion d’honneur, était devenu le véritable préfet de Seine. On lui doit : les Promenades de Paris (1867-1872).
LAMEYRE (G.) : Haussmann, préfet de Paris, 1958.
ALSACE-LORRAINE (Question de l’) : Le Bas-Rhin, le Haut-Rhin (sauf le territoire de Belfort), la Moselle moins Briey et parties des arrondissements de Château-Salins et Sarrebourg dans la Meurthe, cédés à l’Allemagne au traité de Francfort, ont formé le pays d’Empire (Reichsland), de 14.507 m². L’annexion de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine suscite aussitôt la protestation à Bordeaux, à l’Assemblée nationale des élus des départements concernés. L’annexion est ressentie non seulement comme une violation des droits des nationalités, mais comme une atteinte aux principes de la société européenne. Surtout, cette annexion fait durablement obstacle à tout rapprochement de la France et de l’Allemagne, dont l’antagonisme était au cœur des relations internationales. Jusqu’en 1914, la France restera hantée par la menace allemande et la crainte d’une agression. Le souvenir des provinces perdues est très vivace, comme l’espoir d’un retour de celles-ci dans la communauté française. En revanche, il serait inexact de penser que ces sentiments conduisent à souhaiter à une guerre de revanche. Après la crise boulangiste de 1887, la France connaît un certain apaisement dans les années 1890-1905 mais l’influence croissante du nationalisme réveille, à partir de cette dernière date, le désir ardent de la reconquête des territoires perdus. Avec ses romans Au service de l’Allemagne (1905) et Colette Baudoche (1909), Maurice Barrès contribue effectivement à ce réveil.
Déclarés Reishland le 3 juin 1871, les territoires d’Alsace et de Lorraine deviennent propriété commune des Länder de l’empire allemand. Les provinces annexées restent, malgré un premier mouvement en faveur d’une autonomie dans l’Empire, attachées à la protestation jusqu’en 1890, subissant un régime oppressif de dictature militaire. En 1877, l’Alsace reçoit un gouverneur (statthalter) et le droit d’élire une Commission régionale (Landesausschluss) qui avait voix consultative pour le budget. Les « Alsaciens-Lorrains » ayant persisté dans leur fidélité à la France, on en revient en 1881 au système de la dictature. Puis le temps faisant son œuvre, avec l’essor économique allemand, les mutations sociales contribuent à modifier l’état d’esprit de la population. Des partis politiques s’organisent, qui se rattachent aux grands partis politiques allemands, ainsi que la social-démocratie ou du parti catholique alsacien. La politique anticléricale de la France laïque avait conduit un certain nombre de catholiques à regarder vers le modèle allemand, à plus forte raison avec la loi française de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905. En 1898, douze des quinze élus au Reichstag dirent leur « loyalisme » envers l’Allemagne. Désormais, la revendication politique majeure est celle de l’autonomie, qui ferait du Reichsland l’équivalent d’un des Etats de l’Empire. Pour certains, la bataille pour l’autonomie est une autre forme de protestation, pour d’autres, l’acceptation des « faits accomplis ». La Constitution du 31 mai 1911 accordée par Guillaume II, octroie une autonomie partielle,qui prévoit un Parlement de deux Chambres siégeant à Strasbourg. Mais l’Alsace-Lorraine demeure Reichsland et ne parvint pas au statut d’Etat confédéré. Dans les années suivantes, le réveil de l’antagonisme franco-allemand à la crise d’Agadir, les menaces de conflits font souffler de nouveau en Alsace-Lorraine l’esprit de la protestation comme en témoignent en 1913 les incidents de Saverne (au cours desquelq la population manifeste contre un officier allemand qui avait insulté les Alsaciens). Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, le retour à la France de l’Alsace-Lorraine constitue le premier but du conflit et,en novembre 1918, c’est au milieu d’une liesse populaire que les troupes françaises entrent en Alsace. Le président de la République Raymond Poincaré et le président du Conseil Georges Clemenceau sont follement acclamés lors de leur visite dans Strasbourg libéré.
Lors du rétablissement des trois départements en 1918, se posent de nombreux problèmes que le Haut-Commisariat confié à Alexandre Millerand ne parvient toujours pas à résoudre. Premièrement, le retour des familles qui ont quitté le pays en 1871 et dont les enfants, qui ne connaissent pas les problème alsaciens-lorrains, mais peuvent arguer de la fidélité à la mère-patrie, exigent des nouvelles autorités leur appui pour l’attribution des fonctions et des marchés : les prétentions de ces « revenants » qui leur paraissent des étrangers irritent au plus haut point les habitants restés sur place. Deuxièment, la question religieuse et scolaire, fondamentale dans les provinces où l’influence des diverses confessions est prépondérante. Faut-il appliquer la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat et d’appliquer les lois scolaires qui rendent l’école publique laïque et interdisent aux congrégations d’enseigner, cependant que l’école privée ne dispose d’aucune subvention ? Le problème est résolu en laissant aux trois départements le bénéfice de la législation religieuse et religieuse qui était la leur en 1918. Mais lorsque’en 1924, le Certel des gauches parvient au pouvoir, c’est pour envisager d’étendre à l’Alsace-Lorraine les « lois de la République » mais la protestation des départements concernés est grande ce qui oblige la gauche à reculer. Le changement d’orientation de l’économie, l’introduction d’une législation sociale moins favorable que celle de l’Empire allemand, la situation des fonctionnaires ou des cheminots posent une série de problèmes quotidiens que la France maîtrise mal et qui entretient en Alsace-Lorraine un sourd mécontentement. C’est à la faveur de celui-ci que se développe, à partir de 1929, un mouvement autonomiste complexe, allant des groupes qui prônent un appui sur l’Allemagne pour se libérer de la colonisation française à des organisations de caractère régionaliste, en passant par l’action du Parti communiste qui, dans le cadre de ses campagnes anti-impérialistes, prône l’octroi de l’indépendance à l’Alsace-Lorraine. Sans doute ce mouvement est-il minoritaire, mais il s’appuie sur un malaise qui peut lui donner une réelle audience. Lorsque se déclenche la Seconde Guerre mondiale, le gouvrnement aura à réprimer l’action des autonomistes pro-allemands, dont certains dirigeants seront fusillés en février 1940. La défaite militaire aboutit à une nouvelle annexion de l’Alsace-Lorraine au Reich au moment même où meurt la Troisième République.
DREYFUS (F.-G.) : La vie politique en Alsace, 1919-1936, Paris, Armand Colin, 1969.
MAYEUR (J.-M.) : Autonomie et politique en Alsace, Paris, Armand Colin, 1970.
RAPHAËL (F.) et HERBERICH-MARX (G.) : Mémoire plurielle de l’Alsace, Grandeurs et servitudes d’un pays des marges, Strasbourg, Publications de la Société savante d’Alsace et des régions de l’Est, 1991.
ALTAMAYER (Victor-Joseph), 1844-1908) : Général : Né à Saint-Avold en 1844, Altamayer a pris part à la guerre de 1870 dans la défense de Paris, et à la lutte contre la Commune. Professeur du cours d’état-major à l’Ecole supérieure de guerre de 1879 à 1885, il termine sa carrière comme commandant du 12ème corps ‘armée à Limoges. On a de lui un ouvrage sur la Création du cours d’état-major à l’Ecole supérieure de guerre (1880). Il décède à Limoges en 1908.
ALVAREZ (Albert-Raymond Gouron, dit), 1861-1933: Chanteur. Né à Bordeaux en 1861, Alvarez est d’abord corniste et sous-chef de musique dans un régiment de ligne. Puis, prenant des leçons de chant, il débute à Paris dans un café-concert, et entre au grand théâtre de Marseille. Engagé à l’Opéra de Paris en 1892, il se fait remarquer par sa voix de ténor souple et étendue, par ses qualités de chanteur et de comédien. Il a surtout été applaudi dans Faust, Lohengrin, la Walkyrie, Samson et Dalila, Thaïs, le Prophète, etc. Alvarès a chanté avec un succès considérable au théâtre de Covent-Garden à Londres et en Amérique. Il meurt à Paris en 1933.
AMADE (Albert d’), 1856- : Général. Né à Toulouse en 1856, sorti de Saint-Cyr en 1876, Albert d’Amade a fait une grande partie de sa carrière en Algérie et au Tonkin. Désigné au commancement de 1908, comme général de brigade, pour remplacer le général Drude à la tête du corps expéditionnaire de Casablanca au Maroc, il pacifie rapidement la Chaouia pour une offensive hardie et un vigoureux esprit d’entreprise.
Membre du conseil supérieur de la guerre en 1914, il ne joue pendant la Première Guerre mondiale qu’un rôle assez bref. Il commande d’abord les troupes d’observation laissées sur la frontière italienne, qu’il transporte dès le 15 août 1914, dans la région d’Arras, puis est mis en novembre 1914 à la tête d’un détachement français qui prend part à l’expédition des Dardanelles. Il collabore du mieux qu’il peut à cette expédition dont la direction est assumée par l’Angleterre et qui aboutit à un échec lamentable.
AMAGAT (Emile-Hilaire), 1841-1915 : Physicien. Né à Saint-Satur (Cher) le 2 janvier 1841, Emile Amagat devient d’abord professeur de physique dans l’enseignement secondaire, ensuite professeur de physique à la faculté libre des sciences de Lyon (1877-1892), puis, en 1892, devient répétiteur à l’Ecole polytechnique, et, il est élu membre de l'Académie des sciences en 1902 (section de physique générale). On lui doit d’importants travaux sur la statique des fluides : compressibilité et dilatation des liquides et des gaz, détermination des densités de liquides et de vapeurs à saturation et des points critiques, lois des états correspondants, lois générales des chaleurs spécifiques des fluides, etc. Citons aussi ses intéressantes recherches sur l’élasticité des solides. Il décède Saint-Satur le 14 février 1915.
AMAN-JEAN (Edmond-François), 1856-1941 : Peintre. Né en 1856 à Chevry-Cossigny (Seine-et-Marne) en 1856, Aman-Jean, élève de Lehmann, s’est fait connaître d’abord par ses compositions historiques, allégoriques ou décoratives, telles que Saint Julien l’Hospitalier (1888), Jeanne d’Arc (1885), les Sirènes (1896). Il s’est aussi adonné au portrait. Citons ceux d’une Jeunne femme ; de Mellle Juliette Segond ; de Melle de La Baume (1902). Mais c’est surtout comme décorateur qu’Aman-Jean s’est imposé. Il harmonise des gris, des violets et des roses très délicats. Son dessin, légèrement asymétrique, est toujours extrêmement gracieux. En 1900, il a exposé la Confidence, l’Attente, la Femme au paon, et obtenu une médaille d’or à l’Exposition universelle. Depuis, il a signé : le Parc, carton de tapisserie, la Confidence, panneau décoratif (1904), le Repos après le duo (1924).
AMEL (Louise-Claudine Prontaut, épouse Matrat, dite), 1859-1921 : Comédienne. Née à Paris en 1859, ayant obtenu en 1880 le premier prix de comédie au Conservatoire, Amel débute en 1881 à la Comédie-Française et y tient, comme pensionnaire, l’emploi des caractères et des duègnes. Douée d’une jolie voix, elle a l’idée de remettre en honneur les vieilles chansons populaires et a obtient ainsi de vifs succcès. Elle décède au Cannet en 1921.
AMÉLINEAU (Émile-Clément), 1850-1915 : Égyptologue. Né à La Chaize-Giraud (Vendée) le 28 août 1850, Amélineau est connu pour avoir réalisé d’importantes fouilles à Abydos en 1896-1897. Il devient alors directeur-adjoint de l’École des hautes études, section des sciences religieuses. Il a publié : Essai sur le gnoticisme égyptien ; De historia Lausiaca ; Monuments pour servir à l’histoire de l’Egypte (1894) ; Essai sur l’évolution historique et philosophique des idées morales dans l’Egypte ancienne (1895) ; Histoire des sépultures et des funérailles dans l’Egypte ancienne (1896) ; Les Nouvelles fouilles d’Abydos (1899-1904) ; Prolégomènes à l’étude de la religion égyptienne (1908) ; etc. Il décède à Châteaudun (Eure-et-Loir) le 13 janvier 1915.
AMETTE (Léon-Adolphe), 1850-1920 : Prélat. Né à Douville (Eure) en 1850, à l'issue de sa scolarité, Léon-Adolphe Amette entre au séminaire Saint-Sulpice où il étudie la philosophie et la théologie. Ordonné en 1873, il devient, ensuite, secrétaire personnel de l'évêque d'Évreux. De 1889 à 1898, il dirige à Évreux en tant que vicaire général 'administration de l'évêché. En 1898, il devient évêque de Bayeux, en 1906 coadjuteur de l'archevêque de Paris et en 1908 l'archevêque lui-même. Le 27 novembre 1911, Pie X le nomme cardinal-prêtre attaché à l'église Sainte-Sabine. Il est un ardent patriote et un grand artisan de la réconciliation de l’Eglise et de l’Etat.
Homme d'une grande amabilité, souriant, excellent orateur, d'une grande piété, il gagne l'estime et la confiance des plus pauvres et des travailleurs dont il comprenait les revendications. Il montre beaucoup de preuves de sa charité, par exemple au moment des grandes inondations de 1910. Il est l'un des premiers promoteurs de l’"Union sacrée" pendant la guerre de 1914 et se dépense sans compter pour le Secours National. Il rend de grands services à la France sur le plan diplomatique en servant d'intermédiaire entre le gouvernement français et le Vatican alors que les relations entre les deux états étaient officiellement rompues. Il donne une large impulsion à la vie religieuse dans son diocèse en faisant construire des églises et chapelles, en développant les oeuvres, en créant des comités paroissiaux. Léon-Adolphe Amette meurt à Antony (Seine) le 29 août 1920.
CORDONNIER (C.) : Le Cardinal Amette, archevêque de Paris. 2 volumes. Paris, 1949.
AMIC (Henri), 1853-1929 : Littérateur et auteur dramatique. Né à Nogent-sur-Marne en 1853. Henri Amic a publié des romans, des souvenirs. Les Vingt-huit jours d’un réservistes racontés par lui-même et dessinés par un autre (1881) ; Au pays des Gretchens (1884) ; Georges Sand, mes souvenirs (1890) ; En regardant passer la vie (1903), et Jours passés (1912), en collaboration avec Mme Lecomte de Nouy ; Cœurs inconnus (1912). Il a donné au théâtre des comédies, pantonimes, etc. Il décède à Paris en 1929.
AMIS DES ARTS (Société française des) : Association fondée en 1885, dans le but de protéger les arts et les artistes.
AMIS DU LOUVRE (Société des) : Association libre formée en 1897 par des amateurs d’art afin de contribuer par des cotisations à l’achat d’œuvres d’art pour le Louvre.
AMIS DU LUXEMBOURG (Société des) : Association fondée en 1903, ayant le même but et la même organisation que celle des Amis du Louvre, et prêtant son concours au musée du Luxembourg.
AMOUROUX (Charles), 1843-1885 : Homme politique. Né à Chalabre (Aude) en 1843, Charles Amouroux est d’abord ouvrier-chapelier. Orateur des réunions publiques, il est un des membres les plus violents de la majorité de la Commune de Paris. Après le rétablissement de l’ordre, il est condamné aux travaux forcés à perpétuité, et déporté à la Nouvelle-Calédonie. L’amnistie de 1880 lui permet de rentrer à Paris. Il collabore à divers journaux socialistes, devient membre du conseil municipal de Paris et, est élu, en 1885, député de Saint-Etienne. Il décède à Paris en 1885.
AMSTERDAM-PLEYEL (Comité national du mouvement) : Section française du Comité mondial pour la lutte contre la guerre et le fascisme, fondé après l'avènement de Hitler au pouvoir. Les écrivains Romain Rolland et Henri Barbusse en sont les fondateurs. Paix et Liberté en est le journal hebdomadaire de la section française Clarté, au comité directeur duquel siègent Romain Rolland, Norman Angell, Paul Langevin et André Ribard, est l'organe officiel du Comité mondial.
ANARCHISME : C’est au début de la IIIe République que les idées anarchistes pénètrent en France. Cette doctrine politique qui veut la destruction de l’Etat, considéré comme une force d’oppression, a pour principaux théoriciens les russes Bakounine et Kropotkine, et en France, le géographe Elisée Reclus et Jean Grave. Leur but est d’assurer le bonheur de l’homme en le détachant de toutes les structures qui l’aliènent, qu’il s’agisse de celles de l’Etat, de la famille ou de la société. Ils proposent donc la destruction de l’Etat par l’abstention absolue dans le domaine politique, la désertion ou la révolte dans l’armée, la grève générale dans l’économie. Une fois l’Etat détruit pourra se reconstruire alors la société nature, fondée sur la libre union des individus producteurs rassemblés en associations qui échangeront librement leurs produits. Ces idées connaissent une forte audience dans une France formée majoritairement de petite entreprises, de travailleurs indépendants, d’artisans, d’ouvriers qualifiés qui vient dans le programme anarchiste un moyen de libération et la promesse d’une société heureuse formée d’hommes librement associés. La résonance de l’anarchisme en France s’explique aussi parce qu’il apparaît l’héritier du courant du socialisme pré-marxiste de la première moitié du XIXe siècle qui rêvait, lui aussi, à travers les « Phalanstères » de Fourier ou l’Icarie de Cabet, des sociétés idéales d’hommes librement associés. Et surtout, l’anarchisme est proche de la pensée de Proudhon, dont les idées sont toutes puissantes dans le monde ouvrier français jusqu’à la fin du XIXe siècle.
Or, Proudhon préconisait la constitution d’une société formée de petites cellules de production échangeant leurs produits, et proposait de remplacer l’Etat par une section de l’Académie des Sciences dont le secrétaire perpétuel deviendrait le Premier ministre. A la fin des années 1880, un certain nombre d’anarchistes décident de passer à l’action contre la société bourgeoise en pratiquant la « propagande par le fait », c'est-à-dire l’attentat terroriste, destiné à épouvanter la bourgeoisie et à préparer la révolution.
En France, la vague d’attentats commence en mars 1892 : des bombes explosent dans un restaurant et dans plusieurs immeubles parisiens, déposées par l’anarchiste Ravachol qui est condamné à mort puis exécuté. Mais, durant les années 1892-1893, les attentats se multiplient, semant la panique dans Paris. En décembre 1893, Auguste Vaillant lance une bombe dans la Chambre des députés, sans d’ailleurs faire de victime. Il est guillotiné, et le président de la République Sadi Carnot, qui a refusé sa grâce, est assassiné à Lyon en juin 1894 par l’anarchiste italien Caserio. Pour lutter contre ces attentats, la Chambre des députés fait voter deux lois répressives punissant de cinq ans de prison la provocation au vol et au meurtre et transférant les délits de presse du jury au tribunal correctionnel. Votées malgré l’opposition des socialistes et des radicaux qui les qualifient de « lois scélérates », ces mesures s’avèrent efficaces. Pourchassés, les anarchistes se réfugient dans les syndicats où la greffe de leurs idées sur la pratique syndicale donne naissance à partir de 1894 à la doctrine du syndicalisme révolutionnaire.
Quant au mouvement anarchiste, sans disparaître totalement, il ne joue plus, après la fin du XIXe siècle, qu’un rôle marginal sous la IIIe République. L’unité du mouvement, acquise depuis 1913, se trouve rompue par le ralliement à l’Union sacrée en août 1914. Elle se reconstitue après la Première Guerre mondiale dans l’Union anarchiste. Les « illégalistes » d’avant le conflit, qui avaient marqué l’histoire, ont disparu, même si’il existe encore quelques attentats individuels. Le mouvement anarchiste perd alors l’essentiel de son pouvoir et de sa force d’avant 1914, à savoir sa présence syndicale. En 1919, la naissance éphémère d’un « Parti communiste » à tendance anarcho-syndicaliste témoigne que les anarchistes ont cru voir dans la Révolution russe de 1917 la réalisation de leurs idéaux. En 1921, l’anarcho-syndicaliste Pierre Besnard dirige, avec les communistes, l’offensive des Comités syndicalistes révolutionnaires contre la direction réformiste de la Confédération générale du travail ou CGT. Mais cette dernière exclut ses opposants, qui forment en janvier 1922 la Confédération générale du travail unitaire ou CGTU, au sein de laquelle les communistes souvent issus de milieux anarcho-syndicalistes, sont d’emblée majoritaires. En 1925, la création de la CGT-SR (syndicaliste-révolutionnaire) est un échec, la nouvelle centrale ne ralliant pas tous les libertaires.
Deux autres composantes traditionnelles du mouvement anarchiste viennent se rajouter aux anarcho-syndicalistes : les communistes libertaires et les anarchistes individualistes. Entre ces trois courants, l’entente est difficile, sauf lors de campagnes communes comme avec l’affaire Sacco et Vanzetti. La scision se fait en 1927 lorsque les communistes libertaires, sous l’influence des russes exilés, imposent la conception. « plate-formiste » d’une organisation disciplinée tournée vers l’action politique : avec Sébastien Faure se retirent les « synthétistes », tenants d’une structure lâche juxtaposant les trois courants. L’unité entre les courants se retrouve lors du 6 février 1934 mais ne dure pas. Les anarchistes qui demeurent pacifistes participent au « Front révolutionnaire » qui essaie de déborder le Front populaire. Munich achève de diviser le mouvement qui n’a plus que 3.000 adhérants lorsque la dissolution est effective en septembre 1939. Le manifeste lancé alors par Louis Le Coin dit « Paix immédiate » accompagné de divers signatures d’intellectuels, est une initiative personnelle, aux accents plus humanistes que libertaires.
DUBIEF (H.) : Le syndicalisme révolutionnaire, Paris, A. Colin, 1969.
MAÎTRON (J.) : Histoire du mouvement anarchiste en France, Paris, Sudel, 1951.
GUÉRIN (D.) : Ni Dieu, ni maître, Paris, Maspero, 1978.
GUÉRIN (D.) : De l’anarchisme, Paris, Gallimard, 1987.
PRÉPOSIET (J.) : Histoire de l’anarchisme, Paris, Tallandier, 1993.
ANCEY (Georges-Marie-Edmond Mathevon de Curieu dit Georges), 1860-1917 : Auteur dramatique. Né à Paris le 9 décembre 1860, d’abord attaché d’ambassade, Gerges Ancey devient avec Emile Fabre et Henry Césard, l’un des plus hardis dramaturges du « Théâtre libre ». Sa première pièce, Monsieur Lamblin en 1888, fait sensation. Ce qu’il écrit ensuite témoigne de la même observation rigoureuse : Les Inséparables en 1889, l’Ecole des veufs en 1889, La Grand’mère en 1890, L’Avenir en 1899, la Dupe (1891) et Ces Messieurs en 1905, satire du monde ecclésiastique, qui est d’ailleurs interdite par la censure.
Georges Ancey est l’un des premiers à introduire sur la scène le naturalisme. Derrière Henry Becque, il a le mérite de marquer une vive réaction contre les conventions de Scribe et de Sardou. Mais, pas le trop grand pessimisme de ses peintures, il doit vite s’emprisonner dans la formule libre du « Théâtre libre ». Cela suffit pour indiquer les limites de son art. Il décède à Paris le 18 novembre 1917.
KAHN (G.) : « De Tartuffe à Ces Messieurs », in Revue Blanche du 1er janvier 1901.
ANCIENS COMBATTANTS : La Première Guerre mondiale, a légué à la France la phénomène inédit des anciens combattants. Le mouvement combattant de 1914-1918 est né de la guerre elle-même. Il s’explique notamment par l’ampleur de la mobilisation, la dureté du conflit, la coupure profonde entre le front et l’arrière et le sentiment très vif d’incompréhension et d’injustice éprouvé par les combattants. De 1914 à 1918, 7.893.000 Français ont été mobilisés, soit 90% des hommes nés entre 1870 et 1899. Compte tenu des pertes dues au conflit, on trouve en 1919, 6.441.600 survivants qui ont fait l’expérience du conflit (soit à cette date 52,4% de la population active). En 1940, ils sont encore 5 millions (soit à peu près 40% de la population active). En d’autres termes, la majorité des Français en activité sont, durant la période de l’entre-deux-guerres, des anciens combattants, et la même observation est vraie pour les dirigeants français après 1930.
Dès 1915, on voit naître des associations de mutilés et invalides destinées à obtenir la reconnaissance et le versement de pensions, à organiser la rééducation et faciliter leur réinsertion sociale. Les services de santé étant alors submergés par le nombre de blessés, sont incapables de régler rapidement leur dossier. Jusqu’à la loi des pensions du 30 mars 1919, le système d’indemnisation, conçu en 1831 uniquement pour une armée de métier, paraissait totalement désuet. Les mutilés ou blessés qui ne pouvaient reprendre leur métier demandent comme une mesure de simple justice que la nation leur apporte réparation de ce sacrifice et leur donne les moyens de subsister.
Les premières associations d’abord locales et spontanées, se regroupent peu à peu grâce à l’hebdomadaire Journal des mutilés créé spécialement pour les anciens combattants. Vers 1930, on compte plus de 3 millions d’adhérents avec des sections dans la plupart des communes, plusieurs milliers d’associations différentes, les unes générales, les autres spécialisées selon le rapport à la guerre (mutilés, aveugles, tuberculeux, etc.) ou selon la profession mais qui se divisent en fonction de la nuance politique de leurs dirigeants. A l’Union fédérale (UF), dirigée par des hommes de centre-gauche, s’oppose ainsi l’Union nationale des Combattants (UNC) qui recrute à droite, cependant que les milieux révolutionnaires, liés d’abord au parti socialiste SFIO, puis au Parti communiste, fondent sous la présidence d’Henri Barbusse l’ARAC (Association républicaine des Anciens combattants) et que francs-maçons et radicaux créent en 1922, la Fédération nationale des Combattants républicains. Le mouvement combattant s’affirme véritablement à partir de 1927, avec la réunion au Château de Versailles des « Etats généraux de la France meurtrie » et la création de la Confédération. Sa montée en puissance s’accompagne de succès revendicatifs comme la création de la carte, puis en 1930 de la retraite du combattant.
Au-delà des clivages politiques qui les séparent, les associations d’anciens combattant conduisent un certain nombre d’actions qui vont contribuer à faire vivre la France de l’entre-deux-guerres sous l’ombre portée du premier conflit mondial. Leur rôle est celui d’abord d’un maintien du souvenir entretenu, en dehors des rencontres individuelles de leurs membres, par la multiplicité des commémorations collectives : pélérinage sur la tombe du Soldat inconnu, érection de monuments aux morts dans chaque commune, célébration du 11 novembre… Leur objectif consiste aussi à articuler les conceptions propres aux anciens combattants que les survivants du conflit, qu’ils appartiennent ou non aux associations, entendent faire prévaloir dans la vie politique nationale. En premier lieu, la volonté déterminée de faire préssion sur les gouvernants pour qu’à aucun prix, ils ne conduisent à nouveau le pays vers les sanglantes boucheries dont le souvenir pèse sur eux comme un cauchemar. Se prévalant du patriotisme, dont ils ont fait preuve pendant le conflit, ils se montrent ardemment pacifistes, confiant envers la Société des Nations, refusant l’idée d’une fatalité de la guerre. C’est à leur initiative que les gouvernements et l’opinion française professent ce refus viscéral de la guerre qui caractérise la France des années 1919-1939. Toutefois, les anciens combattants ne se contentent pas d’une propagande pacifiste que l’expérience du premier conflit mondial explique largement. Ayant risqué leur vie et souffert, physiquement et moralement, pour sauver le pays, un certain nombre de leurs dirigeants considèrent qu’ils ont un droit de regard sur ce que les hommes politiques vont faire de leur victoire, et s’instituent volontairement les censeurs d’un monde politique pour lequel ils n’ont que méfiance et mépris, le considérant comme celui de la division de la communauté nationale, du triomphe des intérêts particuliers, du rassemblement des profiteurs face au sens de la communauté nationale, au désintéressement, à l’esprit de sacrifice qui caractérisaient les combattants. C’est cette constatation qui conduit les dirigeants d’association d’anciens combattants à préconiser l’action civique, c’est à dire l’intervention dans le débat politique. Or, cette intervention va, le plus souvent, se manifester par un antiparlementarisme et une volonté de préconiser la réforme de l’Etat dans le sens du renforcement du pouvoir exécutif qui font des associations l’auxiliaire d’un révisionnisme, généralement professé par les hommes politiques de droite. Au demeurant, la récupération par la droite politique du phénomène anciens combattants n’est nullement marginale.
Le 6 février 1934, deux hommes politiques de droite, dirigeants de l’UNC, Lebecq et Jean Goy, entraînent cette association dans des manifestations antigouvernementales. Le lieutenant-colonel de La Rocque transforme l’association des Croix-de-Feu, à l’origine petit groupe d’anciens combattants décorés au feu, en ligue d’extrême-droite. Enfin, de 1934 à 1939, spéculant sur le pacifisme des dirigeants d’associations d’anciens combattants, la propagande hitlérienne va habilement les attirer dans de multiples pièges et en faire des propagandistes involontaires des visées hitlériennes, Pichot, président de l’Union fédérale et Goy, dirigeant de l’UNC, figurant parmi les fondateurs de Comité France-Allemagne.
Au lendemain de la défaite de 1940, le traumatisme que connaît la France va faire des anciens combattants victorieux de 1914-1918 (à la différence de leurs cadets vaincus) les dépositaires des vertus nationales et les soldats du Maréchal.
PROST (A.) : Les Anciens combattants et la société française (1914-1919), Paris, Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, 1977.
PROST (A.) : Les Anciens combattants (1914-1940), Paris, Gallimard-Julliard, 1977.
ANDLAU (Joseph-Harduin-Gaston, comte d’), 1824-1894 : Général et homme politique. Né à Nancy en 1824, le génaral d’Andlau se fait remarquer dans les guerres d’Italie. Il fait partie en 1870 de l’état major du Rhin, et est envoyé prisonnier en Allemagne après la capitulation de Metz. De retour en France, il publie, sous le voile de l’anonyme : Metz. Campagnes et négociations. Lors du procès de Bazaine, il fait une déposition écrasante contre le maréchal. En 1876, il est élu sénateur dans l’Oise comme républicain modéré. Promu général de brigade en 1879, il est mis en disponibilité en 1883. Compromis dans l’affaire des décorations, il s’enfuit en Amérique, où il meurt à l’hôpital de Buenos-Aires en 1894.
ANDLER (Charles), 1866-1933 : Professeur. Né à Strasbourg en 1866, Charles Andler est maître de conférence pour la langue allemande à l’Ecole normale supérieure, professeur à la faculté des lettres de Paris, puis au Collège de France en 1926. Il a publié sur les questions sociales des ouvrages remarquables. Citons de lui : les Origines du socialisme d’Etat en Allemagne (thèse, 1897) ; le Prince de Bismark (1898) ; la Civilisation socialiste (1912) ; les Origines du pangermanisme (1915) ; le Pangermanisme continental, colonial, philosophique (3 vol. ; 1915, 1916,1917) ; la Décomposition politique du socialisme allemand (1914-1918) (1919) ; Nietzsche, sa vie et sa pensée (1920). Il meurt à Malesherbes (Loiret) en 1933.
ANDOYER (Marie-Henri), 1862-1929) : Mathématicien et astronome. Né à Paris le 1er octobre 1862, Henri Andoyer devient maître de conférence à la faculté de Toulouse puis professeur d’astronomie à la faculté des sciences de Paris en 1903. Ses travaux ont trait surtout à la mécanique céleste. On lui doit aussi d’importants ouvrages classiques, ainsi que des tables trigonométriques donnant les logarithmes avec une grande précision. Il était également nommé membre du Bureau des longitudes en 1910 et de l’Académie des sciences en 1919. Il décède à Paris le 12 juin 1929.
ANDRADE (Jules-Charles-Frédéric), 1857-1933 : Savant. Né à Paris le 4 septembre 1857, Jules Andrade est élève à l’Ecole polytechnique puis de l’Ecole d’application de Fontainebleau. Il doit pour cause de maladie, abandonner le métier des armes, et se voue au professorat. En 1890, il passe sa thèse de doctorat ès sciences et débute, en 1891, dans l’enseignement supérieur.
En 1902, il est appelé à Besançon comme titulaire de la chaire de mécanique rationnelle et appliquée.
Les travaux de Jules Andrade ont été publiés dans les comptes rendus de l’Académie des Sciences et se rapportent tout d’abord à des sujets variés d’analyse, de géométrie et de mécanique physique, mais depuis 1902, ils se trouvent orientés de plus en plus vers la mécanique envisagée dans ses rapports avec l’horlogerie et la chronométrie. Citons seulement dans cet ordre d’idées, ses découvertes sur les organes réglant des mouvements vibratoires strictement isochrones. Il a publié à part : Cours de mécanique physique (1898) ; Chronométrie (1908) : le Mouvement, mesure de l’étendue et mesures du temps (1911) ; Horlogerie et Chronométrie (1925). Il a été élu correspondant de l’Académie des Sciences en 1921.
ANDRAUD (Henry-Francisque-Bernard-Joseph), 1895-1949 : Journaliste et homme politique. Né à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), le 9 avril 1895, Henry Andraud sert dans l’aviation lors de la Première Guerre mondiale et gardera sa passion de l’air pendant toute sa carrière. Rédacteur en chef de La Montagne de Clermont-Ferrand, il effectue avec L. Bossoutrot en janvier 1937 la double traversée de l’Atlantique Sud, voyage préparé par une commission parlementaire dont il fait partie.
En 1928, Andraud est élu député socialiste du Puy-de-Dôme puis entre dans le troisième ministère Chautemps (juin 1937-janvier 1938) comme sous-secrétaire d'Etat à l'Air. La répartition des tâches établie par la décret du 3 juillet prévoit que le sous-secrétaire d’Etat s’occupe des travaux, des installations et des constructions aériennes, des questions sociales dans les usines nationalisées et des affaires spéciales qui lui sont confiées par le ministre. A ce titre, il défend devant les parlementaires le budget de l’Air pour 1937, et prend un certain nombre de mesures concernant la fabrication en série de matériel aéronautique. A la chute du cabinet, il retrouve sa place de député. Franc-maçon, il vote la déchéance des députés communistes et se prononce le 10 juillet 1940 en faveur des pouvoirs constituants au Maréchal Pétain. Il abandonne la politique pour l'industrie du cycle de Clermont-Ferrand. Il décèdera à Chamalières (Puy-de-Dôme), le 27 septembre 1949.
ANDRÉ (Albert), 1869-19 : Peintre. Né à Lyon en 1869, Albert André étudie d’abord le dessin industriel pour la soierie, puis commence à exposer aux Indépendants en 1893. Ses principales œuvres sont : Les Cerises (1906) ; La Soierie ; En Provence (1907) ; Baigneuses (1910) ; Déjeuner. Il a publié en outre un intéressant ouvrage sur Renoir.
ANDRÉ (Charles-Louis-François), : Astronome. Né à Chauny (Aisne), François André devient agrégé de sciences physiques puis docteur ès sciences en 1876. Professeur d’astronomie physique à la faculté des sciences de Lyon, il a publié : l’Astronomie pratique et les observations en Europe et en Amérique depuis le milieu du XVIIe siècle jusqu’à nos jours (1874-1882), avec Rayet et Angot ; Etudes sur la diffraction dans les instruments d’optique (1876) ; Observations du passage de Mercure sur le soleil à Ogden (Utah), le 6 mai 1878 (1881) ; etc.
ANDRÉ (Édouard), 1840-19 : Horticulteur. Né à Bourges (Cher) en 1840, Edouard André, après avoir étudié la botanique au Muséum (sous la direction de Decaisne), entre dans le service que dirige Alphand (Promenades et plantations de la ville de Paris), puis devient jardinier principal de la ville de Paris. Secrétaire de la Société centrale d’horticulture, il a professé à l’Ecole d’horticulture de Versailles, et est fréquemment appelé à l’étranger pour créer ou aménager des jardins et parcs. On lui doit quelques ouvrages estimés : Traité général de la composition des parcs et jardins (1879) ; Les Fleurs de pleine terre, en collaboration avec Vilmorin, etc.
ANDRÉ (Émile), 1871-1933 : Architecte. Issu d'une famille d'entrepreneurs et d'architectes, Emile André étudie l'architecture à l'Ecole nationale des Beaux-Arts de Paris, dans l'atelier de Victor Laloux (architecte de la gare d'Orsay). Il voyage aux Indes, en Perse, en Tunisie et accompagne à deux reprises une mission archéologique en Egypte. Rappelé à Nancy en 1901 par son père Charles André, architecte départemental, il travaille à d'importants projets dont le premier est la transformation des magasins Vaxelaire rue Saint Jean. La même année, il est chargé avec l'architecte Henry Gutton d'établir le plan du lotissement du parc de Saurupt, où il réalise, en 1902, la loge du gardien, la villa les Glycines et la villa les Roches.
Dès 1901, il est membre du Comité directeur de l'Ecole de Nancy. Ses productions, nombreuses et variées (maisons, villas, immeubles, commerces) sont marquées par l'étude plastique des volumes plus que par la décoration elle-même. La mise en oeuvre très maîtrisée de nombreux matériaux, ajoutée à l'invention de formes décoratives nouvelles, inspirées surtout par le style gothique, donnent à ses édifices un caractère singulier et pittoresque. Après la Première Guerre mondiale, il s'occupe de la reconstruction des villages lorrains détruits, Flirey et Limey.
DOUCET. Emile André, artiste de l'Ecole de Nancy, Metz, Serpenoise, 2003.
ANDRÉ (Gaspard), 1840-1896 : Architecte. Né à Lyon le 16 mars 1840, Gaspard André suit des études aux Beaux-Arts de Lyon sous la direction, entre autres, d'Antoine-Marie Chenavard, avant de se rendre à Paris dans l'atelier privé de Charles-Auguste Questel puis aux Beaux-Arts. Après un séjour en Italie, l'architecte s'installe à Lyon en 1871. Ses oeuvres majeures à Lyon ou dans les environs sont l'église provisoire de Saint-Joseph (1872), le temple protestant quai de la Guillotière (1872-1884), le Théâtre des Célestins (1873-1877 puis 1880-1881), la fontaine des Jacobins (1877-1886), l'église pour la paroisse Saint-Joseph (1878-1883). le groupe scolaire de la rue Tronchet (1880-1887). On lui doit aussi l'hôtel de ville de Neuilly-sur-Seine (1879-1880 projet pour lequel il obtint le premier prix mais dont il ne peut suivre la construction à cause du second chantier des Célestins), l'université ou Athénée de Lausanne (1889-1890) etc. Il est également l'auteur de monuments funéraires et de nombreuses villas.
En 1871-1872, Gaspard André obtient le deuxième prix au concours pour la construction du Théâtre de Genève et, en 1893, le quatrième prix pour celui de la reconstruction de l'Opéra-Comique de Paris. Il décède le 12 février 1896 à Cannes âgé de seulement 56 ans.
ANDRÉ (Jean-Marie-Gustave), 1856-1927 : Chimiste. Né à Paris en 1856, Gustave André devient chef de la station de chimie végétale de Meudon (1885-1899) et collabore à l’œuvre de Marcellin Berthelot. Il a consacré à la chimie du sol et des plantes, des travaux d’une haute valeur scientifique qui ont largement contribué aux progrès de l’agronomie. Professeur de chimie agricole à l’Institut agronomique, il était membre de l’Académie des sciences depuis 1925. Il décède à Paris en 1927.
ANDRÉ (Louis-Joseph-Nicolas), 1838-1913 : Général et homme politique. Né à Nuit-Saint-Georges (Côtes d’Or), le 29 mars 1838, Louis André, après des études réalisées à Dijon et Paris, entre à l’École polytechnique où il s’avère un étudiant particulièrement brillant. Affecté à Metz, il participe à la guerre de 1870-1871 comme artilleur, mais sa carrière militaire est assez lente puisqu’il est nommé général qu’en 1893. De 1893 à 1896, il est directeur de l’École polytechnique, puis nommé général en 1896 à la tête d’une division. Le parcours classique d’officier de carrière prend brusquement un tour nouveau en mai 1900, lorsque le président du Conseil René Waldeck-Rousseau fait appel à ce général républicain pour remplacer au ministère de la Guerre le général Galliffet alors démissionnaire.
La tâche d’André, alors que l’Affaire Dreyfus connaît d’interminables prolongements, paraît particulièrement délicate. Arrivé à son nouveau poste, cet officier républicain prend l’initiative de nombreuses réformes afin de moderniser les armées et des les « dépolitiser ». Il s’agit de reprendre en main une armée au sein de laquelle dominent les sentiments nationalistes, monarchistes, catholiques et qui, de ce fait, est en rupture ouverte avec le régime. Le général André interdit la vente de boissons alcoolisées dans les casernes, interdit la limite de taille pour les conscrits et l’obligation de la dot pour les femmes d’officiers et augmente les soldes et les pensions. Sur le plan purement militaire, il réorganise l’artillerie et le système des tableaux d’avancement, encourage les sociétés sportives dans lesquelles il voit une utile préparation militaire, supprime les inspecteurs généraux et, surtout, rédige avec son collègue de la Justice le projet de Code de justice militaire pour l’armée de terre. Il prend aussi un certain nombre de mesures destinées à améliorer la situation matérielle des troupes et des officiers et à assurer le moral des armées.
Reconduit à ses fonctions dans le gouvernement d’Emile Combes en juin 1902, qui adopte une attitude plus offensive que celle de Waldeck-Rousseau vis-à-vis des ennemis du régime, le général André décide de favoriser l’avancement des officiers républicains plutôt que celui des catholiques ou monarchistes notoires. Afin d’obtenir les renseignements nécessaires à ces promotions politiques, il met en place, au ministère de la Guerre, un système de fiches fondées sur des informations fournies (opinions politiques et religieuses des cadres) par les loges maçonniques qui se voient aussi attribuer un rôle officiel de délation au profit du pouvoir. Ces informations étant mises à la disposition de chaque supérieur hérarchique.
Révélée à la Chambre par le député nationaliste Jean Guyot de Villeneuve le 28 octobre 1904, « l’Affaire des fiches » provoque un scandale qui ébranle le cabinet Combes, désavoué non seulement par la droite et le centre, mais aussi par une partie de la gauche (Clemenceau parlera à propos des fiches d’un « jésuitisme retourné »). Le général André voit alors les attaques redoubler contre lui et quelques jours plus tard, la presse publie des fiches annotées de sa main. Le 4 novembre 1904, la Chambre est alors le théâtre de scènes violentes opposant la droite à la majorité, et le député nationaliste Gabriel Syveton gifle le général André en pleine séance publique. Profondément atteint, le gouvernement tombe peu après, en janvier 1905, et le général André, discrédité, abandonne le ministère de la Guerre et l’armée. Ses efforts pour reprendre par la suite une carrière politique resteront vains. Il décède à Dijon le 18 mars 1913.
ANDRÉ-FRIBOURG (Georges-Alexandre Fribourg, dit), 1887-1948 : Écrivain et homme politique. Né à Bourmont (Haute Marne), le 20 novembre 1887, André-Fribourg est le fils d’un directeur de l’enregistrement. Il est d’abord professeur dans divers lycées de province et de Paris. Sa carrière est interrompue par la Première Guerre mondiale qu’il fait brillamment.
En 1919, il se fait élire dans l’Ain sur une liste d’anciens combattants et est ainsi député de 1919 à 1928 et de 1932 à 1936 où il appartient au parti radical-socialiste. Il se retire pratiquement de la vie politique en 1936, ayant renoncé à se représenter. Attiré très jeune par la littérature, il obtient à la satisfaction de l’Univers Israélite (9 décembre 1910), le deuxième prix de la Fondation Peyrat pour l’édition critique des discours de Danton. Il obtient par la suite le prix Therouanne et le prix Sabrier-Arnould de l’Académie française ainsi que le prix Audiffred, décerné par l’Académie des sciences morales et politiques pour certaines de ses œuvres parmi lesquelles on peut citer La guerre et le passé, Histoire d’un soldat, Les semeurs de haine et Croire qui obtient quatre voix au Prix Goncourt de 1917. Co-fondateur de l’Association des Écrivains combattants, il collabore au Journal des Mutilés et Combattants dont il rédigea la chronique théâtrale, ainsi qu’à la Revue des Deux Mondes, à la Revue de Paris, à l’Illustration, au Temps, au Matin, au Journal et même la monarchiste Revue Universelle. Il décède à Paris le 27 septembre 1948.
ANDRÉ-HESSE (Orly-André Hesse, dit), 1874-1940 : Avovat et homme politique. Né à Paris le 22 avril 1874, André-Hesse ne fait que deux courts passages au gouvernement au moment du cartel des gauches : la première fois avec Painlevé d’avril à octobre 1925 comme ministre des Colonies, et la seconde pour quelques jours dans le cabinet éphémère d’Edouard Herriot en juillet 1926, comme ministre des Travaux publics. Il décède à Paris le 18 décembre 1940.
ANDRÈS (François-Joseph-Camille), 1864-1904 : Compositeur. Né le 5 mars 1864, à Ingersheim (Haut-Rhin), Camille Andrès débutait ses études à l’Ecole de Musique Classique et Religieuse de Niedermeyer à l’époque où elle était dirigée par Gustave Lefèvre, gendre du fondateur de cet établissement et ancien élève lui-même de Pierre Maleden.
Après avoir obtenu ses diplômes d’organiste, il rejoint le Conservatoire national supérieur de musique de Paris où il bénéficie de l’enseignement de Delibes et de Dubois. Ses études sont couronnées par un second prix de contrepoint et fugue obtenu en 1890 et l'année suivante une mention honorable au concours de composition musicale.
A la mort d’Emile Bernard, arrivée le 11 septembre 1902, il est choisi pour lui succéder aux claviers des grandes orgues de l’église Notre-Dame-des-Champs à Paris. Camille Andrès ne reste que peu de temps à cette tribune, la mort l'ayant surpris deux années après sa nomination. C'est René Vierne, le frère de Louis Vierne, qui lui succédera.
Compositeur, ses œuvres n’ont pas laissé de traces impérissables dans l’histoire de la musique. Mais ceci provient peut être du fait qu’il est mort assez jeune en 1904 à l'âge de quarante ans. On lui connaît cependant une quinzaine de mélodies habilement écrites et un chœur : Les Ruisseaux, qui à l'époque sont fort apprécié dans le monde musical.
ANDRIEUX (Louis), 1840-1931 : Avocat et homme politique. Né à Trévoux (Ain) en 1840, Louis Andrieux est d’abord avocat à Lyon avant de s’intéresser à la politique. Elu en 1876 député de Lyon, il fait partie des 363 à être réélu en 1877. Préfet de police de Paris (1879-1881), réélu député de Lyon, il réussit à renverser le cabinet Gambetta en janvier 1882. Nommé ensuite ambassadeur à Madrid, il publie en 1885 les Souvenirs d’un préfet de police dont les révélations font grand bruit.
Député des Basses-Alpes en 1885, il se rapproche du parti boulangiste, joue un rôle actif lors de l’instruction des affaires de Panama (1892-1893) et est, à la Chambre, un des doyens de la république parlementaire. Il meurt à Paris en 1931.
ANET (Jean Schopfer, dit Claude), 1868-1931 : Romancier et auteur dramatique. De nationalité française, né en Suisse en 1868, Claude Anet débute dans les lettres par un Voyage idéal en Italie (1899). Correspondant du Gil Blas et du Petit Parisien, il est en Russie aux périodes les plus sinistres de la révolution bolchevique. Il publie alors un réquisitoire en quatre volumes intitulé La Révolution russe de mars 1917 à juin 1918 (1919) ; deux romans : Ariane, jeune fille russe (1920) ; Quand la terre trembla (1922) ; et un essai : L’Amour en Russie (1923). Il a écrit aussi des ouvrages sur la Perse et a fait représenter Mademoiselle Bourrat (1923) et La Fille perdue (1924). Il meurt à Paris en 1931.
ANGELLIER (Auguste-Jean), 1848-1911 : Professeur et poète. Né à Dunkerque en 1848, agrégé d’anglais en 1874, professeur à la faculté des lettres de Lille en 1893, dont il devient doyen (1897-1900), Auguste Angellier a publié : La Vie et les ouvrages de Robert Burns (1893, thèse où il réagissait contre les théories de Taine. Poète, il s’est fait connaître par le recueil A l’amie perdue (1896), romans d’amour en sonnets irréguliers d’une harmonie adoucie ; Le Chemin des saisons (1903) ; et une série de poèmes d’une inspirations noblement civique : Dans la lumière antique (5 volumes, 1905-1911). Il décède à Boulogne-sur-Mer en 1911.
ANGOT (Charles-Alfred), 1848-1924 : Physicien et météorologiste. Né Paris en 1848, Charles Angot est un ancien élève de l’Ecole normale supérieure. Il prend part à l’expédition envoyée en Nouvelle-Calédonie pour observer le passage de Vénus devant le Soleil, le 9 décembre 1874. On lui doit à cet égard d’importantes recherches sur les conditions de l’observaation de ce phénomène et les corrections à appliquer aux mesures effectuées. Attaché en 1878 au Bureau central météorologique de France, il est nommé directeur de cet établissement en 1908, poste qu’il conserve jusqu’à la Première Guerre mondiale, le Bureau météorologique passant alors au Sevice de l’armée. Il est nommé en 1915 membre correspondant au Bureau des longitudes. Il a publié un classique Traité de météorologie, des Instructions météorologiques, etc., et d’importantes études sur le climat de France. Il décède à Paris en 1924.
ANNÉES FOLLES :
ANSELME (Philippe d’), 1864- : Général. Né à Voreppe (Isère) en 1864, chef d’état-major des troupes d’occupation du Maroc oriental, lors de la déclaration de guerre, général de division en juin 1918, Philippe d’Anselme commande, au cours de la campagne de Macédoine, le groupement franco-hellénique, qui, opérant à droite des armées françaises, prend une part importante à la bataille du Dobropolje (15-18 septembre 1918), enlève les défenses de la Drina, disperse la gauche bulgare, et pousse jusqu’à Stroumitza.
ANTÉRIOU (Louis), 1887-1931 : Homme politique. Né à Voulte-sur-Rhône (Ardèche) le 14 juin 1887, Louis Antériou est gravement blessé durant la Première Guerre mondiale. Il se consacre dès lors aux mutilés de guerre et membre du groupe républicain socialiste à la Chambre, il soutient l’action gouvernementale en faveur des victimes de guerre et des veuves. Lors de la constitution du premier cabinet du cartel des gauches, en octobre 1925, Painlevé appelle logiquement ce franc-maon au ministère des Pensions. Pour un mois, pendant la durée de vie du ministère, il défend alors son budget devant les parlementaires en faveur des orphelins et des sépultures des morts pour la France. Réélu en 1928, il retrouve son portefeuille dans le cinquième gouvernement Poincaré en novembre 1928. Jusqu’à la fin du ministère en novembre 1929, il met sur pied la coopération entre le ministère et les diverses associations d’anciens combattants et de mutilés. Dans la même optique, il se bat pour le relèvement du taux des pensions. Il meurt à Paris le 5 mars 1931.
ANTHOINE (François-Paul), 1860- : Général. Né au Mans (Sarthe) en 1860, général de brigade en décembre 1913, et membre du Comité d’état-major ; général de division en novembre 1915, il joue au cours de la guerre un rôle assez important, d’abord comme chef d’état-major de la IIème armée (Castelnau), puis comme commandant de la IVème armée qui, au cours de l’offensive d’avril 1917, occupe la partie E. du front, et attaque sur les hauteurs de Moronvilliers, dont elle enlève les abords ; enfin, comme commandant de l’armée qui, à l’offensive menée dans les Flandres par l’armée britannique (octobre-novembre 1917). Il exerce ensuite les fonctions de major général (novembre 1917-juillet 1918).
ANTI-JUIF (L’) : Ce titre est celui de diverses publications paraîssant à Paris, en province ou en Algérie. Il y a eu notamment :
-L’Anti-juif, hebdomadaire édité à Paris en 1881-1882, donc avant la parution de la France Juive d’Édouard Drumont. Son directeur était Louis Panchioni. L’éditorial du premier indique qu’il s’agissait d’un antisémitisme économique et non religieux ou racial.
-L’Anti-juif d’Alger, dirigé et imprimé par Bouyer en 1890.
-L’Anti-juif, s’intitulant « organe de la ligue antisémite », qui paru également à Alger en 1897, fondé le 14 juillet 1897.
-L’Anti-juif bourguignon, édité à Dijon en 1898 et qui s’était fait appelé tout d’abord Le Libre Bourguignon.
-L’Anti-juif de la région du Midi qui parut à Marseille le 6 août 1898.
-L’Anti-juif algérien, qui parut le 27 mars 1898 et avait un supplément illustré.
-L’Anti-juif stéphanois fondé le 18 septembre 1898.
-L’Anti-juif du Midi édité à Montpellier en 1899.
-L’Anti-juif fondé par Jacques Ploncard en 1928.
Toutes ces feuilles ont eu une existence éphémère. Le seul Anti-Juif qui paraît régulièrement, pendant un an, est celui que lance, le 11 août 1898, La Ligue antisémitique de Paris, sous la direction de Chanteloube puis de Jules Guérin animateur de Grand occident de France et qui disparut en septembre 1898 après l’aventure de « Fort Chabrol ».
Il y a aussi L’Anti-Youtre, « organe de protestation sociale » publié à Lille en 1891 par Noël Gaulois. Une autre feuille, tout aussi éphémère, Le Réveil anti-juif, qui paraît en 1930 et dont le siège se trouvait dans le XVème arrondissement de Paris.
ANTIAMÉRICANISME : Au début de la Troisième République, les Etats-Unis bénéficient dans l’opinion publique française d’une image plutôt positive. Ils représentent alors le pays où la liberté et les droits de l’homme étaient respectés. On se souvenait également que la jeune puissance issue de la première phase de décolonisation avait été l’alliée de la France dans le conflit qui opposait celle-ci à l’ « ennemi héréditaire » britannique. L’idée que l’on s’en faisait majoritairement était celle d’une nation simple, patriarcale, attachée aux vertus de la petite propriété, héritière du message évangélique et égalitaire.
Cette vision idyllique se trouve assez rapidement modifiée à partir de 1870. Déjà la guerre de Sécession et ses retombées immédiates avaient bousculé les certitudes et les inclinations de nombreux Français. L’arrivée au pouvoir des républicains, et bientôt le triomphe d’un modèle démocratique qui ne se sent nullement tributaire de son homologue d’outre-Atlantique, ôtent à ce dernier le pouvoir d’attraction dont il avait bénéficié jusqu’alors dans une partie de l’opinion.
ANTICAPITALISME : Doctrine ou attitude de ceux qui s'insurgent contre la suprématie du capital dans tous les domaines : politique, économique, social, culture, etc. Les socialistes sont anticapitalistes par définition; les nationalistes, disciples de Drumont et de La Tour du Pin, le sont également. Cependant ces derniers sont taxés d'antisémitisme lorsqu'ils ne se bornent pas à dénoncer les grandes dynasties de la bourgeoisie catholique et s'ils désignent aussi la haute naque israélite.
ANTICLERICALISME : L'anticléricalisme est un positionnement idéologique qui refuse ou est très critique envers une forme d'autorité religieuse, le clergé, à son ingérence ou son influence sur la vie publique. L'anticléricalisme s'oppose au cléricalisme, idéologie qui prône la participation des clercs à la vie publique. Si l’anticléricalisme en France remonte au XVIIIème siècle et plonge ses racines dans la tradition gallicane d’indépendance à l’égard de Rome et dans la critique philosophique de l’Eglise, il revêt sous la Troisième République des formes nouvelles. Il ne s’agit pas seulement de soumettre l’Eglise à l’Etat, mais de l’exclure totalement de la vie politique comme de la société en lui enlevant les fonctions qui assurent sa puissance : l’assistance publique et l’éducation morale et intellectuelle de la jeunesse. Cette volonté tient à diverses causes. Les unes sont liées à la culture et à la formation des fondateurs de la Troisième République. Beaucoup d’entre eux sont d’origine protestante, tous sont rationalistes, quelques-uns athées ou libres-penseurs. Influencés par la franc-maçonnerie ou par la Ligue de l’Enseignement (créée par Jean Macé en 1866), ils professent une véritable foi laïque qui leur paraît signe de progrès et tiennent l’Eglise pour une foi rétrograde, obscurantiste, fondée sur l’ignorance et la superstition et qui ne peut que disparaître avec les progrès des « Lumières ». Les autres causes résident dans les choix politique de l’Eglise qui paraît avoir partie liée avec les adversaires du régime. Elle s’est montré un soutien sans faille de l’Empire durant sa phase autoritaire. Au début de la Troisième République, elle se range résolument dans le camp de la majorité conservatrice et royaliste de l’Assemblée nationale et organise de bruyantes manifestations d’expiation et de pénitence pour les péchés de la France : multiplication des pèlerinages, érection de la basilique du Sacré-Cœur. Si bien que la période de l’Ordre moral, de 1873 à 1875, qui voit Mac-Mahon tenter de restaurer en France les valeurs traditionnelles, apparaît comme son triomphe, alors même qu’elle fait figure aux yeux des Républicains de première étape vers la restauration monarchique. Dans ces conditions, la victoire des Républicains, après le 16 mai 1877, est une défaite pour l’Eglise comme pour les monarchistes. Située dans le camps des adversaires de la République, l’Eglise ne manque, jusqu’à la fin du XIXème siècle, aucune occasion de soutenir ceux-ci contre le régime. Elle est au côté du général Boulanger avec les monarchistes, elle fait échouer dans sa majorité le Ralliement préconisé en 1890 par le pape Léon XIII qui voit une minorité de catholiques rejoindre la République, et surtout elle participe au premier rang à la campagne nationaliste et antisémite de l’affaire Dreyfus, la congrégation des Assomptionnistes et son journal La Croix apparaissent comme les fers de lance du combat antidreyfusard.
Dans ces conditions, les Républicains au pouvoir pratiquent l’anticléricalisme comme un article de doctrine et se servent des armes légales pour tenter d’extirper l’influence cléricale de la vie politique et de la société. Dès 1880, Jules Ferry prend des décrets contre les congrégations non autorisées et dissout la Compagnie de Jésus dont les membres sont expulsés de leurs locaux. Les lois scolaires, prises sous l’influence de Ferdinand Buisson, directeur de l’enseignement primaire, établissent en 1882 la la¨cité de l’enseignement primaire. En 1886, c’est la laïcisation du personnel enseignant qui est décidée. Après l’affaire Dreyfus commence la grande poussée d’anticléricalisme militant de la Troisième République. La loi sur les associations, prise en juillet 1901 par le gouvernement de Défense républicaine, a pour objet d’examiner la situation des congrégations qui doivent demander une autorisation spéciale ; il s’agit de lutter contre les « moines ligueurs et les moines d’affaires ». En fait, appliquée par le ministère Combes, elle aboutit au rejet en bloc de toutes les demandes d’autorisation et à la fermeture de plusieurs centaines d’établissements. En 1904, Combes s’en prend aux congrégations autorisées : une loi leur interdit d’enseigner. Cette politique d’anticléricalisme militant entraîne une crise avec le Saint-Siège. Les relations s’enveniment à) tel point qu’en juillet 1904 la République rompt toute relation diplomatique avec le Vatican, après la protestation de celui-ci contre la visite à Rome du président de la République Emile Loubet et l’interdiction faite par le gouvernement à deux évêques convoqués à Rome de s’y rendre. Enfin la vague anticléricale débouche sur la loi du 9 décembre 1905, qui établit la Séparation de l’Eglise et de l’Etat. La République ne reconnaissant ni ne salariant aucun culte.
En fait, la Séparation, si elle présente le point culminant de l’anticléricalisme de la Troisième République, annonce aussi le début de son déclin. Ramené uniquement à son rôle spirituel, l’Eglise commence une dépolitisation qui tarit une des sources de l’anticléricalisme. Sa participation à la Première Guerre mondiale et à l'Union sacrée (le "Second Ralliement) la réintroduit dans la communauté politique, si bien que l'esquisse d'un retour à l'anticléricalisme du gouvernement du Cartel des gauches en 1924-1925 provoque une vive réaction des milieux catholiques, mais ne trouve guère de soutien dans l’opinion de gauche. En 1926, la condamnation de l’Action française rompt les derniers liens entre l’Eglise et les adversaires de la République, cependant que la commune hostilité aux régimes totalitaires s’avère créatrice de solidarités. A la veille de la chute de la Troisième République, l’anticléricalisme militant du début du XXème siècle n’est plus qu’un souvenir et les dirigeants de la République, même personnellement agnostique, voient dans l’Eglise une force spirituelle défendant les valeurs identiques à celles dans lesquelles se reconnaît le régime. On voit même, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, circuler une proposition d’abolition des lois de 1904, la pape décorer des ministres de la République athées et notoirement francs-maçons, et les radicaux Edouard Herriot et Edouard Daladier, respectivement président de la Chambre des députés et président du Conseil, rendre un vibrant hommage au pape Pie XI après sa mort.
DIXMIER (M.), LALOUETTE (J.), PASAMONIK (D.) : La République et l’Eglise, images d’une querelle, Paris, La Martinière Editions, 2005.
DREYFUS (G. F.) : Passions républicaines, 1870-1940, Paris, Bertillat, 2000.
FAURY (Jean) : Cléricalisme et anticléricalisme dans le Tarn, 1848-1900, Publication de l’Université Toulouse-le-Mirail, 1980. REMOND (R.) : L’anticléricalisme en France de 1815 à nos jours, Paris-Bruxelles, Complexes, 1987.
DOIZY (G.) et Jean-Bernard LALAUX (J-B.) : A bas la calotte : La caricature anticléricale et la Séparation des Eglises et de l'État, Éditions Alternatives, Paris, 2005.
LALOUETTE (J.) : La République anticléricale, XIXe-XXe siècles, Paris, Seuil, 2002.
ANTICOMMUNISME : Appartenant au vocabulaire communiste, le terme a été principalement utilisé par les communistes eux-mêmes afin de déconsidérer leur adversaire.
Lors de son apparition sous le nom de bochevisme, le communisme n’a guère été perçue, en France, comme une théorie de libération sociale. La défection russe l’a fait assimiler à une trahison, le non-remboursement des Bons russesà un système spoliateur, tandis qu’il était accusé d’avoir provoqué en Russie la violence, la guerre civile et l’anarchie. Même une partie des socialistes ne reconnaissaient pas en lui la révolution qu’ils souhaitaient. L’immense majorité des Français est alors anticommuniste. L’affiche représentant un moujik hirsute, un couteau entre les dents, dégoulinant de sang, exprimait assez bien les sentiments d’une bonne part de l’opinion publique française.
Au congrès de Tours e 1920, la majorité des partisans, malgré les mises en garde de Léon Blum et d’un certain nombre d’autres dirigeants, adhèrent au parti communiste, nouvellement créé. Cependant, dans les années qui suivent, la plupart des adhérents le quittent, reconnaissant en lui le porte parole non pas d’objectifs révolutionnaires, mais d’une redoutable dictature. Réduit à une secte peu nombreuse, la violence et le contenu de ses campagnes à propos de la guerre du Rif ou de l’occupation de la Ruhr soulèvent contre lui l’hostilité générale. Même quand ils n’apprécient pas la politique de Poincaré, beaucoup de Français ressentent les prises de position communistes comme des atteintes à la communauté nationale. L’ensemble de la population n’est pas obsédé par le préil communiste, mais le communiste apparaît comme un corps étranger et hostile, inadapté à la société française ce que précisera le ministre del’Intérieur Albert Sarraut en 1927 : « Le communisme, voilà l’ennemi ! ».
La période du Front populaire conduit à une profonde mutation de l’anticommunisme. Par son alliance avec les socialistes et les radicaux, la parti communiste est en quelque sorte intégré dans la communauté nationale. Sauf de façon marginale, l’anticommunisme n’est plus de mise à gauche, mis à part la CGT où une fraction des anciens confédérés (depuis la réunification de 1935, on appelait ainsi les membres de l’ancienne CGT, d’obédience communiste) organise la résistance au communisme autour de leur hebdomadaire Syndicats. En revanche, la place prise par le communisme dans la vie politique française provoque le raidissement de la droite qui dénonce avec violence sa volonté supposée de s’emparer du pouvoir. Très rapidement néanmoins, l’anticommunisme s’étend à une fraction grandissante de la gauche, en commençant par le parti radical dont la clientèle de classes moyennes est effrayée par les grandes grèves. L’anticommunisme gagne aussi une partie du parti socialiste, essentiellement son aile pacifiste le « bellicisme » au service de l’URSS des communistes. En fait, à partir de l’été 1936, d’événement en événement (guerre d’Espagne, crise de Munich, grèves de novembre 1938) grossit une formidable vague anticommuniste qui déferle avec la pacte germano-soviétique.
BECKER (J.-J.) et BERNSTEIN (S.): “L’anticommunisme en France et l’histoire”, in Vingtième siècle – Revue d’Histoire, n°15, juillet 1987.
BERNSTEIN (S.) et BECKER (J.-J.) : Histoire de l’anticommunisme en France, t. I : 1917-1940, Paris, Olivier Orban, 1987.
ANTIDE-BOYER (Antoine-Jean-Baptiste Boyer, dit), 1850-1918 : Homme politique. Né à Aubagne (Bouches-du-Rhône), fils d’un ouvrier, Antide-Boyer soutient en 1871 la candidature de Gambetta à Marseille. Lui-même est élu député de Marseille en 1885 et réélu jusqu’en 1905, où il passe au Sénat (1905-1912). Socialiste réformiste, il défend les idées libres-échangistes, communalistes et fédéralistes, et se montre, tant dans sa vie politique que dans son œuvre littéraire, partisan d’un régionalisme éclairé. Il décède à Marseille (Bouches-du-Rhône) en 1918.
ANTIMAÇONNISME : En France, l’antimaçonnisme s’accentue à partir de 1884 à la suite de l’encyclique Humanum Genus du pape Léon XIII qui condamne les activités de la franc-maçonnerie. Leur dénonciation culmine avec les propos de Léo Taxil qui, avec son canular, va amalgamer la franc-maçonnerie et le satanisme, désignant le Baphomet à tête de bouc comme leur idole. Les années qui suivent voient une floraison de l’antimaçonnisme qui, avec l’affaire Dreyfus, se combine avec l’antisémitisme. C’est alors que se propage les dénonciations de complots judéo-maçonniques dans les milieux d’extrême droite et chez les nationalistes doctrinaires. De nombreuses revues se consacrent exclusivement à la dénonciation de la franc-maçonnerie et, en particulier, à l’implication du Grand Orient de France dans la vie politique de la Troisième République, comme dans l’exemple demeuré célèbre du député Henri Brisson.
L’Action française incluait l’antimaçonnisme comme doctrine officielle à travers les écrits de Charles Maurras sur les quatre états confédérés de la nation française à savoir les juifs, les protestants, les franc-maçons et les métèques qu’il considérait comme trahissant les intérêts et la cohésion nationale.
Au tout début du XXe siècle la fameuse affaire des fiches, qui fait tomber le gouvernement Combes, ne fait que renforcer cette tendance. Il s’agissait d’un espionnage des officiers de l’armée française pour savoir s’ils étaient catholiques ou athées, demandé par le général Louis André, franc-maçon anticlérical virulent. Ces fiches sont vendues au Figaro et publiées le 27 octobre 1904. Le scandale qui en découle amène la démission forcée quelques jours plus tard du fameux général.
En 1933, l'affaire Stavisky, donne lieu à un regain d'hostilité à l'égard de la franc-maçonnerie car différents députés maçons, dont le président du conseil Camille Chautemps, y étaient impliqués. Cette hostilité aboutit aux émeutes antiparlementaires d'une partie de la droite et de l'extrême-droite du 6 février 1934.
L’antimaçonnisme culmine en France avec le régime de Vichy qui dissout les sociétés secrètes (et ainsi la franc-maçonnerie) par la loi du 13 août 1940. Pourtant les parlementaires francs-maçons n’avaient pas été moins nombreux que les autres à voter les pleins pouvoirs au maréchal Pétain le 10 juillet 1940 : parmi les 388 parlementaires qui avaient voté pour l’attribution des pouvoirs constituants, 96 étaient francs-maçons, et parmi les 80 parlementaires qui votent contre, une vingtaine l’étaient.
ANTIPARLEMENTARISME : L’antiparlemen-tarisme apparaît dans les dernières décennies du XIXe siècle à l’occasion des affaires qui mettent en cause l’honnêteté ou les capacités de certains hommes politiques notamment les députés.
ANTISÉMITISME : L'antisémitisme est la passion au monde la mieux partagée. De ce fait, l'antisémitisme moderne, distinct de l'antijudaïsme religieux médiéval, est inséparable de la montée en puissance du sentiment national. C'est à dire qu'il est au coeur de l'histoire du XIXe siècle, avant de s'exaspérer au XXe. La IIIe République tient un rôle particulier dans cette histoire, tantôt lugubre et tantôt lumineux. Au début de cette dernière, l’antisémitisme est un sentiment relativement peu répandu en France. Le XIXe siècle se caractérise par l'intégration de plus en plus grande, voir l'assimilation, des juifs à une société française à laquelle ils sont fiers d'appartenir. Le soutien à la République et aux idées nouvelles va de pair avec la réussite économique et sociale dans tous les domaines, maintenant que les restrictions de l'ancien régime ont disparu. Petit à petit, ils trouvent leur place dans l'armée, l'enseignement, la politique... Ils se font accepter dans le « monde » et la vie sociale avec ses règles si importantes à l'époque. Pour les juifs de toute l'Europe, la France constitue le modèle d'une émancipation compatible avec l'idée nationale. Un flux croissant d'immigration en provenance de l'Est, d'Allemagne puis de Pologne et de Russie est la conséquence de cette attraction. Il convient d'y ajouter l'afflux de juifs d'Alsace-Lorraine après l'annexion de ces provinces par l'Allemagne après la guerre de 1870. En 1886, en France, les juifs sont un peu plus de 100.000 sur 30.000.000 d'habitants.
Toutefois, cette égalité reconnue en droit ne pénètre pas nécessairement la société et, pour beaucoup de Français, très généralement catholiques, les Juifs apparaissent comme les membres d’une communauté différente, étrangère aux croyances nationales et suscitant de ce fait nécessairement la méfiance. Sans que cette appréciation entraîne ipso facto une volonté d’exclusion, « le peuple décide » décrit par l’Eglise catholique ne saurait être membre à part entière du groupe national français.
A cet antisémitisme d’origine catholique se rajoute, au cours du XIXème siècle, un antisémitisme d’origine anticapitaliste, qui naît tout particulièrement dans les milieux de gauche. C’est dans la mouvance socialiste que ce thème fait sa première apparition avec la parution en 1846 du livre d’Alphonse Toussenel, Les Juifs, roi de l’époque. Toutefois, cet antisémitisme de caractère économique prend toute son ampleur dans les années 1880 avec le début de la Grande Dépression et son cortège de difficultés de tous ordres, dont les Juifs sont rendus largement responsables. On les voit désormais sous les traits des dirigeants de la Haute Banque israélite, les Rothschild ou les Fould, grands capitalistes supposés mener le pays par leur or et réduisant les autres Français à la misère. Ce mythe est alimenté par le Krach de l’Union générale, banque créée par des financiers catholiques et qui, du fait de la crise mais aussi des manœuvres spéculatives des autres banques (dont certaines sont dirigées par des israélites), s’effondre en 1882. Il n’en faut pas plus pour que les Juifs soient accusés de conduire à la ruine toutes les entreprises qu’ils ne dominent pas. Dans ce contexte d’exaspération anticapitaliste dirigée contre les Juifs, la compromission de certains d’entre eux dans le scandale de Panama (en particulier le rôle joué par Cornélius Herz et le baron de Reinach) stimule l’antisémitisme d’une partie de la gauche française à la fin du XIXème siècle. Celle-ci accrédite l’idée que les Juifs sont un peuple corrupteur, dont l’arme principale est l’or qu’ils accumulent.
Il existe une troisième dimension de l’antisémitisme, issue des milieux nationalistes. Le nationalisme français naît au lendemain de la défaite de 1870 et devient, à partir des années 1882-1885, un des chevaux de bataille de la droite française en pratiquant systématiquement la germanophobie et la haine de l’étranger. Dans ce contexte, les Juifs constituent un adversaire de choix, beaucoup d’entre eux ayant des noms à consonance germanique et entretenant des relations avec les communautés israélites d’outre-Rhin. Ils se voient alors dénoncés comme des agents de l’Allemagne et surnommés les « Prussiens de l’intérieur ». De surcroît, le nationalisme professe la nécessité pour conduire le « revanche » de modifier le régime politique de la Troisième République en la dotant d’un pouvoir fort. Or, les Juifs, dont beaucoup adhèrent à la franc-maconnerie, apparaissent comme les défenseurs déterminés de la République parlementaire, et du même coup se trouvent accusés d’en inspirer la politique anticléricale.
Enfin, l’anticléricalisme nationaliste va, dans le cadre de l’expansion des travaux biologiques de la fin du XIXème siècle, se teinter de racisme. Le développement des sciences inspire nombre de « penseur » ou pseudos-savants comme Vacher de Lapouge ou Jules Soury qui veulent justifier leur haine du Juif non seulement par la religion mais par la « hiérarchisation des races ». Dans ce contexte, c’est une explication raciste qui est offerte à l’antisémitisme catholique comme à l’antisémitisme de gauche. Disciples de Jules Soury, fondant son nationalisme sur la terre et les morts, Maurice Barrès adhère d’enthousiasme à cet antisémitisme raciste dont il sera un des champions et qu’il diffusera dans les milieux nationaliste. Désormais, la racisme devient partie intégrante de l’antisémitisme.
Tous ces ingrédients se retrouvent, en désordre mais efficaces, dans le livre La France juive publié en 1886 par le journaliste Edouard Drumont et qui a pour objet de décrire la « conquête juive » de la France. Fort de son succès, Drumont, en 1892, lance un quotidien La Libre Parole, qui va devenir le journal des antisémites et qui lui valoir une élection comme député en Algérie, où la population n’a pas admis le décret Crémiaux de 1870 donnant la citoyenneté françaises aux israélites locaux. Dans La France juive, Drumont décrit ainsi le Juif : « un nez recourbé, les yeux clignotants, les dents serrées, les ongles carrés ». Cet anthropologie raciste soi-disant légitimée par la science, et largement reprise par la littérature et les journaux. Les Juifs sont montrés du doigt, honnis, fustigés. Ce qui est nouveau, c'est l'institutionnalisation de l'antisémitisme. Les antisémites vont avoir leurs organes de presse: La Croix se proclame « le journal le plus antijuif de France », La Libre Parole organise un débat sur: « Des moyens pratiques d'arriver à l'anéantissement de la puissance juive. » Ils auront aussi leurs organisations: La Ligue antisémite fondée par Jules Guérin, la Ligue de la patrie française, la Jeunesse nationale et antisémite, et surtout, autour de Maurras : l'Action française. Pour eux, les Juifs font partie des « quatre Etats confédérés » qui forment l’anti-France et, sauf une étroite minorité d’assimilés, doivent être considérés comme des étrangers.
Cette vague d’antisémitisme culmine avec l'affaire Dreyfus (1894 à 1906) : la condamnation pour espionnage de l'officier juif Alfred Dreyfus. Cette affaire révèle l'existence de courants xénophobes et nationalistes en France après sa défaite par l'Allemagne. A partir de là, toute réfutation de la culpabilité du Juif ou toute preuve contre un autre coupable se heurtent au refus d’admettre une explication différente, moins satisfaisante pour l’antisémitisme. Elle concrétise aussi le conflit politique entre la droite nationaliste, antisémite, cléricale et monarchiste et la gauche démocratique qui s'unit pour défendre les valeurs républicaines. Enfin, cette affaire montre le pouvoir de la presse et du lancement d’intellectuels dreyfusards comme Emile Zola, Marcel Proust, Anatole France, Charles Péguy, André Gide, d’écrivains de renom antidreyfusards comme Maurice Barrès ou Charles Maurras, les catholiques de la congrégation des Assomptionnistes et leur journal La Croix, voire un certain nombre de socialistes avant que l’influence de Jaurès n’entraîne beaucoup d’entre eux dans le camps des dreyfusards. Mais l’affaire Dreyfus terminée, l’antisémitisme redevient la fait d’une étroite minorité que la concurrence des Juifs menace dans ses intérêts (médecins ou petits commetçants).
La Première guerre mondiale qui voit les Juifs participer largement à la défense du pays semble devoir le faire disparaître. L’Union sacrée inclut tous les Français sans distinction de confession et Maurice Barrès, hier chantre de l’antisémitisme raciste, se fait le champion de ce rassemblement en écrivant en 1917, Les diverses familles sprituelles de la France. Les années 1920 voient la poursuite de ce courant d’unanimité nationale, qui traverse toutes les sections de l’opinion, à la seule exception des véritables professionnels de l’antisémitisme qui sont les hommes de l’Action française.
L’antisémitisme connaît une seconde flambée sous la Troisième République dans les années 1930. Il s’explique à la fois par l’afflux des Juifs réfugiés d’Allemagne et des pays de l’Europe centrale qui va doubler l’importance de la communauté juive de France, laquelle passe entre 1930 et 1939 de 150.000 à 300.000 personnes, surtout concentrées à Paris. En période de chômage, l’apparition de ce groupe suscite un sentiment d’hostilité aux étrangers, concurrents en matière d’emploi, qui stimule l’antisémitisme. Celui-ci nourrit les scandales politico-financiers dans lesquels des Juifs sont présents (comme l’affaire Stavisky). Il est renforcé à droite par la présence de Léon Blum, de confession israélite, à la tête du gouvernement du Front populaire. Outre l’Action française qui fait de la dénonciation des Juifs un de ses thèmes clés, des hebdomadaires comme Candide, Gringoire, Je suis partout se distinguent par la violence obsessionnelle de leurs attaques antisémites. L’antisémitisme ateint un niveau psychopathique chez un écrivain comme Céline dont les pamphlets, Bagatelles pour un massacre (1937) et L’Ecole des cadavres (1938), conduisent à une interrogation sur la santé morale de leur auteur. L’antisémitisme se nourrit alors de l’anticommunisme, le complot bolchevique que dénoncent la droite et l’extrême-droite apparaissent fréquemment à leurs yeux comme fomenté par les Juifs.
Il y a plus grave avec le sentiment, répandu à la veille de la Seconde Guerre mondiale, que les Juifs conduisent la France au conflit avec l’Allemagne, ce qui, dans une population attachée viscéralement à la paix, mène à un antisémitisme diffus gagnant la quasi-totalité de l’opinion publique, y compris des milieux jusqu’à là épargnés comme ceux de la droite modérée et du radicalisme.Antisémitisme qui ne conduit certes pas à une volonté de persécution, mais amène une partie de l’opinion à accepter des mesures qui feraient des Juifs une communauté particulières, soumise à une étroite surveillance.
BARRUS (M.-R.) : Les Juifs de France à l’époque de l’affaire Dreyfus, Paris, Calmann-Lévy, 1972.
BIRNBAUM (P.) : Un mythe politique, la « République juive », Paris, Fayard, 1988.
BIRNBAUM (P.) : Les foux de la République, Histoire politique des Juifs d’Etat de Gambetta à Vichy, Paris, Fayard, 1992.
MILLMAN (R.) : La Question juive entre les deux guerres, Ligue de droite et atisémitisme en France, Paris, A. Colin, 1992.
SCHOR (R.) : L’Antisémitisme en France dans l’entre-deux-guerres, Paris, Ed. Complexe, 2005.
WINOCH (M.) : Edouard Drumond et Cie, antisémitisme et fascisme en France, Paris, Seuil, 1982.
Antisémitisme : Affiche du Candidat antisémite A. Willette pour les élections législatives de 1889.
ANTOINE (Dominique), 1845-1917 : Homme politique. Né à Metz en 1845, médecin vétérinaire, Dominique Antoine exerce d’abord à Sierck, puis à Metz. En 1870, il prend une part active à la défense du pays et est blessé. Après la guerre, il reste à Metz et est élu, en 1881, député au Reichtag, où il siège avec les députés protestataires. Il se signale par son attachement à la France, est expulsé en 1885, et vient se fixer à Paris en 1889. Il décède à Nancy en 1917.
ANTOINE (Léonard-André), 1857-1943 : Homme de théâtre. Né à Limoges (Haute-Vienne) le 31 janvier 1858, André Antoine est d’abord employé dans l’administration du gaz puis, en 1887, fonde le Théâtre-Libre, où il s’attache à une minutieuse exactitude de la mise en scène et donne des oeuvres, pour la plupart réalistes, écrites par de jeunes auteurs, selon des procédés nouveaux.
En 1897, il ouvre, à Paris, boulevard de Strasbourg, le « Théâtre-Antoine ». Aidé d’une excellente troupe formée selon ses idées, il fait appel aux jeunes auteurs désireux d’entrer dans des voies nouvelles. C’est ainsi qu’il joue, Le Repas du lion, La Nouvelle idole et La Fille sauvage, Le Cop d’aile, de François de Curel. L’Avenir, de Georges Ancey ; Les Remplaçantes, Blanchette, Maternité, Les Avariés, de Brieux ; La Clairière et Oiseaux de passage, de Lucien Descaves et Maurice Donnay ; Les Gaietés de l’escadron, de Courteline ; Vers l’amour, de Gandillot, etc., et des ouvrages étrangers tels que : L’Honneur, de Sudermann ; Le Voiturier Henschel, Les Tisserands, de Hauptmann ; La Puissance des ténèbres, de Tolstoï, Vieil Heidelberg, de Meyer-Foerster, Le Roi Lear, etc. De 1906 à 191, il dirige l’Odéon, où il fait preuve d’une extraordinaire activité et donne d’intéressantes réalisations. Il s’est adonne depuis à la critique dramatique. Il décèdera au Pouliguen (Morbihan) le 19 octobre 1943.
ANTOINE-GRAS (Denis), 1847-1917 : Avocat et homme politique. Né à Rochegude (Drôme) le 2 mars 1847, Denis Antoine-Gras est député de la Drôme de 1893 à 1910. Après avoir appartenu au barreau, il entre dans la magistrature avant de se présenter aux élections générales de 1893. Inscrit au groupe radical-socialiste et membre de diverses commissions, il participe à de nombreux débats : budget de la Justice, des Cultes, de la Guerre et de l'Agriculture. Réélu en 1898, il siége à la commission du droit d'association et à celle de la législation criminelle. Il se fait entendre sur le budget de la Guerre, sur l'indemnité parlementaire, sur l'amnistie et sur le contrat d'association. Réélu en 1902, il est membre de la commission des associations et de congrégations, de celle des armées, de la commission de la presse et de la commission de l'administration des cultes et de la décentralisation. Il prend part à quelques discussions : les demandes formées par les congrégations prédicantes ; la réforme de la justice de paix ; la séparation des Églises et de l'État. Il meurt à Bourg (Ain) le 14 mai 1917.
APOLLINAIRE (Wilhem, Apollinaris de Kostrowistzky, dit Guillaume), 1880-1918 : Poète et littérateur. De son vrai nom Wilhelm Apollinaris de Kostrowitsky, Guillaume Apollinaire est né à Rome le 26 août 1880, fils naturel d'un officier italien, Francesco d'Aspermont, et d'Angelica Kostrowistzky, aristocrate polonaise. Après de brillantes études aux collèges religieux de Monaco, puis à Cannes et à Nice, il arrive à Paris en 1899 où il occupe divers emplois gagne-pain, fait de médiocres travaux de secrétariat et écrit des romans érotiques (Mirely ou le Petit Trou pas cher (1900) ; Les Mémoire d'un jeune Don Juan (1905) ; Les Onze mille verges (1907) ; Les Exploits d'un jeune Don Juan (1911) ; La Rome des Borgia (1914) ; La Fin de Babylone (1914) ; Les Trois Don Juan (1915) et alimentaires. Il collabore également à plusieurs journaux littéraires, avant de devenir rédacteur en chef de deux revues, l'une consacrée aux spéculations boursières et bien éloignée de l'autre, Le Festin d'Ésope (1903-1904). Il se lie d'amitié avec des hommes de lettres, parmi lesquels Alfred Jarry, André Salmon, André Billy et Max Jacob.
Dès 1904, Apollinaire se lie avec les grands peintres tels Picasso, Rousseau, Matisse, Braque, Derain, Vlaminck, Picabia et a une liaisonavec Marie Laurencin. Il se réunit avec ses amis poètes au Bateau-Lavoir et assiste à la gestation du cubisme dont il sera un des animateurs et théoriciens. Alors que prend fin sa liaison avec Marie Laurencin, il fait paraître un essai théorique consacré à l'art contemporain, Les Peintres cubistes, méditations esthétiques (1913) ou L'Antitradition futuriste, manifeste synthèse (1913).
Engagé volontaire en 1914, il est blessé à la tempe par un éclat d'obus et doit subir une trépanation en 1916. A partir de 1917, il est recommu comme un des précurseurs et nun guide dans les milieux artistiques et il invente le terme de « surréalisme » pour qualifier l’art de son temps. Affaibli par la guerre et ses récentes maladies, il meurt le 9 novembre 1918 à Paris, laissant une oeuvre originale, révélatrice d'une nouvelle vision du monde et de nouvelles orientations poétiques. Parmi ses œuvres, citons les poésies: Le Bestiaire ou cortège d'Orphée, illustré de gravures par Raoul Dufy (1911) ; Alcools, recueil de poèmes composés entre 1898 et 1912 (1913) ; Vitam impendere amori, illustré par André Rouveyre (1917) ; Calligrammes, poèmes de la paix et de la guerre 1913-1916 (1918) qui associent dessins et mots sous forme de poèmes graphiques et les romans, citons : Que faire ?, roman-feuilleton du Matin ; L'Enchanteur pourrissant (1909) paraît en volume, illustré par Derain de gravures sur bois ; L'Hérésiarque et Cie (1910), recueil de seize contes merveilleux à tonalité fantastique ; Le Poète assassiné (1916),; recueil de nouvelles et de contes à la fois mythiques et autobiographiques ; Tendre comme le souvenir, lettres, la Très plaisante histoire [...] de Perceval le Gallois (1918) d'après les anciens textes, Le Flâneur des deux rives (1918), évocations de Paris teintées de surréalisme. Il fait mettre en scène un «drame surréaliste» un brin provocateur Les Mamelles de Tirésias (1917) qui, sur le ton de la farce, traite de questions sérieuses (la «repopulation») ; et un autre drame, Couleurs du temps, en trois actes et en vers.
Parmi les nombreux ouvrages publiés à titre posthume, citons : La Femme assise (1920), centon d’éléments assez disparates sous forme de roman ; Il y a… (1925) et Ombre de mon amour, deux recueils de poèmes inédits. Les Epingles (1928), contes inédits ; Anecdotiques (1926), Contemporains pittoresques (1929), L’Esprit nouveau et les poètes et Lettres à sa marraine, écrites pendant la guerre, Le Guetteur mélancolique, poèmes inédits.
TOUSSAINT-LUCA (A) : Guillaume Apollinaire, Paris, 1920.
BILLY (A.) : Apollinaire vivant, Paris, 1923.
APPEL AU PEULPE (Comité et parti de l’) : Le Comité de l’Appel au peuple est un comité impérialiste organisé aux débuts de la Troisième République, sous la présidence de Rouher, en vue du rétablissement de l’Empire.Le parti de l’Appel au peuple, défait aux élections de 1876, se divise après la mort du Prince impérial (20 juin 1879) ; tandis que les uns, avec Rouher, reconnaissent le prince Jérôme-Napoléon pour l’héritier de Napoléon IV, d’autres, un peu plus tard, proclament le fils de Jérôme, Victor-Napoléon, comme chef du parti. A la mort de Jérôme, l’unité se refait dans le parti impérialiste.
APPELL (Paul-Emile), 1855-1930 : Mathématicien. Né à Strasbourg en 1855, Paul Appell entre à l’Ecole normale supérieure en 1873, devient docteur ès sciences en 1876 puis, en 1885, professeur de mécanique rationnelle à la faculté des sciences. Recteur de l’Académie de Paris de 1920 à 1925, il remporte, en 1883, le second prix (médaille d’or) au concours ouvert par le roi de Suède Oscar II entre tous les mathématiciens d’Europe. Outre de nombreux mémoires publiés dans le Bulletin des sciences mathématiques et les Comptes rendus de l’Académie des sciences, on lui doit : Cours de mécanique rationnelle (1888) ; Leçons sur l’attraction et la fonction potentielle (1889) ; Traité de mécanique rationelle (cours de mécanique de la faculté des sciences, 4 vol., 1893-1896) ; Théories des fonctions algébriques et de leurs intégrales (1895), avec Goursat ; Principes de la théorie des fonctions elliptiques (1897), avec Lacour ; Précis de mécanique relationnelle ; Introduction à l’étude de la physique et de la mécanique appliquée, avec S. Dautheville (1910) ; Eléments dela théore des vecteurs (1921) ; Fonctions hypergéométiques et hypersphériques ; Polynôme d’Hermite (1926), etc.
Mathématicien de premier ordre, professeur admirable à la Sorbonne t à l’école de Sèvres, il est délégué pour la France auprès de l’Institut de Coopération Intellectuelle. Il meurt à Paris en 1930.
APPELL (Pierre-Hubert-Alexandre-Henri), 1887-1957 : Officier et homme politique. Né à Saint-Germain-en-Laye (Seine-et-Oise), le 3 juillet 1887, Pierre Apell, ancien officier de marine, consacre à la mer la plus grande partie de son travail de parlementaire avant d’être chargé des Travaux publics comme sous-secrétaire d’Etat dans le premier cabinet d’Edouard Daladier (janvier-octobre 1933). Comme nombre de ses collègues, sa principale action est de défendre devant la Chambre le budget de son ministère, où reconstruction et développement des « régions libérées » sont au programme. Il décèdera à Paris le 19 décembre 1957.
APPIAN (Adolphe), 1819-1898 : Paysagiste et graveur. Né à Lyon en 1819, élève de Corot et de Daubigny, il est l’auteur du Bois des Roches (1870) ; les Environs de Monaco (1872). Il a gravé aussi quelques-unes de ses compositions. Il décède à Lyon en 1898.
ARAGO (François-Victor-Emmanuel), 1812-1892 : Avocat et homme politique. Né à Paris le 6 aaût 1812, Emmanuel Arago est le fils du physicien et astrome François Arago. Considéré comme un ardent républicain, il assure l’essentiel de sa carrière politique sous la Monarchie de juillet, la Deuxième République. Redevenu avocat sous le Second Empire, il retrouve un mandat parlementaire en 1869. Comme député de Paris, il devient d’office membre du gouvernement de Défense nationale (septembre 1870-février 1871). Lorsque le garde des Sceaux Crémieux quitte la capitale pour Tours, il est nommé délégué du ministre de la Justice (12 septembre 1870-19 février 1871) dans Paris avec la responsabilité de la partie politique uniquement. Un mois et demi plus tard, il ets fait prisonnier à l’Hôtel-de-Ville lors de la journée insurrectionnelle du 31 octobre, avant d’être délivré par la garde nationale. Il est ensuite envoyé à Bordeaux par le gouvernement de Paris afin de contrer les projets de Gambetta à propos des élections. A la suite de la démission de ce dernier en février 1871, il est nommé à la tête du ministère de l’Intérieur du 6 au 19 février 1871. Enfin, il assure l’intérim du ministre de la Guerre Le Flô du 7 février au 17 mars 1871. Redevenu député, puis sénateur cinq ans plus tard, orateur vedette de la gauche, ambassadeur à Berne de 1880 à 1894, il déclinera l’offre qui lui est faite en 1895 de remplacer Casimir-Perier à la présidence de la République. Il décède à Paris le 26 novembre 1896.
ARAGO (Pierre-Jean-François), 1862-1937 : Homme politique. Né à Fougerolles (Lot-et-Garonne) le 10 janvier 1862, petit-fils de François Arago, François Arago débute dans la diplomatie en 1880 comme attaché à Berne. Mis en disponibilité avec le grade de ministre plénipotentiaire en 1903, date où il est élu député des Alpes-Maritimes. Il devient, au lendemain de la Première Guerre mondiale, vice-président de la Chambe des députés. Il décède à Paris le 8 mars 1937.
ARBAUD (Joseph d’), 1874-1950 : Poète. Né le 6 octobre 1874, à Meyrargues dans les Bouches du Rhône, Joseph d’Artaud est le fils d’une poétesse qui lui transmet le goût de la poésie provençale. Il fait ses études secondaires chez les jésuites à Avignon et, destiné à la magistrature, il réalise des études de droit à Aix-en-Provence entre 1896 et 1898. Il se lie à Aix avec le petit groupe de poètes de langue française, Joachim Gasquet, X. de Magallon, E. Sicard, qui va devenir, sous la direction de ce dernier, le groupe du Feu, du nom de la revue régionaliste aixoise, dont d’Arbaud assure, après E. Sicard, la direct-n.
A vingt ans, il quitte Aix, pour aller mener dans les sollitudes désolées de la Camargue la vie rude d’un gardian et d’un manadier. C’est là que s’éveillera sa vocation poétique : il sera toute sa vie le poète-gardian. Malade, il devra faire un séjour en Suisse et, à son retour, se retire à Aix où il composera une partie de son œuvre. En 1913, il publie Le Laurier d’Arles ; Les Rameaux d’airain, poèmes de guerres (1920 ; Le Noël gardian (1924) ; La Bête du Vaccarès, roman qui fait date dans l’histoire de la prose provençale (1926) ; La Caraque, recueil de trois nouvelles en prose (1926) ; La Sauvagine (1929), recueil de contes où il met en scène, à la manière de Kipling, les animaux de Camargue. Entre temps, il publie dans Le Feu les poèmes qu’il avait composé en Camargue et qui seront réunis en volume après sa mort sous le titre Les Chants palustres, son chef d’œuvre. Il décède Aix-en-Provence le 2 mars 1950.
RIPERT (Émile) : Le Félibrige, 1948.
ARBOIS DE JUBAINVILLE (Marie Henri d’), 1827-1910 : Historien et philosophe. Né à Nancy en 1827, archiviste départemental de l’Aube de 1852 à 1880, professeur de la langue et de littérature celtiques au Collège de France en 1882, membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres en 1884, il a publié : La Déclinaison latine en Gaule (1872), les Premiers habitants de l’Europe (1877) ; L’Administration des Intendants d’après les archives de l’Aube (1880) ; Etudes grammaticales sur les langues celtiques (1881) ; le Cycle mythologique irlandais (1884) ; Recherches sur l’origine de la propriété foncière et des noms de lieux habités en France (1890). Il est le fondateur de la Revue celtique. Il meurt à Paris en 1910.
ARCHDEACON (Edmond-Sébatien), 1864-1906 : Homme politique. Né à Paris le 24 décembre 1864, député de Paris de 1902 à 1906. Antisémite, siègeant dans l'opposition nationale, il manifeste à la chambre une grande activité et participe à de nombreux débats. Il était à la tête d'une grande fortune et administrait de nombreuses sociétés. Il meurt à Paris le 20 février 1906.
ARCHIMBAUD (Léon-Daniel-Josué), 1880-1944 : Homme politique. Né à Poyols dans la Drôme le 23 septembre 1880, Léon Archimbaud est le fils d’un député. Souhaitant devenir pasteur, il devient cependant député radical après la Première Guerre mondiale. Il se spécialise à la Chambre dans les problèmes africains. Choisi par Chautemps pour seconder Lucien Lamoureux, ministre des Colonies, il ne garde son poste de sous-secrétaire d’Etat que durant une semaine. Le temps pour le ministère d’être renversé. Il décèdera à Poyols le 24 juin 1944.
ARCHINARD (Louis), 1850-1932 : Général. Né au Havre en 1850, Louis Archinard prend part comme sous-lieutenant à la guerre franco-allemande. Il succède comme commandant au lieutenant-colonel Gallieni au commandement supérieur du Soudan français et mène en 1890 une vigoureuse campagne contre Ahmadou, puis l’année suivante contre Samory. En 1893, il met Ahmadou en fuite et conquiert pour la France, dans la vallée du Niger, une situation prépondérante qui nous ouvre la porte de Tombouctou.
Le colonel Archinard publie en 1891 le récit de ses campagnes africaines : le Soudan fançais en 1889, 1890 et 1891. Il devient membre du Conseil supérieur de guerre. Grand-croix de la Légion d’honneur, et atteint par la limite d’âge en 1915, il reçoit la médaille militaire en 1919. Il décède à Villiers-le-Bel (Seine-et-Oise) en 1932.
ARDENNES (Bataille des) : Bataille de la Première Guerre mondiale livrée du 20 au 24 août 1914 par les armées françaises des généraux Ruffey et de Langle de Cary aux armées allemandes de von Hausen, du duc de Wurtemberg et du kromprinz, en marche sur Givet, Neufchâteau et Longwy. La retraite de nos armées s’effectue alors en combattant derrière la Meuse.
ARDOUIN-DUMAZET (Victor-Eugène), 1852-1940 : Publisciste. Né à Vizille (Isère) en 1852, Ardouin-Dumaze est d’abord collaborateur au Temps où il s’ocuppe surtout des questions militaires. On cite de lui des études sur l’histoire miliaire de nos frontières, sur l’armée et la flotte, et son intéressant Voyage en France, commencé en 1893 (60 volumes), couronné par l’Académe française et la Société de Géographie : description détaillée des pays de France.
ARÈNE (Emmanuel), 1856-1908 : Homme politique et journaliste. Né à Ajaccio (Corse) en 1856, Emmanuel Arène est élu député de la Corse en 1881, réélu en 1898 et en 1902. Elu sénateur en 1904 pour remplacer Muracciole, il a écrit L’Adversaire avec Capus (1903), et a collaboré au Roi avec R.de Flers et A. de Caillavet (1908). Il meurt à Saint-Gervais-les-Bains (Savoie) le 15 août 1908.
ARÈNE (Paul-Auguste), 1843-1896 : Ecrivain et poète. Né à Sisteron (Basses-Alpes) le 26 juin 1843, Paul Arène, fils d’un horloger, fait ses études à Marseille puis à Paris. Après avoir obtenu ses diplômes en lettres, il choisit l’enseignement, qu’il quitte définitivement au lendemein du succès de Pierrot héritier (Théâtre de l’Odéon, 1865). C’est en qualité de « nègre », qu’il participe à la composition des Lettres de mon moulin d’Alphonse Daudet, et collabore à divers journaux. Il prend part à la guerre de 1870 avec le grade de capitaine, et obtient la Légion d’honneur en 1884. Après Pierrot Héritier, il donne au théâtre, entre autres œuvres, Les Comédiens errants (Odéon, 1873), Le Duel aux lanternes (1873), L’Ilote (1875), Le Prologue sans le savoir (1878) et Le Char, en collaboration avec Daudet et, pour la musique, Emile Pessard.
L’enfance de Paul Arène, passée au contact de la nature provençale, laisse une empreinte décisive sur son esprit, et son art en conserve le reflet. De Mistral et d’Aubenel, ses maitres, il tire la forme et le sujet de ses œuvres, qui ont toutes pour décor sa province natale à laquelle, malgré un fort long séjour à Paris, il reste toujours très attaché. Jean-des-Figues paru en 1870, réédité sous le titre La Gueuse parfumée en 1876, qui contient en outre quelques récits provençaux qui soulignent, avec une grâcieuse légèreté, certains aspects du caractère méridional. Les Contes de Noël (1879), empreints d’une douce poésie ; Au bon soleil (1881) ; La Chèvre d’or (1884), que d’aucuns considèrent comme sa meilleure œuvre œuvre ; enfin, Le Midi bouge (1891). Paul Arène se fait, cependant, également l’interprète du paysage de l’Ile de France et de certains aspects de Paris : Paris ingénu (1882), Contes de Paris et de Provence (1887) et, posthume, Friquettes et Friquets (1896). Il écrit encore des livres de voyages : vingt jours en Tunisie (1884) et Des Alpes aux Pyrénées (1891) ; et des vers dessiminés dans des revues et périodiques. Lorsque Lemerre publie le premier Parnasse contemporain, Arène, en compagnie de Daudet et quelques autres, en fait une savoureuse parodie : Le Parnassiculet contemporain. Il meurt à Antibes (Alpes-Maritimes), le 17 décembre 1896.
Son frère cadet Jules Arène, né à Sisteron en 1850, interprète de la législation de Chine à Pékin, puis consul est l’auteur d’un ouvrage amusant : La Chine familière et galante (1876), ainsi que des traductions de comédies chinoises.
DUCHÉ (R.) : La langue et le style de Paul Arène, Paris, 1949.
ARGONNE (Bataille de l’) : L’Argonne, plateau argileux découpé par les rivières est situé sur les confins des départements de la Meuse, de la Marne et des Ardennes. Elle constitue en 1914, par ses défilés boisés et leurs abords une des meilleures défenses contre l’invasion allemande. Aussi, durant toute la période de la Premire Guerre mondiale, de nombreux coups de main, embuscades, épisodes de guerre de mine, s’y sont livrés, joints à de violentes mais courtes offensives. De part et d’autre, l’usure des effectifs y est très grande. Cependant, il n’y a eu de vraie bataille de l’Argonne que du 26 septembre au 15 octobre 1918, bataille qui s’étend à toute la Champagne et dont les actions principales se livrent autour de Montfaucon, de Sommepy et de Saint-Thierry. Grâce aux efforts combinés de l’armée Gouraud et de la 1ère armée américaine (général Liggett), toute la forêt d’Argonne se trouve dégagée. Du 1er au 5 novembre suivant, la bataille du Chesne et de Buzancy rejetait les soldats du Kronprinz bien au nord des prolongements septentrionnaux de cette forêt d’Argonne.
ARLAND (Marcel), 1899-1986 : Ecrivain. Marcel Arland, né le 5 juillet 1899 à Varennes-sur-Amance (Haute-Marne) Issu d'une famille de la petite bourgeoisie rurale, Marcel Arland, après des études brillantes au collège de Langres et à la faculté de Lettres de Paris, enseigne de 1924 à 1929 au collège de Jouy-en-Josas. Attiré par la littérature, il collabore dans l'entre-deux-guerres à plusieurs publications, dont L'Université de Paris, et lance avec René Crevel et Roger Vitrac Aventure, un petit journal soutenant le dadaïsme. Arland trouve ce soutien trop violent et fonde une autre feuille, Dés, qui ne comptera que deux numéros.
Il publie en 1923 son premier livre, Terres étrangères, remarqué par Gide et Larbaud, ce qui lui vaut de se voir publié dans la Nouvelle revue française (NRF), dont il devient un collaborateur régulier, prenant la succession de Thibaudet à la chronique des romans. Son œuvre critique est considérable, tant par ses chroniques à la NRF que par ses préfaces et ses anthologies de poésie et de prose françaises.
Il reçoit le Prix Goncourt en 1929 pour L'Ordre. Parmi ses œuvres, citons : Étienne (1925) ; Monique (1926) ; Les Âmes en peine (1927) ; Ou le Coeur se partage (1929) ; Antarès (1932) ; Les Vivants (1934) ; La Vigie (1935) ; Les Plus Beaux de nos jours (Gallimard, 1937) ; Terre natale (Gallimard, 1938). Continuant son œuvre littéraire pendant et après la guerre, il décèdera le 12 janvier 1986 à Saint-Sauveur-sur-École (Seine-et-Marne).
ARLOING (Saturnin), 1846-1911 : Vétérinaire. Né à Cusset (Allier) en 1846, Saturnin Aloing est d’abord professeur à l’école vétérinaire de Toulouse puis à celle de Lyon. Il est ensuite nommé professeur de physiologie générale à la faculté des sciences, enfin dircteur à l’Ecole vétérnaire et professeur de médecine expérimentale à la faculté de médecine de Lyon. Il a publié de nombreuses monographies sur la physiologie, la pathologie expérimentale et la bactériologie, en particulier sur la tuberculose.
Il a découvert la vaccination contre le charbon symptomatique du boeuf, une méthode curative de la gangrène gazeuse, et s’est appliqué à l’étude de la tuberculose. Avec Chauveau, il a publié un traité d’anatomie comparée ; des leçons sur la tuberculose, les septicémies, les virus, etc. Arloing était correspondant à l’Institut, associé de l’Académie de médecine, etc. Il meurt Lyon en 1911
ARMEMENT (Ministère de l’) : Crée pendant la Première Guerre mondiale pour intensifier la fabrication des munitions (1916-1918), il a pour titulaire A. Thomas et L. Loucheur.
ARMEZ (Louis), 1838-1917 : Homme politique. Né à Paris le 19 août 1838, républicain, maire de Plourivo (Côtes-du-Nord), Louis Armez est élu en 1876 député de Saint-Brieuc (Côtes-du-Nord). Il s’est beaucoup occupé des questions concernant la marine marchande et les intérêts de pêcheurs. La famille Armez a longtemps possédé la tête du cardinal de Richelieu, dérobée par un bonnetier de la rue de la Harpe en 1793, qui en fait don à l’abbé Armez. Président du conseil général des Côtes du Nord, il décède à Plourivo le 18 septembre 1917.
ARMISTICE DE JUIN 1940 : C’est à la mi-juin 1940, lorsqu’il est clairement avéré que la défaite militaire de la France devant l’Allemagne est consommée, que se pose le problème de la conclusion de l’armistice – et d’emblée en termes politiques. L’initiative en revient au général Weygand.
Nommé tardivement à la tête des armées françaises, il ne peut, en dépit de ses efforts, redresser une situation militaire déjà désespérée. Mais il n’entend pas porter la responsabilité de l’effondrement français et, conscient qu’il n’y a rien à espérer sur le plan militaire, il veut contraindre le pouvoir civil à tirer les conséquences de la situation, dues à ses yeux, non aux militaires, mais à l’impéritie des gouvernements successifs de la France, en particulier à ceux qui ont accédé au pouvoir après la victoire électorale du Front populaire. C’est cette exigence que le commandant en chef vient formuler devant le Conseil des ministres, réuni à Cangé sur la Loire, le 12 juin 1940.Il demande que le gouvernement signe un armistice, acte politique qui l’engage à cesser les combats et à reconnaître la défaite de la France. Il trouvera l’appui du maréchal Pétain, principal responsable de la politique militaire de la France depuis la Première Guerre mondiale et devenu vice-président du Conseil. Tous deux rejettent la solution préconisée par le président du Conseil Paul Reynaud qui suggère de demander aux chefs militaires de signer une capitulation, acte qui n’engage pas le gouvernement, lequel pourrait passer en Afrique du Nord et continuer la guerre dans l’empire aux côtés des Alliés. Entre les deux positions, l’antagonisme se radicalise dans les jours qui suivent. Reynaud constate alors qu’un certain nombre de ses ministres se range dans le camp des militaires, et que Pétain, qui a lu à Cangé au Conseil des ministres du 13 juin une note affirmant tout à la fois sa volonté de demeurer sur le territoire national et d’obtenir une cessation des combats, fait désormais figure de chef de file des partisans de l’armistice. Reynaud tente un dernier effort en envoyant à Londres auprès de Churchill le général de Gaulle, sous-secrétaire d’Etat à la Guerre qui, pour éviter l’armistice, transmet le 16 juin au président du Conseil une offre d’union franco-britannique jusqu’à la fin de la guerre. Le Conseil des ministres refuse de la prendre en considération et, le soir même, Reynaud, estimant qu’il est minoritaire au sein du gouvernement, donne sa démission, et conseille au Président de la République d’appeler à sa place le maréchal Pétain. A peine nommé celui-ci, dès le 17 juin, demande aux gouvernements allemand et italien les conditions d’armistice. Désireux de laver l'humiliation de 1918, Hitler exige de signer l'armistice à Rethondes, en forêt de Compiègne, dans le wagon historique où le maréchal Foch et les plénipotentiaires allemands se retrouvèrent pour l'armistice du 11 novembre 1918. L'idée lui en est venue un mois plus tôt, lors de l'offensive victorieuse de ses chars sur Abbeville. Le 21 juin, la délégation française, conduite par le général Charles Huntziger, commandant la IIe Armée de Sedan, et Léon Noël, ancien ambassadeur en Pologne reçoit communication, en présence de Hitler, du maréchal Hermann Goering, du ministre des Affaires étrangères Joachim von Ribbentrop, du maréchal Wilhelm Keitel et du général Alfred Jodl, des conditions allemandes.
Le maréchal Keitel présente un texte en 24 articles qui exclut toute revendication sur les colonies et sur la flotte de guerre, pour éviter que colons et marins français n'y trouvent motif de se rallier aux Britanniques, encore invaincus. Hitler et sa suite quittent le wagon après la lecture de ce préambule, laissant les négociateurs entre eux. Huntziger dénonce alors des conditions autrement plus dures que celles imposées à l'Allemagne en 1918. Comme une ligne téléphonique fonctionne encore à travers le front, le plénipotentiaire français obtient de s'entretenir du texte avec le général Weygand, replié à Bordeaux avec le gouvernement.
Weygand s'indigne cependant de l'article 19 qui exige que la France remette à l'Allemagne «sur sa demande tous les ressortissants allemands désignés par le gouvernement du Reich». Il s'agit rien moins que de trahir la parole donnée aux réfugiés politiques et aux juifs allemands. Mais Keitel ne veut pas entendre parler de sa suppression et les Français s'inclinent. Les Français acceptent également une clause stipulant que leurs nationaux qui combattraient avec un autre pays contre l'Allemagne seraient traités en «francs-tireurs», autrement dit fusillés sur le champ. Croyant en une conclusion rapide de la guerre, ils acceptent que les prisonniers ne soient pas rendus à la liberté avant la signature d'un traité de paix en bonne et due forme.
La convention d'armistice prévoit l'instauration d'un découpage du pays en zones : la partie orientale, septentrionale et occidentale du territoire est occupée par l’armée allemande est séparée du reste de la France par une ligne de démarcation Seuls le Centre et le Sud, soit les deux-cinquièmes du territoire, constituent une zone « non-occupée », où le gouvernement français est théoriquement souverain. C'est une astuce des Allemands pour dissuader les dirigeants français d'instaurer un gouvernement en exil et les garder à sa portée. Les frais d’entretien des troupes d’occupation sont à la charge de la France (estimés à 400 millions par jour). L’armée française est désarmée, à l’exception d’un contingent nécessaire au maintien de l’ordre. En revanche, le Reich ne formule aucune revendication sur le territoire français, ni sur les colonies françaises et s’engage à ne pas utiliser la flotte française, désarmée et rassemblée dans les ports, essentiellement à Toulon. Après bien des atermoiements, Keitel impose à la délégation française de conclure. L'armistice est signé le 22 juin à 18h50. Acceptées le lendemain, les conditions allemandes n’entrent en vigueur que le 25 juin, après la signature le 24 de l’armistice franco-italien.
En effet, le 24 juin, à 19h35, est signé à Rome l'armistice franco-italien. Aux vues des médiocres performances de ses troupes, Mussolini ne peut obtenir que l'annexion d'une bande de quelques centaines de mètres à la frontière et la démilitarisation d'une bande de 80 kilomètres en France et en Tunisie. La sonnerie du cessez-le-feu résonne le 25 juin à 0h35, soit six semaines après le début de l'invasion. Dans l'esprit de beaucoup, l'armistice doit être suivi d'un traité de paix en bonne et due forme. Celui-ci ne se concrétisera jamais, laissant la France dans un état de sujétion jusqu'à la fin de la guerre.
Les Français, soulagés, pensent qu'avec l'armistice, la guerre est terminée. Ils aspirent au retour à la normale et à la libération des prisonniers, dont le sort va déterminer pour une bonne partie l'attitude des gouvernants français. Ils font confiance au Maréchal, l'un des hommes les plus estimés de l'entre-deux-guerres, qui avait brillamment résisté à l'offensive allemande de Verdun en 1916. Sitôt l'armistice signé, le gouvernement est remanié. Pierre Laval devient vice-président du Conseil. Trompé par un vieux sentiment pacifiste, cet ancien leader de l'extrême-gauche socialiste se montre partisan de la collaboration avec le vainqueur.
AZEMA (J.-P.) : « Le choc armé et les débandades » in J.P Azéma et F. Bédarida, La France des années noires, tome 1. De la défaite à Vichy, Paris, Seuil, 1993.
AZEMA (J.-P.) : De Munich à la Libération, Paris, Seuil, 1979.
DURAND (Y.) : La France dans le Seconde Guerre mondiale 1939-1945, Paris, A. Colin, 1989.
MOUSTIER (H. de) : 1940, l’armistice trahison, Paris, Cetre Editions, 2002.
ARNAUNÉ (François-Auguste), 1855-1926 : Economiste. Né à Paris en 1855, Arnauné a publié La Monnaie, le Crédit et le Change (1894) ; le Commerce exérieur et les tarifs de douanes (6ème éditions, 1922). Ancien directeur des Monnaies, professeur à l’Ecole des sciences politiques, président de la chambre à la Cour des comptes, il remplace Frédéric Passy à l’Académie des sciences morales et politiques en 1912. Il meurt à Paris en 1926.
ARNOULD (Arthur), 1833-1895 : Littérateur. Né à Drieuze (Meurthe) en 1833, Arthur Arnould est le fondateur du Journal du peuple. Mmebre de la Commune, il doit se réfugier en Suisse et revient en France après l’amnistie. Dans les dernières années de sa vie, il s’occupe de théosophie et fonde Le Lotus bleu. Il a publié : L’Histoire populaire et parlementaire de la Commune de Paris (1878), et, sous le pseudonyme de A. Matthey, des romans-feuilletons : La Brésiliennes (1878) ; Zoé Chien-Chien (1880) ; Le Duc de Khandos (1881) ; Le Roi des Mendiants (1885) ; Calvaire d’amour (1889) ; Jean la Flème (1895). Il décède à Paris en 1895.
ARNOUX (Alexandre), 1884-1973 : Ecrivain. Né à Digne (Basses-Alpes) le 27 février 1884, Alexandre Arnoux a commencé par publier trois recueils de vers : L’Allée des mortes (1906) ; Voiture (1907) ; Au Grand vent (1909) ; une pièce : La Mort de Pan (1909) ; deux romans : Didier Flaboche (1912) ; La Belle et la Bête (1913). Mais c’est surtout Le Cabaret en 1919, livre de guerre, qui le révèle au grand public.La même année, il publie des romans : Abisag ou l’Eglise transportée par la foi, légende orientale, suivi d’Indice 33, une de ses meilleues œuvres (Prix de la Renaissance, en 1920). « Après la guerre, il faudra que tout change », déclare-t-il alors. Sa création de poète, de dramaturge de romancier obéira à cette déclaration. Ainsi transpose-t-il sur le plan du fantastique les théories d’Einstein. Il évoque ainsi sa providence dans Haute Provence et la vie des grandes villes dans La Nuit de saint Barnabé (1921) et Paris sur Seine (1939). Entre temps, il avait publié : Ecoute s’il pleut (1922) ; le Règne du bonheur (1924) ; le Chiffre (1926). Il publie également des nouvelles et légendes : la Légende du roi Arthur (1921) ; Romencero moresque (1921) ; la Légende du Cid Campéador (1922) ; Suite variée (1925).
Biographe de Merlin qu’il appelle « l’enchanteur centrifuge » et de Tristan Corbière, observateur attentif de l’art cinématographique, il fait jouer par ailleurs au théâtre plusieurs pièces de caractère féerique : Huon de Bordeaux (1922), et Petite-Lumière et l’Ourse (1923). Son meilleur roman, Le Rossignol napolitain (1937) montre aussi qu’Alexandre Arnoux portait un vif intérêt à la musique. Il décèdera à Paris le 5 janvier 1973.
ARNOZAN (Xavier), 1852-1928 : Médecin. Fils d’un pharmacien estimé, Xavier Arnozan fait de brillantes études classiques au lycée de Bordeaux où il obtient le prix d’honneur en rhétorique et en philosophie. A l ‘école de médecine de Bordeaux, dont il suit les cours et où il a notamment pour maîtres Maurice Denucé, Lannelongue, Gintres, Louis Lande, de Fleury, il est reçu le premier (1871) au concours pour l’internat à l’hôpital Saint André, obtient trois ans de suite le premier prix de l’école de médecine.
En 1874, il vient à Paris. Externe lauréat en 1874, il est, de 1876 à 1879, interne de l’hôtel-Dieu, de Saint Louis, de la Charité, reçoit en 1878 la médaille d’argent des internes de première et deuxième année. Les maîtres auxquels il s’attache davantage sont Cusco, Ernest Besnier, et Rendu. Sa thèse de doctorat : Etude expérimentale des actes mécaniques du vomissement (1879), lui vau une médaille de bronze. L’année suivant il était reçu premier au concours d’agrégation avec une thèse : Des lésions tropiques dans les maladies du système nerveux (1880), et était nommé professeur agrégé à la faculté de médecine de Bordeaux. En 1881, il devenait médecin adjoint des hôpitaux de Bordeaux, ayant été reçu premier au concours (12 août 1881). En 1886, il devenait médecin titulaire à l’hôpital général, directeur du laboratoire d’histologie (1882-1883), et était chargé (1885) d’un cours de dermatologie et il inaugure à Bordeaux l’enseignement de cette science à laquelle il s’était initié à Paris sous la direction d’Ernest Besnier. Il inaugure aussi en 1889 le cours des maladies syphilitiques et cutanées. En 1892, on lui confie à la faculté la chaire de thérapeutique et il la conserve jusqu’en 1906, date où il devient titulaire de la chaire de clinique. Il devient membre du Conseil de l'Université en 1898.
Comme il avait été un élève remarquable, il fut un maître éminent. On a loué son intelligence claire et pondérée, et l’énorme influence qu’il a exercée sur les générations d’élèves qui se pressaient à son cours en a fait un véritable chef d’école. Ses hautes qualités intellectuelles et ses vertus morales le faisaient estimer et vénérer de ses collègues comme de ses élèves.
Toujours prêt à se rendre utile, le Dr Arnozan accepta de se laisser élire au conseil municipal et de 1905 à 1925, il fut l’un des adjoints au maire. A ce titre il fut délégué aux affaires militaires, mais par échange avec un de ses collègues, il obtint d’être chargé de l’hygiène et de l’assistance publique, et en même temps, il devint administrateur des hôpitaux, dans ces fonctions il rendit par sa vigilance et par sa compétence les plus grands services à ses concitoyens.
Membre de nombreuses sociétés savantes : Société d’anatomie et de physiologie normale et pathologique de Bordeaux, Société de médecine et de chirurgie de la même ville dont il fut le président en 1905, Société française de dermatologie, Société d’hygiène publique de Bordeaux, Société clinique de Paris, membre correspondant (1913) puis associé (1925) de l’académie de médecine, directeur depuis 1901 du journal de médecine de Bordeaux, le docteur Arnozan a beaucoup écrit.
En 1908, il fut décoré Chevalier de la Légion d'honneur, puis officier de la Légion d'honneur en 1920, et enfin promu au grade de commandeur de la légion d'honneur en 1927. Xavier Arnozan prend sa retraite le 21 novembre 1922 et décèd le 5 février 1928 à Bordeaux, âgé de 75 ans.
ARON (Raymond), 1905-1983 : Né en 1905, Raymond Aron appartient à une vieille famille juive alsacienne. Un de ses lointains parents soignait Louis XIV. L’arbre généalogique de sa famille révèle par ailleurs des liens de parenté avec Émile Durkheim, père de la sociologie française, et son neveu, l’anthropologue Marcel Mauss. Normalien, camarade de promotion de Sartre, Canguilhem et Nizan, Raymond Aron est socialiste et pacifiste. Il participe sans éclat à la vie politique estudiantine du Quartier latin des années 20. Il part en Allemagne où il exerce la fonction de lecteur à l’université de Cologne ; il est ensuite recruté par l’Institut français de Berlin. Il assiste à la montée de l’antisémitisme et à la prise de pouvoir d’Adolf Hitler.
En 1933, il rentre en France et est accueilli par le Centre de documentation sociale dirigé par Célestin Bouglé. Le hasard veut qu’il succède à Marcel Déat, futur fondateur du Rassemblement national populaire, mouvement collaborationniste sous l’Occupation. Le Centre, installé rue d’Ulm, reçoit des crédits de la Fondation Rockefeller. Raymond Aron y noue des relations avec Robert Marjolin, un économiste formé aux États-Unis grâce à une bourse obtenue par Rist et Bouglé, les deux contacts permanents de la Fondation Rockefeller en France
ARP (Jean), 1887-1966 : Sculpteur, peintre et dessinateur. Né à Strasbourg le 16 septembre 1887, Jean Arp, après avoir fait des études à l’Ecole des Arts Appliqués de Strasbourg, part à l’Ecole de Weimar (1905-1907) et ne quitte l’enseignement de Von Hofman que pour faire un séjour d’une année à Paris où il suit les cours de l’Académie Julian (1908). Sa participation à la première exposition du Modern Bund (Lucerne, 1911) aux côtés d’Herbin, de Matisse ou de Picasso le fait connaître au public. Il entre en rapport avec Kandinsky et adhère au groupe du Blaue Reiter (Le Cavlier Bleu). Pacifiste résolu et français de cœur, il gagne la Suisse à la déclaration de la guerre en 1914 pour ne pas combattre aux côtés des Allemands. En 1915, il rencontre Sophie Taeuber et réalise avec elle des broderies et papiers collés basés sur le rectangle et le carré, dont les formes simples, la rigueur et l’impersonnalité « aggissent comme une purification ». Il fréquente le fameux Cabaret Voltaire à Zurich et participe à la fondation du mouvement Dada. Il est l’auteur du Manifeste Dada, d’En avant, Dada (1920). Peinture et poésie sont pour lui inséparables. Sans cesse son œuvre pratique s’épure, parvient à l’essentiel, s’élève dans la voie de la spiritualité jusqu’à une sortede mystique de la matière (Torses, 1930-1931 ; Concrétions humaines, 1933-1935) tandis que l’humour de ses poèmes poursuit la destruction des faux univers anthropomorphes. A la recherche d’une « poésie synthétique », il compose selon des procédés voisins de l’écriture automatique des surréalistes. Continuant sa carrière pendant la Seconde guerre mondiale, notamment à travers des poèmes extravagants, il meurt à Locarno (Suisse) le 7 juin 1966.
ARQUILLIÈRE (Alexandre-Claudius), 1870-1953 : Acteur. Né à Boën (Loire) le 18 avril 1870, Alexandre Arquillière débute en 1888 au Théâtre-Libre, et joue ensuite sur toutes les grandes scènes parisiennes, où il crée, entre autres, la Princesse lointaine (Renaissance), les Deux gosses (Ambigu), le Repas du lion, le Gendarme est sans pitié, la Nouvelle idole, la Clairière (Théâtre Antoine), le Domaine (Gymnase), Samson (Renaissance), etc. Comédien d’un talent vigoureux, activement dévoué aux intérêts de sa corporation, Arquillière s’est aussi fait applaudir comme orateur avec la Grande Famille, drame de la vie militaire (1905), et La Branche morte (1920). Décédé à Saint-Etienne (Loire) le 8 janvier 1953.
ARRÉAT (Jean-Lucien), 1841-1922 : Philosophe. Né à Pertuis (Vaucluse) en 1841, Lucien Arréat a publié : Une éducation intellectuelle (1887) ; La Morale dans le drame, l’épopée et le roman (1884) ; Journal d’un philosophe (1887) ; Psychologie du peintre (1892) ; Mémoire et Imagination (1895) ; Les Croyances de demain (1898) ; Dix années de philosophie (1901) ; Le Sentiment religieux en France (1903) ; Génie individuel et Contrainte sociale (1912), etc. Il décède à Paris en 1922.
ARSONVAL (Jacques-Arsène d’), 1851-1940 : Médecin et physicien. Né à La Porcherie (Haute-Vienne) le 8 juin 1851, préparateur de Claude Bernard, docteur en médecine en 1876, Arsène d’Arsonval est nommé en 1882 directeur du labratoire de physique biologique au collège de France, où, après voir été suppléant au cours de médecine expérimentale, il devint professeur en tire en 1894. Il est membre de l’Académie de médecine en 1888 et de l’Académie des sciences en 1894.
On lui doit des appareils très ingénieux comme les galvanomètres apériodiques, un téléphone magnéto-électrique, le bec à gaz multiple, le myuphone, etc., et de savantes recherches su l’élasticité pulmonaire, la chaleur animale, l’équivalent mécanique de la chaleur, les courants de haute fréquence, la température de diver poissons, etc. Ses travaux on été pubiés dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences et dans les principaux recueils scientifiques français. Il décèdera à La Pocherie le 31 décembre 1940.
ARTAUD (Antonin), 1896-1948 : Poète et homme de théâtre. Antonin Artaud est né à Marseille (Bouches-du-Rhône), le 4 septembre 1896 dans le milieu aisé de la bourgeoisie. Il connait une petite enfance choyée dont il garde des souvenirs de tendresse, de chaleur. Mais cette enfance est perturbée par des troubles nerveux que l'on attribue à une méningite. Seuls les séjours dans la patrie de sa mère avec sa grand-mère le soulagent. La douleur physique ne le quittera plus, malgré des séjours répétés en maison de santé. Lorsqu'il a huit ans, il perd une petite sœur de huit mois. Cette découverte de la mort l'affecte profondément. Son éducation religieuse lui apportera une forte connaissance de la théologie catholique qu’on retrouve dans l’œuvre sous forme anecdotique et esthétique. A quatorze ans, il découvre Baudelaire. Il manifeste un goût pour le grec, le latin et l'histoire ancienne.
En 1924, il arrive à Paris et se met à écrire. Il n’avait jusqu’alors publié qu’un court recueil de poèmes : Tric-Trac du ciel (1923) et c’est presque par hasard que débute son eouvre véritable, à l’occasion du refus qui lui est signifié de la part de l'éditeur Jacques Rivière directeur de La Nouvelle Revue française. De publier dans cette revue quelques-uns de ses poèmes. Une correspondance commence entre les deux hommes (juin 1923-juin 1924) : Artaud acceptant d’emblée comme valables toutes les critiques quelui adresse Rivière à l’égard de ces œuvres, tout en revandiquant de sa part la reconnaissance d’un intérêt littéraire dans la mesure où les maladresses et les faiblesses lêmes qui lui sont reprochées rendent compte de l’étrange phénomène spirituel qu’il subit et qu’il décrit en ces termes : « Je souffre d’une effroyable maladie de l’esprit. Ma pensée m’abandonne à tous les degrés. Depuis le fait simple de la pensée jusqu’au fait extérieur de sa matérialisation dans les mots… il y a donc quelque chose qui détruit ma pensée. » Dans les livres qui succédent à cette Correspondance avec Jacques Rivière publiée en 1927, L’Ombilic des limbes (1925), Le Pèse-nerfs (1927), L’Art et la mort (1929), Artaud s’assignera pour but de transcrire avec la plus grande fidélité cette étrangeté qui l’habite, cherchant à soumettre, en les déterminant par le verbe, ces « forces informulées » qui l’assiègent : en les localisant ainsi, il s’en désolidarise, échapant par là même au risque de se laisser totalement submerger par elles. L’impossibilité de se libérer de l’emprise de sa maladie psychique, Artaud la vivra désormais dans une sorte de rage perpétuelle, lui dictant une attitude de révolte radicale contre tout. Il est naturel de le voir, vers 1925, adhérer au mouvement surréaliste, parallèlement à la poursuite de sa carrière d’acteur. En effet, au cours de cette période, il écrira des scénarios de films et des poèmes en prose. Il est aussi acteur chez Charles Dullin où il dessine les costumes et les décors ; puis, à la Comédie des Champs Elysées, chez J. Hébertot. Au cinéma, il est, entre autres, Marat dans le Napoléon d'Abel Gance. Surtout, il fonde avec Roger Vitrac Le Théâtre Alfred Jarry et de 1927 à 1929, il y monte quatre spectacles, dont Victor ou les Enfants au pouvoir de Vitrac et en 1935, Les Cenci. Suivent les textes et manifestes réunis dans Le Théâtre et son double (1938).
L'action au théâtre « révélant à des collectivités leur puissance sombre, leur face cachée, les incite à prendre en face du destin une attitude héroïque et supérieure qu'elles n'auraient jamais eu sans cela. » (Le Théâtre et la peste).
En 1936, Artaud part pour le Mexique et se rend à cheval chez les Tarahumaras pour y trouver « l'antique culture solaire ». Cette quête, écrira Sollers, est « la phase capitale de sa lutte pour faire renaître un corps dans la pensée. »
Un an plus tard, à son retour forcé d'Irlande, il sera interné pour avoir dépassé les limites établies de la marginalité. Il a passé neuf ans interné dans les asiles d'alienés. Cinquante-deux électrochocs vont achever de le briser physiquement. Ses amis obtiennent qu'il sorte de l'asile de Rodez. Il retourne à Paris où il vivra encore trois ans. Pendant cette periode il va produire l'émission radiophonique "Pour en Finir avec le Jugement de Dieu". Il est atteint d'un cancer diagnostiqué trop tard et meurt à Ivry-sur-Seine le 4 mars 1948.
Hypnotisé par sa propre misère, où il a vu celle de l'humanité entière, Artaud a rejeté avec violence les refuges de la foi et de l'art. Il a voulu incarner ce mal, en vivre la totale passion, pour trouver, au cœur du néant, l'extase. Cri de la chair souffrante et de l'esprit aliéné en un homme qui se veut tel, voilà le témoignage de ce précurseur du théâtre de l'absurde et de la cérémonie.
Danièle ANDRÉ-CARRAZ, L'expérience intérieure d'Antonin Artaud, Librairie Saint-Germain-des-Prés, Paris, 1973, rééd. coll. "Étapes de la poésie", Le Cherche-Midi, Paris, 1987.
Georges CHARBONNIER, Antonin Artaud, coll. "Poètes d'aujourd'hui", Seghers, Paris, 1957.
Gérard DUROZOI, Antonin Artaud, L'aliénation et la folie, Larousse, Paris, 1972.
Henri GOUHIER, Antonin Artaud et l'essence du théâtre, Vrin, Paris, 1974.
Jean HORT, Antonin Artaud, le suicidé de la société, éd. Connaître, Genève, 1960.
Daniel JOSKI, Artaud, coll. "Classiques du XXe siècle", Éditions universitaires, 1970.
Jean-Jacques LÉVÊQUE, Antonin Artaud, coll. "Les plumes du temps", Henri Veyrier, Paris, 1985.
Thomas MAEDER, Antonin Artaud, Plon, Paris, 1978.
Florence de MÉREDIEU, Antonin Artaud, Voyages, Blusson, Paris, 1992.
Jacques PREVEL, En compagnie d'Antonin Artaud, Flammarion, Paris, 1974, rééd. et augmenté en 1994.
Susan SONTAG, À la rencontre d'Antonin Artaud, Christian Bourgois, Paris, 1973.
Odette et Alain VIRMAUX, Artaud Vivant, coll. "Lumière sur", NéO, Paris, 1980.
Christian Nicaise, Antonin Artaud : Les Livres, L'Instant perpétuel, Rouen, 2003.
Evelyne Grossman, Artaud, l’aliéné authentique, Farrago / Léo Scheer, Tours, 2003
ARTISTES FRANÇAIS (Société des) : Cette société de peintres, sculpteurs, architectes, graveurs, etc ., date de 1883. Elle a été reconnue d’utilité publique par décret du 11 mai de la même année. Elle organise des expositions annuelles, dont l’esprit est généralement traditionaliste.
ARTISTES INDÉPENDANTS (Société des) : Fondée le 11 juin 1884, dAns le but de remettre aux artistes de présenter librement leurs oeuvres au jugement du public, cette société a supprimé les jurys d’admission.
ARTOIS (Batailles de l’) : On compte trois batailles de l’Artois au cours de la Première Guerre mondiale. La première en 1914 et les deux autres en 1915.
La première bataille de l’Artois est un épisode de la « course ds Allemands à la mer ». Elle a eu lieu du 30 septembre au 14 décembre 1914. Le général de Maudhuy y arrête les troupes de Ruprecht de Bavière sur le plateau de Thiepval et l’empêche de prendre Arras, puis conquiert Vermelles et les premières tranchées de Notre-Dame-de-Lorette. Quelques mois plus tard, c’est au nord, entre Béthune et Lille, que les Anglais du maréchal French ont remporté le sucès de la Neuve-Chapelle (10-12 mars 1915).
La deuxième bataille de l’Artois s’est livée du 9 mai au 17 juin 1915. Le général Foch s’y est efforcé sans succès d’attendre la plaine de Douai et de Lens, mais il y acquiert les positions d’Ablain-Saint-Nazaire, de Notre-Dame-de-Lorette, de Souchez, etc.
Au cour de l’automne suivant (septembre-ocobre), la troisième bataille de l’Artois enagée par les Franco-Anglais commandés per les mêmes chefs, n’a marqué que de petits progrès. Elle a simplement permis aux Français de prendre les falaises de Vimy, et aux Anglais de conquérir Loos et Hulluch, que défendaient les soldats de Rupprecht d Bavière.
ARTON (Léopold-Emile Aron, dit), 1850-1905 : Homme d’affaires. Né à Stasbourg en 1850, Arton est principalement connu comme entremetteur dans l’affaire de Panama pour l’achat de votes parlementaires. Arrêté à Londres et ramené à Paris, il passe en cour d’assises, est c
condamné, puis grâcié. Quelques années plus tard, des embarras financiers le poussent au suicide à Paris en 1905.
ART ROE (Benjamin-Léon-Marcelin-Patrice Mahon, dit), 1865-1914 : Officier d’artillerie et littérateur. Né à Lons-le-Saunier (Jura), Art Roe est l’auteur d’intéressants romans militaires comme Pingot et moi, Journal d’un officier d’artillerie (1893) ; Racheté (1895) ; Sous l’étendard (1895) ; Papa Félix ; Trois grenadiers de l’an VIII (1896) ; Mon régiment russe (1899), ce dernier rapporté d’un stage dans l’armée russe. Son style est net, ferme, et plein de mouvement. Il est tué à l’ennemi à Wisembach (Vosges) en 1914.
ARTS DÉCORATIFS (Conseil supérieur de l’Enseignement des) : Institué par arrêté du ministre de l’Instruction publique en date du 10 février 1906, ce conseil a pour objet de donner à l’enseignement des arts décoratifs une direction appropriée aux besoins modernes et aux nécessités industielles des différentes régions, en même temps que d’établir un lien entre les chefs d’industrie, les artisans d’art et les écoles.
ARTS DÉCORATIFS (Musée de l’Union centrale des) : Fondé en vertu de la loi du 17 novembre 1897, qui concédait à l’Union centrale des Arts décoratifs, pour quinze années, la pavillon de Marsan et ses dépendances, le musée est inauguré le 27 mai 1905. Les fonds nécessaires à l’achat des collections et au fonctionnement des services avaient été réunis par le moyen d’une loterie autorisée par la loi du 1er juin 1882 et qui produisait 5.812.000 francs. Mais les dons et les legs l’emportent sur les achats faits par la Société. La nef centrale du musée est réservée à des expositions temporaires. Les salles gothiques, au rez-de-chaussée renferment des tapisseries du XVème siècle et du début du XVIème siècle, des lits, des coffres, des bahuts, des fragments de boiseries, des statues religieuses, des encadrements de fenêtres, des consoles, etc.
Tout le premier étage (sur la rue de Rivoli) a été préservée à la Renaissance française : boiseries, émaux, tapisseries, meubles, verreries, peintures, reliures. Les grandes salles du pavillon de Marsan prennent jour sur les Tuileries ; l’art du XVIIème siècle y déploie toute sa majesté. Plus loin, triomphe le style Louis XV. Au premier étage, encore côté jardin, le XVIIIème siècle, avec ses porcelaines et ses faïences. Citons encore la donation Doistau, ensemble de faïences de Rouen, la salle de la Chine et du Japon. Au second étage, le style Louis XVI ; même étage, côté nord, une très complète collection d’étoffes du XVème au XIXème siècle. Le troisième étage est réservé aux collections d’Orient et d’extrême Orient. Les salles du rez-de-chaussée, autour de la nef centrale, groupent les mobiliers Empire et Restauration, Second Empire et Troisième République ; enfin l’art contemporain.
ARTS DÉCORATIFS (Union centrale des) : Cette société, reconnue d’utilité pulique le 15 mai 1882, obtient du Parlement le pavillon de Marsan et ses dépendances, sous la condition que les locaux aménagés en musée et les objets d’art qu’ils contiendraient devraient revenir à l’Etat après une période d’exploitation de quinze années. Cette période venait à expiration en mai 1920. Un nouveau contrat intervient alors entre la Société et le Gouvernement : le musée et la bibliothèque sont devenus propriété de l’Etat, mais l’Union centrale en conserve la gérance. A cet effet, elle reçoit une subvention pour le traitement de son personnel, lequel est assimilé à celui des musées nationaux. Plus de cent expositions temporaires ont été, en outre, organisées par l’Union comme l’exposition de l’Ecole de Nancy, l’exposition d’Art musulman, l’expositon des Primitifs français (de 1900 à 1904), l’exposition des Dentelles, broderies et éventails (1906), les six célèbres expositions d’estampes japonaises, celles de la Chinoiserie et de la Turquerie en Europe (1910-1911), celle du Théâtre (1904), des Miniatures persanes (1912), de l’Art des jardins (1913), de l’Art décoratif anglais (1914) ; les Salons de la Société des Artistes décorateurs, les expositions des Concours d’art liturgiques, de Jouets artisiques modernes, les Salons d’art féminin, l’Exposition de la Renaissance des cités, etc.
ARTUS (Louis), 1870-1960 : Homme de lettes. Né à Paris en 1870, Louis Artus fait jouer avec succès de nombreuses pièces gaies en vers ou en prose comme L’Ingénu libertin (1907), Le Petit dieu (1910), etc. La plus connue étant Cœur de moineau (Athénée, 1905), est une véritable comédie de caratère, fine, spirituelle et émue. L’évolution de cet auteur vers la littérature romanesque, où s’affirment dans un beau style ses préoccupations philosophiques et religieuses, date de La Maison du fou (1918), La Maison du sage (1920), Le Vin de ta vigne (1922), La Chercheuse d’amour (1926), Les Chiens de Dieu (1928).
ARVÈDE BARINE (Louise-Céline Bouffé, épouse Charles Vincens, dite), 1840-1908 : Femme de lettres et historienne. Née à Paris le 17 novembre 1840, Arvède Barine se fait connaître par de remarquables études, notammenet sur la littérature étrangère. On lui doit L’Oeuvre de Jésus ouvrier (1879) ; Portraits de femmes (1887) ; Essais et Fantaisies (1888) ; Essais sur les contes de Perrault (1889) ; Princesses et Grandes Dames (1890) ; Bernardin de Saint-Pierre (1891) ; Alfred de Musset (1893) ; Bourgeois et Gens de peu (1894) ; Les Névrosés (1898) ; Saint François d’Assise et la légende des Trois Compagnons (1901) ; La Jeunesse de la Grande Mademoiselle, 1627-1652 (1901) ; Louis XIV et la Grande Mademoiselle, 1652-1693 (1905). Elle décède à Paris le 14 novembre 1908.
ASIE FRANÇAISE (Comité de l’) : Fondé en 1901 sous la présidence d’Eugène Etienne dans le but de constituer le centre réunissant les renseignements économiques, diplomatiques, ethniques, sociaux et religieux qu’exige une action raisonnée et suivie en face des problèmes du Levant et de l’extrême Orient. Il est présidé par Emile Sénart, de l’Institut, et publie depuis sa fondation un bulletin mensuel, l’Asie française, qui a paru jusqu’à la fin de 1919 sous la direction de Robert de Caix.
ASSE (Louis-Eugène-Auguste), 1830-1901 : Littérateur. Né et mort à Paris, il a publié et commenté des ouvrages du XVIIIeme siècle comme Lettres de Melle Aïssé (1873) ; Lettres de Melle de Lespinasse (1876) ; Lettres de la marquise du Châtelet (1878) ; Lettres de l’abbé Galiani (1881) ; etc.
ASSELIN (Maurice), 1882-1947 : Peintre. Né à Orléans le 24 juin 1882, Maurice Asselin, après avoir fait un voyage en Italie, prend part aux diverses expéditions des Indépendants, du Salon d’automne et au Salon des Tuileries, et, à l’étranger, à celles de Venise et de l’Institut Carnegie Il a peint de nombreuses maternités, des portraits et de remarquables aquarelles. Citons de lui : Le Café au jardin. Il décèdera à Paris le 30 octobre 1947.
ASSELINE (Louis), 1829-1878 : Peintre. Né à Versailles (Seine-et-Oise) en 1829, Louis Asseline fonde sous le Second Empire de nombreux périodiques d’informations politiques puis, en octobre 1870, est nommé maire du XVIIIeme arrondissement de Paris mais donne sa démission en février 1871. Il devient, en février 1872, rédacteur en chef du Peuple souverain. Il a publié une Histoire d’Autriche depuis la mort de Marie-Thérèse (1877). Il meurt à Paris en 1878.
ASSEMBLÉE NATIONALE (de 1871) : Elue le 8 février 1871 dans un pays à moitié occupé, aux communications coupées, alors que beaucoup d’électeurs sont empêchés de voter, l’Assemblée nationale ne représente pas réellement le pays. Les élections se sont faites sur le thème de la paix ou de la guerre. Comme le pays veut la paix et que Gambetta, l’un des principaux chefs républicains, veut poursuivre la guerre, les votes se sont portés sur les monarchistes qui réclamaient l fin du conflit. Ils constituent une forte mjorité de 400 députés alors que les républicains sont 200 et les bonapartistes une trentaine. Mais les monarchistes sont divisés entre légirtimistes et orléanistes. Les premmiers, grans seigneurs ou gentilshommes de province, auxquels se mêlent quelques grands bourgeois, sont pour la plupart des propriétaires terriens, catholiques fervents, ayant par tradition le sens des solidarités sociales et la responsabilités des classes privilégiées envers les plus démunis ; ils souhaitent le rétablissemnt de la monarchie en faveur du comte de chambord, petit-fils de Charles X. Les orléanistes, eux, soutiennent le comte de Paris, petit-fils de Louis-Philippe. Ce sont aussi les garnds seigneurs, mais souvent plus cultivés et davantage engagés dans les activités économiques modernes, l’industrie, le commerce ou la banque, méprisant ceux qui leur sont inférieurs par la naissance, la culture ou l’argent. On distingue parmi eux la droite, dont le chef de file est le duc de Broglie, et le groupe des orléanistes parlementaires, libéraux très attachés à l’idée de la souveraineté nationale, qui forme le centre-droit. Quant aux bonapartistes, conservateurs sur le plan social, ils souhaitent le rétablissement de l’Empire au profit de la famille bonaparte. Les républicains, tous partisans d’un régime monocamérite, reprennent les revendications traditionnelles en matière de libertés, mais en omettant la liberté d’assoiation (par crainte de l’Interventionale) et la liberté d’enseignement (par anticléricalisme). Pour améliorer la condition humaine, ils comptent sur la raison et surla science et désirent détruire toutes les barrières qui ont enfermé l’homme durant des siècles : religion, société, morale.
Il faut noter dans ce programme l’absence très significative de rubrisue sociale. Le silece sur les conditions de vie du monde ouvrier représente une régression par rapport aux préoccupations de l’Empire finissant. C’est que les républicans élus sont tous des bourgeois pour qui les principes de libertés sont associés à ceux de propriété et d’ordre et qu’ils ne tiennet pas à voir se reconstituer l’Internationale ou les chambres syndicales.
Incapables de s’entendre sur le prétendant au trône et ne tenant pas à voir la monarchie contrainte de signer un traité désavantageux et humiliant pour la France vaincue, les royalistes préfèrent ne pas préciser la nature du futur régime. L’Assemblée confie le pouvoir à Adolphe Thiers, homme inévitable car il a été élue par 28 départements et ses idées conservatrices en matière économique et sociale inspirent confiance à la majorité. Avec le titre de chef du pouvoir exécutifde la République française, Thiers forme un ministère de conciliation où entrent légitimistes et orléanistes et, par le pacte de Bordeaux du 17 février 1871, il s’engage à la neutralité envers les partis et sur la question du régime. Il lui paraît que le plus urgent est de travailler à la paix et à la réorganisation du pays, tâche à laquelle peuvent s’associer royalistes et républicains.Mais, un mois plus tard éclate l’insurrection de la Commune qui contraint Thiers, avec l’appui de la majorité de l’Assemblée vont s’altérer avec le temps. Au printemps 1871, les orléanistes considèrent Thiers comme l’un des leurs. Ils ne perçoivent pas que cet ambitieux est moins intéressé par la forme du ouvernement que par la possibilité de jouer un rôle important. Le premier signe de cette évolution est l vote de la loi Rivet le 31 août 1871, qui donne à Thiers le tite de Président de la République : il est à la fois chef de l’Etat, chef du gouvernement et conserve son mandat de député. Mais l’Assemblée à précisé que le terme de République ne préjugeait pas de la future forme du régime et que Thiers exerçait ses fonctions sous la responsabilité des députés. Il s’agit donc ‘une loi de compromis qui préserve la suprématie de l’Assemblée et lui subordonne la pouvoir exécutif. En fait, jusqu’à la chute de Thiers, le 24 mai 1873, toutes les mesures prises revêtent ce caractère de compromis. C’est le cas des lois de réorganisation financière, administrative et militaire. L’Assemblée est disposée à envisager des réformes, à essayer des solutions neuves comme l’impôt sur le revenu, la diminution du pouvoir des préfets, l’obligation de l’instruction primaire ou du service militaire. Mais Thiers se montre résolument conservateur et défenseur des intérêt bourgeois, s’opposant au prélèvement sur la richesse acquise, à tout bouleversement administratuf et, comme il est favorable à l’armée de métier et au système de remplacemet, la loi militaire votée prévoit un service en principe universel, mais incomplet dans la pratique car des dispenses sont accordées, les bons numéros ne font qu ‘une année de service et les autres cinq.L’Assemblée s’inquiète davantae encore de l’attitude de Thiers sur la question du régime. En effet, la Restauration monarchique est rendue impossible par le Manifeste du comte de Chambord du 5 juillet 1871dans lequel il affirme le pouvoir, sans déshonneur, abandonner le drapeau blanc. D’autre part le comportement des républicains, fait de sagesse, de modération impressionne Thiers en leur faveur, et ce, d’autant plus qu’aux élections partielles le républicains enregistrent des succès incontestables, témoignant d’un revirement des opinions politiques des Français : ainsi le 7 janvier 1872, sur 15 sièges en compétition, les républicains en obtiennent 10, et entre cette date et le 24 mai 1873, sur 38 élus qui entrent à l’Assemblée, il y a 31 républicains. C’est le résultat d’une campagne, orchestrée par Gambetta, et faite pour rassurer le pays : Thiers qui perçoit cette évolution de l’esprit public prend à son tour position dans son message du 13 novembre 1872 : « La République existe ; elle est le gouvernement légal du pays… ». Entre l’Assemblée, encore en majorité royaliste, et le Président,,qui demande la création d’une commission pour organiser la République, le conflit est inévitable. Les royalistes, dirigés par de Broglie qui a quitté son ambassade de Londres, commencent par interdire à Thiers de participer aux discussions de l’Assemblée et ils remplacent à sa présidence le républicain modéré Jules Grévy par l’orléaniste Buffet ; puis, après l’élection à Paris du radical Barodet contre de candidat de Thiers, Rémusat, la majorité désavoue Thiers le 24 mai 1873. Le Président ayant démissionné, les royalistes offrent la présidence de la République au maréchal Mac-Mahon, un légitimiste destiné à « garder la place » en attendant le roi. Le duc de Broglie forme un ministère de royalistes et de bonapartistes qui se prposent de rétablir « l’Ordre moral ».
La fusion entre orléanistes et légitimistes ayant une nouvelle foi échoué en octobre 1873, devant l’intransigeance du Comte de Chambord sur la question du drapeau, de Broglie fait prolonger les pouvoirs de Mac-Mahon pour ue durée totale de sept ans.
Mais en 1874, l’évolution de la situation politique va contraindre la centre-droit orléaniste qui gouverne à se rapprocher des républicains. Les légitimistes retirent leur soutien au gouvernement et passent à l’opposition, cependant que les élections partielles révèlent un retour en force des bonapartistes. Les orléanistes recherchent alors le soutien des républicains modérés et sont amenés à leur faire des concessions. Ils demandent à l’Assemblée de préparer des lois constitutionnelles (ce qu’elle accepte par une très faible majorité). Entre cette évolution et l’acceptation de la République, la marge est encore considérable. Les élection partielles qui révèlent la double poussée des bonapartistes et des radicaux vont conduire le centre-droit orléaniste et le centre-gauche républicain à s’unir pour éviter le péril extrémiste. C’est ce rapprochement des centres qui permet l’adoption des lois constitutionnelles. Le 30 janvier 1875, à l’occasion de l’amandement Wallon, le vote favorable du groupe Target, située à la charnière des centres, permet l’institution de la République à une voix de majorité. Mais quand la dernière loi constitutionnelle est votée le 16 juillet 1875, les cinq-sixièmes des votants se sont ralliés à la République. La masse des hésitants s’est ralliée plus par résignation que par enthousiasme. Ainsi l’Assemblée nationale, décidée à restaurer la monarchie, finit par instaurer la République. Ayant donné à la France un régime et une Constitution, l’Assemblée nationale se sépare le 31 décembre 1875.
Liste des présidents de la Chambre :
1871-1873 : Jules GRÉVY
1873-1875 : Louis-Joseph BUFFET
1875-1876 : Gaston d'AUDIFFRET-PASQUIER
1876-1879 : Jules GRÉVY
1879-1881 : Léon GAMBETTA
1881-1885 : Eugène-Henri BRISSON
1885-1888 : Charles FLOQUET
1888-1889 : Jules MÉLINE
1889-1893 : Charles FLOQUET
1893-1893 : Jean CASIMIR-PERIER
1893-1894 : Charles DUPUY
1894-1894 : Jean CASIMIR-PERIER
1894-1894 : Auguste BURDEAU
1894-1898 : Eugène-Henri BRISSON
1898-1902 : Paul DESCHANEL
1902-1904 : Léon BOURGEOIS
1904-1905 : Eugène-Henri BRISSON
1905-1906 : Paul DOUMER
1906-1912 : Eugène-Henri BRISSON
1912-1920 : Paul DESCHANEL
1920-1924 : Raoul PÉRET
1924-1925 : Paul PAINLEVÉ
1925-1926 : Edouard HERRIOT
1926-1927 : Raoul PÉRET
1927-1936 : Fernand BOUISSON
1936-1940 : Edouard HERRIOT
GOGUEL (F.) : La politique des partis sous le IIIè République, Paris, Editions du Seuil, 1946.
MAYEUR (J.-M.) : Les débuts de la IIIè République, Paris, Le Seuil, 1973.
MAYEUR (J.-M.) : La vie politique sous la IIIè République, Paris, Le Seuil, 1984.
REMOND (R.) : La vie politique en France, tome 2, Paris, A. Colin, 1986.
ASSISTANCE PUBLIQUE (Médaille d’honneur de l’) : Institué en 1903 en faveur des personnes qui se sont dévouées à la cause de l’assistance publique. Elles sont en bronze, argent ou or, et se portent suspendues à un ruban jaune, à trois bandes verticales blanches, qui comporte une rosette pour la médaille d’or.
ASSOCIATION ANTIMAÇONNIQUE DE FRANCE : Groupement de lutte contre la Franc-Maconnerie, né en 1904 du Comité anti-maçonnique de Paris, lui-même crée en 1897 sous l'égide de la revue La Franc-maçonnerie démasquée. A la tête de l'Association anti-maçonnique de France, se trouvent des personnalités importantes du monde catholique et réactionnaire de l'époque : le sénateur Emile de Marcère, ancien ministre de l'Intérieur, l'amiral de Cuverville, également sénateur, le comte de Ramel, colonel et député, le baron J. de La Hougue (qui composent le bureau avec l'abbé Tourmentin et son adjoint de Senneville) ainsi que le général de Barail, ancien ministre de la Guerre dans un cabinet de Broglie, etc. L'abbé Tourmentin en est longtemps l'animateur. la documentation rassemblée par ce dernier - laquelle devait permettre à l'Association anti-maçonnique de France, de faire paraître en 1908, un Répertoire maçonnique de 30.000 noms - causait quelque souci au Grand Orient, qui admet de très mauvaise grâce que l'on empêche de "ficher" les réactionnaires alors que les anti-maçons livrent à la publicité les patronymes et les pseudonymes de leurs adversaires.
Aussi, lorsque Clemenceau, à quelques jours des élections 1906, découvre si opportunément un complot contre la République et fait perquisitionner chez les activistes de gauche (syndicalistes, anarchistes) et de droite (royalistes, bonapartistes), la Maçonnerie manifeste-t-elle fort sa satisfaction de voir les policiers du premier flic de France s'accaparer les dossiers et les fichiers de l'Association anti-maçonnique de et saisir les pièces les plus importantes. Le Tigre, qui n'était pas maçon, n'a agit, en l'occurence que pour mettre le Grand Orient dans son jeu à la veille des élections. En juin 1912, l'Association anti-maçonnique de France tient un important congrès sous la présidence de Monseigneur Marbeau, évêque de Meaux. C'est la dernière grande manifestation publique. En 1918, l'association perd son président, l'ancien ministre de Marcère, que remplace le conseiller municipal parisien Alpy, puis le colonel de Ramel. En 1920, Dominique Delahaye, l'impétueux dénonciateur des trafiquants de guerre à la tribune du Sénat, prend une part active à la direction du groupement, avec son secrétaire général, l'abbé Tourmentin. L'Association anti-maçonnique de France disparaît, peu après sa revue La franc-maçonnerie démasquée; dont la publication est suspendue en 1924.
ASSOCIATION DES ÉCRIVAINS ET ARTISTES RÉVOLUTIONNAIRES (AEAR) : Fondée en mars 1932 comme section française de l'Union internationale des Ecrivains Révolutionnaires de Moscou (créée en novembre 1927, lors des fêtes du Xème anniversaire de la Révolution russe), l'Association des écrivains et artistes révolutionnaires a pour objet de lutter contre la guerre et le fascisme dans les perspectives qui sont celles de l'Internationale communiste. Les principes de cette associations sont ainsi définis : 1. - Il n'y a pas d'art ni de littérature neutres. 2. - Il faut organiser la littérature et l'art révolutionnaires qui existent en France pour mener la lutte contre la littérature et l'art conformistes et les tendances fascistes qui s'y font jour. 3. - Il faut développer et organiser la littérature et l'art prolétariens qui sont en train de naître en France. 4. - Il faut que l'interpénétration de l'art et de la littérature révolutionnaires et prolétariens traduise le rapprochement des intellectuels et des ouvriers. 5. - L'art et la littérature révolutionnaires et prolétariens ne peuvent avoir pour but l'"exposé permanent et schématique d'une thèse". 6. - Les conditions économiques et politiques sont en France favorables au développement d'une action prolétarienne et révolutionnaire dans le domaine de l'art et de la littérature. Son principal animateur est Paul Vaillant-Couturier qu'entourent, dès 1933 : Louis Aragon, Jean Audard, Georges Bénichou, René Blech, André Breton, Louis Bunuel, René Crevel, Eugène Dabit, Paul Eluard, Elie Faure, Roger Francq, Jean Fréville, Georges Friedmann, Louis Guilloux, Francis Jourdain, Henri Lefebvre, Lods, Jean Lurçat, Man Ray, Léon Moussinac, Paul Nizan, Louis Paul, Benjamin Péret, Georges POlitzer, Georges Pomiès, Stephen Priacel, Jules Rivet, Romain Rolland, Georges Sadoul, Gérard Servèze, Pierre Unik, Jean Vigo, Charles Vildrac, Marcel Willard. Par la suite adhèrent à l'association : Jean Baby, Georges Altermann, Jacques Bartoli, Jean-Richard Bloch, Jean Cassou, Henri Chassagne, Jean Giono, Victor Margueritte, Vladimir Pozner, Edouard Peisson, Charles Plisnier, André Malraux en 1934.
ASSOCIATION FRANÇAISE POUR L’AVANCEMENT DES SCIENCES : Association qui nait en 1871 sous la présidence de Claude Bernard et qui a pour but de « favoriser, par tous les moyens en son pouvoir, le progrès et la diffusion des sciences, au double point de vue du perfectionnement de la théorie pure et du développement des applications pratiques ».
Chaque année, l’association tient, dans une ville de France, une session générale dont la durée est de huit jours, et dont elle publie le compte rendu. Depuis 1894, elle est fréquemment appelée sous l’abréviation de AFAS.
ASSOCIATION FRATERNELLE DES JOURNALISTES : Groupement maçonnique crée à l'entre-deux-guerres réunissant des journalistes professionnels et des collaborateurs de journaux et revues affiliés au Grand Orient, à la Grande Loge et au Droit Humain. Paul Laffitte est l’un des grands dirigeants du groupement et à la veille de la Seconde Guerre mondiale Camille Chautemps en est le présidentd d‘honneur et Georges Sadorge, rédacteur à l’Agence Fournier et à L’Evènement, membre dirigeant de l’Association des Journalistes informateurs des ministères en est le président.
ASSOCIATION MARIUS PLATEAU : Asso-ciation d'anciens combattants d'Action française constituée légalement le 22 janvier 1930 à l'occasion du septième anniversaire du meurtre politique de l'ancien combattant Marius Plateau, secrétaire général de la Ligue d'Action française et des Camelots du roi. A l'origine, le comité directeur de l'Association Marius Plateau était ainsi composé : Le président est Joseph Darnand, les vice-présidents sont l'amiral Schwerer et Maxime Réal, le célèbre sculpteur, le secrétaire général est Maurice Pujo, rédacteur en chef de l'Action française; le secrétaire adjoint étant Pierre Héricourt; membres: Marcel Guitton, Georges Bernanos, Binet-Valmer, Georges Calzant, Pierre de Cazenove de Pradines, Jacques Delebecque, Joseph Delest, Bernard Denisane, Georges Larpent, Georges Gaudy, Lucien Lacour, le colonel Georges Larpent et le Docteur Raymond Tourny. L'année suivante, c’est l'écrivain Georges Gaudy qui préside l’association et Robert Bourin entre au comité directeur.
ASSOCIATION NATIONALE RÉPUBLICAINE DES JEUNES : L’Association nationale républicaine des jeunes a été fondée au tout début de l’année 1914, dans le cadre de la Fédération républicaine progressiste, née elle-même en 1903. La constitution de ce groupement peut être considérée comme l’aboutissement d’une campagne lancée par un certain nombre de responsables de la Fédération républicaine depuis la fin du printemps 1913. La direction de l’association est confiée à un jeune avocat, Gaston Dumesnil (1879-1918), qui avait animé le secrétariat politique du sénateur Charles Prévet, président de la Fédération, et qui secondait le député Charles Benoist – bientôt appelé à prendre la successio de Charles Prévet – au sein de l’appareil de la propagande, mis en place en vue de faire triompher la cause de la « RP », c’est à dire la représentation proportionnelle. Elu député du Maine-et-Loire lors des élections générale de 1914, Dumesnil est tué sur le front pendant l’été 1918. Selon toute vraisemblance, l’association qu’il présidait avait mis fin à ses activités dès l’entrée en guerre du pays.
ASSOCIATION SCIENTIFIQUE DE L’ALGÉRIE : Association fondée en 1881 sous la présidence de chauveau, correspondant à l’Institut, professeur à la faculté de médecine de Lyon. C’est une filiale de l’Association française pour l’avancement des sciences.
ASSOCIATIONS (loi de 1901 sur les) : La loi du 1er juillet 1901, prise par le gouvernement de défense républicaine de Waldeck-Rousseau, s’inscrit explicitement dans le cadre de la politique anticléricale. Il s’agit de briser la puissance des congrégations religieuses révélée par l’Affaire Dreyfus : grâce à leur richesse, elles animent une presse influente, développent des collèges religieux (les « jésuitières ») où sont souvent formés les cadres de l’armée et parfois de l’administration, et prolifèrent ainsi grâce à l’imprécision du cadre juridique qui les régit, constituant le cadre du parti monarchiste et nationaliste. La loi votée contre « les moines d’affaires et les moines ligueurs » donne aux associations non professionnelles (la constitution des associations professionnelle est autorisée depuis 1884) toute liberté de se former, une déclaration n’étant obligatoire que si elle souhaitent disposer de la capacité civile. En revanche, selon l’article 13, les congrégations religieuses ne peuvent se former sans autorisation législative, les membres des congrégations non autorisées n’ont pas le droit d’enseigner et les préfets ont un pouvoir de contrôle sur les biens des congrégations de leur ressort. Les effets de la loi seront doubles. Premièrement, elle va permettre aux partis politiques qui sont alors en voie de formation de se doter de structures modernes avec adhérents, bureaux, cotisations, etc. Deuxièmement, elle va aboutir, après les élections de 1902, au rejet en bloc, par la nouvelle Chambre des demandes d’autorisation déposées par les congrégations, ce qui entraînera la protestation de Waldeck-Rousseau qui considère qu’on transforme une loi de contrôle en loi d’exclusion.
LATREILLE (A.), RÉMOND (R.) : Histoire des catholiques français, t. 3, Paris, Editions Spes, 1962.
MAYEUR (Jean-Marie) : La vie politique sous la IIIe République, Paris, Le Seuil, 1984.
REBÉRIOUX (M.) : La république radicale ? (1898-1914), Paris, Le Seuil, 1975.
ASSURANCES SOCIALES : Appelées aussi assurances ouvrières, les assurances sociales ont pour but de protéger les travailleurs contre l’insécurité économique (assurance contre les accidents du travail, l’invalidité, la vieillesse, la maladie, le chômage). Leur régime est déterminé principalement par la loi du 1er avril 1898 sur les accidents du travail, et des 5 avril 1928 et 30 avril 1930 sur les assurances maladie, maternité, invalidité, vieillesse, décès.
Une disctinction reste maintenue entre le risque dit professionnel, qui tient à l’exercice même du métier, et le risque dit social, qui tient aux conditions générales de la vie en société et à la situation spéciale des salariés. Les lois de 1928-1930 avaient créé ses propres services administratifs organisés sur des bases départementales puis, à partir de 1935, régionales. Dans la grande majorité des départements, leur mise en place s’est heurtée à la multiplicité des caisses et à la concurrence qu’elles se sont livrées auprès des assurés. De plus, l’opposition des employeurs, le retard avec lequel ils se sont acquittés de leurs cotisations ont souvent freiné les remboursements et mis en péril l’équilibre financier des caisses. Leur bon fonctionnement a aussi été tributaire de la façon dont les municipalités ont aidé leurs administrés à se familiariser avec les conséquences de la nouvelle loi. Quand les maires se sont faits les propagandistes du système, le nombre d’affiliés a été rapidement plus important que dans les départements où l’information n’a pas été aussi bien relayée par l’administration locale. La couleur politique a elle aussi joué dans la facilité ou la difficulté du système à se mettre en place. Il reste que seule une comptabilisation des affiliations, malaisée en raison des affiliés facultatifs, pourrait donner une vision réelle de la situation.
Néanmoins, les différentes caisses d’assurances ont rapidement joué un rôle sanitaire et de santé publique, auquel la médecine libérale était dans l’ensemble hostile. Car, du fait de la possibilité pour les hôpitaux de recevoir désormais des assurés sociaux (même si la loi restait confuse sur le principe de remboursement), les médecins – outre la question des honoraires – ont eu peur de la concurrence qu’auraient pu leur faire les établissements régionaux. La situation créée par le système des Assurances sociales a néanmoins abouti à la réorganisation du système hospitalier, acquise en 1941, mettant au premier plan les problèmes du financement et de la gestion économique des hôpitaux. Accentuant une tendance séculaire, ceux-ci perdirent un peu de leur rôle traditionnel de centre d’assistance au profit d’une mission nouvelle et rémunératrice de centre de soins.
Les réticences furent tout aussi grandes du côté du patronat. Peu pressé de financer la protection des salariés, mais vite persuadé qu’il lui était impossible d’empêcher la loi, il a mis en place une stratégie de contournement en créant des caisses d’assurances interprofessionnelles qu’il contrôlait. Cette hostilité fut également importante du côté de la mutualité qui craignait de perdre ses affiliés mais qui s'investit néanmoins dans le système et fit l'apprentissage de la coopération avec l'État. Quant aux syndicats, longtemps opposés à ce qu’ils considéraient comme une mainmise de l’État, davantage au service du patronat qu’à celui de la classe ouvrière, ils eurent des positions différentes : CGT et CFTC soutinrent et s'investirent dans les Assurances sociales que la CGTU dénonça de façon virulente jusqu'en 1937 où les unitaires se rallièrent au système avec discrétion. Toutefois, il y a bien changement entre les années 1930 et les années 1960, et revirement syndical vis-à-vis de l’organisation de la protection sociale, l’instauration de la Sécurité sociale étant présentée depuis la deuxième moitié des années 1940 comme une « grande conquête » ouvrière et syndicale, ce qui n'avait pas été le cas pour les Assurances sociales. Il est vrai qu’en ce qui concerne l’histoire de la protection sociale sur la longue durée, la thèse de la rupture de la Libération qui a longtemps prévalu parmi les acteurs et les historiens à leur suite, peut être désormais réappréciée : tant du point de vue des critiques au système, que du personnel chargé de sa gestion et du poids des médecins, les éléments de continuité l’emportent dans une séquence historique allant de l’instauration des retraites ouvrières et paysannes en 1910 aux grèves de 1995 pour la défense de la retraite et de la « Sécu ».
La part des assurés, par le biais des organisations syndicales et patronales, dans la gestion du système a été inégale selon les régions, oscillant entre éviction et responsabilité dans la distribution des prestations, de la conception de l’action sanitaire, du recouvrement des cotisations, dans la gestion de l’appareil, celle des personnels et dans la nomination des directeurs de caisse. Cette grande variété, mise en lumière par les études départementales, se retrouve dans l’étude des personnalités (notables, petits et grands patrons, syndicalistes, mutualistes, ouvriers et paysans), ayant défendu ou pourfendu le système.
ASSURANCES SOCIALES (Médaille d’hon-neur des) : Instituée en 1923 par le ministère du Travail, pour récompenser les personnes qui ont contribué à la diffusion et au fonctionnement des assurances sociales. Elle est en bronze, argent ou or. Le ruban est bleu, avec une bande médiane rouge. Il comporte une rosette pour la médaille d’or.
ASTRUC (Zacharie), 1835-1907 : Littérateur, peintre et scultpteur. Né à Angers en 1835, la statue en bronze de Zacharie Astruc, Le Marchand de masques (1883) est bien connue. Il obtient des chanoines de Tolède la permission, jusque là refusée, d’exécuter une copie de Saint François d’Assise d’Alonso Cano. Il décède à Paris en 1907.
ATELIER (L’) : Troupe d’acteurs organisée et dirigée par Charles Dullin et qui, après avoir débutée en 1922 à Paris sur la scène du Vieux-Colombier, s’est établie au Théâtre Montmartre. Son programme est de coopérer à l’amélioration de l’art dramatique, tant par le choix des œuvres que par le jeu des acteurs. L’Atelier a fait connaître, entre autres, Pirandello.
ATGET (Jean-Eugène-Auguste), 1857-1927 : Photographe. Né le12 février 1857 à Libourne, (Gironde), orphelin à l'âge de cinq ans, Eugène Atget est élevé par ses grands-parents. Après de courtes études secondaires, il s'embarque comme mousse dans la marine marchande, et sera, de 1875 à 1877, sur un navire des lignes d’Afrique.
En 1879, il rentre au Conservatoire, et réussit. Il commence une carrière d'acteur qu'il poursuivra durant quinze ans, sans grande réussite puis, en 1885, il entre dans une troupe ambulante de comédiens. L'année suivante, victime d'une affection des cordes vocales, il abandonne le théâtre et Paris pour se lancer dans la peinture, le dessin et la photographie. Il comprend vite que les peintres, architectes et graphistes ont besoin de documentation, c'est alors qu'il se tourne vers la photographie. Il commence à photographier systématiquement, avec l'intention de réunir une collection documentaire à destination des peintres. Il s'attache d'abord à des sujets mineurs : les « petits métiers de Paris » qu'il voit disparaître, les cours d'immeubles, les devantures des boutiques. Ce travail l'amène à développer le projet de photographier tout ce qui, à Paris, est artistique ou pittoresque. Malgré son illustre clientèle d'artistes (Georges Braque, André Derain, Maurice Utrillo, Maurice de Vlaminck, André Dunoyer de Segonzac, Moïse Kisling, Tsugouharu Foujita), la situation financière d'Atget est précaire, particulièrement durant et après la Première Guerre mondiale, au cours de laquelle il cesse progressivement de photographier jusqu'aux années 1920.
Et c'est peu avant sa mort dans la misère, le 4 août 1927 à Paris, que les surréalistes, notamment Man Ray, découvrent son œuvre.
E. ATGET, Atget, Paris par L. Beaumont-Maillet, Paris, Hazan, 1992, coll. : « Pavés »
A. BUISINE, Eugène Atget ou la mélancolie en photographie, J. Chambon, 1994, coll. : « Rayon photo ».
S. AUBENAS, Arbres inédits d’Atget, phot. E. Atget, Marval, 2003.
J.C. LEMAGNY, L. LEBART, S. AUBENAS, Atget le pionnier, Marval, 2000.
Laure Beaumont-Maillet, Atget Paris, Hazan, 2003.
Le Paris d'Atget, Taschen, coll. « Icons », 2004.
Sylvie Aubenas, Laure Beaumont-Maillet, Clément Chéroux, Olivier Lugon, Guillaume Le Gall (dir.), Atget : une rétrospective, Hazan, 2007.
J. LEROY, Atget, magicien du vieux Paris en son époque, Paris audiovisuel Agis, 1992 (rééd. ouvrage de 1975).
ATTENTATS :
Dans la nuit du 31 mai au 1er juin 1905, à Paris, une bombe est lancée sur le cortège officiel du président Loubet et de son hôte, le roi d'Espagne Alphonse XIII. Ils sont indemnes, mais l'explosion blesse plusieurs personnes et tue un des chevaux de l'escorte. Le responsable, un anarchiste espagnol répondant au nom d'Alexandre Farras (faux nom) ou Avino, ne fut jamais arrêté. Mais le 27 novembre 1905, quatre anarchistes dont Charles Malato et Pedro Vallina, passeront en jugement pour complicité dans l'attentat, ils seront finalement acquittés
AUBAUD (Raoul, François, Régis), 1881-1966 : Homme politque. Né au Havre (Seine-Inférieure) le 3 novembre 1881, Raoul Aubaud, est élu en 1926 secrétaire général du part radical socialiste. Au moment du Front populaire, Léon Blum lui demande d‘entrer dans son cabinet juin 1936-juillet 1937) comme sous-secrétaire d’Etat à l’Intérieur, chargé de s’occuper des affaires algériennes. A ce poste, il prend en charge l’administration locale jusqu’à la démission du second cabinet Blum en avril 1938. Une polémique se développe alors sur les conditions de naturalisation des Français d’origine indigène, et il doit défendre la conception du gouvernement devant les députés. Membre du conseil de l’ordre du Grand Orient de France, l s’ntéresse aussi à la situation des personnels départementaux et communaux et à leurs retraites. Il décède à Paris le 24 décembre 1966.
AUBE (Hyacinthe, Laurent, Théophile), 1826-1890 : Vice-amiral et homme politique. Né à Toulon (Var), le 22 novembre 1826, Aube est d’abord capitaine de vaisseau en 1870, prend part aux combats de l’armée de la Loire, devient gouverneur de la Martinique en 1879, contre-amiral en 1880 et vice-amiral en 1886. Auteurs de nombreux travaux hydrographiques remarqués, il a publié Un Nouveau Droit maritime international en 1875, Entre deux campagnes, notes d’un marin en 1881, La Martinique, son présent et son avenir en 1882, La Guerre maritime et les Ports militaires de la France en 1882, Italie et levant en 1884, A terre et à Bord en 1884, Marine et Colonies en 1886, etc.
Beau-frère de l’amiral Jauréguberry, il entre dans le troisième cabinet Freycinet (janvier-décembre 1886) comme ministre de la Marine et des Colonies. Poste qu’il conserve dans le minsitère Goblet (décembre 1886-mai 1887), il tente de faire prévaloir ses vues sur la nouvelle guerre navale. Pour lui, la torpille a tué le cuirassé, la vitesse et la moblité des bâtiments deviennent la priorité absolue, et l est nécéssaire des points de ravitaillement à terre et et des abris parfaitement sûrs. Pour atteindre ces buts, il n’hésite pas à organiser en mai 1886 d’immenses manoeuvres navales opposant deux divisions au large de Toulon. Les torpilleurs sortent grands vainqueurs de l’expérience, confirmant aussi la justesse des vues du ministre. Il décède à Toulon le 31 décembre 1890.
AUBÉPIN (Henry), 1869- : Avocat. Né au Blanc (Indre) en 1869, Henry Aubépin est le fils d’un président au tribunal de la Seine. Il débute au Palais en qualité de secrétaire du bâtonnier Ployer et devient secrétaire de la Conférence des avocats (1895).
Avocat de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques, de la Société des gens de lettres, il plaide surtout des causes civiles ; toutefois, pendant la Première Guerre mondiale, il se fait entendre devant les conseils de guerre (affaire Lenoir, Desouche ; affaire de Maubeuge, etc.). Membre du conseil de l’ordre de 1914 à 1919, puis en 1923, il est élu bâtonnier en juin 1925.
AUBERT (Louis), 1877-1968 : Compositeur. Né à Paramé (Ille-et-Vilaine) le 19 février 1877, Louis Aubert est l’élève de Fauré, auteur de nombreuses œuvres d’un style personnel dans presque tous les genres. Parmi les plus importantes : Fantaisies, Poèmes arabes, la Habanera, la Forêt bleue. Il décèdera à Paris le 9 janvier 1968.
AUBERTIN (Charles), 1825-1908 : Professeur. Né à Saint-Dizier en 1825, Charles Aubertin est professeur à l’Ecole normale supérieure en 1867. Il devient recteur de l’Académie de Clermont, puis de Poitiers (1873-1880). Ses principaux ouvrages sont : Etude critique sur les rapports supposés entre Saint-Paul et Sénèque (1857), thèse de doctorat ; L’Esprit public au XVIIIème siècle (1872) ; Histoire de la langue et de la littérature françaises au moyen âge (1876) ; L’Eloquence politique et parlementaire en France avant 1789 (1882). Il décède à Dijon en 1908.
AUBLET (Albert, Louis), 1850-1938 : Peintre. Né à Paris le 18 janvier 1851, Albert Aublet est l’élève de Gérôme. Il commence par la peinture d’histoire, puis s’adonne au portrait et à la peinture de genre. Il est remarqué dès ses débuts par la critique et les collectionneurs ; ses principales œuvres : Intérieur de boucherie au Tréport (1873) ; Néron empoisonnant une esclave (1876) ; Le Christ sur une mer d’orage (1877) ; Henri de Guise chez Henri III à Blois ; La Salle d’inhalation du Mont-Dore ; Les Derviches hurleurs (1882). Il donne une toile Autour d'une partition de Massenet (1890) représentant les compositeurs Jules Massenet, Vincent d'Indy et Claude Debussy. Albert Aublet a illustré Fort comme la mort, de G. de Maupassant.
AUBOURG DE BOURY (Ernest, Géraud, Charles), 1857-1940 : Propriétaire-agriculteur et homme politique. Né à Amfreville-le-Campagne (Eure) le 14 octobre 1857, Aubourg de Boury est élu conseiller général d’Amfreville-la-Campagne en 1894, maire en 1899 et député de l’Eure en 1900 s’inscrivant au groupe progressiste. Réélu en 1902, il s’oppose à la séparation des églises et de l’Etat. Réélu de 1906 à 1914, il se retire de la vie politique en 1919 pour entrer au monastère bénédictin de Hautecombe. Il meurt à Amfreville-le-Campagne le 2 décembre 1940.
AUBRY (Octave), 1881-1946 : Historien. Né à Paris le 1er septembre 1881, Octave Aubry devient docteur en droit puis licencié en histoire ; Il suit d’abord la carrière administrative aux minitères de l’Intérieur, de la Justice, puis de l’Instruction publique, où il accède au grade de chef de cabinet en 1911. Dès 1904 cependant, il avait fait paraître un recueil poétique qu’allait suivre une série de romans historiques : La Face d’airain (1906), Sœur Anne (1912), etc. Octave Aubry abandonee ce genre, au moment même où, pendant les années d’après-guerre, il connaît une grande vogue, pour aborder l’histoire, d’abord anecdotique, avec Marie Walewska (1925), Le Roman de Napoléon (1926), Le Lit du roi (1926), que les amours de Louis XV ; puis, l’histoire véritable, en mettant à jour l’époque encore mal connue du Secomd Empire, avec Napoléon III (1929) et L’Impératrice Eugénie (1931). Le Roi de Rome, qui renouvèle complètement le sujet, en 1932, grâce à une importante documentation inédite, permet à l’auteur d’affirmer sa maîtrise dans un genre original, conciliant la rigoureuse exactitude de la documentation, et l’attachement passionné au romanesque individuel et historique. On en trouvera d’excellente illustration dans Napoléon (1936) et surtout dajs Sainte-Hélène (1935)qui pourrait être bien le travail définitif consacré à la captivité de l’Empereur. Il décède à Paris le 27 mars 1946.
AUCOC (Jean, Léon), 1828-1910 : Jurisconsulte et administrateur. Né à Paris en 1828, maître des requêtes au Conseil d’Etat, puis conseiller d’Etat, sa compétence dans les matières administratives et ses idées libérales lui valent, après le 4 septembre 1870, d’être le seul conseiller maintenu dans ses fonctions comme membre de la commission provisoire chargée de remplacer l’ancien Conseil d’Etat. Lors de la nomination du Conseil d’Etat par l’Assemblée nationale, il est élu conseiller, puis nommé président de la section des travaux publics. Membre de l’Académie des sciences morales et politiques en 1877, il est l’auteur de nombreux ouvrages comme : Le Conseil d’Etat avant et depuis 1789 (1876) ; Conférences sur l’administration et le droit administratif (1882-1886) ; L'Institut de France, lois, statuts et règlements concernant les anciennes académies et l'Institut de 1635 à 1889 (1889) ; De l’usage et de l’abus en matière de législation comparée (1892) ; Code de l’organisation judiciaire de Russie (1894) ; La Discipline de la Légion d’honneur (1895). Il décède à Paris en 1910.
AUDEBRAND (Philibert), 1815-1906 : Littérateur. Né à Saint Amand (Cher) en 1815, Philibert Audebrand est d’abord un journaliste fécond. Il publie de nombreux romans parmi lesquels on pourrait citer : Les Yeux noirs et les yeux bleus (1878) ; La Fille Caïn (1884) ; des souvenirs et études littéraires comme Léon Gozlan (1887) ; Soldats, Poètes et Tribuns (1900) ; Lauriers et Cyprès (1903) ; Romanciers et Viveurs du XIXème siècle (1904) ; Les Derniers jours de la Bohème (1905) ; etc. Le talent d’Audebrand, souple et varié était essentiellement parisien et boulevardier. Il décède à Paris en 1906.
AUDIFFRED (Jean-Honoré), 1840-1917 : Homme politique. Né le 12 décembre 1840 à Jausiers (Basses-Alpes), Jean Audiffred est élu député de la Loire de 1879 à 1904 puis sénateur de la Loire en 1895 et de 1904 à 1917. Membre de divers commissions, il participe à de nombreuses discussions, notamment sur les caisses de retraites, de secours ou de prévoyance, sur le tarif des douanes, sur les caisses d'épargne et sur le budget de l'agriculture, sur les accidents du travail, sur l'achèvement du canal de la Loire au Rhône, etc. Il meurt le 27 octobre 1917 à Saint-Pierre-La-Noaille (Loire).
AUDOUX (Marguerite-Marie Donquichote, dite), 1863-1937 : Romancière. Née à Sancoins (Cher) le 7 juillet 1863, Marguerite Audoux y vit jusqu’à 1868. Sa mère étant décédée de tuberculose en 1866 et leur père l’ayant abandonnée après quelques mois, Marguerite est accueillie par une tante. Elle est pensionnaire de l’orphelinat religieux de Bourges de 1868 à 1876. Marguerite est placée chez un tailleur à Neuvy sur Barangeon en 1876-1877. Bergère à la ferme de Berrué à Sainte-Montaine, à huit kilomètres d’Aubigny, entre 1877 et 1881, c’est là que la découverte d’un vieux livre (les Aventures de Télémaque) dans un grenier lui ouvre le monde des histoires. Après un court passage à l’orphelinat de Bourges, elle part pour Paris. Elle occupe différents logements précaires, et différents emplois (manutentionnaire, couturière, blanchisseuse à l’hôpital Laënnec,...).
En gardant les deux filles abandonnées par sa soeur, elle commence à écrire ses souvenirs dans Marie-Claire puis en écrit un second : l’Atelier de Marie-Claire en 1920. Suivent d’autres romans : De la ville au moulin (réimprimé en 1927) et Douce Lumière (publié en feuilleton dans Le Journal en 1937), ainsi qu’un recueil de contes, comprenant, entre autres, Le Chaland de la Reine et La Fiancée (1910). Elle habite à Saint-Raphaël à partir d’octobre 1936. Malgré ses succès littéraires, elle meurt pauvre et oubliée à l’hôpital de Saint-Raphaël (Var) le 1er février 1937.
ITHURIBIDE (J.) : Celle qui fut Marie-Claire ; étude sur la vie et l’œuvre de Marguerite Audoux, 1937.
AUDRAN (Edmond), 1842-1901 : Compositeur. Né à Lyon le 11 avril 1842, Edmond Audran est le fils d’un musicien et directeur du conservatoire de Marseille. Ayant fait ses études à l’école de musique religieuse, il s’établit ensuite à Marseille en 1861, en même temps que son père, comme maître de chapelle à l’église Saint-Joseph. Seize ans plus tard, il revient à Paris et obtient un grand succès en faisant représenter Le Grand Mogol en 1877. Il se consacre désormais à des œuvres légères (bien qu’il ait également composé une messe et un oratorio), La Mascotte (1880) et Miss Heylett (1890) font de lui un des plus célèbres compositeurs d’opérettes. Audran est un héritier d’Offenbach mais, selon la tendance générale de l’opérette à l’époque, il dédaigne les effets outranciers pour se rapporcher de l’opéra-comique. Il meurt à Tiercelin (Seine-et-Oise), le 17 août 1901.
AUFFRAY (Jules), 1852-1916 : Homme politique. Né à Paris le 3 novembre 1852, Jules Auffray est député de Paris de 1902 à 1906. Petit fils de l'un des médecins de Napoléon III, il n'a pas dix-huit ans quand il s'engage dans un bataillon de mobiles et prend part à divers combats sous Paris. Démobilisé il continue ses études et réussit une licence de lettres et un doctorat en droit. Reçu premier au concours d'auditeur au Conseil d'État en 1878, il démissionne en 1880 au moment de la promulgation des décrets visant les congrégations. Il s'inscrivit au barreau de Paris et se consacra à la politique et à la défense religieuse dans le comité présidé par M. de Mackau. Il dirigea pendant plusieurs années le Journal de Saint-Germain, organe catholique et royaliste. Il se fit connaître comme orateur enthousiaste et persuasif dans de nombreuses réunions catholiques, parlant notamment contre les laïcisations et en faveur de la liberté de l'enseignement. Il fut un ardent boulangiste avant d'être un non moins ardent anti-dreyfusard et fougueux défenseur de l'État-major. Inscrit à la Chambre au groupe des Républicains nationalistes il continua à se montrer plein d'ardeur. Il meurt à Paris le 7 avril 1916.
AUGAGNEUR (Jean-Victor), 1855-1931 : Médecin et homme politique. Né à Lyon, le 16 mai 1855, Victor Augagneur est issu d'une famille bien ancrée dans la bourgeoisie catholique. S'il fait des études au séminaire de Semur-en-Brionnais, il opte ensuite pour la filière médicale où il grave les échelons: interne des hôpitaux en 1875, il est reçu docteur en 1879. Chef de clinique chirurgicale à la faculté de médecine de Lyon en 1881, il est nommé chirurgien à l'hôpital de l'Antiquaille avant de décrocher l'agrégation en 1886 et de devenir professeur titulaire de pathologie chirurgicale en 1894. Mais à cette date, il y avait déjà quelques années que la chose publique l'avait accaparé. Augagneur le devait à son milieu professionnel. Il faut dire que si la Troisième République était réputée pour être celle des avocats, à Lyon l'exercice municipal revenait plutôt, en ce XIXème siècle, au monde médical : après Jean-François Terme et Jacques Hénon, c'est en effet, dès 1881, le "pipa Gailleton", comme le surnommaient gentiment les lyonnais, qui avait accédé à la mairie. Or ce chirurgien-chef de l'Antiquaille n'avait pas manqué de remarquer à ses côtés cet homme dont l'énergie se couplait avc le physique. Victor Augagneur, élu conseiller municipal sur la liste de Gailleton en 1888, venait, deux ans plus tard, d'être élevé au rang d'adjoint. Une position qui l'encourage à persévérer, malgré le temps qu'il consacrait à ses travaux, dans le cadre de ses activités professionnelles, qui le posaient en spécialiste d'une maladie, fléau de l'époque: la syphilis. Sa thèse de doctorat, en 1879, avait pour sujet La syphilis héréditaire tardive. Dans ce domaine, il tranchait par ses prises de position, hostiles à la police des mœurs, et à la réglementation de la prostitution. Politiquement, Augagneur ne devait cependant guère tarder à se séparer de son maître car, comme cela arrive fréquemment, il ambitionna de prendre sa place. La lutte fut rllde car le débonnaire et matois Gailleton était un adversaire coriace. solide chef de file du "Comité central et radical". A l'assaut de la mairie, en 1892, Augagneur conduisit sa propre liste, au pas de charge, tout en essayant de se donner une coloration différente: ce qui le classait dans une tendance prônant le " réformisme des intellectuels socialistes indépendants ou républicains-socialistes .Un socialisme assez insuffisant, en tout cas, pour convaincre les Lyonnais qui le rejetèrent également en 1896. Il fallut attendre 1900 polir voir enfin Augagneur récompensé de ses efforts et s'installer dans le fauteuil de Gailleton.
On ne peut pas dire que le nouveau maire n'imposa pas son image. Il faut toutefois estimer Augagneur à la réalisation de son programme, qui comportait quelques grands projets. On mit souvent en avant, parmi les dossiers qu'il défendit celui de la suppression des octrois de Lyon, qui frappaient les denrées de première nécessité et dont on dénonçait ici et là, depuis des lustres, l'existence pénalisante pour" la classe des ouvriers » et celle des" propriétaires-rentiers ». L'affaire, houleuse lors des débats municipaux, remonta jusqu'à la Chambre pour aboutir, en juin 1901, au vote d'une loi sur la suppression des octrois, auxquels on substitua d'alltres taxes, sur les alcools en particulier. Inutile de préciser qu'Augagneur voyait grand et que parmi ses desseins de maire il envisagea de repousser les frontières de sa ville. Il n'est certes pas le seul à avoir ambitionné la formation d'un "Grand Lyon" et il reçut d'abord l'approbation unanime de son conseil sur l'annexion, totale ou partielle, des communes de Villeurbanne, de Bron, Saint-Fons, Vénissieux, Saint Rambert-I'lle-Barbe et Caluire Lyon serait ainsi à la tête de huit beaux arrondissements. Inutile de dire qu'a l'extérieur - à Villeurbanne en particulier - ce projet fut vigoureusement combattu et il regagna de profonds tiroirs où il dort, semble-t-il toujours, en dépit d'éphémères résurgences. Le tableau sur le règne d'Augagneur à la mairie serait incomplet si l'on n'évoquait pas la croisade anticléricale chère au « Bloc des gauches ". En cette période où la séparation de l'Eglise et de l'Etat chauffait à blanc les esprits, la municipalité lyonnaise n'était pas la dernière, son premier représentant en tête, à alimenter des "manifestations républicaines" où les crise de "A bas la calotte, vive la République!" s'opposaient à ceux de "Vive la Liberté! Vivent les Soeur" Tout cela fut interrompu par le départ impromptu d'Augagneur de l'hôtel de ville. On s'interroge encore sur le choix qu'il fit en 1905 d'accepter le poste de gouverneur général de Madagascar et de se priver, du coup, de sa mairie. Certains y voyaient, ironiquement, des motifs d'ordre personnel (liés à sa vie privée ?). D'autres penseront qu'il songeait à soigner sa carrière en espérant secrètement revenir un jour à Lyon. Le jeune Edouard Herriot, son surprenant successeur, ne lui en laissera pas le loisir, Augagneur revint pourtant sur Lyon, élprès sa mission dans l'île lointaine qui s'acheva en 1910. Il retrouva, au premier tour des élections d'avril de cette année-là, son siège de député du Rhône mais son destin national parut l'écarter une nouvelle fois de ses bases lyonnaises. Il eut, en .effet, l'honneur d'être appelé en juin 1911 par Joseph Caillaux au ministère des Travaux publics, des Postes et des Télégraphes puis en 1914, dans un cabinet dirigé par Viviani, à l'Instruction publique et aux Beaux-arts. La guerre le transforma en ministre de la Marine, mais Augagneur fut mis en difficulté après l'échec des Dardanelles. Il retourna fin 1915 aux bancs de la Chambre, prenant place dans d'innombrables commissions parlementaires. Non réélu aux élections de 1919, il s'abstint aux suivantes et se consola avec un poste de gouverneur de l'Afrique équatoriale. S'il reconquit son siège de député du Rhône en 1928, il décède le 23 avril 1931 dans une maison de retraite du Vésinet.
CHAUVY (G.) : Ces Lyonnais qui ont marqué le siècle
AUGE (Justin), 1850-1925 : Homme politique. Né à Béziers (Hérault) le 31 mars 1850, Justin Auge est député de l'Hérault de 1897 à 1910. Il venait de terminer ses études au collège de Béziers, lorsque éclata la guerre de 1870. Devançant l'appel de sa classe, il s'engagea au 1er régiment de zouaves et fit la campagne de 1870-1871 aux armées de la Loire et de l'est. Démobilisé, il fonda un commerce de vins, puis il se consacra à la viticulture qu'il défendit en tant que secrétaire du comice agricole, conférencier et journaliste. Il fut élu conseiller général du canton de Capestang en janvier 1890 contre un candidat boulangiste. C'est à l'élection partielle du 28 février 1897 qu'il fut élu pour la première fois député. Il s'inscrivit au groupe radical-socialiste et fut membre de diverses Commissions. Toutes ses interventions, rapport de projets, dépôt de propositions de lois ont rapport avec le vin : suppression de droit d'octroi sur les boissons hygiéniques, distribution de vin aux troupes création d'une caisse d'assurance agricole, lutte contre les fraudes, etc. Il meurt à Paris le 2 janvier 1925
AUGÉ (Jean-Claude), 1854-1924 : Lexicographe. Né à L’Isle-Jourdain (Gers) en 1854, Claude Augé quitte l’enseignement pour entrer à la maison Larousse dont il devient, en 1885, un des directeurs. Il commence par écrire pour l’enseignement de la musique des œuvres d’une méthode, sûre, claire et attrayante : Le Livre de musique (1889) ; Les Chants de l’enfance (1892) auxquels il joindra plus tard La Lyre de France en 3 séries (1896, 1900, 1903). Pour l’enseignement, il écrit encore son Cours d’Histoire (en collaboration avec Maxime Petit ; 1891-1896) et son Cours de Grammaire (1890-1895), qui obtiennent également la plus large notoriété. Mais il est plus connu encore par la série des dictionnaires dont il a, digne successeur de Pierre Larousse, dirigé la publication : le Nouveau Larousse illustré en sept volumes (1897-1904) ; la refonte du Petit Larousse (1905) ; le Suppléant (1906) du Nouveau Larousse ; le Larousse pour tous en 2 volumes (1907-1908) ; le Larousse élémentaire (1914) ; le Larousse universel (1920) en 2 volumes ; le Nouveau Petit Larousse illustré (1924) ; sans oublier le Larousse Mensuel illustré, revue fondée en 1907. Toutes ces œuvres, universellement appréciées, attestent l’activité, la volonté, l’esprit de suite, la largeur d’esprit de leur créateur. Il décède à Fontainebleau (Seine-et-Marne) en 1824.
AUGOUARD (Prosper), 1852-1921 : Missionnaire et prélat. Né à Poitiers le 16 septembre 1852, missionnaire de la congrégation des Pères du Saint-Esprit, il est envoyé au Gabon en 1877, prend part à l’exploration de Savorgnan de Brazza, parcourt des régions encore inconnues et fonde de très nombreux centres de mission d’influence française. Vicaire apostolique de l’Oubangui à partir de 1890, archevêque de Cassiopée en 1905, il poursuit sans relâche son œuvre civilisatrice. Ses lettres ont été réunies sous le titre de Vingt-huit années au Congo : lettres de Mgr. Augouard (Poitiers, 1905). C’est en juillet que Mgr Augouard quitte le Gabon pour la France et meurt à Paris le 3 octobre 1921.
AUGUEZ (Numa), 1847-1903 : Chanteur. Né à Saleux (Somme) en 1847, Numa Auguez est élève au Conservatoire et entre en 1871 à l’Opéra où il y reste pendant dix ans. En 1883 et 1884, il chante en Italie, puis revient à Paris et se fait entendre tant au théâtre que dans les grands concerts. Il devient en 1899, professeur au Conservatoire et meurt à Paris en 1903.
AUGUSTIN-THIERRY (Gilbert), 1843-1915 : Ecrivain. Né à Paris en 1843, Gibert Augustin-Thierry est le neveu de d’augustin Thierry et fils d’Amédée. Il publie, sous le Second empire un important travail sur les révolutions d’Angleterre et, ensuite, un grand nombre de romans, presque tous historiques, a tendances idéalistes, et où il aime à faire entrer un élément supranaturel. Citons L’Aventure d’une âme en peine (1875) ; Le Capitaine Sans-Façon (1882) ; Marfa (1887) ; La Tresse blonde (1888) ; La Savelli (1890) ; Récits de l’occulte (1892) ; Le Stigmate (1898) ; Conspirateurs et Gens de police (1903) ; La Mystérieuse affaire Donnadieu (1909) ; Les Grandes Mystifications littéraires (1911) ; La Fresque de Pompéi (1912). Il meurt à Paris en 1915.
AULARD (François-Victor-Alphonse), 1849-1928 : Professeur et historien. Né à Montbron (Charente) le 19 juillet 1849, Alphonse Aulard enseigne susscessivement aux facultés de lettres d’Aix, Montpellier, Poitiers, puis, de 1885 à 1922, il occupe la chaire d’histoire de la Révolution française, qui accomplit un important travail de renouvellement et de vérification des travaux existant sur le sujet. La contribution personnelle d’Aulard à cette besogne est immense : il s’occupe de l’important receuil de documents Recueil des Actes du Comité de Salut Public (26 volumes, 1889-1924) ; il fait des recherches sur L’Éloquance parlementaire pendant la Révolution française (3 volumes 1882-1885) ; il écrit des ouvrages sur Danton (1884), sur La Révolution française et le régime féodal (1919) et sur Le Christianisme et la Révolution (1925). Mais son œuvre la plus importante demeure l’Histoire politique de la Révolution ; origines et développement de la démocratie et de la République, qui le montre historien précis, soigneur, bien informé, mais peu capable d’effectuer la synthèse des résultats de son enquête. En marge de son activité d’historien, il faut rappeler son activité journaliste (il était membre du parti radical et collabore à La Justice, L’Ère nouvelle, La Dépêche, Le Quotidien), critique (Essai sur les idées philosophiques et l’inspiration poétique de G. Leopardi, 1887, tiré de sa thèse sur Leopardi de 1877) et, finalement, de traducteur non dépourvu de dons littéraires et d’habileté philologique, Poésies et œuvres morales de Leopardi (3 volumes, 1880). Il décède à Paris le 23 octobre 1928.
AURIOL (Jean-Georges Huyot, dit George), 1863-1938 : Littérateur et artiste. Né à Beauvais (Oise) le 26 avril 1863, George Auriol fait ses débuts publics en 1885, à l'âge de 22 ans comme secrétaire de la rédaction du Chat Noir, un cabaret populaire de Montmartre. Il a d'ailleurs lui même composé plusieurs chansons d’une agréable saveur : Les Rondes du valet de carreau (1887) ; Sur le pont d’Avignon (1889) ; Rondes et Chansons d’avril (1890) ; Chansons d’Ecosse et de Bretagne (1892). Puis il a composé des fantaisies humoristiques, où il s’est révélé un observateur pince-sans-rire et narquoi : Histoire de rire (1892) ; En revenant de Pontoise (1893) ; J’ai tué ma bonne (1894) ; Hanneton vole (1895) ; Ma chemise brûle (1896) ; Le Chapeau sur l’oreille (1897) ; A la façon de Barbari (1898) ; La Charue avant les bœufs (1902) ; L’Hôtellerie du Temps perdu (1905) ; etc. Dessinateur, il s’est crée, dans la décoration du livre
En 1902, cet illustrateur (il travaille pour Larousse ou Hachette) doublé d'un lettreur doué, se lance dans la typographie et créé plusieurs caractères d'imprimerie d'inspiration Art Nouveau dont celle qui porte son nom et dont Hector Guimard s'inspira pour le lettrage des stations du métro parisien. Il collabora avec la Fonderie G. Peignot et Fils pour qui il crée plusieurs caractère typographiques : la française-légère, la française-allongée, l'Auriol-labeur, l'Auriol-champlevé et le Robur. Il a publié en 1902, 1909 et 1924 ses trois Livres de cachets et monogrammes. Il finira sa carrière comme professeur de dessin à l'école Estienne à partir de 1924 avant de disparaître à l'âge de 75 ans en février 1938 Paris
AURIOL (Vincent-Jules), 1884-1966 : Avocat et homme politique. Né à Revel (Haute-Garonne) le 27 août 1884, Vincent Auriol est le fils d’un boulanger. Il réalise des études de droit et de philosophie à Toulouse et, dès 1905, milite dans les rangs de la jeunesse socialiste. Avocat de profession, il se spécialise dans la défense des grévistes et participe avec ardeur auc ombat socialiste en compagnie de Jean Jaurès. Député socialiste de Muret (Haute Garonne) dès 1914, il est réélu en 1919. Lors de la scission de Tours en 1920, il suit Léon Blum dans son refus de voir la SFIO se transformer en section de l’Internationale communiste. Considéré comme l’expert financier du parti socialiste, il devient membre de la commission des Finances de l'Assemblée en 1924, après la victoire du Cartel des gauches. Avec la victoire du Front populaire en 1936, il devient ministre des Finances dans le premier cabinet Blum de juin 1936 à juin 1937. Sa politique d'abandon du « franc Poincaré » au profit du « franc flottant » n'empêche pas la chute du gouvernement Blum sur des questions économiques. Ministre de la Justice dans le cabinet Chautemps de juin 1937 à janvier 1938, ministre d’Etat dans le second cabinet Blum de mars-avril 1938, Auriol est devenu une figure de proue du parti socialiste.
En juillet 1940, il fait partie des quatre-vingt députés qui refusèrent de voter les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Incarcéré, il réussit cependant à gagner Londres et la Résistance. Il fait un retour triomphal à la Libération puisqu'il est élu premier président de la IVe République par l'Assemblée le 16 janvier 1947. Il décèdera à Muret, le 1er janvier 1966.
CUVILLIER (J.-F.) : Vincent Auriol et les Finances publiques du Front populaire ou l’alternance du contrôle et de la liberté (1933-1939), Toulouse, Publications de l’Université de Toulouse, Le Mirail, Série A, tome 40, 1978.
DANSETTE (A.) : Histoire des Présidents de la République de Louis-Napoléon Bonaparte à Georges Pompidou, Paris, Amiot-Dumont, 1981.
AURORE (L’) :. Journal quotidien d'information générale, républicain de gauche quiparaît entre le 1er octobre 1897 et le 2 août 1914. Directeur: E. Vaughan. L'équipe rédactionnelle est de qualité. Il ne connaît de réel succès qu'à l'occasion de la publication de "J'accuse"; il tire alors à plus de 150 000 exemplaires. En dépit de l'appui que lui apporte la Ligue des Droits de l'homme, les outrances antimilitaristes et quasi anarchistes d'Urbain Gohier détournent de lui beaucoup de dreyfusards. Principaux collaborateurs : H. Brissac, G. Clemenceau, L. Descaves, G. Geffroy, A. Goullé, C. Mauclair, L. Millot, F. de Pressensé. Feuilleton: A. Achard, P. Arnous, M. Guillemot, J. Lermina, A. Sirven et A. Siégal. Zola y publie Fécondité du 15 mai au 4 octobre 1899.
AUROUSSEAU (Léonard-Léon), 1854-1914 : Léonard Aurousseau est né le 10 septembre 1854 à Saint-Estèphe, dans le département de la Dordogne. Il n'a pas encore 16 ans lorsque débute la guerre franco-allemande de 1870. Comme beaucoup de jeunes de sa génération, l'annonce des défaites de l'armée impériale l'incite à s'engager pour tenter de venger l'humiliation des premières batailles. Le 22 octobre, il souscrit un engagement volontaire pour la durée de la guerre. C'est à l'Armée de la Loire qu'il connaît son baptême du feu. Passé ensuite à l'Armée de l'Est, il en subit le sort, ce qui lui vaut d'être interné quelque temps en Suisse. Une fois libéré, il s'engage une seconde fois, en octobre 1871, au titre du 2e Zouaves. Commence alors une carrière intégralement consacrée à l'infanterie. Homme de troupe puis sous-officier, il sert tout d'abord au 2e Zouaves puis au 12e bataillon de chasseurs à pied. Après avoir suivi les cours de l'École Militaire d'Infanterie de Saint-Maixent, il est nommé sous-lieutenant le 30 avril 1880. C'est au 3e R.T.A. qu'en 1880 il commence sa nouvelle carrière d'officier. Avec lui, il sert en Algérie et en Tunisie. En décembre 1884, il est nommé lieutenant et passe au 1er R.T.A. L'année suivante il part pour l'Indochine, où il rejoint le 1er régiment de Tirailleurs Tonkinois.
Il rentre en France en 1888 et termine son temps de lieutenant au 19e R.I. Capitaine le 29 mars 1889, il est muté au 63e R.I. Il quitte ce régiment limousin quelques années plus tard, pour être nommé major du 50e R.I., l'un des deux régiments implantés en Dordogne (à Périgueux, en l'occurrence). Pour la première fois, sa carrière le ramène dans son Périgord natal. Il sert toujours au 50e R.I. lorsqu'il est nommé chef de bataillon, le 25 avril 1900, puis lorsqu'il est promu lieutenant-colonel, en décembre 1907.
Il accède au grade de colonel le 25 décembre 1911 et prend brièvement la tête du 146e R.I., à Toul, avant de revenir dans le Périgord dès l'année suivante. C'est en 1912 en effet qu'il devient chef de corps du 108e R.I., en garnison à Bergerac. Pendant deux ans, il marque profondément la vie de la petite ville de garnison. C'est un homme respecté, dont les décorations illustrent la carrière mouvementée. Promu commandeur de la Légion d'Honneur le 31 décembre 1913 (ce qui n'est pas fréquent pour un officier de son grade, la plupart des colonels n'étant encore qu'officiers, voire chevaliers), il est décoré au cours d'une revue militaire le 16 janvier 1914 à Bergerac, par le général de division Henri de Pourquéry de Péchalvès, ancien gouverneur militaire de Verdun, en retraite à Bergerac où il a des attaches familiales. Il est également titulaire de la médaille du Tonkin, de la médaille Coloniale (agrafe "Tunisie"), de la médaille commémorative de la guerre de 1870, officier de l'Ordre Royal du Cambodge, officier de l'ordre du Dragon d'Annam et officier de l'ordre tunisien du Nicham Iftikar...! Bien peu de chefs de corps peuvent alors se vanter d'avoir un tel palmarès !
Atteint par la limite d'âge, il doit partir à la retraite en septembre 1914. La guerre va en décider autrement. Le 1er août 1914, dans l'enthousiasme patriotique qui électrise la dernière retraite aux flambeaux organisée à Bergerac par son régiment, il déclare : "Je suis heureux de partir à la tête de mon régiment et avec mes deux fils... A ma médaille de 1870 j'espère joindre la médaille victorieuse de 1914". Car c'est toute la famille Aurousseau qui part pour la guerre : si le père est colonel du 108e R.I., l'un de ses fils est sous-lieutenant de réserve au 144e R.I. de Bordeaux et l'autre sert comme sous-officier au 108e. Avec le 12e Corps, auquel appartient son régiment, le colonel Aurousseau combat tout d'abord dans les Ardennes belges. La bataille du 22 août, à l'ouest de Neufchâteau, est un cruel et meurtrier apprentissage de la guerre moderne. Elle touche d'autant plus le chef du 108e que son fils, le sergent René Aurousseau, y trouve la mort. L'échec de la bataille des frontières étant consommé, débute alors une retraite sans fin qui, des rives de la Semois, conduit le 108e R.I. sur la Marne. Le 8 septembre, alors que commence la bataille dont dépend le sort des armes, une balle brise la cuisse d'Aurousseau. De cette grave blessure il ne se remettra pas. Il meurt le 14 septembre à l'hôpital du Val de Grâce où il avait été transporté. Son corps est rapatrié à Bergerac, où il est enterré le 26 octobre. Ses obsèques sont célébrées avec la participation d'un détachement du 96e Territorial, commandé par le chef de bataillon Champ. La disparition de cette figure de la vie locale, homme respecté et officier admiré, cause une émotion aussi vive que sincère chez les Bergeracois. La mort presque simultanée au Champ d'Honneur du père et de ses deux fils (l'aîné tué le 20 août et le cadet tombé le 22) fait beaucoup pour marquer les esprits. De nombreuses gerbes accompagnent le corbillard enveloppé d'un drapeau sur lequel repose la cravate de commandeur de la Légion d'Honneur et la médaille de 1870 du défunt. Au cimetière, le commandant Mano et le sous-préfet Tavera prononcent un discours et retracent la carrière du grand soldat. Le hasard d'une carte postale de l'époque nous donne un autre écho de cette cérémonie : celui de la troupe chargée de rendre les honneurs. Bien entendu, les considérations personnelles sont en ce cas très différentes de l'émotion populaire et de la pompe officielle. C'est surtout sous l'angle d'une corvée que la cérémonie a été perçue par le soldat (du 96e Territorial sans doute) qui, plus préoccupé par l'état de santé de sa femme (de sa fiancée ?) que du deuil des Bergeracois, écrit le 26 octobre 1914 : "J'ai fait un bon voyage. Je suis arrivé à Bergerac à 6 heures et demie et il y a rien eu. Tout va bien ce matin, rien à faire. Je crois qu'à 11 heures faudra aller à l'enterrement d'un colonel, mais ce sera pas bien pénible". La gloire est chose bien relative...
AUTOMOBILE :
DAULIAC (J.P), MENU (J.), SAKA (P.): L’histoire de l’automobile en France, Fernand Nathan, Paris, 1982.
LOUBET (J.-L.) : Histoire de l’automobile française, Paris, Seuil, 2001.
AUTORITÉ (L’) : Journal quotidien fondé en 1886. Organe d’avant-garde de la politique d’union conservatrice sous la direction de Paul de Cassagnac, il mène en 1889 une campagne très vive en faveur du du programme révisionniste du général Boulanger.
AVRAY (Charles d'), 1878-1960 : Poète et chansonnier. Antimilitariste, libre penseur et franc-maçon, il écrit et chante dans les cabarets : A bas Biribi!, Le Militarisme, Les Penseurs, etc. Il est l'un des fondateurs de La Muse rouge, avant la Première Guerre mondiale. Après la guerre, il chante au Grenier de Gringoire. Sa chanson "Le Peuple est vieux" est probablement la plus connue de ses oeuvres.
AYMARD (Edmond-Camille), 1881-1964: Journaliste. Né à Loudun (Vienne), Camille Aymard est avocat à Paris de 1903 à 1907 puis notaire en Indochine (1907-1919). Il fonde à Saigon le journal L'Impartial et, rentré en France, il devient en 1920 administrateur-délégué du Figaro. En 1922, il crée La Liberté feuille quotidienne du soir, journal qui exerce une réelle influence dans les milieux modérés de la capitale. Il la dirige jusqu'en 1937, date à la prise de contrôle du journal par Jacques Doriot. Toujours à cours d'argent pour son journal, Camille Aymard emprunte aux gens fortunés et hommes d'affaire. C'est ainsi, qu'il reçoit, à plusieurs reprises, des chèques signés Stavisky, ce qui devait lui être beaucoup reproché par la suite. Continuant sa carrière après la Libération, il décèdera à Audilly (Seine-et-Oise) le 25 juillet 1964.
AVIATION :
AYNARD (Edouard), 1837-1913 : Homme politique. Né à Lyon le 1er janvier 1837, Député du Rhône de 1889 à 1913. Il est issu d'une famille bressane venue s'établir à Lyon au XVIIè siècle. Il commença ses études au collège d'Oullins (Rhône) et les termina en Angleterre. Son père qui était banquier le fit s'initier à l'industrie de la soie, puis l'associa à ses affaires financières, industrielles et économiques. Ses compétences lui valurent d'être nommé président de la chambre de commerce de Lyon. Il s'intéressa à l'enseignement professionnel et contribua au développement de l'Université lyonnaise. Élu, il s'intéressa à toutes les discussions douanières en tant que libre-échangiste. Les questions sociales retinrent également son attention : travail des enfants, des filles mineures et des femmes dans les établissements industriels ; aide aux ouvriers mineurs ; réorganisation des caisses d'épargne ; société de secours mutuels ; accidents du travail ; il défendit l'assistance aux vieillards, infirmes et incurables ainsi que la caisse des retraites ouvrières. En 1895, il siégea à la Commission chargée de l'examen de la proposition de loi de M. Lemire sur la liberté d'association. Inscrit au groupe des progressistes, il avait soutenu le Ministère Méline en 1889, puis s'était retranché dans l'opposition sous les Ministères radicaux qui lui succédèrent. Il plaida en faveur de la liberté de l'enseignement dont il se fit le défenseur. Il intervient en faveur des congrégations et se prononçe contre la séparation des églises et de l'État et vote contre la loi sur le droit d'association. Il meurt à Paris le 25 juin 1913.
AZAÏS (Marcel-Etienne-Joseph-Marie), 1888-1924 : Critique littéraire. Né à Laverune (Hérault), le 1er mai 1888, Marcel Azais est issu d'une famille de vignerons. Il adhère, à sa sortie du collège, à seize ans, à l'Action française et est, dès lors, l'un de ses meilleurs propagandistes. Après la Première Guerre mondiale, qu'il fait en Artois, en Champagne, à Verdun et sur le front d'Orient, il fonde Les Essais critiques, revue mensuelle en 1920, dont il est l'unique rédacteur. A partir de 1922 et jusqu'à sa mort, il collabore à L'Action Française et fait à l'Institut d'Action française de nombreux cours sur Mistral et Roumanille. Il écrit également dans L'Eclair de Montpellier et dans diverses revues étrangères et publie La lance d'Achille, Le Double Coeur de Patrice Legrand, etc. Il meurt à Pignan (Hérault), le 12 septembre 1924.
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